Le Coin des Tendances du 3 février 2018
Paris coule-t-il ?
La Seine, fleuve à débit lent mais à vaste réseau fluvial de surface et souterrain, connaît des périodes de crue qui, à défaut d’être régulières, ne sont pas rares.
L’Île-de-France recouvre à peine 2 % de la superficie de la France métropolitaine, mais concentre un cinquième de sa population et produit près du tiers du PIB. Elle est dépendante du cours du fleuve qui la traverse de part en part. A plusieurs reprises, l’OCDE a attiré l’attention des autorités françaises pour prendre des mesures. En 2014, l’organisme international avait mis en garde les autorités sur le manque d’investissement. Il vient de réitérer en soulignant qu’une inondation pourrait mettre en danger la tenue des Jeux Olympiques de 2024. Néanmoins, la probabilité d’être confronté à une crue au plein milieu de l’été est plus faible qu’en hiver.
La crue de la Seine au cours du premier mois de janvier 2018 est la deuxième en moins de deux ans, la précédente datant de mai/juin 2016. Ces deux évènements ne sont-ils que des épiphénomènes ou traduisent-ils un changement de tendance lié au climat et de topographie des sites ? L’urbanisation avec l’artificialisation des sols favoriserait les crues. Les périodes de pluie, plus espacées mais plus intenses, conduisent à une multiplication des inondations.
Dans le passé, la Seine a connu de nombreuses crues (1658, 1876,1910, 1955 et 2016). Une des plus importantes fut celle de 1658 où, selon plusieurs études, le niveau de la Seine aurait été supérieur de 30 à 50 centimètres à celui de 1910. Face à ces caprices de la nature, les pouvoirs publics ont depuis des siècles tentés de contenir le cours du fleuve. Ainsi, après la crue de 1876, les quais furent relevés à Paris mais de manière insuffisante pour contenir les inondations de 1910.
Le lit de la Seine est assez étroit surtout à Paris. Il y a plusieurs centaines d’années, le fleuve a perdu un de ses bras qui, au nord du cours actuel, longeait les bords de la colline de Belleville et rejoignait l’autre bras à proximité de la colline de Chaillot, Le comblement de ce bras pourrait être la conséquence de captage ou de modification du débit d’affluents. Ce changement de lit s’est traduit par un passage plus court du fleuve dans Paris mais aussi plus pentu.
La Seine a été voie de circulation, d’activités économiques et lieu de vie. Elle a souffert de pollution du fait que les déchets de Lutèce puis de Paris y étaient jetés. Mal entretenue, les crues étaient fréquentes durant tout le Moyen Âge et la Renaissance. Au XVIIe siècle, la construction de ponts, l’installation de pompes ont favorisé les débordements du fleuve.
À partir du 1er Empire, des mesures sont prises afin de prévenir les risques d’inondation. Ainsi, sont construits des quais de hauteur homogène. Ces quais en améliorant la vitesse moyenne du courant, accroissent le débit et conduisent à une baisse de plus de 10 centimètres du plan d’eau. Il a été également décidé de supprimer des pompes dont celle de la Samaritaine. La construction de nouveaux ponts est soumise à des règles plus strictes. Les arches doivent être beaucoup plus larges qu’antérieurement.
Sous la Deuxième République et Napoléon III, de nombreux travaux sont réalisés avant tout pour rendre navigable la Seine tout le long de l’année. À partir de 1850, des dragages sont régulièrement pratiqués. Des travaux de modernisation des ponts sont entrepris tant pour faciliter la circulation tant routière que fluviale.
La crue de 1910, plus de 1,4 milliard d’euros de dégâts.
En atteignant la cote de 8,62 mètres, la crue de 1910 occasionna des dégâts évalués à plus de 1,6 milliard d’euros, ce qui, au regard de la situation économique de l’époque, était considérable : 20 000 immeubles inondés dans la capitale, 30 000 maisons touchées en banlieue, 150 000 sinistrés qui durent être relogés. La moitié du réseau métropolitain est paralysé. L’électricité est coupée dans de nombreux quartiers parisiens. Les ascenseurs qui fonctionnent par air comprimée sont à l’arrêt faute d’être ravitaillée. La situation resta préoccupante durant plus de deux mois, le temps que l’eau soit évacuée. Malgré tout, seul un mort fut recensé en raison des inondations.
Du fait des dégâts provoqués par la crue de 1910, des grands travaux furent entrepris. En amont de Paris, 4 grands lacs artificiels permettent de réguler le débit de la Seine et de la Marne. Ils sont, depuis 1969, gérés par l’Institution Interdépartementale des Barrages Réservoirs du Bassin de la Seine. Cette institution joue un rôle majeur de régulation du bassin amont de la Seine grâce à 4 grands lacs-réservoirs.
Les lacs-réservoirs limitent les inondations en retenant une partie du débit des rivières en crue. Leur action diminuerait ainsi de 70 cm la hauteur d’eau à Paris dans le cas de crue majeure. De nombreux travaux de génie civil ont été également effectués à Paris après la crue de 1910 avec la construction de parapets, le rehaussement de ponts et des quais de la Seine, le creusement du lit du fleuve et la modernisation des écluses. Depuis 2006 un dispositif pour contenir la Seine dans son lit jusqu’à la cote atteinte en 1910 est opérationnel. Des dispositifs de barrages mobiles ont été acquis afin de protéger certaines installations sensibles et éviter une paralysie de la ville en cas de crue centennale.
Les dispositifs et plans de prévention ont été testés lors de la crue de 2016 qui a été la première d’importance depuis 1955. Les inondations de 2016 ont coûté plus d’un milliard d’euros aux assureurs. Plus de 17 000 personnes ont dû être évacuées et deux personnes sont mortes. En 2018, le coût devrait être moindre, de 100 à 300 millions d’euros. Le caractère progressif de la crue a limité l’effet de surprise et a permis une meilleure anticipation de la part des pouvoirs publics. La zone inondée est, jusqu’à maintenant, moindre qu’en 2016.
Deux inondations en deux ans, c’est assez rare pour la Seine mais cela ne suffit pas pour affirmer que cela augure d’un cycle de crues plus soutenu. Certes, certains considèrent que l’urbanisation croissante de la région favorise la sortie de son lit du fleuve. Le taux d’artificialisation des sols est supérieur à 20 % en Île-de-France contre 9 % pour l’ensemble de la France. Ce taux est de 97 % à Paris et dépasse 40 % pour les communes limitrophes. Le développement des parkings, des centres commerciaux, des grands ensembles, des entrepôts ainsi que des axes de communication contribuent à la disparition des terres arables. Le lit de la Seine accueille en surface et en souterrain une part croissante des écoulements d’eau qui ne sont plus absorbés par les sols. De ce fait, en période de pluie, la montée du fleuve s’accélère et accroît les dégâts. Par ailleurs, le réchauffement climatique pourrait se traduire par une accentuation des phénomènes pluvieux qui seraient donc moins nombreux mais plus violents.
En prenant en compte les évolutions urbanistiques de la région Île-de-France, l’OCDE considère qu’une crue comparable à celle de 1910 pourrait affecter jusqu’à 5 millions de citoyens et provoquer jusqu’à 30 milliards d’euros de dommages directs. Les effets sociaux et économiques d’une inondation sont accrus en raison de la densification de l’habitat et des activités à Paris et en banlieue. L’utilisation des techniques de l’information rend l’activité très vulnérable en cas de rupture des réseaux.
Dans une note publiée durant la crue du mois de janvier 2018, l’OCDE souligne que si des progrès ont été accomplis depuis la réalisation de l’étude qu’elle avait menée sur le sujet en 2014, plusieurs faiblesses demeurent en particulier au niveau de la gouvernance. L’institution internationale note que l’empilement des structures freine la réalisation d’investissements et constitue une source de déperdition d’énergie surtout en période de crise. Communes, départements, Région, Métropole, établissements publics de bassin, État, sociétés concessionnaires : le nombre d’acteurs est très important.
L’organisation internationale considère que les autorités devraient mieux prendre en compte les risques liées à de possibles crues majeures. Elle conseille la réalisation d’infrastructures adéquates dans le cadre des projets du Grand Paris et des Jeux Olympiques de 2024.
L’OCDE préconise que la Métropole du Grand Paris se saisisse du dossier en relation avec les autres collectivités territoriales et veille à une meilleure intégration de ce risque majeur dans les politiques urbaines. Elle s’inquiète que les nouveaux quartiers de densification urbaine prévus dans le cadre du Grand Paris soient en zone inondable et demande que des mesures soient prises afin de réduire les risques. La modernisation des digues et murettes de protection le long de la Seine, ainsi que des infrastructures critiques exposées aux inondations est jugée prioritaire. L’organisation internationale considère que, depuis les années 70, les investissements en la matière sont en recul. La création d’un nouveau lac de rétention est également considérée comme nécessaire. Le projet de développement d’une zone de stockage des crues – restauration des zones humides et création de bassins – à La Bassée, en amont de Paris, est évoqué depuis 20 ans. Il permettrait de retenir 55 millions de mètres cubes d’eau, pour un coût toutefois estimé à 600 millions d’euros.
L’OCDE mentionne qu’une crue majeure aurait les mêmes effets sur la capitale que l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans, ou que la tempête Sandy à New York. L’organisation internationale préconise l’instauration d’une taxe inondation pour financer dans les meilleurs délais les investissements jugés les plus urgents.
Les nouvelles dimensions du monde
L’économie mondiale en cette fin de deuxième décennie du XXIe siècle ne ressemble en rien à celle qui prévalait en 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour autant, la gouvernance, les rapports de force, les zones de tension restent les mêmes. Si en 1950, l’économie mondiale se résumait à une dizaine d’États, aujourd’hui 80 sont des acteurs de premier choix. La mondialisation qui s’est accélérée dans les années 90 a transformé les modes de production en éclatant les chaînes de valeurs, en multipliant les échanges commerciaux à travers toute la planète. Ainsi, un ordinateur de la marque Lenovo produit en Chine avant d’arriver à Paris prendra quatre fois l’avion en passant par la Corée, l’Azerbaïdjan et l’Allemagne. Au préalable son assemblage aura nécessité l’intégration de pièces en provenance d’une dizaine de pays. La mondialisation, le développement des techniques de l’information et de la communication rassemblent tout en divisant. La montée du populisme et la remise en cause des fondements même de la démocratie ont fini de détruire l’idée de la fin de l’histoire chère à Francis Fukuyama.
Il y a 74 ans, à la conférence de Yalta, les États-Unis et la Russie se partageaient en zones d’influences une grande partie de la planète. Les lignes ont depuis changé mais les comportements et les organisations internationales beaucoup moins. Ainsi, le FMI est toujours présidé par une Européen quand la Banque mondiale l’est par un Américain ou un proche de ceux-ci. L’alliance militaire, l’OTAN, mise en place pour endiguer la montée du communisme, a survécu à la disparition de celui-ci en Russie. L’ONU reste dirigée par le Conseil de Sécurité qui compte les vainqueurs de la guerre 39/45, les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine. 73 ans plus tard, cette situation peut apparaître assez étonnante.
États-Unis, l’hyperpuissance peut-elle rentrer dans le rang ?
Les États-Unis ont été le centre du monde libre, de la sortie de la Seconde Guerre mondiale jusque dans les années 90. Première puissance économique et militaire, ils étaient les seuls à pouvoir faire face à l’URSS. Ils ont alors institué un nouveau système impérial reposant sur du donnant/donnant dont le plan Marshall en était la meilleure illustration. La diffusion de l’ « American Way of Life » était un gage de réussite tant pour les alliés que pour les États-Unis qui pouvaient en tirer des profits d’un point de vue commercial. L’anti-américanisme était bien souvent plus une façade qu’une réalité. Ainsi, la France pouvait sortir de l’OTAN tout en sachant qu’elle bénéficiait du parapluie atomique américain. La chute de l’URSS consacra la victoire des États-Unis mais c’était une victoire presque en trompe l’œil, l’adversaire ayant avant tout implosé. Première puissance mondiale mais devant faire face à de nombreuses faiblesses structurelles (déficit commercial abyssal, inégalités croissantes, stagnation voire déclin de l’espérance de vie), les États-Unis ont assumé pleinement leur rôle de gendarme mondial, fonction que nul ne pouvait leur contester durant les années 90 et 2000. Les attentats du 11 novembre 2001, les premiers à frapper le pays en son sein, modifièrent la ligne politique et diplomatique du pays. Il en résulta une opposition croissante au multilatéralisme et un populisme de plus en plus exacerbé qui a abouti à l’élection de Donald Trump en 2016. Après un cycle de guerres à l’extérieur, la Bosnie, l’Afghanistan et l’Irak, l’isolationnisme tend à reprendre ses droits aux États-Unis. Forts de leur avance technologique et de leur capacité à attirer les chercheurs de toute la planète, les États-Unis exercent avec les GAFA et les autres entreprises du secteur des nouvelles technologies une domination douce tant économique que culturelle. La Chine en ayant ses propres entreprises technologiques est un des rares puissances économiques à résister à la force américaine dans le secteur de l’Internet. Puissance militaire, puissance économique, puissance technologique, puissance financière, les États-Unis ont depuis plus de 70 ans joui d’un poids que peu d’Empires avaient connu dans le passé. Dans toute leur histoire, ni le Royaume-Uni, ni la France ou l’Allemagne n’ont disposé d’autant de cartes. Il faut remonter à l’Antiquité pour retrouver des situations comparables au regard des capacités technologiques de l’époque. La fin des monopoles américains peut-elle se réaliser en douceur ou est-elle source de crises économiques et de conflits militaires ? Dans le passé, les systèmes multipolaires se sont révélés instables du fait de l’absence de dispositifs de régulation.
L’Europe ou comment renouer avec le sens de l’histoire ?
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe était tout à la fois divisée et en grande partie détruite. Avec le plan Marshall, l’Europe de l’Ouest se reconstruisit quand, à l’Est, l’Union soviétique institua un mode de développement planifié dans le cadre du Pacte de Varsovie. À l’Ouest, l’après-guerre fut marqué par la disparition des Empires. La construction européenne joua alors un rôle de dérivatif en particulier pour la France. La Communauté Européenne pour le Charbon et l’Acier en 1951 et la Communauté Economique Européenne de 1957 ainsi que l’Euratom contribuèrent à sceller la paix entre les anciens ennemis. La chute du mur de Berlin en 1989 et la chute de l’URSS en 1991 ont permis la réunification du continentqui, dans les faits, s’est cependant révélée assez virtuelle. Ainsi, l’Europe n’a pas été capable de s’émanciper réellement des États-Unis. L’intégration des pays d’Europe de l’Est au sein de l’Union européenne a été décidée pour ancrer ces pays dans le camp de la démocratie et pour éviter le retour de conflits nationalistes. Un quart de siècle plus tard, si la transition économique a été plutôt réussie, la constitution d’une communauté de destin est en panne. L’élargissement mené rapidement et sans être accompagné d’une réelle remise en cause des modes de fonctionnement antérieurs semble avoir anémié l’esprit européen. Aujourd’hui, la monnaie unique apparaît pour certains comme un « pont trop loin » et pour d’autres comme le symbole de la fin d’un processus. Rares sont ceux qui considèrent qu’elle n’est qu’une étape vers une unification plus poussée. Selon le politologue américain, Robert Kagan, l’Europe accaparée par sa propre construction, serait sortie de l’histoire en refusant de prendre en compte les mutations internationales.
L’Asie ou le choc des titans
En Extrême Orient, en 1945, le Japon accepta de reconnaître la supériorité américaine tout en obtenant le maintien de ses coutumes. En renonçant à sa puissance militaire, le pays se reconstruisit dans les années 50 et 60 en assumant le rôle d’allié des États-Unis avant de devenir un de ses plus durs concurrents économiques dans les années 80. En raison d’une démographique déclinante, d’une faible ouverture sur l’extérieur, le Japon connaît un étiolement relatif depuis vingt ans, étiolement assez indolore en raison de l’état de richesse acquis et de la baisse du nombre d’habitants. Le Japon, autrefois seul représentant des pays avancés en Asie, doit composer avec des nouveaux venus avec lesquels les relations ont pu, dans le passé, être conflictuelles. La Chine s’est affirmé comme la plaque tournante de la zone Asie voire de la planète. La Corée du Sud a rattrapé le Japon sur le plan technologique voire le dépasse pour certaines technologies. De nouveaux pays émergents comme le Vietnam, le Cambodge ou les Philippines modifient les équilibres de cette zone économique en plein essor.
La Chine, un nouveau grand à la recherche de sa place
Sortie vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, mais terriblement affaiblie et divisée, la Chine opta pour un mode de développement autocentré avec la révolution maoïste en phase avec ses tentations isolationnistes. Si dans un premier temps, elle accepta de s’associer à Moscou dans la lutte contre le capitalisme, pour des raisons géostratégiques et idéologiques, les liens avec l’URSS se distendirent à partir de 1965 au point que des incidents de frontières se produisirent en 1969. La fin de l’isolationnisme chinois n’est réellement intervenue qu’à partir de 1978 avec l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping. La Chine joua alors la carte américaine pour affaiblir son ancien allié considérant que le premier était moins dangereux que le second. Si l’ouverture commerciale de la Chine n’a pas été remise en cause depuis quarante ans, en revanche, la libéralisation politique fut bloquée nette avec les manifestations de Tian’anmen entre le 15 avril 1989 et le 5 juin 1989. En moins de deux générations, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale. Elle est le premier exportateur de la planète. Elle entend occuper de plus en plus le rang qui est le sien au niveau international en commençant à maîtriser son espace proche en Asie d’où de possibles tensions avec ses voisins japonais, russes ou coréens du Sud. Les pays émergents réalisent désormais plus de 50 % du PIB mondial. Ils sont responsables des deux tiers de l’accroissement annuel de richesses.
La Chine partage avec les États-Unis l’idée d’être le centre du monde mais la traduction ou l’expression en est différente. Les Américains sont convaincus que leur système est le meilleur et que les autres ont tout intérêt à l’adopter. Les Chinois n’ont pas cette prétention mais considèrent que tout doit être fait pour assurer la pérennité de leur système et des valeurs qu’il porte. La diplomatie chinoise est encore portée par des principes assez traditionnels, la sécurisation des routes maritimes, le contrôle de routes ferroviaires, de ports d’aéroports, etc. Les États-Unis ont compris de leur côté tout l’intérêt des nouveaux moyens de communication pour diffuser leurs valeurs et vendre leur culture. Les deux Empires partagent en commun l’idée qu’il faut, coûte que coûte, défendre son marché intérieur. Ce dernier constituerait une base pour mener des combats économiques voire militaires ou pour effectuer des replis stratégiques. En n’étant pas une structure intégrée, l’Europe apparaît comme un espace plus ouvert.
L’Inde, un futur grand ?
Future première puissance démographique mondiale, l’Inde enregistre depuis plusieurs années une forte croissance supérieure à celle de la Chine. Ce pays est censé occuper une place de choix tant dans le concert des nations qu’au niveau économique. Les pouvoirs publics constituent une force militaire dotée de plusieurs porte-avions afin de rivaliser avec les autres grandes puissances. Si les divisions sociales liées à la persistance des castes constituent une faiblesse récurrente de l’Inde, cette dernière dispose d’atouts économiques indéniables grâce à une recherche de haut niveau et à la présence d’entreprises internationalisées.
Les États d’Amérique latine qui durant la Seconde guerre mondiale s’étaient propulsés parmi les grandes puissances économiques du fait de la disparition des États européens, n’ont pas confirmé leur rang. Les problèmes politiques, la corruption, la dépendance aux cours des matières premières ont pesé sur le développement de ces pays. Le Brésil figure toujours parmi les pays à fort potentiel mais qui connaît périodiquement de graves crises qui l’empêchent d’accéder au rang de grande puissance.
Le Moyen-Orient, terre de conflits polyphoniques
Depuis 1945, le Proche-Orient est un champ de bataille où se mêlent les enjeux religieux, territoriaux et économiques. Depuis la fixation des frontières par les accords Sykes-Picot, en 1916, la région n’en finit pas de se déchirer. La guerre froide et la cause palestinienne, durant les années 50 et 60, ont atténué les différents entre les États. L’affaiblissement progressif de l’Egypte du fait de la forte croissance démographique non accompagnée par une montée en puissance économique, l’arrivée des Ayatollahs en Iran et la succession de conflits qui ont concerné l’Irak puis la Syrie et Oman ont fini par déstabiliser le Proche Orient. Des années 50 aux années 2000, la Turquie a tenté de jouer le rapprochement avec l’Occident, avec les États-Unis et l’Europe au point de poser sa candidature à l’Union européenne. Elle est désormais tentée de renouer avec une politique plus nationaliste et plus ottomane. Or, la Turquie est devenue en un quart de siècle la deuxième puissance industrielle d’Europe. Son rapprochement avec la Russie, aussi surprenant soit-il, constitue une évolution importante dans la diplomatie turque. L’autre grand pays de la région, l’Iran, héritier de l’Empire perse, par sa taille, son poids démographique et politique ainsi que religieux joue un rôle de plus en plus déterminant au sein de la zone du Proche et du Moyen Orient. Ses relations avec l’Arabie Saoudite et Israël conditionneront l’avenir de cette région. Ce pays d’une quarantaine de millions d’habitants doit gérer une mutation délicate. Passer d’un pays de rentiers du pétrole à une puissance économique diversifiée n’est pas aisé. Par ailleurs, la réduction des recettes pétrolières contraint ce pays à réaliser des économies, ce qui n’est pas sans incidence sur le fonctionnement du régime politique. Du fait de l’indépendance énergétique retrouvée des États-Unis grâce au pétrole de schiste, ces derniers pourraient être tentés de moins être présents au Proche et Moyen Orient, considérant qu’ils n’ont pas à financer la sécurisation des approvisionnements énergétiques de l’Europe et du Japon.
La Russie hantée par la grandeur passée et la menace de l’encerclement
La Russie reste hantée par la menace de l’encerclement. La crainte d’être dépossédée par la Chine, les Européens, et les Américains reste vivace et sert de ciment à ce pays dont la superficie est la plus grande la planète. La Russie dont la transition vers l’économie de marché ne date que de 1991 doit gérer plusieurs défis, le vieillissement rapide de sa population, la dépendance au pétrole et au gaz, le sous équipement en infrastructures et l’absence de culture démocratique. L’affaire ukrainienne a durablement porté atteinte aux relations avec l’Occident. L’Ukraine ou plus précisément Kiev est le cœur de la Russie aux yeux de ses habitants. La cession est un acte politique individuel de la part Nikita Khrouchtchev. Ce dernier a opéré le transfert par simple décret, en 1954. Le don était sans conséquence et était symbolique car l’Ukraine faisait partie intégrante de l’URSS. Par ailleurs, ce « don » de Khrouchtchev était censé marquer le tricentenaire du traité de Pereïaslav, par lequel les cosaques d’Ukraine avaient proclamé leur allégeance à Moscou. La cession avait alors été présentée comme un « cadeau » de remerciement de la Russie à l’Ukraine, célébrant la fraternité entre les peuples de l’Union soviétique. Enfin, des liens sentimentaux liaient Khrouchtchev avec l’Ukraine, où il avait travaillé à la mine et avait fait son ascension politique. Selon l’arrière-petite-fille du dirigeant soviétique, Nina Khrouchtchev, la cession de la Crimée « était dans une certaine mesure un geste personnel envers sa république préférée ». La crainte d’une adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN, toujours perçue comme une alliance antirusse, a accéléré la décision des autorités de Moscou de rattacher la Crimée et de favoriser une rébellion pro-russe dans les territoires de l’Est de l’Ukraine. Cette crise a relancé une guerre semi-froide avec les occidents et mis à mal l’idée d’un grand espace européen de coopération économique. Pour desserrer l’étreinte, la Russie a rétabli des liens avec plusieurs de ses anciens alliés de feu le Pacte de Varsovie. Ainsi, les échanges avec la République tchèque, avec la Hongrie voire la Bulgarie sont en net progrès. Ces pays partagent certaines valeurs de plus en plus éloignées de celles en vigueur au cœur de l’Union européenne.
L’Afrique, le continent de tous les espoirs et de tous les dangers
Continent de plus de 50 États aux frontières récentes et artificielles, l’Afrique a, depuis 1945, été confronté à une série d’évènements allant de la décolonisation aux conflits entre États en passant par des guerres civiles, des famines et des épidémies. La population africaine devrait passer de 1,2 à 2,5 milliards d’habitants de 2016 à 2050. Au milieu du siècle, les Africains représenteront un quart de l’humanité. Un Africain sur deux aura alors moins de 18 ans. Plus de 100 villes compteront plus d’un million d’habitants. Une mégapole de la Côte d’Ivoire au Nigéria devrait alors accueillir des dizaines de millions de personnes. Faute d’une croissance suffisante, les migrations ne pourront que s’accroître avec les risques de conflits et de déstabilisation politique. L’Europe sera la première concernée en tant que voisin et possible terre d’accueil de ces millions de réfugiés. L’Afrique peut être tout la fois une chance d’expansion comme une véritable bombe économique, environnementale et géopolitique.
Le défi climatique à la recherche d’une solution multilatérale
La question climatique constitue un défi majeur des prochaines décennies. Elle est par nature supranationale et s’impose à des États qui sont de plus en plus nombreux à rejeter le multilatéralisme comme l’a prouvé la décision de Donald Trump de soustraire les États-Unis à l’accord de Paris. Faute d’instance de contrôle et de sanctions, nul n’imagine que les accords sur les émissions de CO2 puissent être respectés. De ce fait, aujourd’hui, le Monde ne se situe pas du tout sur la trajectoire permettant une stabilisation des émissions de CO2 qui permettrait de respecter les objectifs climatiques. Dans ces conditions, si les experts du GIEC ont raisons, les États devront gérer d’ici la fin du siècle de nombreux problèmes liés à la montée des eaux, à la sécheresse provoquant d’importantes migrations de population et à la baisse possible des surfaces de terres arables.
À la recherche d’une nouvelle croissance
Outre ces changements géostratégiques et climatiques, il convient également de prendre en compte les mutations technologiques. La révolution en cours avec le déploiement des robots, de l’intelligence artificielle, même si le terme est usurpé, constitue un défi majeur. Est-elle destructrice d’emplois ou contribuent-elles plutôt à la modification de la structure des emplois, avec la bipolarisation des marchés du travail ? Les classes moyennes qui depuis le milieu du XXe siècle sont devenues les moteurs de l’économie mondiale sont-elles amenées à disparaître avec la diminution du nombre des emplois intermédiaires ? Cette révolution économique comme les précédentes créera-t-elle, dans le cadre du processus schumpetérien de destruction créatrice, de nouveaux emplois ou la polarisation des emplois débouchera sur de nouveaux conflits sociaux ? La productivité qui depuis une vingtaine d’années s’étiole, connaîtra-t-elle un rebond et mettre un terme au débat sur la « stagnation séculaire » ?
L’énigme du futur de la démocratie
Jamais autant d’États n’ont pu être considérés comme des démocraties. Pour autant, une analyse fine débouche sur un état des lieux moins favorables. Si les élections des dirigeants se généralisent, elles s’accompagnent d’une montée du populisme et de l’avènement de gouvernements autocratiques. En Europe même, des États membres de l’Union européenne remettent en causes certaines valeurs démocratiques comme la séparation des pouvoirs et la liberté de la presse. Le culte de la personnalité devient la règle, aidé en cela par l’extra-médiatisation et les moyens qu’offrent les nouvelles techniques de la communication. Dans tous les grands pays, les pratiques institutionnelles héritées du passé sont remises en cause. Les partis politiques, les organisations syndicales connaissent une crise de légitimité qui se traduit par la baisse de l’engagement militant. Les anciens corps intermédiaires éprouvent des difficultés à maintenir leurs structures face à l’avènement de communautés structurées en ayant recours aux réseaux. La laïcisation, la désidéologisation et la désintermédiation de la société conduisent les individus à être, sur le plan des idées, plus mobiles, plus sensibles ou vulnérables aux modes. Aux États-Unis, en France, en Italie, en Espagne et même en Allemagne avec la progression de l’extrême droite lors des dernières élections législative, les partis politiques traditionnels, disposant pourtant de larges réseaux, sont à la peine, voire disparaissent. Une nouvelle forme de démocratie, fonctionnant toujours plus dans l’instantané, se met en place. Entre l’exigence de transparence, l’émotionnel et la manipulation, les frontières sont fines et perméables.