Le Coin des tendances è technologies et croissance – développement durable – emploi et covid
Qui maîtrise la technologie militaire maitrise la croissance
Entre le Xème et le XIVème siècle, avant d’entamer une phase de déclin de près de 600 ans, la Chine était la première puissance économique mondiale. En inventant la boussole et l’imprimerie, elle était alors le cœur de l’économie mondiale. La volonté des Empereurs de ne pas partager les fruits de la croissance, le protectionnisme qui en résulte ainsi que les désordres politiques ont eu raison de la puissance chinoise. Après la Grande Peste, l’Europe reprend le flambeau de la croissance grâce à une soif nouvelle d’innovations qui permet de rompre avec le Moyen-Âge. La technologie civile et militaire ainsi que les échanges sont, depuis la sédentarisation des humains, la clef de voûte de la croissance et de la puissance économique et géopolitique.
La compétition technologique entre les nations est un fil rouge de l’histoire internationale. Le rôle des innovations militaires joue un rôle majeur dans les conflits armées, de l’invention du fusil à la bombe nucléaire en passant par le canon et le radar. Les innovations militaires irriguent l’ensemble de l’économie plus ou moins rapidement. Internet, il ne faut pas l’oublier, est au départ un réseau, l’Arpanet, issu de la collaboration entre l’armée américaine et plusieurs centres universitaires (première émission de données le 29 octobre 1969). Avec la chute de l’URSS, les États occidentaux ont réduit durant des années leurs budgets militaires afin de profiter, croyaient-ils, des dividendes de la paix. Cette baisse a été nette en Europe qui pendant cinq décennies était le champ de bataille potentiel de la rivalité entre le monde libre et le monde communiste. La diminution des budgets militaires a certainement facilité l’émergence d’une recherche privée plus autonome que dans le passé autour des GAFAM, même si elles n’ont pas coupé les ponts avec les agence de recherche de l’État fédéral américain. La montée en puissance de la Chine dont le modèle est étatique provoque depuis quelques années des craintes sur la maitrise à terme des technologies disruptives. La volonté des autorités chinoises de dominer, d’ici 2049, année du centenaire de la Chine communiste, le monde sur les terrains de la science et de la défense, inquiète les Américains. Les tensions sur le déploiement de la 5G en sont un des symboles. Cette compétition redevient militaire. L’intelligence artificielle, les armes hypersoniques, les biotechnologies sont capables de remettre en cause les rapports de force entre les grandes puissances, rapports qui depuis 1991 sont figés. En 2019, les cinq États qui dépensent le plus en dépenses militaires sont les États-Unis, loin devant, la Chine, l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Inde. Les pays européens, Royaume-Uni compris, arrivent après. Ensemble, ils n’assurent que 12 % des dépenses militaires mondiales. Lors de ces trente dernières années, l’Europe a divisé par plus de deux son effort militaire (rapporté au PIB), ce qui est sans précédent depuis le XVIIIe siècle. L’Europe est devenue un continent pacifiste mais au prix d’une dépendance aux États-Unis de plus en plus forte. Cette dépendance concerne la sécurité mais aussi l’accès aux technologies de pointe.
La rivalité sino-américaine et la crise sanitaire pourraient changer le regard des gouvernements sur les questions de défense. Aux États-Unis, le processus de privatisation de la recherche pourrait prendre fin au profit d’un interventionnisme plus important de l’État fédéral. La recherche et développement publique américaine était passée de près de 2 % du PIB en 1964 à 0,66 % du PIB en 2016. Depuis 1980, les cinq premiers groupes privés technologiques américains dépensent plus en recherche que l’État. Grâce aux budgets des agences, les pouvoirs publics américains arrivent encore à orienter les dépenses en particulier dans le domaine spatial. En revanche, l’Europe décroche du fait d’un recul des dépenses publics consacrées aux techniques de pointe. Faute de moyens, de volonté européenne et en raison de mauvais choix, Ariane Espace est de plus en plus marginalisée au niveau du lancement de satellites. Ce marché attire de plus en plus de convoitises. Le même constat pourrait être fait au sujet des drones ou des vitesses hypersoniques. L’impossibilité politique d’instituer une Europe de la défense depuis l’échec de la CED en 1954 a de lourdes conséquences économiques. Elle est, en partie, à l’origine des faiblesses du vieux continent en matière informatique et de nouvelles technologies. Dans les années 1960, les autorités américaines refusaient de transférer aux Européens des technologies dites sensibles mais ils acceptaient de valider ou pas certaines recherches. C’est ainsi que la France a pu concevoir la bombe atomique et les lanceurs, à partir de quoi elle a pu développer sa filière civile d’énergie nucléaire. Aujourd’hui, dans un contexte sino-américain, il n’est pas certain que les Américains soient aussi coopératifs que par le passé.
Paradoxe de l’emploi en sortie de crise covid
Un an après le début de la crise sanitaire, le sous-emploi demeure élevé au sein des pays occidentaux. 30 millions d’emplois auraient été supprimés depuis le mois de mars 2020. Pour autant, de nombreux chefs d’entreprises soulignent qu’ils rencontrent des difficultés croissantes pour embaucher. Aux États-Unis, le nombre de postes vacants, s’élève à plus de 8 millions, ce qui est un niveau sans précédent. Avec la réouverture des commerces et notamment des pubs, le marché de l’emploi se tend également au Royaume-Uni, d’autant plus que de nombreux Européens en sont partis depuis l’entrée en vigueur du Brexit. En Australie, les postes vacants dépassent de 40 % leur niveau d’avant la pandémie. En Suisse et en Allemagne, les entreprises sont en manque de candidats. Cette pénurie de main d’œuvre a conduit McDonald’s a augmenté les salaires de 10 % en moyenne. L’entreprise américaine espère ainsi attirer 10 000 nouveaux employés en trois mois. 36 500 salariés américains devraient en bénéficier. Le montant de la rémunération restera faible. Le salaire minimum à l’embauche s’élèvera désormais entre 11 et 17 dollars de l’heure pour les employés. Au Royaume-Uni, les pubs ont décidé d’abandonner leurs exigences de qualification. La croissance pourrait-elle être entravée par le manque d’actifs disponibles ? Avant la crise, plusieurs pays étaient en situation de plein emploi comme l’Allemagne ou la République tchèque.
Cette situation paradoxale pourrait modifier le rapport de force entre employeurs et salariés même s’il est évidemment trop tôt pour l’affirmer. Ces trente dernières années, avec le quatuor mondialisation / désindustrialisation / digitalisation / désyndicalisation, les salariés n’ont plus eu la capacité d’imposer des revalorisations salariales comme dans les années 1960/1970.
Concernant la cohabitation emplois vacants et sous-emploi, plusieurs thèses s’affrontent. Pour certains, les prestations sociales nuisent au retour de nombreux actifs sur le marché du travail. Leur diminution devrait améliorer le taux d’emploi et donc la croissance. Pour d’autres, la faiblesse des rémunérations est telle par rapport aux contraintes à supporter que de moins en moins de salariés acceptent de travailler au salaire minimum. Ainsi, dans les cuisines des restaurants le recours à des travailleurs immigrés en règle ou pas… est fréquent. Aux États-Unis, des aides sont mises en place sur le modèle des primes à l’activité appliquées en France pour encourager le retour au travail. L’Arizona verse ainsi 2000 dollars aux personnes qui s’engagent dans un emploi à temps plein. Après l’arrêt de l’immigration décidé au début de la pandémie, certains États reconsidèrent leurs positions. Ainsi, le Nouvelle-Zélande dont le solde migratoire annuel est passé de 92 000 à 7 000, souhaite rouvrir ses frontière aux étrangers souhaitant trouver un emploi. L’Australie qui a perdu des migrants s’interroge sur les solutions pour les inciter à revenir. En Grande-Bretagne, le patronat demande au Gouvernement de prendre des dispositions afin de mettre un terme aux pénuries de main d’œuvre qui frappent l’industrie ou l’hôtellerie. Les partisans du départ de l’Union européenne avaient mis en avant leur volonté de réduire l’immigration ; or, aujourd’hui, ils sont appelés à trouver des solutions pour attirer des actifs prêts à occuper des emplois.
Quand les marchés se mettent au vert
Depuis le début d’année, les prix des métaux pour batteries comme le lithium et le cobalt connaissent une importante progression pouvant atteindre plus de 66 %. Le cuivre qui est indispensable pour la fabrication des batteries, des panneaux solaires ou des éoliennes enregistre une forte hausse de son cours nourrie par une forte spéculation. La demande de ce métal devrait être multipliée par quatre d’ici 2050. Le prix de la tonne de cuivre est passé de 4 000 à plus de 8 000 dollars en un an. Depuis le mois de janvier, le prix de la tonne de carbone sur le marché européen a augmenté de 50 % dépassant pour la première fois les 50 dollars au début du mois de mai.
Les entreprises dont l’activité est en lien avec la transition énergétique sont aujourd’hui recherchées sur les marchés « actions ». Ainsi, en dix-huit mois, la valeur d’Orsted, un producteur d’énergie éolienne, a progressé de plus de 33 %. Les actions de SunRun, une entreprise solaire, ont, de leur côté triplé. Celles de Tesla et Nio, deux fabricants de véhicules électriques ont été multipliées respectivement par six et neuf. Tesla est même devenue la première capitalisation du secteur de l’automobile. Cette frénésie pour le « vert » aboutit même à la réalisation d’erreurs. Ainsi, des investisseurs ont investi sur une société dénommée « Tlsa », une société de biotechnologie en lieu et place de Tesla.
Selon The Economist, les valeurs associées à la transition énergétique ont, depuis le début de 2020, augmenté de près de 60 % aux États-Unis, soit le double de la hausse du S&P500, principal indice boursier américain. L’investissement « vert » attire de plus en plus les acteurs financiers. Les actions vertes ne sont plus l’apanage des fonds durables de niche. Les fonds conventionnels et les institutionnels achètent de plus en plus de valeurs d’entreprises, actrices de la transition énergétique. La forte progression des cours est facilitée par la taille réduite des entreprises en question. Les 25 % des plus petites entreprises ont augmenté en moyenne de 152 % depuis janvier 2020. Les entreprises qui tirent une plus grande part de leurs revenus d’activités vertes, comme les fabricants de véhicules électriques et les entreprises de piles à combustible, ont également bénéficié d’une valorisation de leur cours supérieure à la moyenne.
Les flux mondiaux vers les investissements axés sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont, selon Morningstar, dépassé 178 milliards de dollars au premier trimestre de cette année, contre 38 milliards de dollars au même trimestre de l’année dernière. Les fonds ESG ont représenté jusqu’à présent 24 % des investissements des fonds depuis le début de l’année 2021, contre 11 % en 2018. En moyenne, environ deux nouveaux fonds spécialisés ESF sont lancés chaque jour.
Selon une étude du Crédit Suisse, qui a répertorié les avoirs de 100 fonds ESG en 2020, parmi les cinq entreprises les plus achetées figuraient Orsted, un producteur d’énergie renouvelable danois et Vestas Wind, un fabricant danois d’éoliennes. Pourtant, seul un sous-ensemble des fonds, représentant environ un dixième des actifs ESG sous gestion, se concentrait sur les entreprises d’énergie propre.
Malgré cet engouement, les fonds ESG ne sont pas des acteurs importants de la transition énergétique. Les critères ESG sont larges et permettent d’intégrer dans de tels fonds des entreprises comme Microsoft ou Alibaba. Il n’en demeure pas moins que les gestionnaires de fonds prennent de plus en plus en compte les considérations environnementales dans leur politique d’investissement. Fin 2020, les 30 premières entreprises d’énergie renouvelable sont détenues, selon Morningstar, par 138 fonds durables en moyenne, contre 81 un an auparavant. Le nombre de non-titulaires d’ESG a également augmenté, passant de 390 à 624.
La montée en puissance de l’investissement « vert » est liée à la maturité croissante des technologies. Les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives par rapport aux entreprises de combustibles fossiles. Le coût de l’énergie solaire a ainsi diminué d’environ 80 % au cours de la dernière décennie. Celui des batteries lithium-ion diminue de 20 % par an depuis trois ans.
Les investisseurs estiment que la réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre est amenée à perdurer et surtout à se durcir. Ils ont donc tout intérêt à se positionner le plus tôt possible sur les secteurs qui pourront tirer profit de la législation. Les fonds de pension, par exemple, qui détiennent de nombreuses sociétés pétrolières, ont commencé à couvrir ce risque en achetant des actions d’énergie propre.
Les épargnants particuliers sont de plus en plus sensibilisés à la question du réchauffement climatique ; Ils plébiscitent certaines entreprises qui sont en pointe dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre comme Tesla, d’autant plus que la rapide valorisation du cours de leurs actions laisse entrevoir des gains potentiels importants.
Les SPAC (Special Purpose Acquisition Company) qui sont des sociétés dont les titres sont émis sur un marché boursier en vue d’acquisition future dans un secteur particulier et avant une échéance déterminée se multiplient dans le domaine de la transition énergétique. Sur les 800 SPAC répertoriés depuis 2019, plus de 10 % ont comme champ d’action la durabilité.
Cette frénésie en faveur des valeurs « vertes » fait craindre la constitution d’une bulle avec, à la clef, un risque d’éclatement. Comme au tournant du siècle dernier avec la bulle Internet, de nombreuses entreprises « vertes » sont déficitaires. Les investisseurs, ne voulant pas manquer le prochain Tesla, prennent des tickets dans de nombreuses entreprises favorisant l’envolée artificielle du cours de leurs actions. Le rapport entre le prix des actions et la valeur comptable des entreprises dans le domaine de l’hydrogène, par exemple, est de 50 % supérieur à la moyenne du marché. Les investisseurs évaluent des bénéfices à long terme ce qui comporte un risque d’erreur important d’autant plus que le modèle de ces entreprises dépend également de la réglementation et des subventions des pouvoirs publics. Malgré tout, les entreprises plus anciennes comme celles dont l’activité est liée aux éoliennes ou au solaire commencent à être rentables et ont des ratios bénéfice sur cours des actions comparables à ceux de la moyenne des entreprises de l’indice S&P 500.
L’engouement pour les valeurs « vertes » pourrait être remis en cause en cas de résurgence de l’inflation dont bénéficierait les produits de taux. Si, par ailleurs, du fait de la menace inflationniste, les banques centrales relevaient leurs taux d’intérêt, les producteurs d’énergie renouvelable qui dépendent en matière de financement des crédits bancaires, devraient faire face à une dégradation de leur rentabilité.
L’afflux d’argent dans le secteur des nouvelles énergies favorise le financement d’investissements qui n’ont pas obligatoirement d’intérêt majeur. De nombreux projets ambitieux pourraient déboucher sur des échec technologiques voire des escroqueries, ce qui pourrait créer des turbulences financières. Le manque de transparence au sein ce de ce secteur en pleine croissance est également une source d’inquiétude. Entre soutien tarifaire, subvention et baisse des biens intermédiaires, les investisseurs peinent à établir la rentabilité réelle des entreprises. Dans le domaine des batteries et de l’énergie solaire, les fabricants ne répercuteraient pas la baisse de leurs coûts pour continuer à bénéficier du soutien des États. Les véhicules électriques pourraient être vendus de 10 à 25 % moins chers. Les constructeurs considèrent que ce surcoût permet le financement de la recherche pour développer de nouveaux modèles et de nouvelles solutions technologiques. Si les États étaient contraints, à un moment ou un autre, de réduire leurs subventions, certaines entreprises « vertes » pourraient être en difficulté.
Pour le moment, l’optimisme est de rigueur. La transition énergétique semble s’être enclenchée et nul n’imagine faire machine arrière. La décarbonation devrait réorienter l’ensemble de l’économie comme le digital l’a fait à la fin du XXe siècle. L’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’a pas empêché la montée en puissance des GAFAM. En 2021, les entreprises technologiques représentent 40 % de la capitalisation boursière du S&P 500. Le choix de Total de se positionner sur les énergies renouvelables pour survivre est un symbole de cette évolution. L’évolution des marchés financiers donne raison à Jeremy Rifkin qui affirme que les gains escomptés par les investisseurs dans les entreprises moteurs de la transition énergétique condamnent celles qui seront associées aux entreprises fossiles à brève échéance.