7 avril 2018

Le Coin des tendances du 7 avril 2018

L’équation sociale impossible des Départements

Les Départements possèdent de nombreuses compétences en matière d’action sociale dont ils sont le chef de file au sens de la loi. Ils sont le deuxième acteur social en France après les régimes sociaux et devant les complémentaires « santé ».

En 2016, les Départements ont dépensé 36,9 milliards d’euros dans le cadre de l’aide sociale. Ils sont à l’origine de plus de 85 % des dépenses sociales des collectivités territoriales. Ils sont aujourd’hui les acteurs de référence pour l’aide aux personnes âgées, l’aide aux personnes handicapées, la protection de l’enfance, la protection maternelle et infantile et, plus largement, pour la prévention des exclusions et la lutte contre la pauvreté.

Les compétences sociales du Département ont été renforcées par les lois de décentralisation de 1982/1983 et 2003/2004. De nombreux domaines qui relevaient jusqu’alors de l’État ont été confiés aux collectivités locales. 64 % des dépenses  des Départements sont consacrées au social (hors investissements). Avec la réorganisation de services déconcentrés de l’Etat et la disparition des directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DDASS) en 2010, leur rôle s’est encore accru.

Depuis 2012, les dépenses des Départements ont augmenté de plus de 10 % en euros constants. Parmi ces dépenses, 11,6 milliards d’euros sont consacrés aux dépenses nettes d’allocations et d’insertion liées au revenu de solidarité active (RSA). Celles-ci augmentent de 25 % au cours des cinq dernières années. Elles représentent près d’un tiers des dépenses consacrées aux quatre principales catégories d’aide sociale. Les dépenses nettes d’aide sociale destinées aux personnes handicapées en représentent 22 % (7,5 milliards d’euros). L’aide sociale à l’enfance et celle aux personnes âgées constituent respectivement 22 % et 21 % des dépenses.

Plus de 4,3 millions de prestations d’aides sociales sont chaque année distribués. Au total, près de 7 % de la population résidant en France bénéficie d’une aide sociale des Départements, en incluant les conjoints des allocataires du RSA. La lutte contre les exclusions a concerné près de 1,5 million de bénéficiaires, suivie de l’aide aux personnes âgées (1,4 million), de l’aide aux personnes handicapées (511 000) et de l’aide sociale à l’enfance (305 000).

Les dépenses nettes consacrées aux personnes handicapées s’élèvent à 7,5 milliards d’euros en hausse de plus de 11 % par rapport à 2012. 69 % des personnes attributaires ont bénéficié d’une aide à domicile et 31 % d’un accueil familial ou en établissement.

Les dépenses nettes consacrées à l’aide sociale à l’enfance (ASE) s’élèvent à 7,6 milliards d’euros en 2016. La moitié des dépenses brutes sont encore consacrées aux placements d’enfants en établissement et un quart aux placements en famille d’accueil. Les actions éducatives à domicile et en milieu ouvert représentent 6 % des dépenses, les allocations mensuelles (secours, bourses et autres aides financières) 4 % et les mesures de prévention spécialisée 3 %.

Deux tiers des dépenses d’aide aux personnes âgées sont liées à l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). Les dépenses nettes d’aide sociale aux personnes âgées atteignent 7,1 milliards d’euros en 2016 pour 1,4 million de prestations attribuées. Outre la prise en charge de la dépendance par l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), à domicile ou en établissement, à hauteur de 5,8 milliards d’euros de dépenses brutes en 2016, les Départements financent une partie des dépenses d’hébergement des personnes âgées dans le cadre de l’aide sociale à l’hébergement (ASH). En moyenne, au cours de l’année, 752 000 personnes ont touché l’APA à domicile

Les frais de personnel sont évalués à près de 2,9 milliards. 78 200 agents des Départements travaillent pour l’aide sociale (hors contrats aidés) sur un total de 300 000, selon l’enquête Aide sociale de la DREES. En y ajoutant les 36 700 assistants familiaux employés directement par les Départements, l’ensemble représentait 114 900 personnes, soit 40 % des effectifs totaux de personnel des Départements.

Les Départements sont confrontés à l’augmentation des dépenses sociales en liaison avec le vieillissement de la population et la précarisation accrue d’une partie de la population. Ils ont dû d’autre part prendre à leur charge des revalorisations décidées par l’État. Le nombre des bénéficiaires a augmenté de près de 9 % de 2012 à 2016. Les trois allocations individuelles de solidarité (AIS) mettent en difficulté les Départements du fait de leur évolution. Il s’agit du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH). En sept ans (2008/2015), ces trois prestations ont progressé de plus de 50 %. Par ailleurs, d’autres dépenses sociales sont en forte hausse, en particulier celles liées à l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA). L’afflux de réfugiés de Syrie explique en partie cette évolution. Le nombre de ces personnes est passé de 2 500 à 25 000 de 2005 à 2017. Pour les Départements, le coût de cette dépense est évalué à plus d’un milliard d’euros.

Compensation financière : un effet de ciseaux qui s’accentue

La compensation financière de l’État pour les compétences sociales transférées aux Départements tend à s’étioler d’année en année. Elle est passée de 59 à 57 % de 2011 à 2015. S’agissant du seul RSA, le taux de couverture, qui était de 81 % en 2011, s’est abaissé à 61 % en 2015, tout en demeurant cependant nettement supérieur à ceux attachés à l’APA et à la PCH (relativement stables aux alentours 32 % – 33 %). Ramené aux bénéficiaires, la compensation par l’État a été divisée par quatre.

La loi de finances pour 2014 comportait plusieurs mesures pour assainir quelque peu les finances des Départements. Ainsi, l’État a transféré aux Départements l’ensemble des prélèvements correspondant aux frais de gestion (frais d’assiette, de recouvrement, de dégrèvement) de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Ce transfert a accru les recettes de Départements de près d’un milliard d’euros en 2017. Les Conseils départementaux ont pu relever le taux de la taxe de publicité foncière ou du droit d’enregistrement. Cette faculté a été mise en œuvre par la quasi-totalité des Départements. En 2016, elle a généré un supplément de recettes estimé à 1,2 milliard par rapport à 2013. Un fonds de solidarité Département alimenté par un prélèvement égal à 0,35 % du montant de l’assiette de la taxe de publicité foncière et des droits d’enregistrement a été créé dans le cadre de la péréquation.

Une nouvelle répartition des compétences ?

Face à la dérive des coûts, plusieurs pistes sont étudiées. Il a été avancé l’idée de transférer à nouveau à l’État ou aux régimes sociaux certaines dépenses, telles que l’APA, le RSA, et les aides familiales. Les possibles bénéficiaires de ces transferts ne sont guère intéressés par une reprise à leur charge des prestations à forte croissance. Le possible transfert aux métropoles d’une partie de l’action sociale a été, à plusieurs reprises, évoqué. Il pourrait entraîner une rupture d’égalité entre les bénéficiaires. Les Départements continuant, en outre, à conserver les personnes les plus isolées qui génèrent les dépenses les plus importantes.

La limitation aux seules dépenses de solidarité

Les Départements pourraient se limiter aux dépenses d’assistance et renvoyer sur les régimes sociaux et les complémentaires celles de nature assurantielle. Les prestations ne seraient accordées que sous conditions de ressources. Par ailleurs, les Départements pourraient mettre en jeu de manière systématique les recours en récupération au moment des successions et faire jouer, au niveau des familles, l’obligation alimentaire.

Ce recadrage concernerait l’APA et la PCH. Le RSA appartient déjà à la sphère de l’assistance. Ce scénario a déjà été évoqué en partie dans plusieurs rapports parlementaires ainsi que par certains membres de l’Assemblée des Départements de France (ADF).

Le champ de l’APA pourrait être réduit en ne couvrant que les personnes les plus dépendantes, en l’occurrence, celles classées dans les GIR 1 à 3. L’accès à L’APA pourrait strictement être conditionné à un plafond de ressources. En contrepartie, les pouvoirs publics devraient instituer un cadre de prévoyance individuelle ou professionnelle afin de couvrir l’ensemble des personnes concernées par une perte d’autonomie.

Une autre piste qui a été un temps envisagé pour être étudiée à nouveau. Les charges supportées par les départements pour les personnes classées en GIR 1 à 3 pourrait être transférées à l’assurance maladie qui assure déjà les dépenses de santé. Les Départements conserveraient alors le volet médico-social et notamment la prévention de la dépendance.

L’instauration d’une plus grande péréquation interdépartementale

Les dépenses sociales varient fortement d’un Département à un autre. En effet, le département comportant un nombre important de seniors, les départements ruraux ou du Sud de la France, doivent faire face à des dépenses d’APA supérieures à celles des départements urbains. De même, les départements dont le PIB par habitant est en-dessous de la moyenne ou qui sont frontaliers ont des dépenses d’aide à l’enfance plus élevées que les départements riches dotés d’une métropole. Par ailleurs, les ressources fiscales des départements qui dépendent avant tout de la taxe foncière dépendent de l’état du marché immobilier. Les départements en forte croissance démographique et économique sont favorisés par rapport aux autres.

Bien que constitutionnellement reconnue (article 72-2, al. 5 de la constitution), la péréquation est faible au sein de notre pays. Certes, comme cela a été mentionné ci-dessus, il existe un Fonds de solidarité pour les Départements créé en 2014. Auparavant, en 2011, avait été institué le Fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dont les recettes (632 millions d’euros en 2017) bénéficient à tous les Départements ayant un potentiel financier par habitant inférieur à la moyenne de l’ensemble des Départements. D’autres fonds existent comme le Fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et le Fonds de solidarité des Départements de la région Île-de-France (FSDRIF). Ces fonds jouent néanmoins un rôle marginal dans la correction des déséquilibres territoriaux.

Pour générer une véritable péréquation, il conviendrait comme le propose le Think Tank Terra Nova de relever la part des droits de mutation à titre onéreux prélevés sur les Départements les plus riches en vue d’abonder les fonds de solidarité existants. Préconisée également par la Cour des comptes, cette mesure pourrait être paramétrée de telle sorte qu’elle permette à l’ensemble des Départements de réduire de moitié leur écart à la moyenne des taux d’épargne brute. L’ADF privilégie la mise en place d’une péréquation verticale de l’État vers les Départements. L’idée serait de créer une nouvelle dotation en faveur de l’aide sociale. Cette proposition est à rebours de la tendance actuelle de réduire les dotations de l’État au profit des collectivités territoriales.

Le transfert d’un impôt

Pour assurer une meilleure compensation des charges supportées par les Départements, certains avancent l’idée d’un transfert d’une recette fiscale de l’État. Une fraction de la CSG pourrait alimenter les budgets départementaux. Jusqu’en 2015, 0,1 point de CSG finançait la Caisse Nationale de solidarité pour l’autonomie. La Taxe départementale sur le Revenu enterrée en 1992 par Pierre Bérégovoy refait également surface dans le débat dans le cadre d’une grande réforme des finances locales, sachant que les taxes foncières pourraient revenir dans le giron des communes.

Depuis quinze ans, les pouvoirs publics n’arrivent pas à trancher la question de l’avenir des Départements. En ayant tout à la fois promu les régions et les métropoles, ils ont fragilisé le niveau départemental. Si en Outre-mer et en Corse, les Départements fusionnent avec les Régions, si à Lyon, la métropole a absorbé une partie du Département du Rhône, dans le reste de la France, l’échelon départemental reste incontournable pour l’action sociale en faveur de plusieurs catégories de personnes « fragiles » mais aussi pour la construction et l’entretien des collèges et des routes Départementales et pour un certain nombre de services culturels de proximité. Sous les présidences de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, des tentatives de clarification des compétences ont été lancées en vain. Par ailleurs, la question des financements n’a pas été tranchée.

Au-delà de l’avenir des Départements, c’est la question même de la prise en charge de certaines dépenses sociales, en France, qui est posée. Le transfert des compétences sociales des Départements aux caisses de la Sécurité sociale (Caisses d’Allocation Familiales, Caisse d’Assurance Retraite et de la Santé au Travail), aux intercommunalités ou à l’Etat est resté lettre morte faute d’appétence des acteurs et de l’absence de solutions pour le financement. Les réorganisations institutionnelles menées en Outre-Mer, à Lyon ou en Corse (avec la disparition des deux départements) sont délicates à réaliser et ne permettent pas de dégager une réelle opinion sur la collectivité ou l’institution la mieux à même à superviser le social de proximité.

 

Demain, serons-nous tous Chinois ?

Après deux siècles de domination économique occidentale, la parenthèse semble se refermer avec le retour de la Chine sur le devant de la scène. Par ailleurs, la montée en puissance de l’Inde devrait également conforter le basculement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie. Mais assistons-nous à un simple rééquilibrage avec un monde constitué de trois grands pôles économiques ou allons-nous vers un système dominé par la Chine et l’Inde.

L’occident a conquis le monde grâce à son essor démographique qui s’est amorcé à partir de la fin du XVIIe siècle. L’accroissement de la population, lié essentiellement au recul de mortalité infantile, rendu possible par l’amélioration des conditions de vie, le développement des règles sanitaires et les progrès de la médecine, a accru la force de travail disponible et a permis un fort volant d’émigration essentiellement vers les Amériques.

La croissance est la plus vive quand la proportion des 25/40 ans s’accroît au sein de la population d’un pays. Ce fut le cas durant les Trente Glorieuses en Europe et aux États-Unis. Cela a été le cas en Chine jusqu’en 2015 et cela concerne aujourd’hui des pays comme l’Inde, les Philippines, le Vietnam, etc. Le vieillissement accéléré des pays occidentaux pèsera sur leur croissance. Certes, en la matière, la Chine est confronté au même problème tout en ayant encore la possibilité de réduire la population employée dans le secteur agricole. Ces transferts vers des secteurs à plus forte productivité devraient permettre, du moins pour un temps, de maintenir la croissance. En revanche, l’Inde, tout comme les pays d’Afrique, bénéficie d’un contexte démographique favorable jusque dans les années 2060.

Sur le plan financier, les deux derniers siècles ont permis aux pays avancés de se constituer une fortune financière, produit de leur enrichissement et de la valorisation des actifs.

La richesse financière d’un pays peut être calculée par l’encours des actifs, obligations, d’actions, titres monétaires détenus dans le pays auquel il faut ajouter le solde des actifs extérieurs nets (différence entre les actifs possédés par les résidents du pays à l’étranger et les actifs émis par les résidents et détenus par des non-résidents).

La richesse mondiale est ainsi passée en vingt ans de 60 000 à 230 000 milliards de dollars. Cette progression repose essentiellement sur la montée en puissance des pays émergents. En effet, la richesse des pays avancés a certes augmenté mais à un rythme bien plus lent que celui de la Chine et des autres pays d’Asie. Ainsi, selon, l’économiste de Natixis, Patrick Artus, la richesse financière nette des États-Unis est passée de 27 000 à 80 000 milliards de dollars de 1998 à 2017 quand celle de la zone euro est passée de 15 000 à 39 000 milliards de dollars et celle du Japon de 12 000 à 27 000 milliards de dollars. Le poids des États-Unis est passé de 1998 à 2017 de 40 % à 30 % de la richesse mondiale, celui du Japon de 20 à 12 % et celui  de a zone euro de 21 à 16 %.

De 1998 à 2018, le temps d’une génération, la richesse financière chinoise qui était de 2 000 milliards de dollars a atteint 40 000 milliards de dollars. Elle représente désormais 17,5 % de la richesse mondiale contre 2 % en 1998. Cette progression est imputable à l’important effort d’épargne alimenté par les excédents de la balance des paiements courants. La progression s’accélère ces dernières années et profite de la crise qui a frappé les pays occidentaux. Pour les autres pays émergents, l’enrichissement est moins linéaire. Néanmoins, leur richesse s’élevait, fin 2017, à 28 000 milliards de dollars contre 4000 milliards de dollars en 1998. Leur poids au sein de la richesse mondiale est désormais de 11 % contre 6 % il y a vingt ans.

Les pays occidentaux disposent d’une solide avance en possédant près de 60 % de la richesse mondiale mais ce poids a décru de 21 points en vingt ans. Au regard du nombre d’habitants, la domination occidentale reste forte. En effet, la population des pays de l’OCDE est de 1,3 milliard d’habitants, soit le même nombre que la seule Chine.

Le rattrapage des pays émergents devrait se poursuivre en raison de leur taux d’épargne élevé et de l’endettement croissant des pays avancés. Ainsi, le taux d’épargne de la Chine est de 45 % du PIB contre moins de 25 % pour les pays avancés. Certes, le taux d’épargne de la Chine qui atteignait plus de 50 % en 2007 est en recul avec la réorientation de l’économie vers la demande intérieure. Plusieurs pays occidentaux connaissent une déficit chronique de leur balance des paiements courants dont  la première puissance économique mondiale. Par ailleurs, le vieillissement de la population devrait restreindre les capacités de production des pays avancés tout en augmentant leurs besoins financiers. Comme c’est déjà l ecas pour le PIB, le poids des occidentaux est amené à descendre en dessous de 50 % d’ici une quinzaine d’années. Au-delà de cette période, tout dépendra du retour ou non des gains de productivité et des flux de population.