6 août 2022

Le Coin des Tendances – énergie – France – récession

L’indépendance électrique de la France en question

Alors que l’Europe est aux prises avec une crise énergétique, sans précédent depuis 1973, causée par la guerre en Ukraine, la France a pensé dans un premier temps être protégée par l’importance de son parc de centrales nucléaires. Notre pays était jusqu’à une date récente exportatrice d’électricité. La France ne consomme pas beaucoup de gaz, hormis au sein des grandes villes et avant tout en Île de France. Le fuel et l’électricité sont les deux énergies majeures pour les ménages avec les carburants. Estimant que la question des prix l’emportait sur la problématique d’accès à l’énergie, les pouvoirs publics ont centré leur politique sur le bouclier tarifaire et les ristournes à la pompe. Ce n’est que dans un second temps que les économies d’énergie ont été replacées au cœur de la politique gouvernementale, contrairement à l’Allemagne qui a dû réduire rapidement sa consommation d’énergie en raison de sa forte dépendance au gaz russe.

L’appel d’Emmanuel Macron, le 14 juillet dernier, pour l’instauration d’un régime de « sobriété » énergétique, pour réduire la consommation et le gaspillage constitue une rupture par rapport aux communications précédentes. Le gouvernement entend réduire la consommation globale d’énergie de la France de 10 % d’ici 2024. Il a été décidé de sanctionner les magasins laissant les portes ouvertes pendant que la climatisation est allumée ou en cas d’enseignes commerciales allumées toute la nuit.

L’idée était que grâce au nucléaire, la France était indépendante sur le terrain de son électricité. Au-delà de l’opposition des écologistes et d’une partie de LFI, la politique nucléaire fait l’objet d’un large consensus en France, allant de l’extrême droite jusqu’au parti communiste. La construction des centrales nucléaires s’est étalée en France des années 1960 jusqu’aux années 1990. La première centrale reliée au réseau date de 1963. Avec une capacité installée de près de 61,4 GW, le parc nucléaire français est le deuxième plus important parc au monde en puissance, derrière celui des États-Unis. En 2021, il a produit 360,7 TWh d’électricité, soit 69 % de la production électrique totale en France métropolitaine et 42 % de l’ensemble de l’énergie produite, contre 6 % en Allemagne. Le parc nucléaire français compte 56 réacteurs nucléaires en fonctionnement répartis sur 18 sites (centrales), après l’arrêt des 2 réacteurs de la centrale de Fessenheim en février et juin 2020 (14 réacteurs ont déjà été arrêtés dans le passé). 

Les autorités françaises sont conscientes depuis plusieurs années de la fragilité de l’avantage que constitue le parc nucléaire français. Ce parc vieillit à grande vitesse obligeant à de longs arrêts de réacteurs. Plus de la moitié des 56 réacteurs du pays sont fermés pour maintenance, en raison d’inspections de routine ainsi que de problèmes de corrosion. Les normes ont été durcies après l’accident de Fukushima exigeant d’importants investissements de mise à niveau. Les centrales françaises ont été construites en prenant en compte les retours sur expérience des accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl mais pas du suivant. EDF est confrontée au chantier sans fin de l’EPR de Flamanville. La mise en réseau de cette centrale ne devrait intervenir qu’en 2024 quand elle était prévue pour 2012. Le coût de la construction est passé de 3,4 à 12,7 milliards d’euros. Les nouvelles technologies mises en œuvre, le durcissement des normes et le manque de compétences expliquent la succession des retards. Six nouvelles centrales nucléaires EPR devraient être construites en France d’ici 2037. La nationalisation d’EDF vise à lui garantir les ressources suffisantes pour financer les investissements nécessaires.

La production électrique de cet hiver devrait être inférieure de 25 % à celle d’une année normale. Pour compenser, la France devra acheter de l’électricité sur les marchés de gros et a décidé de remettre en fonction une centrale au charbon à Saint-Avold, mise sous cocon seulement en mars. EDF dont les pertes ont atteint plus de 6 milliards d’euros au cours du premier trimestre, sera nationalisé comme l’a annoncé le 6 juillet, le gouvernement. Avant cette annonce, l’Etat détenait déjà 84 % du capital.

Le Gouvernement est vigilant sur le sujet des prix de l’énergie car il n’oublie pas que la naissance de la crise des gilets jaunes en 2018 a commencé avec l’augmentation du prix du carburant. Du fait de cette crise, contrairement aux autres pays européens, les consommateurs français ont été protégés de l’inflation des prix des carburants. Cette politique est critiquée en Europe car elle n’incite que marginalement aux économies d’énergie et engage les finances publiques. La France s’est opposée à l’appel de la Commission européenne de réduire de 15 % la consommation de gaz au nom de la solidarité européenne. 

Les Gouvernements s’inquiètent d’éventuelles pénuries de gaz et d’électricité cet hiver. Si en France, le gaz représente 16 % de la consommation d’énergie, deux cinquièmes des ménages se chauffent avec. La situation sera d’autant plus tendue que l’hiver sera froid. Le risque de coupures électriques est pris au sérieux. Les industries mais aussi les particuliers pourraient faire l’objet de délestage. Politiquement, ce dossier sera sensible avec la tentation pour certains de remettre en cause les positions diplomatiques de la France et des Etats européens.

Les multiples visages d’une éventuelle récession

Prédire un krach ou une récession est un art difficile. En 2008, de nombreux économistes avaient souligné que la croissance était forte et qu’il n’y avait pas de réels risques. La crise des subprimes doucha leur optimisme. Avant la crise sanitaire, pendant près cinq ans de 2015 à 2019, les pythies en tout genre se faisaient fort, chaque année, de prédire la survenue d’une récession aux Etats-Unis. Elles furent à chaque fois démenties par les faits. Elles ne virent pas, mais nul ne peut leur reprocher l’arrivée de l’épidémie de covid-19. En 2022, la tendance est à la récession. Rares sont ceux qui croient au maintien de la croissance cette année et l’année prochaine. La Réserve fédérale américaine mène une vaste campagne de resserrement de la politique monétaire en relevant les taux d’intérêt de 2¼ points de pourcentage depuis mars. Elle devrait imposer un autre point de resserrement d’ici décembre. L’Europe manque de gaz naturel en raison de la baisse des approvisionnements en provenance de Russie, ce qui logiquement devrait peser sur la croissance. La croissance chinoise a fortement ralenti en raison des confinements liés à sa politique zéro covid, et les inquiétudes grandissent quant à la fragilité du marché immobilier. Les résultats de la croissance américaine, deux reculs trimestriels successifs du PIB, semblent confirmer que la récession est bien présente.

Depuis le mois de mars et le début de la guerre en Ukraine, les appréciations des agents économiques sont contradictoires. Les ménages subissent des pertes de pouvoir d’achat et sont inquiets pour l’avenir mais leur situation financière reste correcte grâce notamment aux compensations mises en œuvre par les Etats. Le maintien des créations d’emplois à un haut niveau semble signifier que les chefs d’entreprise ne croient pas en leur fond intérieur à une réelle récession. Les chiffres décevants du PIB américain ne correspondent pas à d’autres mesures de la production ou à la progression de la masse salariale. Les enquêtes manufacturières enregistrent leurs résultats les plus faibles depuis les premiers jours de la pandémie, mais ce résultat est également le retour à la normale. Depuis mars 2020, les ménages ont acheté de nombreux biens industriels, électroménagers et informatiques. L’équipement remis à niveau, les achats tendent à décliner et à renouer avec leur tendance de longue période. Les services enregistrent une forte demande. Par ailleurs, les problèmes de la Chine entraînent un moindre besoin en énergie, ce qui pourrait faire baisser les prix pour les Occidentaux.

Avec des entreprises enregistrant de bons résultats, l’investissement devrait rester élever ce qui pourrait dégager des gains de productivité et nourrir la croissance de demain. Les ménages disposent d’une épargne sans précédent. Ils n’ont pas touché réellement à leur cagnotte covid. Les soldes bancaires des ménages américains les plus pauvres sont environ 70% plus élevés qu’ils ne l’étaient en 2019. En France, les dépôts à vue dépassent 520 milliards d’euros et les encours des Livrets A et LDDS sont à des niveaux records.

Si récession il y avait, elle serait d’une nature différente de celle de 2008 qui était née de déséquilibres financiers profonds. La récession version 2022, si elle a lieu, est liée à une surchauffe post covid et à des chocs d’offre. Certes, la transition énergétique et le vieillissement constituent des facteurs qui jouent en défaveur de la croissance à court terme. La crainte d’une implosion économique des pays émergents provoqués par la hausse des taux directeurs de la FED ne doit pas être surestimée car leur situation n’est en rien comparable à celle de 1997. Leur économie est plus puissante et plus diversifiée, leur dépendance au dollar est moindre.

Certains craignent que les économies occidentales n’arrivent pas à vaincre l’inflation et les moyens mis en œuvre sont faibles. Si la réaction des banques centrales est jugée tardive et limitée, elle est néanmoins plus rapide que dans les années 1980. Avant le resserrement, les prix avaient alors plus que doublé au cours de la décennie précédente. Aujourd’hui, ce chiffre n’est que de 29 % car l’inflation n’a augmenté que l’année dernière. Malgré la surchauffe de l’économie américaine provoquée par l’accumulation de plans de relance, les anticipations d’inflation à long terme restent modestes. La meilleure analogie historique n’est probablement pas la lutte prolongée contre la stagflation des années 1970, mais la flambée des prix à la consommation qui a suivi la perturbation massive de la Seconde Guerre mondiale. Le ralentissement qui a mis fin à cette inflation a été superficiel et a laissé peu de cicatrices. Pour les Etats-Unis, de nombreux économistes parient sur un retour de l’inflation autour de 4 % en 2023. Les prix des produits agricoles sont en baisse depuis le mois de juin. Les prix du pétrole ont également diminué pour revenir autour de 100 dollars le baril, don prix d’équilibre se situant certainement entre 80 et 100. La moindre consommation et les efforts des pays du Golfe comme des Etats-Unis commencent à porter leurs fruits. Le point noir au tableau reste la menace de pénurie de gaz en Europe. Si le rationnement énergétique devient nécessaire à l’automne, la production industrielle et donc le PIB chuteront, peut-être fortement dans les économies exposées comme l’Allemagne. Même si la production diminue, l’inflation continuera d’augmenter. Le déficit de main d’œuvre est également un problème. Il est lié au vieillissement des populations occidentales. La crise en Ukraine amène l’Europe à revoir sa politique énergétique. La douce dépendance qui s’est instituée tant pour le pétrole que pour le gaz semble toucher à sa fin. Les décideurs politiques ont réalisé qu’une transition soigneusement gérée vers une énergie propre atténue également la dépendance vis-à-vis des régimes autocratiques. Les investissements dans les énergies renouvelables augmentent et les gouvernements qui étaient auparavant sceptiques à l’égard de l’énergie nucléaire reconsidèrent leur opposition. Même le Japon, qui a subi la catastrophe de Fukushima en 2011, espère relancer la production d’énergie nucléaire.