27 janvier 2018

Le Coin des Tendances du 27 janvier 2018

Le long terme, c’est fini

Avec la progression, sans précédent, en période de paix de l’endettement public et privé, la préférence pour le présent s’est imposée. Les pouvoirs publics, les opinions publiques semblent donner raison à Keynes qui affirmait que « dans le long terme, nous sommes tous morts ».

Le taux d’endettement public de l’OCDE est passé de 70 à près de 120 % du PIB de 1998 à 2018. La progression de la dette publique s’est amorcée dans les années 80 et s’est accentuée durant les années 2000. La baisse du taux de croissance à partir du premier choc pétrolier a favorisé l’émergence de déficits publics croissants. Les pouvoirs publics sont intervenus de plus en plus fortement pour atténuer les conséquences des crises et la diminution des gains de productivité. Par ailleurs, le pli keynésianiste pris après la Seconde Guerre mondiale a conduit à maintenir un volant important de déficit pour maintenir ou soutenir l’activité économique. Les politiques contracycliques qui se devaient d’être exceptionnelles sont devenues la norme. La rigidité des dépenses publiques à la baisse est marquée en particulier en Europe.

L’endettement des États a été favorisé par la dérégulation des marchés financiers intervenus au début des années 80. Les emprunteurs ont également pu compter sur l’excès d’épargne dans certains États comme l’Allemagne, la Chine et le Japon, excès provoqué notamment par les déséquilibres commerciaux.

Les acteurs privés ont augmenté leur niveau d’endettement profitant tant des nouvelles possibilités offertes par les marchés que de la baisse, ces dernières années, des taux d’intérêt.

Cet excès d’endettement conduit les banques centrales à peser sur les taux d’intérêt,même si cela n’est pas toujours explicitement affirmé. Les politiques monétaires non-conventionnelles sont devenues la norme après la Grande Récession de 2008. Elles ont eu pour conséquence de réhabiliter le concept de « répression financière » en vertu duquel l’épargnant est contraint de participer au coût de la dette en acceptant un niveau de rendement très faible voire négatif.

Le maintien de taux d’intérêt faible semble devenir la règle. Logiquement, les taux d’intérêt de long terme sont censés être supérieur à la croissance en prenant en compte l’inflation. Ainsi devraient-ils atteindre plus de 3 % en France. Or le taux de l’OAT à 10 ans est de 0,8 %. Aux États-Unis, les taux d’intérêt devraient dépasser 4 % quand l’État américain s’endette à 10 ans à 2,6 %.

Cette politique d’endettement aboutit à un transfert de charges du présent sur l’avenir. Certes, si les dépenses financées en ayant recours à l’emprunt génèrent des revenus, de la croissance sur le moyen et long terme, cette politique pourrait être considérée comme favorable aux prochaines générations. Néanmoins, il apparaît que l’endettement a surtout servi à financer des dépenses courantes (dépenses de fonctionnement des administrations publiques, prestations sociales). La diminution des dépenses publiques d’investissement en est la meilleure illustration.

L’accumulation par les épargnants de titres à faibles rendements réduit leurs revenus financiers et actuels. Ce sont les retraités d’aujourd’hui et de demain qui sont ainsi pénalisés.

Les faibles taux d’intérêt devraient conduire les épargnants à modifier leurs comportements en optant pour un volant accru de placements actions. Or, en Europe continentale, en raison d’une forte aversion aux risques qui a progressé depuis la crise de 2008, ce changement est lent à se dessiner.

La persistance de faible taux d’intérêt traduit également un renoncement au futur. En rémunérant très faiblement le long terme, les acteurs semblent accepter l’idée que le futur ne vaut pas la peine d’être vécu. Cet argument est à relativiser compte tenu du taux d’épargne qui reste élevé dans plusieurs pays dont l’Allemagne, la France ou la Chine. Les agents économiques ne croient plus au futur tout en essayant de se préserver de menaces de court terme éventuelles en mettant de l’argent de côté.

La préférence pour le présent se matérialise également par une offre de monnaie abondante. Depuis 1998, la base monétaire, au sein de l’OCDE, a été multipliée par près de 8 avec une accélération à partir de 2008. Lors de ces dix dernières années, elle est passée de 10 à 35 % du PIB. Cette croissance sans précédent ne s’accompagne pas, pour le moment, d’une inflation du moins sur les biens courants. L’excès d’offre de production, la digitalisation de l’économie et le vieillissement de la population pèsent sur les prix des biens de consommation. En revanche, la valeur des actifs tend à s’accroître que ce soit au niveau immobilier ou au niveau des actions. Une volatilité accrue sur les cours boursiers et des taux de change est constatée sur moyenne période. Au sein de l’OCDE, les indices boursiers ont été multipliés par 2,5 depuis 1998. Pour l’immobilier commercial, les prix ont presque doublé en 20 ans quand, pour les logements, ils ont connu une appréciation de plus de 120 %. La valeur de l’euro par rapport au dollar entre 1999 et 2018 a varié du simple au double, ce qui constitue une très forte amplitude au regard des fondamentaux économiques. L’euro s’est échangé contre 1,577 dollar le 1er avril 2008 après avoir atteint un plancher le 1er janvier 2001 à 0,843 dollar.

En raison d’un niveau excessif de l’endettement, les politiques budgétaires ne peuvent plus être très ambitieuses. L’objectif des pouvoirs publics est de maintenir plus que de conquérir. Les marges de manœuvre pour les investissements sont faibles. Il en résulte une faible propension à préparer l’avenir.

 

La croissance face au dilemme énergétique

Le décollage de l’économie mondiale intervenu à la fin du XVIIIe siècle repose sur la capacité d’accroissement de la force humaine en ayant un recours accru à l’énergie qu’elle soit hydraulique ou thermique. Le machinisme a permis d’améliorer la productivité au sein du secteur agricole, dans l’artisanat qui a donné vie de la sorte à l’industrie. L’eau, le vent et le bois ont été longtemps les seules énergies exploitées. Si elles étaient relativement bien réparties sur l’ensemble de la planète, ces énergies avaient comme défaut d’être incertaines et d’être d’une intensité médiocre. L’utilisation du charbon a constitué un réel progrès du fait sa puissance énergétique et de son stockage possible. A partir du XIXe siècle et surtout au cours du XXe, le pétrole a permis un saut qualitatif de grande ampleur. Son pouvoir énergétique s’est révélé sans comparaison avec les combustibles qu’ils l’ont précédé. Par ailleurs, il était au départ relativement facile à produire et à transporter. En raison de leurs qualités, le charbon et le pétrole ont suppléé les anciennes énergies à l’exception de l’hydraulique utilisée essentiellement pour la production d’électricité.

Les besoins en énergie augmentent toujours de manière exponentielle en raison de la progression du nombre d’habitants, de la croissance des émergents et des pays en voie de développement et du fait de l’évolution de la technologie. Contrairement à certaines idées reçues, le digital est fortement consommateur d’énergie. Internet absorberait l’équivalent de la production de 50 centrales nucléaires.

De 1973 à 2012, la consommation mondiale d’énergie primaire a doublé. D’ici 2050, compte tenu de l’harmonisation des comportements de consommation, un nouveau doublement est attendu. Cette augmentation pose une série de problèmes liés aux capacités de production et aux conséquences en termes de pollution. La consommation croissante des énergies fossiles provoque la progression exponentielle des émissions de gaz à effet de serre. La raréfaction à venir du pétrole bon marché ne sera pas sans incidence sur la croissance.

De ce fait, tant pour des raisons économiques qu’environnementales, le développement des énergies renouvelables serait incontournable. À ce sujet, les pays européens ont, à des degrés divers, réalisé en une dizaine d’années de réels efforts pour accroître la part des énergies renouvelables dans leur production énergétiques totale.

Si la substitution d’énergies dites propres à celles qualifiées de carbonées est positive sur le papier, il peut en être autrement dans les faits. Ainsi, l’International Ressource Panel (groupe d’experts mis en place par l’ONU en 2007 afin de surveiller et d’étudier les ressources planétaires) a mesuré les besoins en acier et en métaux rares nécessaires pour la production d’un kilowatt heure d’électricité. Selon cette étude, la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables consomme de 2 à 6 fois plus de matières que celle réalisée de manière conventionnelle. L’éolien et le solaire concentré sont les moins rentables. L’énergie la moins consommatrice de matière est le gaz naturel. L’exploitation des énergies renouvelables nécessite le recours à du cuivre, de l’argent, de l’aluminium, du zinc, du platine, du neodymium, de l’indium dont l’extraction ou la production exige de grandes quantités d’énergie. Par ailleurs, au rythme actuel de consommation, les stocks de métaux rares pourraient être épuisés pour un certain nombre d’entre eux d’ici le milieu du siècle. Ainsi, les réserves d’indium, minerai utilisé dans les panneaux photovoltaïques, auront disparu en 2040. Certes, il sera possible de favoriser le recyclage de ces minerais mais pour le moment l’industrie éprouve quelques difficultés à trouver les solutions techniques. Les batteries utilisées par les voitures électriques sont actuellement difficiles à retraiter.

Le retour sur investissement en énergie est le ratio de la quantité d’énergie extraite ou produite et de l’énergie nécessaire pour l’obtenir. Pour calculer ce dernière donnée sont prises en compte les consommations d’énergie utilisée pour la réalisation des équipements nécessaire à la production, et celle indispensable pour la production, la transformation (le raffinage), le transport et le stockage. Enfin, doit être intégrée l’éventuelle déperdition au moment de la production, du transport ou de l’utilisation. Le pétrole et le gaz bénéficient de retour sur investissement élevé. Pour le pétrole, il a longtemps été de 15 pour 1. Le coût d’exploitation des nouveaux gisements étant en hausse, ce ratio est tombé à 10 pour 1. Le rendement du pétrole de schiste serait assez faible.

Le retour sur investissement du gaz naturel est de 20 mais il tend également à diminuer. Cette énergie est pénalisée par le coût des transports. L’énergie nucléaire a longtemps été jugée très efficiente. Le rendement décroît avec la multiplication des normes de sécurité. Les énergies renouvelables ont, de leur côté, des ratios variables. La plus performante reste de loin l’hydraulique sous réserve de la taille de l’équipement et de la régularité de l’alimentation. Le ratio peut atteindre 30. L’éolien ou le solaire ont des rations faibles se situant entre 1 à 5. Leur pouvoir énergétique reste faible. Les équipements à réaliser nécessitent en amont une forte consommation en énergie et en matières premières. Elles souffrent par ailleurs de problèmes de stockage. Par ailleurs, la multiplication de centres de production de petite taille est une source de nuisances environnementales. En l’état actuel des techniques, le recours croissant aux énergies renouvelables n’aboutit qu’à déplacer la pollution. Les pays avancés transfèrent sur les pays émergents une partie des émissions de CO2 dont ils étaient à l’origine.

Sans un réel saut technologique, le mix énergétique restera dominé par des combustibles fossiles dans les prochaines années. Sans le développement de l’énergie nucléaire, une réelle réduction des émissions de gaz à effet de serre est pour le moment hypothétique, sauf à revoir de fond en comble le paradigme de croissance économique. Selon le spécialiste du climat, Jean-Marc Jancovici, en l’absence d’énergies fossiles, notre production serait le centième de ce qu’elle est aujourd’hui. Le défi énergétique auquel nous sommes confrontés est crucial pour notre devenir économique. En effet, dans le passé, les civilisations se sont effondrés quand le coût de leur maintien, celui des structures politiques, des infrastructures, de l’énergie a dépassé les ressources qu’elles pouvaient dégager (voir J. Tainter, « l’effondrement des sociétés complexes » 2013 et P. Kennedy « naissance et déclin des grandes puissances »).