Le Coin des tendances du 28 mai 2016
L’école, c’est bientôt fini !
L’enseignement a, au cours de ces cent dernières années, connu une mutation de grande ampleur. Autrefois, l’école avait comme objectif la création de bons citoyens capables de lire, d’écrire et de compter. Avec la IIIème république, l’école publique se voit confier une autre mission, celle de laïciser la population et d’éviter le retour des Bourbon ou des Bonaparte au pouvoir. L’instituteur avait vocation à remplacer le prêtre et à porter la nouvelle bonne parole. De leur côté, l’enseignement secondaire et supérieur était réservés à une élite dont la mission était de conduire les destinées économiques et politiques de la nation.
En 1833, la loi Guizot impose à toute commune de plus de 500 habitants d’entretenir une école primaire de garçons et de participer au financement d’écoles normales. Les lois Ferry de 1879, de 1881 et de 1882 en rendant obligatoire et gratuite l’école ainsi qu’en supprimant l’enseignement de la morale religieuse entraînent un changement de dimension pour l’éducation.
Pour assurer la formation des jeunes français, l’État a créé une administration structurée rayonnant sur l’ensemble de territoire. Les différents régimes ont repris les principes quasi militaires de Napoléon pour l’organisation du système éducatif.
Le système qui se met en place est très vertical avec à chaque étage une figure de proue, l’instituteur, le professeur des écoles, le professeur d’université. Le contenu des programmes est de nature classique. L’histoire a été enseignée de telle façon de constituer un creuset républicain. Au lycée, le latin, le grec ont été longtemps des marqueurs élitistes. Les mathématiques enseignées de manière assez théorique ont, surtout, après la Seconde Guerre Mondiale, ont permis d’organiser une sélection. La série scientifique C ou S en fonction des époques, a alimenté, depuis la fin des années 60, les grandes écoles. Le système de notation et de classement constitue également deux symboles forts de l’organisation administrée et verticale de l’enseignement. Les classes sont des petits amphithéâtres où le maître est tout à la fois le détenteur du savoir et le gardien du temple.
Jusqu’à une époque pas si éloignée, les enseignants transmettaient des méthodes et un savoir acquis par leurs maîtres qui avaient en règle générale 20 à 40 ans de plus qu’eux. L’actualisation des connaissances par la formation permettait certes de gommer en partie ce décalage.
Ce modèle issu de la IIIème république, modernisé évidemment depuis, doit faire face à un double défi depuis trente ans, la massification et la digitalisation. Face à l’accélération de la diffusion des connaissances par voie numérique, l’Ecole a dû et doit encore se repenser
Près de 80 % d’une classe d’âge atteint désormais, en France, le baccalauréat contre 25 % il y a une trentaine d’années. Il y a autant de professeurs à l’université aujourd’hui qu’il y avait d’étudiants en 1950. Cette montée en puissance a été menée en appliquant les règles du taylorisme. La constitution d’un vaste réseau de collèges et de lycées se ressemblant tous avec des salles de classes enfilées les unes derrière les autres, l’embauche de très nombreux enseignants dont le nombre dépasse désormais un million ont permis de gérer des flux croissants d’élèves. Il a fallu démultiplier des process qui avaient été prévus pour des effectifs réduits. Le passage du baccalauréat est chaque année un défi à relever, défi qui mobilise l’administration des mois durant. Cet examen qui couronne le secondaire est un symbole aussi difficile à réformer que le droit du travail. Avec ses épreuves théoriques, il est la marque de l’école d’hier tout en demeurant la porte d’accès sur l’avenir pour des millions d’élèves.
Internet, le numérique modifient en profondeur l’accès au savoir. Le professeur est concurrencé par Wikipédia, par les sites d’information, par les cours en ligne des grands établissements…
Les comportements des jeunes sont également profondément modifiés. Le monde des jeux vidéo, du zapping, de la communication en temps réel est en opposition complète avec celui des cours ex-cathedra de deux heures. La concentration devient de plus en plus un effort pour des élèves habitués aux miracles de la technologie, à zapper d’un écran à un autre…. Certains prétendent même que le numérique modifie la façon de fonctionner des cerveaux et cela d’autant plus que les personnes concernées sont jeunes. L’enseignement selon François Taddeï, auteur du rapport « former des constructeurs de savoirs créatifs et collaboratifs », doit amplifier sa mutation. Les élèves se doivent de savoir chercher, d’avoir du recul et d’être capable d’agencer pour innover et créer. Le monde numérique exige d’être tout à la fois cultivé, agile et créatif. Si les outils de communication modernes ont tendance à favoriser l’individualisme et le repli sur soi, la capacité à s’exprimer en public devient de plus en plus discriminant. De même, dans un monde de communication rapide, l’esprit de synthèse est de plus en plus nécessaire. Il faut sérier un nombre croissant d’informations dans un laps de temps de plus en plus court afin de les transformer en actions.
Avec la multiplication des cours en ligne, avec la possibilité d’accéder à un nombre très important de données, l’enseignant abandonne son rôle de transmetteur de savoir livresque au profit d’un rôle de chef d’orchestre. Le passage du modèle d’enseignement classique à un modèle d’enseignement interactif reposant sur le travail en groupe, sur le travail sur dossier dès le plus jeune âge n’est pas simple à gérer. Pour des élèves mal entourés et maîtrisant mal les fondamentaux (lire, écrire et compter…), le risque de décrochage est grand.
La critique du système éducatif français est facile et bien souvent exagérée. En effet, les cours en primaire et en secondaire ont fortement évolué ces dernières années. L’université qui doit a dû faire face à un gonflement des effectifs n’a pas disposé de moyens suffisants pour modifier en profondeur les méthodes d’enseignement. Le recours à des maîtres de conférence extérieurs rend plus difficile la diffusion des nouvelles techniques d’enseignement. Il est répété que la France recule dans le classement PISA de l’OCDE et que du fait de l’inadéquation de la formation par rapport au marché du travail, le taux d chômage des jeunes est élevé. Les modèles d’Europe du nord voire allemand sont souvent cité mais il ne faut pas oublier que le Danemark, la Finlande ou la Suède sont des États à faible population où il est plus facile de modifier les programmes et les méthodes par rapport à un système qui gère des millions d’élèves et un million d’enseignants. Dans les pays d’Europe du Nord ou en Allemagne, le système éducatif est influencé par la structure décentralisée de ces pays. L’école y a moins joué le rôle de colonne vertébral de la Nation.
Le système français est accusé de ne pas favoriser la création or, la France se caractérise par un haut niveau de création d’entreprise dont un nombre non négligeable sont des start-up. De même, en matière de création audiovisuelle ou de jeux vidéo, de design, de mode… la France demeure une référence. Les jeunes talents sont prisés au niveau international.