Le Coin des Tendances – épargne covid – territoires et inégalités – commerce en ligne
Un magot de 3000 milliards de dollars
Durant la Seconde Guerre mondiale, les populations ont été soumises à des contraintes bien plus importantes qu’aujourd’hui, que ce soit dans les territoires occupés par les ennemis ou dans ceux demeurés libres. Les restrictions ont perduré bien après l’armistice du 8 mai 1945. En France, les derniers rationnements concernant le sucre, le café et l’essence disparaissent le 1er décembre 1949. Au Royaume-Uni, le rationnement de l’essence s’appliqua jusqu’au 26 mai 1950. Même aux États-Unis, le gouvernement avait rationné, du café aux chaussures, et avait interdit la production de réfrigérateurs et de vélos. En 1943, seulement 139 voitures furent vendues aux particuliers. Les ménages américains ont alors, comme aujourd’hui, épargné des sommes importantes qui ont été par la suite réinjectées dans les circuits de consommation. L’économie a rapidement basculé d’une situation de guerre à une situation de consommation de masse. En 1950, les constructeurs automobiles américains ont produit plus de 8 millions de véhicules. À partir de 1952, l’Europe entre de plain-pied dans les Trente Glorieuses avec une accélération remarquable de la croissance.
En 2021, les gouvernements escomptent un même rebond qu’à la sortie de la guerre tout en espérant que celui-ci soit compatible avec la nécessaire transition énergétique. Les plans de relance et l’épargne accumulée depuis le mois de mars de l’année dernière sont censés provoquer un choc de demande. Aux États-Unis, le plan de Joe Biden porte sur 1 900 milliards de dollars. Le plan de l’Union européenne s’élève à 750 milliards d’euros auxquels s’ajoutent des mesures nationales. Au niveau des pays de l’OCDE, les ménages auraient économisé, en un an, près de 3 000 milliards de dollars de plus qu’en temps normal, soit 10 % des dépenses annuelles de consommation. Aux États-Unis, l’épargne excédentaire pourrait dépasser 10 % du PIB avec les aides que les ménages recevront dans le cadre du plan de relance.
Par rapport aux autres récessions, la constitution d’une telle épargne à l’échelle internationale est un fait sans précédent. Cette situation est la conséquence des mesures de soutien aux revenus prises par les pouvoirs publics. Ces dernières qu’elles prennent la forme d’allocation de chômage partiel ou d’aides directes atteignent plus de 5 points de PIB au sein des pays de l’OCDE. Dans de nombreux pays et tout particulièrement aux États-Unis ou en France, les revenus des ménages ont en fait augmenté au cours de l’année écoulée. Dans le même temps, les confinements, les couvre-feux, les fermetures administratives ont réduit les possibilités de dépenser. Face à cette cagnotte, les ménages dépenseront-ils sans compter à la fin de l’épidémie ou décideront-ils de la maintenir en état, de peur d’une forte augmentation des impôts qui sera nécessaire pour payer toutes les mesures prises depuis plus d’un an ?
Selon de nombreux économistes dont ceux de JPMorgan Chase, dès la levée des contraintes, la consommation devrait revenir rapidement à son niveau d’avant la pandémie, alimentant une forte reprise mondiale. En France, durant la période estivale, la consommation était presque revenue à son niveau d’avant-crise. Malgré le couvre-feu, la consommation de biens, toujours en France, demeure à un niveau élevé. Goldman Sachs estime qu’aux États-Unis, les dépenses d’épargne excédentaire ajouteront deux points de pourcentage à la croissance du PIB dans l’année suivant la réouverture complète. Entre les plans de relance et le déblocage de l’épargne forcée, l’explosion de la demande pourrait entraîner une inflation, scénario en partie anticipée par les investisseurs. La révision des hypothèses de croissance par l’OCDE s’explique par une possibilité décrue de l’épargne des ménages qui représente une « demande refoulée ». Du fait de l’absence de précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, la réalisation de ce scénario demeure incertaine. Les ménages choqués par la crise sanitaire et par les incertitudes qu’elle génère pourraient décider de cristalliser l’épargne constituée depuis un an. Ils pourraient considérer qu’elle est un élément patrimonial et non un flux de revenus gelé le temps de la crise.
L’épargne covid-19 a été réalisée par un grand nombre de ménages comme l’a souligné l’INSEE pour la France, dans une note du mois de mars 2021. Néanmoins, la grande majorité de cette épargne est concentrée parmi les 20 % des ménages les plus aisés. Ces ménages ont épargné essentiellement parce qu’ils n’ont pas pu voyager, ni aller au restaurant, dans les bars ou dans les salles de spectacles. À la sortie de la crise, ils retrouveront progressivement leurs habitudes. Ils se feront sans nul doute plaisir mais ils n’assècheront certainement pas leur épargne en multipliant les sorties pour des questions simples d’emploi du temps. Une partie de l’épargne devrait donner lieu à une réorientation vers des placements de long terme.
Aux États-Unis, les effets de la relance devraient être plus importants que sur le vieux continent du fait que la politique d’aides publiques a gonflé les revenus de tous les ménages, des modestes aux plus riches. Les Américains à faible revenu ont épargné encore plus que les riches en proportion de leurs revenus. Une enquête du JPMorgan Chase Institut indique qu’à la fin du mois de décembre 2020, les soldes bancaires des Américains les plus pauvres étaient environ 40 % plus élevés que l’année précédente, contre environ 25 % plus élevés pour les plus riches. Les liquidités des 10 % des ménages les plus modestes ont augmenté de 11 % au cours de l’année écoulée, soit près du double de l’augmentation constatée pour les 1 % les plus riches. De ce fait, une forte augmentation de la demande est attendue aux États-Unis dans les prochains mois d’autant plus que la couverture vaccinale progresse rapidement. Les ménages sont plus susceptibles d’augmenter leurs dépenses en réponse à une augmentation de revenu (par exemple, une augmentation de salaire) qu’ils ne le sont pour une augmentation de leur richesse (par exemple, une augmentation de la valeur de leur maison ou de leur patrimoine financier). En Europe, l’augmentation des liquidités n’est pas le produit des aides publiques mais de la moindre consommation. L’épargne risque d’être perçue comme un patrimoine et non comme un revenu. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les revenus ont augmenté rapidement en Europe provoquant un rebond de la croissance qui fut deux fois plus élevée qu’aux États-Unis.
Commerce en ligne, les grandes marques à l’attaque
En 1966, à Santa Monica, en Californie Jeff Johnson crée premier magasin de Nike dédié à la vente de chaussures de sport. Afin de fidéliser sa clientèle, ce créateur conservait l’ensemble des données de ses clients sur des fiches, adresses, pointures, préférences au niveau des chaussures, sports pratiqués. Il notait le nombre de kilomètres réalisés par les coureurs, leurs temps, etc. Grâce à ces données, il était capable d’anticiper les besoins des acheteurs. Avec son développement international et la massification de la pratique sportive, Nike n’a plus été capable de constituer des dossiers clients comportant un nombre d’informations comparable à celui des dossiers de Jeff Johnson. Les outils numériques, cinquante ans plus tard, permettent de renouer avec cette personnalisation des relations clients. À cette fin, la marque privilégie la vente en directe jusqu’à freiner ses ventes en provenance de la grande distribution ou des plateformes comme Amazon afin de pouvoir contrôler les données.
Les nouvelles formes de communication, les réseaux sociaux, les services de messagerie et les applications, rapprochent les producteurs et les consommateurs. Ces derniers dédaignent de plus en plus à aller dans les grandes surfaces ou dans les centres commerciaux. Ils ont renoué avec les livraisons à domicile qui avaient cours jusque dans les années 1970 avec les grands catalogues papier de vente à distance. La suppression des intermédiaires réduit les coûts. La pandémie renforce cette tendance avec la montée en puissance du commerce électronique du fait des restrictions sanitaires. Nike vend désormais 30 % de ses produits en ligne et compte 250 millions de clients référencés sur le site, dont 70 millions sont devenus membres en 2020. Les clients reçoivent des informations commerciales ainsi que des conseils pour pratiquer le sport. La révolution du e-commerce est rapide dans tous les pays occidentaux. Amazon a dépassé les 100 milliards de dollars de revenus trimestriels pour la première fois au quatrième trimestre 2020. L’année dernière, les ventes en ligne pour la grande distribution ont dépassé le niveau prévu en 2025. Désormais, le commerce en ligne capte entre 12 et 30 % du commerce de détail au sein de l’OCDE. Le Royaume-Uni avec un taux de 30 % occupe la première position. En Chine, le commerce électronique représente déjà 45 % du commerce de détail (source e-Marketer).
Nike qui fait le pari du commerce en ligne continue néanmoins d’investir dans des magasins. La marque américaine en a ouvert un nouveau en 2020 sur les Champs-Élysées à Paris mais ce dernier a été conçu comme le prolongement du site de vente. Les achats physiques et numériques interagissent de manière transparente. Le marketing sera de plus en plus axé sur les internautes, les publicités en ligne étant bien plus précises que les autres (publicités radio, télévision, presse écrite ou panneaux). Le parcours client sur les sites permet d’anticiper les besoins et d’adapter les outils de production. Ainsi, quand Nike a constaté que de plus en plus d’internautes consultaient les pages consacrées au yoga, ses responsables ont rapidement décidé de lancer la production de nouveaux équipements dédiés à cette activité.
La mutation du commerce suscite de nombreuses inquiétudes. Les élus locaux constatent la fermeture de nombreux commerces en centre-ville et craignent des friches commerciales en périphérie. Aux États-Unis, plus de 8 700 magasins ont fermé en 2020 ; En Grande-Bretagne, pays qui est le plus avancé d’Europe en matière d’e-commerce, 16 000 magasins ont baissé définitivement le rideau et 183 000 emplois ont été supprimés dans le commerce de détail. En France, plusieurs milliers de commerces ont fermé depuis un an. En Chine, la croissance du commerce en ligne est exponentielle. L’omniprésence des smartphones compense la pénurie de centres commerciaux attrayants au-delà des grandes villes. Le marketing numérique est en Chine très offensif, tous les canaux de diffusion sont utilisés avec le recours de stars, d’influenceurs. Alibaba, la plus grande entreprise chinoise de commerce électronique, développe des points de vente physique qui sont néanmoins totalement automatisés afin de pouvoir être présents en centre-ville. Ses dirigeants travaillent avec les épiceries des villages les plus éloignés pour rendre la distribution des marchandises moins chère et plus efficace. 374 grands centres commerciaux ont été ouverts en Chine l’année dernière. Malgré l’épidémie et le développement du e-commerce, les prix de l’immobilier commercial ne baissent pas dans ce pays.
L’omnicanal tend à s’imposer en Chine comme en Occident. Les grandes enseignes doivent gérer plusieurs types de commerces. Les besoins en logistique tendent à augmenter avec la multiplication des points de livraison et le traitement des retours qui coûteraient plusieurs centaines de milliards de dollars à l’échelle internationale selon Shopify, une plate-forme en ligne. L’objectif pour les marques sera de rendre l’omnicanal rentable avec la multiplication des ventes grâce à une utilisation efficiente des données.
Inégalités territoriales, une carte complexe
Dans son essai « L’archipel français », Jérôme Fouquet a décrit une France fragmentée dans laquelle les inégalités territoriales s’accroissent. Les territoires ruraux seraient victimes d’un abandon des pouvoirs publics, abandon se traduisant par une absence de médecins, de services et de loisirs. L’opposition monde rural, monde urbain est trop réductrice tout comme l’idée d’une volonté de l’État de réduire les dépenses publiques en faveur des petites communes. La situation est moins manichéenne qu’il n’y paraît. Le ressenti de l’opinion, une fois de plus, ne coïncide pas avec la réalité froide de certains chiffres.
Des emplois concentrés sur les grandes agglomérations mais qui peuvent être au service du rural
La distribution territoriale des emplois a été fortement inégalitaire ces vingt dernières années. De 2008 à 2018, plus de 700 000 emplois ont été créés au sein des douze premières métropoles françaises quand, dans le reste du pays, plus de 300 000 emplois ont été perdus. L’après crise des subprimes de 2008/2009 a accéléré les écarts entre les différentes catégories de villes au détriment de celles de taille moyenne. Les pertes d’emplois ont été avant tout concentrées dans les agglomérations se situant entre la 12e
et la 50e place sur le plan démographique. Dans cette catégorie, figurent notamment Saint-Etienne, Le Havre, Rouen, Metz ou Béthune. Des villes comme Dunkerque, Thionville ou Blois ont continué à perdre des emplois même durant les années 2016/2019 pourtant marquées par de nombreuses créations sur l’ensemble de la France. Les vingt et une métropoles françaises ont enregistré une augmentation de 8 % de leurs emplois entre 2008 et 2019 quand la moyenne nationale est de 3 %. Si Nancy, Metz, Rouen ou Saint-Etienne ont perdu des emplois, Toulouse et Nantes ont en gagnés respectivement 22 et 20 %, devançant ainsi Bordeaux, Montpellier et Lyon (plus de 10 % pour chacune). Les emplois ont tendance à se concentrer dans le cœur des grandes agglomérations et au sein de la première couronne. Les activités créatrices d’emplois appartiennent au secteur tertiaire en lien avec la montée en puissance des activités numériques et des services domestiques (emplois à la personne, commerces de proximité, livraison, chauffeurs, etc.).
Dans les 6 900 communes dites isolées (communes se situant en dehors de la sphère d’influence d’un pôle économique majeur) recensées par l’INSEE, 23 000 emplois ont été perdus en dix ans mais, dans le même temps, leur population active occupée a augmenté de 26 000. Près de 40 % des actifs de ces villes travaillent au sein d’une aire urbaine, contre 30 % en 1999. Si les communes rurales enregistraient des pertes de population entre 1968 et 1999, elles en gagnent depuis (+70 000 en vingt ans). Cette augmentation est liée aux flux migratoires (+300 000) alors que le solde naturel est fortement déficitaire (-70 000). Ces territoires sont de plus en plus intégrés à des espaces économiques larges avec une présence de nombreux navetteurs. Les pertes d’emploi au sein des communes isolées ont essentiellement concerné l’agriculture (-28 000 emplois) et l’industrie (-14 000). 21 000 emplois non marchands ont été créés. Les créations d’emploi par les administrations publiques ont été plus importantes en milieu rural (+13 % en dix ans) qu’au niveau national (+10 %). Ces créations ont permis de compenser la moitié des pertes d’emploi en milieu rural. Contrairement à certaines allégations, l’État n’a pas abandonné les petites communes, le nombre de fonctionnaires par habitant a augmenté plus vite dans ces zones que dans le reste du pays.
L’essor des grandes agglomérations françaises ne s’effectue pas totalement au détriment des villes de taille moyenne ou du milieu rural. Les métropoles en agglomérant l’offre de travail permet aux ruraux de trouver plus facilement un emploi notamment grâce aux voies de transports. En milieu diffus, il serait difficile de proposer à un nombre important de personnes des emplois qui devraient par ailleurs être facilement accessibles. Les emplois dans les grandes agglomérations se concentrent de plus en plus autour des gares. Par ailleurs, des territoires non reliés à une grande agglomération peuvent connaître de forts taux de croissance comme le prouvent en Vendée, les bassins d’emploi de La Roche-sur-Yon ou des Herbiers. D’autres villes de la région des Pays de la Loire, Angers ou Niort ont également enregistré une forte expansion.
La fermeture des petits commerces est souvent pointée du doigt comme un signe de désertification. Or, depuis 2006, le commerce de détail a enregistré une augmentation de 4,6 % des emplois au sein des 6 900 communes dites isolées. Pour les seuls débits de boisson, plus de 1 130 créations d’emploi ont été constaté entre 2007 et 2018.
Des déserts à relativiser
De nombreux Français rencontrent de plus en plus de difficulté à obtenir un rendez-vous chez un médecin. Ils sont contraints de se déplacer sur de grandes distances pour trouver un spécialiste. La notion de déserts médicaux est devenue prégnante. Or la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. La proportion de médecins en milieu rural est identique à celle de l’ensemble de la France (1 pour 1000 habitants). Elle est même supérieure à celle de l’Île-de-France. Dans cette région, la démographie médicale a perdu plus de 3 600 praticiens en dix ans. 76 % de la région parisienne est classée « zone fragile ». Cela en fait le premier désert médical de la France métropolitaine. À Paris, les médecins généralistes exerçant en profession libérale sont de plus en plus rares. Ils privilégient les postes en salariés. Les contraintes horaires et le coût du foncier expliquent cette évolution. Les départements difficiles comme la Seine-Saint-Denis n’attirent plus les jeunes médecins. Cette situation contribue à la saturation des services d’urgence des hôpitaux parisiens. En milieu rural, la couverture en établissements de santé étant plus faible (de 15 à 35 % selon le type d’établissement), une large part des patients sont contraints de se rendre à l’hôpital en voitures ou en ambulances. Sur ce point, la prise en charge par la Sécurité sociale, des dépenses de transports contribue à rétablir une certaine égalité. Les pouvoirs publics ont maintenu des hôpitaux dans des villes de 10 000 habitants, le plan de fermetures ayant été suspendu depuis deux ans.
Au niveau de l’enseignement, les enfants vivant en milieu rural doivent parcourir plus de kilomètres pour aller à l’école. Les départements gèrent néanmoins un réseau dense de transports collectifs. En France, les temps de transports entre le lieu d’habitation et les établissements scolaires sont faibles, autour de 15 minutes avec peu de différences entre les différentes catégories de communes. 3,8 % des élèves français de moins de 14 ans vivent en milieu rural. Ils peuvent compter sur 3,8 % des professeurs des écoles du pays. Malgré des fermetures de classes, le maillage d’écoles reste un des plus dense d’Europe.
Les pensions et le tourisme, les clefs de voûte des revenus en milieu rural
Les territoires ruraux bénéficient d’importants revenus de transferts. En ayant proportionnellement un nombre plus important de retraités que le reste de la France, les pensions apportent 40 % des revenus nets des ménages y résidant contre 25 % en moyenne pour l’ensemble du pays.
Le tourisme fournit des revenus accessoires importants pour la population vivant dans les petites communes qui comptent plus de 188 000 emplacements de camping et près de 50 000 chambres d’hôtel. 770 000 résidences secondaires qui représentent 34 % des logements y sont également dénombrées. Le tourisme apporte 40 % des revenus (hors ressources en provenance des navetteurs) des ménages habitant dans les 6 900 communes rurales.
Un effort budgétaire important en faveur du rural
Les communes rurales qui représentent 5 % de la population reçoivent 7 % de la dotation globale de fonctionnement qui est la principale dotation de l’État aux collectivités locales. La dotation globale de fonctionnement par habitant est de 36 % supérieure à la moyenne nationale. L’Île-de-France est de loin la première contributrice. Les ménages y demeurant bénéficient de 22 % des revenus disponibles bruts quand le PIB de la région représente 31 % du de celui de la France. Selon l’INSEE, 110 milliards d’euros sont, ainsi, redistribués. Ce constat vaut pour les autres métropoles. Une part non négligeable des transferts prend la forme de pensions de retraite. Les actifs des grands centres urbains financent les retraités qui se trouvent notamment au sein des communes rurales et sur les façades maritimes du pays. Les grandes villes contribuent aux revenus des ménages ruraux qui y travaillent. Près de 200 000 personnes travaillent dans la métropole de Lyon tout en n’y résidant pas. Cela représente 28 % des emplois. À Toulouse, ce ratio est encore plus élevé, 35 %.
La France se caractérise par une forte redistribution des revenus. Elle est le pays dont le niveau des dépenses publiques est le plus élevé au sein des pays avancés. Ces dernières sont passées de 1975 à 2018 de 40 à 57 %. En 2020, elles ont dépassé 63 % du PIB. Entre 2006 et 2016, la France a créé 530 000 emplois non marchands essentiellement dans les trois fonctions publiques quand elle en perdait 31 000 dans le secteur marchand. Entre 2008 et 2017, les effectifs de la fonction publique hospitalière a progressé de 14 %, plus de trois fois plus vite que la population française. Sur la même période, en euros constants, les dépenses de santé ont augmenté de 15 %. La rémunération des personnels de santé a, sur la même période, augmenté plus vite que celle de l’ensemble des actifs (+12 % contre 10 %). 800 établissements ont été fermés en vingt ans sur un total de 4 600. Le nombre de lits a été diminué de 100 000 sur un total de 500 000. Cette réduction est liée au développement des soins ambulatoires et à la réduction des durées d’hospitalisation.
Une forte réduction des inégalités entre la ville et les campagnes
En vingt ans, la hausse des revenus a été, au sein des communes isolées, de 50 % contre +42 % pour l’ensemble de la France. L’écart des revenus par rapport à la moyenne nationale est ainsi passé de 14 à 10 points. En prenant en compte le fait que 73 % des résidents ruraux sont propriétaires de leur résidence principale, le pouvoir d’achat serait dans les faits identiques entre ceux-ci et les la moyenne de la France (hors Île-de-France).
Les inégalités régionales ont fortement diminué ces vingt dernières années en France. Les revenus après redistribution par habitant des régions les plus pauvres progressent plus vite que ceux des régions les plus riches. Ce constat vaut pour tous les départements à l’exception de certains en Île-de-France qui ont tendance à s’appauvrir et à diverger de la moyenne nationale. Une montée des inégalités est constatée, en revanche, au niveau communal avec une gentrification de la population sur certaines parties du territoire. En Seine-Saint-Denis, de 1999 à 2015, les cinq communes les plus pauvres ont enregistré de 1999 à 2015 une hausse du revenu par habitant de 22 % quand celle-ci atteint 32 % au sein des cinq communes les plus riches. Au sein des grandes agglomérations, les villes mal reliées au cœur et qui étaient pauvres à la fin du siècle dernier le sont encore plus vingt ans plus tard. En revanche, celles qui sont à proximité du cœur de l’agglomération, comme Montreuil en région parisienne, ont connu une forte évolution du niveau moyen de leur population.
Le ressenti de la population française est très éloigné des données statistiques fournies par l’INSEE. L’exigence sociale et égalitaire a augmenté ces trente dernières années. Elle n’est pas sans lien avec la montée des qualifications et des changements dans la composition des populations. Dans les années 1970, le milieu rural était encore dominé par les agriculteurs dont le nombre dépassait 1,5 million. En 2020, la France n’en compte plus que 400 000. Les villes rurales sont aujourd’hui composées de personnes à la retraite et de semi-ruraux ou de semi-urbains. Dans ces deux dernières catégories figurent les personnes habitant en milieu rural mais qui travaillent au sein d’une agglomération urbaine et les propriétaires de résidence secondaire. Par ailleurs, les nouveaux résidents des petites villes rurales comprennent également des ménages à revenus modestes qui partent de la ville par incapacité à assumer le coût d’un logement. Cette émigration subie est souvent une source d’amertume. Les attentes de ces différentes populations diffèrent fortement avec celles des décennies précédentes. L’absence ou la rareté de services de proximité est plus sévèrement jugée par des inactifs que par des actifs. De même, les urbains qui décident de s’installer à la campagne souhaitent retrouver les mêmes commodités qu’à la ville.