Le Coin des Tendances du 7 septembre 2019
« Laissez donc la Chine dormir, car lorsqu’elle s’éveillera le monde entier tremblera » (Napoléon)
La guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis est assez logique au regard de l’évolution des deux pays. La première, en tant que puissance émergente, ambitionne de prendre la place des seconds qui est depuis plus d’un siècle la puissance dominante voire hégémonique. Cette concurrence entre ces deux nations aux cultures et histoires différentes est d’autant plus vive que les cartes ont été rebattues à une vitesse incroyable. En quarante ans, la Chine est passée du néant économique aux premières places. En 1980, son PIB était inférieur à 300 milliards de dollars. Il est aujourd’hui de 11 000 milliards de dollars. Le commerce extérieur de la Chine, a été multiplié par 100 de 1980 à 2015 passant de 40 à 4000 milliards de dollars. En 1980, les exportations chinoises représentaient 8 % de celles des États-Unis. Aujourd’hui, elles sont supérieures de plus de 50 %. Le PIB chinois représentait, en 2015, selon la Banque mondiale, 61 % de celui des États-Unis. En 1980, ce ratio était de 7 %. Dans l’histoire, l’accession d’une puissance au rang de numéro un est toujours une source de tensions qui peuvent déboucher sur des conflits commerciaux ou militaires.
Quand la Chine s’est éveillée
Le rattrapage chinois est sans précédent. Avec un taux de croissance qui a été longtemps de 10 % par, son PIB doublait tous les sept ans. Ce rythme est sans comparaison avec celui que les États-Unis avaient entre 1860 et 1913 au moment où ils ont pris le commandement de l’économie mondiale au dépend du Royaume-Uni. Leur taux de croissance moyen n’était alors que de 4 %.
Dans de nombreux domaines, la Chine a dépassé les États-Unis. Ce pays est ainsi devenu le premier marché de l’automobile. Plus de 20 millions de voitures sont vendues chaque année en Chine, soit 3 millions de plus qu’aux États-Unis. Les ventes d’ordinateurs et de téléphones y sont également supérieures. Cette suprématie est évidemment liée au rapport de force démographique, 1,3 milliard d’habitants contre 337 millions, mais elle témoigne de l’importance que joue désormais la Chine au sein de l’économie mondiale. Pour certains experts du FMI qui retiennent le PIB en parité de pouvoir d’achat comme critère de comparaison, la Chine serait depuis 2016 la première puissance économique mondiale. En 2019, l’écart entre les deux pays serait de près de 20 % en faveur de la Chine. L’expansion chinoise est impressionnante par sa rapidité. Entre 2011 et 2013, la Chine a utilisé plus de ciment pour construire des bâtiments, des infrastructures que les États-Unis durant tout le XXe siècle. En 2014, une entreprise chinoise a été capable de livrer un immeuble de 57 étages, l’équivalent de la Tour Montparnasse en 19 jours. Entre 1996 et 2016, la Chine a construit 4 millions de kilomètres de route dont 110 000 kilomètres d’autoroute. 20 000 kilomètres de réseau ferré à grande vitesse ont été réalisés en dix ans. Un programme de 25 000 kilomètres supplémentaires est en cours.
En 1980, plus de 90 % des Chinois vivaient avec moins de deux dollars par jour. En 2019, ils sont moins de 3 % dans cette situation de précarité. Le revenu moyen par habitant est passé de 193 à plus de 8 000 dollars lors de ces quarante dernières années. Plus de 500 millions de personnes ont été ainsi tirées de l’extrême pauvreté.
En 1949, l’espérance de vie en Chine était de 36 ans soit celle de la France sous Louis XV. 80 % de la population était analphabète. Désormais, l’espérance de vie dépasse 76 ans et l’analphabétisme a disparu. Au niveau de la formation, la Chine a dépassé de nombreux pays occidentaux dont les États-Unis et la France. Selon le classement PISA de l’OCDE, en 2016, la Chine se situe au 6e rang quand les États-Unis pointent au 39e rang. Chaque année, 1,3 million de Chinois sont diplômés de l’enseignement supérieur contre 300 000 aux États-Unis.
La Chine assure un quart de la valeur ajoutée de l’industrie de pointe mondiale en 2016 contre 7 % en 2003. Le poids des États-Unis est passé de 36 à 29 % sur la même période. Les dépôts de brevets en Chine sont deux fois supérieurs aux États-Unis. Au niveau des équipements, la première installe deux fois plus de robots chaque année que les seconds.
À la fin des années 70, les Américains ont favorisé le développement de la Chine en facilitant leurs exportations. Cette politique qui avait été initiée par Henry Kissinger et Georges Bush senior (il a été représentant de l’ONU en Chine) visait à contrecarrer l’URSS d’alors. Avec la chute du communisme en Russie, cet intérêt est tombé au début des années 90. Depuis, la Chine a poursuivi son essor et est en train de devenir une puissance militaire de premier ordre en Asie, concurrençant dangereusement les États-Unis. Si ces derniers sont encore très présents en Corée du Sud, au Japon et aux Philippines, la Chine entend assurer le contrôle de sa sphère d’influence en réduisant la présence américaine. Le Président Chinois Xi Jinping a fixé un objectif clair à son pays, devenir la première puissance dans tous les domaines, civils d’ici 2049, pour le centenaire de l’avènement de la Chine communiste.
La guerre du Péloponnèse aura-t-elle de nouveau lieu ?
Dans l’histoire antique, à partir de 435 avant Jésus Christ, deux cités grecques, Sparte, la puissance dominante, et Athènes, la puissance montante, ont connu une confrontation qui s’est terminée en conflit. La guerre a été analysée par Thucydide dans « Histoire de la Guerre du Péloponnèse ». À ses yeux, cette guerre inutile était devenue pourtant incontournable tant pour des raisons tant militaires, économiques que psychologiques. Les dirigeants de Sparte étaient convaincus qu’Athènes avait l’intention de remettre en cause sa domination en lui arrachant ses alliés. C’est ainsi que Thucydide écrit, « c’est le développement de la puissance d’Athènes qui inspirant des craintes à Sparte rendit la guerre inévitable ». Les deux cités reposaient sur des modèles différents, Sparte mettait en avant les vertus militaires quand Athènes s’enorgueillissait de sa culture raffinée. Sparte était avant tout un État militaire quand Athènes était une cité marchande ouverte sur l’extérieure. Au fur et à mesure de la montée en puissance d’Athènes, les dirigeants de Sparte étaient tout à la fois jaloux et anxieux de leur perte d’influence auprès des autres cités. L’étincelle est venue d’un conflit local mêlant Corinthe, allié traditionnel de Sparte, et Corcyre, puissance neutre, au sujet d’Epidamne, une colonie en Albanie. Corinthe pour mener sa guerre accroît sa force navale en construisant 150 navires, ce qui la place en deuxième position après Athènes. Les dirigeants de cette dernière doivent faire face à un dilemme : soit ils aident Corcyre et prennent le risque d’une guerre avec Sparte, soit ils ne font rien, et Sparte et ses alliés disposent des moyens pour lui imposer leurs lois. Ils choisirent d’envoyer le minimum de troupe pour ne pas inquiéter Sparte mais en vain. Athènes confiante dans sa force et dans sa réussite estimait, par ailleurs, que la guerre serait courte et victorieuse. Dans les faits, elle dura plus de vingt ans et aboutit au déclin des deux cités ainsi que de la civilisation grecque. La guerre est devenue une évidence pour les uns comme pour les autres nonobstant le fait que nous étions en présence de deux systèmes politiques différents et d’adversaires conscients des enchaînements et des conséquences.
Le piège dit de Thucydide s’est répété à de nombreuses reprises. Dans l’histoire contemporaine, depuis XVe siècle, 16 cas de cohabitation entre puissances émergentes et puissances régnantes ou dominantes ont pu être dénombrés par les historiens. Dans 13 cas, il en a résulté un conflit militaire. L’absence de guerre est bien souvent liée à l’existence de liens forts et du partage d’une même culture. Ainsi, au temps de leur richesse, l’Espagne et le Portugal étaient deux puissances importantes mais qui ont réussi à maîtriser leurs relations. Il en est de même quand les États-Unis ont supplanté à la fin du XIXe siècle le Royaume-Uni comme première puissance économique mondiale. La concurrence entre les États-Unis et la Russie entre 1945 et 1991 ne s’est pas soldée par un conflit même si en 1962, au moment de la crise des missiles de Cuba, le coup n’était pas passé loin. La dissuasion nucléaire a joué un rôle de paratonnerre. Par ailleurs, si l’URSS a augmenté sa sphère d’influence de 1945 à 1979, elle n’était pas en position de concurrencer économiquement les États-Unis. L’invasion de l’Afghanistan a sonné le glas de l’empire soviétique. En revanche, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ainsi que l’Autriche Hongrie se sont au cours des siècles engagés dans des conflits afin s’assurer leur prédominance ou pour éviter que l’un d’entre eux devienne une puissance hégémonique. En Asie, le Japon a tenté de devenir la puissance dominante au cours de la première partie du XXe siècle. L’attaque contre les États-Unis à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941 a été un pari hasardeux de la part des autorités japonaises. Convaincues de leur supériorité et mues par une forte arrogance, elles sont alors persuadées que les États-Unis ne s’engageront pas dans le conflit mondial. L’amiral Isoroku Yamamoto estimait malgré tout que si la guerre durait au-delà de quelques mois, son pays serait vaincu.
Dans le cadre des conflits concernant des puissances montantes et régnantes, les questions économiques tiennent une place non négligeable. Le Japon a lancé son offensive à Pearl Harbor en réaction à l’embargo que les Américains avaient institué et qui concernait les matières et le pétrole. De même, le Royaume-Uni n’a pas laissé de répit à Napoléon qui tentait d’imposer également un embargo. La République hollandaise mena une guerre contre l’Angleterre du fait de la volonté de cette dernière de mettre un terme au libre-échange qui enrichissait la première.
Le piège de Thucydide est-il incontournable ?
La Chine par combinaison de son poids démographique et de sa croissance est devenue en quarante ans la rivale des États-Unis. Seule l’Allemagne au début du XXe siècle avait connu un tel rattrapage économique, rattrapage qui explique en partie la Première Guerre mondiale. Le Royaume-Uni conscient de sa perte relative de puissance avait accepté contrairement à ses principes passés de nouer une alliance avec la France et la Russie.
Un emballement belliqueux entre les deux grandes puissances peut-il survenir ? La Chine entend appliquer la théorie Monroe en Asie, les affaires asiatiques relèvent de la puissance dominante de la région sur le modèle des États-Unis sur les continents américains. Cette stratégie suppose que le Japon et la Corée du Sud alliés des États-Unis acceptent un passage de témoin. Les États-Unis pourraient-ils par ailleurs, faute de moyens et de volonté, se priver du contrôle de la principale zone de croissance ? Les tergiversations de Donald Trump et l’abandon par ce dernier du Traité Transpacifique conduisent ses deux alliés asiatiques à mener leur propre diplomatie. Le Japon est de plus en plus enclin à la faire d’autant plus que ses dirigeants adoptent des attitudes populistes et nationalistes. Néanmoins, du fait du déséquilibre militaire, ils ont besoin du soutien américain. Les États-Unis pourraient considérer que leurs intérêts seraient en danger en cas d’alliance de la Chine avec la Russie, alliance économique et militaire. La Chine, devant la multiplication des sanctions contre ses exportations, contre ses entreprises, pourrait être tentée de réaliser un coup de force. Ce dernier aurait un rôle de relégitimation du pouvoir en cas de contestations internes. L’invasion de Taïwan demeure toujours une tentation. Les autorités chinoises peuvent estimer que des États-Unis, affaiblis, refuseraient de mener une guerre pour une petite île.
A contrario, l’interdépendance de la Chine et des États-Unis freine la montée aux extrêmes. Les intérêts économiques croisés constituent des gages forts pour éviter la confrontation. Avec près de 500 milliards d’exportations, le marché américain demeure crucial pour les entreprises chinoises. Par ailleurs, plus de 300 000 Chinois vivent aux États-Unis dont de nombreux étudiants et chercheurs. La Chine dans son histoire a eu peu de tentation impérialiste. Certes, cette relative tempérance est liée au fait que ses dirigeants estimaient qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner à échanger avec les peuples étrangers composés à leurs yeux de barbares. La vision chinoise du 21e siècle est de contrôler les routes d’approvisionnement et d’exportation. La nouvelle route de la soie est ainsi conçue. À cette fin, les autorités chinoises souhaitent disposer d’infrastructures, ports, aéroports, voies ferrées, routes mais aussi les ressources naturelles (matières premières et énergie) nécessaires à leur croissance. Si au départ les investissements chinois étaient bien accueillis dans les pays concernés, les tensions se multiplient en raison de la dépendance économique et financière qu’ils génèrent. La Chine en tant que grande puissance connaît les affres liées à son rang.
Près d’un Français sur quatre menacé d’isolement
Selon une étude de l’INSEE, 23 % de la population en France serait constituée de personnes isolées. Avec le vieillissement de la population, avec l’éclatement des familles, avec les trajets de plus en plus longs pour se rendre au travail, avec les difficultés que rencontre un nombre croissant de Français pour se loger, le risque d’isolement tend à augmenter. Dans une société fonctionnant de plus en plus par réseaux, réels comme virtuels, l’isolement est une source de dangers majeurs. Il est difficile de trouver du travail, un logement, d’avoir des activités sans réseau. Pour s’en constituer un, il faut du temps, de l’énergie et aussi un peu d’argent. La famille est le réseau naturel pour chacun d’entre nous. Les séparations, les divorces, les décès sont autant d’épreuves qui peuvent mettre à mal les relations familiales.
L’enquête Statistiques sur les ressources et les conditions de vie de l’INSEE interroge sur la fréquence des contacts distants et des rencontres avec l’entourage (défini au sens large : amis, voisins, collègues), d’une part, et avec la famille (hors ménage) à l’aide d’une échelle allant de « jamais » à « chaque jour ou pratiquement », d’autre part.
À partir de ces quatre questions et avec un seuil limite d’une rencontre ou d’un contact mensuel pour établir une situation d’isolement relatif, l’INSEE distingue quatre groupes :
- les personnes non isolées, c’est-à-dire qui déclarent des contacts et des rencontres plus d’une fois par mois avec leur famille et leur entourage (77 % en 2015) ;
- les personnes isolées de leur entourage mais pas de leur famille (13 %) ;
- les personnes isolées de leur famille mais pas de leur entourage (7 %) ;
- les personnes isolées de leur entourage et de leur famille, c’est-à-dire en situation d’isolement relationnel (3 %).
Avoir des relations sociales fréquentes est associé à des conditions de vie plus favorables, à une sécurité accrue en cas de difficultés et, globalement, à la santé et au bien-être. L’isolement crée des effets boule de neige sur le plan social et de la santé.
Entre 2006 et 2015, la fréquence des rencontres avec la famille est stable (70 % des personnes disent rencontrer des membres de leur famille au moins une fois par mois), tandis que celle avec l’entourage progresse légèrement (72 % déclaraient rencontrer leur entourage au moins une fois par mois en 2006, contre 75 % en 2015). En revanche, les contacts distants progressent nettement, en particulier avec l’entourage : la part de contacts mensuels avec la famille est passée de 82 % à 86 % entre 2006 et 2015, celle des contacts mensuels avec les amis de 69 % à 79 %. L’essor des moyens numériques de communication au cours des années 2000 contribue à maintenir le contact.
De l’isolement au sentiment de solitude
En 2015, la proportion de personnes, en France, ayant peu de relations régulières avec leur famille ou leurs proches est de 23 % (avoir au plus une rencontre physique ou un contact distant par mois avec leur réseau social). En 2003, ce taux était de 28 %. L’essor d’Internet permet le maintien de liens avec son entourage. La proportion des personnes isolées uniquement de leur entourage est, sur cette période, passée de 17 % à 13 %, celle des personnes isolées uniquement de leur famille est stable (7 %). En 2015, 8 % des individus déclarent se sentir seuls « tout le temps » ou « la plupart du temps ». Bien que ce sentiment touche davantage les personnes isolées de leur entourage et de leur famille (17 %), il touche également les personnes uniquement isolées de leur famille (10 %) ou de leurs amis (13 %), ainsi que les personnes ayant des contacts plus fréquents avec famille et amis (6 %). Ainsi, 62 % des personnes se sentant seules ne sont dans les faits isolées ni de leur famille, ni de leurs amis. Ce sentiment plus diffus renvoie davantage à une perte de lien consécutive à un événement (divorce ou licenciement) ou à un sentiment de fragilité devant des difficultés économiques, sociales ou affectives.
L’isolement, un marqueur social
Les personnes isolées de leur famille et de leur entourage sont moins diplômées, moins souvent en emploi, plus souvent retraitées, et plus souvent en situation de pauvreté monétaire ou de privation matérielle. Les personnes isolées ayant un travail sont souvent en CDD ou en intérim. Elles sont plus souvent employées et il s’agit avant tout d’hommes qui ont plus de problèmes à nouer des relations. Les travailleurs de nuit sont évidemment plus concernés par l’isolement que les autres. Elles sont plus souvent âgées de 40 ans ou plus (les 16-24 ans sont moins concernés que les 25-39 ans).
Les personnes isolées uniquement de leur famille sont plus souvent des hommes. Elles sont plus diplômées et bénéficient de meilleures conditions économiques. Les personnes qui ne sont isolées que de leur entourage sont nettement plus âgées et un peu plus souvent des femmes.
Le taux d’isolement est plus élevé en Île-de-France. Les difficultés de déplacement, le rythme de travail ainsi que la faiblesse des solidarités locales expliquent cette spécificité parisienne.
Les personnes isolées sont logiquement moins engagées dans des activités sportives ou sociales comme le bénévolat. Souvent moins bien connectées à Internet que le reste de la population, ces personnes communiquent moins via les réseaux sociaux. Leur appréciation sur leurs conditions de vie est mauvaise. Leur état de santé est plus souvent dégradé que la moyenne de la population. Il y a des effets cumulatifs. Les problèmes de santé concourent à l’isolement, ce dernier aggravant les premiers. Les personnes isolées de leur entourage et de leur famille ont 20 % de chances d’être insatisfaites dans la vie, contre 13 % pour les personnes isolées de leur entourage. Il n’existe pas, en revanche, de différence avec les personnes isolées seulement de leur famille. En distinguant comme précédemment la rareté des contacts et des rencontres avec l’entourage et la famille (au seuil de moins d’une occurrence par mois), l’insatisfaction générale dans la vie apparaît favorisée à la fois par la rareté des rencontres et des contacts avec l’entourage (7 % de chances en plus pour chacun des deux), mais uniquement par la rareté des contacts avec la famille (+5 %), celle des rencontres ayant un effet négligeable non significatif. De même, l’insatisfaction à propos des relations avec l’entourage est autant influencée par la rareté des rencontres que par celle des contacts : déclarer l’un ou l’autre moins d’une fois par mois augmente de 20 % les chances d’être insatisfait, quand pour ce qui est de l’insatisfaction à propos de la famille, la rareté des contacts joue davantage que celle des rencontres (30 % de chances en plus, contre 10 %). Le sentiment de solitude est, toutes choses égales par ailleurs, 2,5 fois plus répandu parmi les personnes isolées, 1,9 fois plus parmi celles qui sont isolées de leur entourage, mais seulement 1,4 fois plus parmi les personnes isolées de leur famille.
L’isolement contribue à accroître les difficultés financières. 89 % de la population en demande d’aide financière, matérielle ou morale obtient satisfaction auprès de son entourage ou de sa famille. Par nature, les personnes isolées déclarent moins souvent en recevoir.
Pour beaucoup de personnes isolées, le travail constitue l’échappatoire. Le bien-être au travail semble maintenu dans certains cas, même quand d’autres dimensions du bien-être sont affectées, ce qui suggère dans ce cas un relatif cloisonnement des espaces d’intégration lorsque le travail joue ce rôle, voire la possibilité de surinvestir le travail en cas de difficultés sociales. La perte de travail est alors un problème majeur. Le rôle de socialisation que joue le travail est néanmoins en perte de vitesse. Le recours aux techniques digitales isole de plus en plus les salariés. Le télétravail, la suppression du travail en équipe stable, la diminution des échelons intermédiaires rendent l’activité professionnelle plus impersonnelle. La disparition des bureaux fixes, remplacés par des bureaux flexibles, occupés en fonction des disponibilités, renforce le risque de solitude. Les entreprises appelées à suppléer la disparition des corps intermédiaires pourraient être amenées à devoir faire des arbitrages dans le management de leurs collaborateurs, arbitrages ayant des incidences sur les modes de vie.
L’emploi et « la carte des territoires »
L’emploi se concentre sur une partie du territoire français. Avec la désindustrialisation, l’emploi est désormais essentiellement tertiaire et donc urbain. Avec le développement des services domestiques (services à la personne, transports, tourisme) ainsi que des services aux entreprises, les grandes métropoles et les territoires touristiques sont les gagnants des créations d’emploi.
Les métropoles en tête
Le processus de concentration de l’emploi au profit de neuf métropoles dynamiques : Paris, Toulouse, Lyon, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Rennes et Lille, s’accélère. Pour ces territoires, c’est la sphère productive qui joue le rôle majeur. En 2016, ces neuf métropoles hébergent 29 % des emplois, contre 27 % en 2006.Les grandes agglomérations captent une part croissante de la valeur ajoutée produite et des emplois qui y sont associés. Entre 2006 et 2016, l’emploi augmente, selon l’INSEE, en moyenne de 0,5 % par an dans les métropoles, alors qu’il stagne dans les autres types d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : communautés urbaines, communautés d’agglomération et communautés de communes. Dans deux métropoles, celles de Metz et Saint-Étienne, le nombre d’emplois diminue de plus de 0,2 % par an. En revanche, les métropoles de Montpellier, Toulouse, Nantes et Bordeaux sont les plus dynamiques avec une croissance de l’emploi qui atteint ou dépasse 1,0 % par an. Les neuf métropoles regroupent 30 % des emplois de la sphère productive en 2016, contre 27 % en 2006. Cette concentration est une des conséquences de la désindustrialisation. Dans les années 60 et 70, l’industrie s’était diffusée dans l’ensemble du territoire au nom de la politique d’aménagement du territoire et de la recherche de salariés moins coûteux. Depuis trente ans, a contrario, les usines ferment en milieu rural et au sein des villes de taille moyenne. Il en résulte des migrations au profit des grandes agglomérations. Au-delà de ces évolutions moyennes, au sein de chaque catégorie d’EPCI, les résultats sont contrastés.
Variation annuelle de l’emploi par EPCI entre 2006 et 2016
Dans une majorité des métropoles, la croissance de l’emploi se diffuse aussi dans les communautés de communes voisines, principalement grâce au dynamisme des activités présentielles (services de proximité, services à la personne). Les intercommunalités localisées à moins de 80 kilomètres des métropoles enregistrent en moyenne une croissance d’emploi supérieure à la moyenne nationale, même si elle est le plus souvent inférieure à celle de la métropole elle-même. Cette croissance en périphérie s’explique principalement par l’augmentation du nombre d’emplois dans la sphère présentielle. En effet, dans ces EPCI, notamment les plus proches, la population s’accroît sous l’effet de la périurbanisation.
En-dehors des métropoles, l’emploi est de plus en plus présentiel
Dans le reste du territoire national, qui comprend près de 1 000 EPCI éloignés des grandes métropoles, l’emploi reste stable entre 2006 et 2016. Cependant, la croissance de l’emploi est supérieure à 0,2 % dans environ un tiers de ces EPCI. En premier lieu, plusieurs intercommunalités des DOM sont dans cette situation, notamment à La Réunion (croissance annuelle de l’emploi de 1,5 % sur la période) et en Guyane (+1,8 %). Il en est de même pour tous les EPCI de Corse. Les fortes créations au sein des communautés de communes littorales sont la conséquence des migrations de population. Les emplois sont liés à l’hébergement, à la restauration, à la construction et aussi à tous les services à la personne (santé, aides à domicile, etc.). En France continentale, l’emploi progresse dans certains territoires frontaliers avec toujours une dominante présentielle en liaison avec l’essor démographique.
Des trajets de plus en plus longs entre le domicile et le travail
La localisation des emplois et des actifs diffère de plus en plus. Les lieux de résidence restent liés à une pluralité de facteurs : capacité financière des ménages, recherche d’une meilleure qualité de vie, prix de l’immobilier, offre parfois insuffisante de logements, etc. En 2016, 9 millions d’actifs travaillent hors de leur agglomération de résidence, soit un tiers des actifs ayant un emploi. Parmi eux, 412 500 franchissent quotidiennement la frontière nationale pour aller travailler, soit 1,5 % des résidents ayant un emploi.
Les déplacements se font essentiellement entre agglomérations voisines. En France continentale, 25 % des navettes domicile-travail lient des EPCI situés à moins de 20 kilomètres et 45 % entre 20 et moins de 40 kilomètres. Seul un trajet sur dix est réalisé entre deux EPCI séparés de 80 kilomètres ou plus. Localement, les contours des EPCI, surtout lorsqu’ils séparent des zones d’activités et des zones résidentielles, sont aussi un élément déterminant l’ampleur des navettes. Le nombre d’actifs changeant quotidiennement d’EPCI pour aller travailler progresse assez fortement.
Cette métropolisation de l’emploi confirmée par l’étude de l’INSEE du mois de septembre 2019 pose deux problèmes majeurs : l’accès au logement et les transports. Cette situation renforce l’engorgement des grandes agglomérations au moment même où les politiques publiques tendent de réduire le rôle des voitures. Les infrastructures de transports publics peinent à absorber l’augmentation de la population. En outres, les liaisons en périphérie des grandes agglomérations sont faibles ou inexistantes. Le déficit de logement contribue à la hausse des prix ce qui amène une part croissante de la population à élire résidence en périphérie lointaine voire en dehors de l’agglomération. L’évolution de la démographie et de l’emploi nécessite le renouveau d’une politique d’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Les tensions rencontrées dans certaines régions comme en Corse sur le foncier ne peuvent que s’accroître. Le mécontentement exprimé par les « gilets jaunes » sur le coût de l’essence n’est pas sans lien avec la structuration du territoire national. La nécessité d’augmenter l’offre foncière et de mieux mixer emplois et habitat demeure donc une priorité.