Le Coin des Tendances – Etat – pétrole – de la violence en politique
Le pétrole disparaitra-t-il avant d’être interdit ?
Source d’énergie et matière première pour de nombreux secteurs d’activité, le pétrole est condamné à moyen terme. Son utilisation est censée diminuer au fur et à mesure de la décarbonation de l’économie, de la montée en puissance des énergies renouvelables. Cependant, il pourrait en être tout autrement. Le pétrole pourrait cesser d’être le cœur de l’économie car il pourrait venir à manquer. Le pic pétrolier annoncé depuis cinquante ans pourrait bien survenir plus rapidement que prévu. Si le pic pétrolier ne s’est pas encore matérialisé, cela est dû à l’essor des pétroles de schistes et bitumineux qui se substituent aux gisements conventionnels. Or, celui-ci se rapproche d’autant plus que les découvertes de nouveaux gisements se font de plus en plus rares et que l’investissement décroît dans ce secteur.
Une baisse engagée du pétrole traditionnel
Depuis les années 1960, le volume annuel des découvertes de pétrole conventionnel tend à décliner. Les coûts d’exploitation des nouveaux gisements augmentent fortement. Peu de territoires font désormais l’objet d’études pour déterminer la présence éventuelle de pétrole. L’Arctique et les océans en grande profondeur restent les deux grands territoires où des réserves de pétrole sont susceptibles d’être trouvées.
Le niveau global des réserves serait égal à celui des années 1960 mais avec une consommation trois fois plus importante et des découvertes qui le sont sept fois moins. L’état précis des réserves porte, en outre, à caution. Les États pétroliers rechignent à communiquer des données fiables. De nombreux experts estiment que le niveau des réserves serait surestimé. Pour Mathieu Auzanneau, un spécialiste français du pétrole, la moitié de la production de pétrole serait mature. Cela signifie qu’elle est issue de champ dont les réserves ont déjà été exploités à 50 %. À partir de ce seuil, la production est amenée à baisser et nécessite des investissements croissants. Les producteurs doivent recourir à des dispositifs de pompage et d’injection pour recueillir du pétrole. Ce phénomène d’épuisement devrait s’accélérer dans les prochaines années. Le champ de la mer du Nord est en déclin depuis le début des années 2000. Celui du Nigéria est également en recul depuis 2011, celui de l’Angola depuis 2008 et celui de l’Algérie depuis 2007. L’Afrique a atteint son pic pétrolier en 2008. La Russie devrait être confrontée au même problème d’ici quelques années et cela d’autant plus que le sous-investissement chronique limite la production de nombreux gisements. D’ici 2030, un tiers des gisements conventionnels aura, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), disparu en 2030.
Les pétroles alternatifs ne pourront pas faire illusion éternellement
L’épuisement des gisements traditionnels a été masqué par l’essor des pétroles dits alternatifs. Celui-ci n’est pas sans limite et ne pourra pas faire longtemps illusion. Dans les années 1980, de grands espoirs avaient été mis dans les biocarburants. Leur apport dans la production totale est désormais de 3 millions de barils jour sur un total de 100 millions de barils jour. Leur production stagne depuis quelques années en raison de leurs coûts et des nuisances qu’ils génèrent. Leur retour énergétique au regard de la quantité d’énergie requise pour les produire est faible car ils nécessitent de déboiser des surfaces importante et exigent des apports en eau importants.
Les pétroles lourds obtenus à partir des sables bitumineux ont suscité un intérêt important au début des années 2000 avec leur mise en exploitation au Canada. Les réserves sont comparables à celles des champs d’Arabie Saoudite. Leur production, consommatrice de capitaux, et nécessitant le déboisement de forêts boréales, progresse lentement. Elle avoisinait, en 2019, 7 millions de barils jour.
Le pétrole de schiste a été, ces dernières années, le seul à pouvoir compenser la chute du pétrole conventionnel. Sa part dans la production mondiale de pétrole est passée de 0 à 10 % de 2008 à 2019. Les États-Unis grâce à ce type de pétrole, sont redevenus le premier producteur mondial dépassant le pic d’extraction datant de 1970. En douze ans, ils ont multiplié par deux le volume de pétrole issu de gisements se trouvant sur leur territoire. Le pétrole de schiste passe par la fracturation de la roche dans laquelle il se situe en ayant recours à des injections d’eau et de sable sous pression. Les forages ne permettent de récupérer du pétrole que dans une portion réduite du sous-sol. Les producteurs doivent en permanence forer pour maintenir le niveau de leur production. 70 % des gisements ouverts en 2017 n’ont servi qu’à compenser la fermeture d’autres plus anciens. Aux Etats-Unis, la possession du sous-sol par les propriétaires rend relativement facile la mise en place de forage mais n’est pas sans limite du fait de l’hostilité d’une partie de la population. Si le pétrole de schiste a connu une forte croissance aux Etats-Unis, cela est dû à la puissance de l’industrie pétrolière américaine. Par ses capacités d’innovation et d’adaptation elle a réussi à déployer, en quelques années, plus de 20 000 installations de forages à travers le pays. Si au départ, le pétrole de schiste a été exploité par de nombreux producteurs indépendants, depuis 2017, après la survenue d’une forte chute du baril mettant en cause la rentabilité des gisements, les compagnies traditionnelles ont repris la main. Selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la production du pétrole de schiste pourrait plafonner dans les prochaines années autour de 15 millions de baril jour. Par conséquent, la production américaine pourrait plafonner à partir de 2025. La Chine, l’Inde, le Pakistan ou la Russie disposeraient de champs de pétrole de schiste qui pourraient être exploités permettant de maintenir jusqu’en 2030 la production autour de 20 millions de barils jour. Un tel volume serait insuffisant pour compenser la baisse du pétrole conventionnel et répondre à la demande.
Le retour des pénuries et des prix élevés
Tant pour la recherche de nouveaux gisements que pour l’exploitation, le secteur pétrolier est confronté à un sous-investissement. Celui-ci est la conséquence de l’instabilité du prix du baril depuis 2016 et de la réorientation des capitaux vers les énergies renouvelables. Selon l’AIE, « il est tout à fait possible que les pétroliers perdent leur appétit pour le pétrole plus rapidement que les consommateurs ». Total a ainsi annoncé se dégager progressivement du pétrole pour devenir un producteur d’énergies renouvelables. Si le pic de l’offre peut intervenir prochainement, celui de la demande n’est pas d’actualité. Les besoins des pays en développement et émergents sont en forte hausse. Compte tenu des processus de décarbonation, la demande pourrait se stabiliser, selon les experts entre 2030 et 2040. Cette situation pourrait provoquer, sur fond de hausses des prix, des problèmes d’approvisionnement. Les pays non-producteurs, mal dotés en énergies alternatives et pauvres seront les principales victimes de ce nouveau cycle du pétrole. Le Président de Total, Patrick Pouyanné, a annoncé récemment que d’ici la fin de la décennie 2020, l’économie mondiale pourrait être confrontée à un manque de pétrole. Le déficit pourrait s’élever autour de 10 millions de barils jour à compter de 2021 (évaluation réalisée par Helle Kristoffersen, directrice générale de la stratégie de Total).
La pénurie d’or noir ne sera pas obligatoirement une bonne nouvelle pour le climat. En cas de pétrole cher, de nombreux pays seront tentés d’opter pour une énergie issue d’une matière première abondante et à faible prix, le charbon. Faute de moyens, les pays émergents ou en voie de développement dont la demande en énergie progressera fortement d’ici 2050, seront les premiers concernés. Cette décroissance du pétrole, souhaitable sur le plan environnemental, doit s’accompagner d’un effort important en faveur des énergies non émettrices de CO2.
L’État, l’idée neuve de la crise sanitaire ?
Pour Milton Friedman, un État vertueux était un État frugal. Il doit, depuis le mois de mars 2020, se retourner dans sa tombe. Les administrations publiques ont dépensé 17 000 milliards de dollars rien que pour compenser les effets économiques de la pandémie sous formes de prêts, de subventions, d’aides et de prestations sociales, représentant 16 % du PIB mondial. Dans tous les États, les budgets sont orientés à la hausse et nul n’imagine une décrue importante dans les prochains mois voire dans les prochaines années. Les États-Unis sont sur le point de consacrer 1 800 milliards de dollars à l’expansion de l’État-providence et 1 200 milliards de dollars pour une remise à niveau des infrastructures. L’Union européenne a lancé, cet été, un plan de 750 milliards d’euros destiné notamment à accélérer la transition énergétique. Le gouvernement japonais promet un « nouveau capitalisme » qui prend la forme d’un interventionnisme accru de l’État. Dans les décennies à venir, l’empreinte économique des États s’étendra. L’objectif de zéro émission nette de CO2 se traduira par des efforts financiers publics importants. Dans de nombreux pays, le vieillissement de la population vieillissante exigera des dépenses beaucoup plus importantes, en particulier pour les soins de santé et les retraites. Jamais, les gouvernements, hors période de guerre, n’ont été confrontés à de tels problèmes structurels, le vieillissement et le réchauffement climatique, nécessitant une mobilisation forte et durable des deniers publics. Pour une partie des populations occidentales, les États forts, la Chine ou la Russie, ont été montrés en exemple dans la gestion de la crise même si à postériori les résultats peuvent être contestés avec une défiance élevée, dans ces pays, à l’encontre du vaccin anti-covid. Si l’appétence des opinions pour plus d’État est forte, elles sont également très versatiles et promptes à vilipender ce qu’elles ont adoré la veille. En France comme aux États-Unis, au printemps 2020, les autorités ont été accusées de ne pas prendre les mesures adéquates pour lutter contre la pandémie. Les polémiques sur les masques, les tests, les vaccins ont été des fils rouges de l’action publiques au sein de nombreux États. Que ce soit en France, au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux États-Unis, des plaintes ont été déposées contre des dirigeants publics et privés pour mauvaise gestion de la crise voire pour malversations à but d’enrichissement personnel.
La montée inexorable de l’État
Sur longue période, les administrations publiques étendent leur sphère d’action et d’influence. Si du Moyen-Âge jusqu’au XVIIIe siècle, les dépenses publiques ne dépassaient guère 2 % du PIB, depuis les guerres, les épidémies, le développement de l’économie ont conduit à leur hausse continue. Dans les années 1870, les gouvernements des pays riches dépensaient environ 10 % du PIB, ce taux a dépassé 20 % durant les années 1920. La diffusion du Choléra en 1832 en France a conduit à la mise en place de politiques de santé et d’hygiène publiques. Les crises économiques jouent également un effet de catalyseur. Celle de 1929 tout comme le choc pétrolier de 1973 ont entraîné un interventionnisme économique et social. Sur longue période, la tendance naturelle est à l’augmentation des dépenses publiques. Leur poids, mesuré en pourcentage de PIB, a ainsi constamment augmenté, dans l’ensemble de l’OCDE au cours des six décennies qui ont suivi la création du club en 1961.
La demande étatique augmente au nom de la lutte contre les inégalités qui sont jugées de plus en plus inacceptables. Les prestations sociales se doivent d’indemniser et de réparer les préjudices économiques et sociaux. Les citoyens exigent d’accéder à des services de qualité avec une égalité de traitement. Il y a une volonté de transformer des biens privés soumis au principe de rareté et payants en biens collectifs apparemment gratuits. La santé, l’éducation, l’environnement, le logement, etc. font l’objet d’une demande de socialisation élevée. Celle-ci est d’autant plus forte que la population est vieillissante. La demande de protection s’exprime également par la multiplication des normes. Aux États-Unis, le nombre de réglementations fédérales a plus que doublé depuis 1970. Le nombre total de mots figurant dans les lois allemandes est, en 2020, 60 % plus important qu’il ne l’était au milieu des années 1990. En France, en janvier 2019, il y avait 84 619 articles législatifs et 233 048 articles réglementaires en vigueur. Ces dix dernières années, ce sont le code de la consommation (+94 % de mots), celui du commerce (+81 %) et celui de l’environnement (+59 %). qui ont pris le plus de volume. En vingt ans, le nombre de mots contenus dans le Code du Travail est passé de 650 000 à 970 000.
La période qualifiable de libérale initiée par Ronald Reagan et Margareth Thatcher semble très loin. Les dépenses publiques sont bien plus élevées aujourd’hui qu’avant l’arrivée de ces deux dirigeants à la tête de leur pays. Si dans une majorité des pays, les États se sont désengagés de la production économique directe, ils ont, en revanche, investi le champ du social. En France, à partir de 1995, un processus d’étatisation des systèmes sociaux a été mené au point que des projets de suppression des régimes complémentaires de santé et de retraite sont à l’étude ou en discussion. Les privatisations ont, durant les années 1980/2000, réduit la sphère d’influence économique des États mais ces derniers n’ont pas abandonné tout interventionnisme en la matière en ayant recours aux normes ou aux impôts. La transition énergétique pourrait donner lieu à un interventionnisme accru des États dans la vie quotidienne des ménages et dans celle des entreprises. Plusieurs conceptions s’opposent en la matière comme dans celle du social. L’État doit-il intervenir directement en investissant, en imposant le changement ou doit-il permettre au marché d’organiser ce dernier ? Dans la lutte contre le réchauffement climatique, les pouvoirs publics ont le choix de passer par un prix pour le carbone ou par des dispositifs de bonus/malus, par des normes plus ou moins contraignantes ou par des investissements en direct. Des libéraux mais aussi des socialistes estiment que l’État devrait être plus neutre en responsabilisant les agents économiques notamment à travers la mise en place du revenu universel. La multiplication des aides, des prestations, des normes risque de paralyser l’ensemble des sociétés pour les partisans du revenu universel. Ils estiment par ailleurs qu’un tel dispositif aurait, en outre, le mérite de laisser le choix aux bénéficiaires de son usage.
Peu de pays ont réussi, ces dernières années, à réduire le poids des dépenses publiques. L’Allemagne fait partie de ce club très restreint. En 2019, le poids des dépenses publiques était le même qu’en 2006 avec à la clef une dette publique en retrait de près de 20 points sur la dernière décennie. L’Allemagne n’a pas obtenu que ses partenaires européens la suivent sur le terrain de la frugalité à l’exception des Pays-Bas et de quelques pays d’Europe du Nord. En Suède, les dépenses de l’État sont inférieures de six points de pourcentage au PIB par rapport à ce qu’elles étaient en 1990. Malgré des plans de réelle austérité, l’Espagne et l’Italie enregistrent des dépenses publiques nettement plus élevées en 2019 qu’en 2006. La France n’a sur la période pas réellement mené de politique de rigueur, les dépenses ayant augmenté de plus de 1 % par an, en valeur réelle, sur la période.
Durant des décennies, la question des rémunérations était de la compétence des partenaires sociaux. Dans certains pays, des syndicats s’opposaient au principe du salaire minimum fixé par l’État considérant que cette intrusion dans le champ de la négociation sociale nuirait à leur légitimité et aux intérêts des salariés. Dans les pays occidentaux, les pouvoirs publics sont devenus des acteurs majeurs dans la constitution des revenus. Distributeurs de prestations sociales, ils délivrent de plus en plus des compléments de revenus sous forme de crédits d’impôt ou de chèque. En France, les primes en faveur de l’emploi visent à majorer les salaires des personnes occupant des emplois à faible rémunération afin de les rendre plus attractifs. La crise sanitaire a conduit à une multiplication des aides directes. Le regain d’inflation donne lieu, toujours en France, au versement d’une prime dédiée pour toutes les personnes dont les revenus sont inférieurs à 2 000 euros. La socialisation des revenus est un phénomène qui s’accélère. Ainsi, pour les 10 % des ménages français les plus modestes, les prestations et aides publiques représentent plus de 50 % des revenus. Aux États-Unis, en 2018, 68 % des revenus des 20 % des ménages les plus modestes étaient d’origine publique, contre 32 % en 1979. Les dépenses totales de protection sociale au sein de l’OCDE, comprenant les prestations en espèces, la fourniture directe en nature de biens et services et les « allégements fiscaux à des fins sociales », sont passées de 15 % du PIB en 1980 à 20 % en 2019. En France, elles représentent plus du tiers du PIB.
Le retour de l’État, la santé et le digital
Le retour de l’État est facilité par l’essor des technologies de l’information et de la communication qui simplifient la centralisation et le traitement des données individuelles. Les capacités de délivrer des prestations et de collecter les impôts ont été démultipliées depuis le début du siècle. Lors de la crise de 1929 ou lors du choc de 1973, les gouvernements mettaient des mois à se rendre compte des problèmes économiques. Aujourd’hui, ils peuvent constater en temps quasi réel l’évolution de la situation économique et prendre des mesures à effet instantané. L’INSEE suit désormais l’activité à partir des paiements en carte bleue ou à travers les déplacements de la population recensés par Google.
Les gouvernements des États démocratiques répondent à la demande plus ou moins exprimée des électeurs ou réalisent des promesses susceptibles de leur apporter des voix. Au cours du XXe siècle, les deux guerres mondiales ont joué un rôle majeur dans l’augmentation des dépenses publiques. Elles constituaient une reconnaissance de la Nation aux efforts consentis et aux souffrances endurés durant les conflits. Les crises économiques ont des effets comparables. Le vieillissement des populations contribue également à un accroissement de de la demande en biens publics. Selon une étude de l’Université de Californie, au sein des pays de l’OCDE, l’effort consacré aux personnes âgées, pris individuellement, a augmenté plus vite depuis 1980 que celui consenti à chaque jeune scolarisé. L’augmentation du nombre de retraités et l’allongement de l’espérance de vie expliquent dans ces conditions la progression exponentielle des dépenses en faveur des plus de 60 ans. Ce phénomène ne pourra que s’amplifier dans les prochaines années. D’ici 2060, la part de la population âgée de plus de 65 ans doublera dans les pays riches. La part des personnes de plus de 80 ans sera multipliée par quatre ; or cette catégorie de population nécessite quatre fois plus de soins de santé par personne et par an que la moyenne. L’augmentation des maladies chroniques est susceptible d’affecter à la fois les soins de santé et les services sociaux. Elle devrait occasionner une croissance des dépenses de santé de plus de deux points de PIB d’ici le milieu du siècle.
Le pouvoir croissant de l’État, serait lié selon l’économiste William Baumol, aux écarts importants de productivité au sein des différents secteurs d’activité. La propension à l’égalité rend insupportable les écarts de rémunération et de traitement. La révolution numérique en cours ayant tendance à générer des écarts de productivité importants, l’État serait amené à les compenser. Des secteurs tels que la santé, l’éducation, et la distribution nécessitent d’être aidés en raison de leurs faibles gains de productivité. La forte demande en biens publics n’est pas sans générer des effets pervers. La Cour des Comptes française a ainsi repris les conclusions d’un récent rapport de Steven Teles, Samuel Hammond et Daniel Takash du Niskanen Centre, un groupe de réflexion à Washington, démontrant le caractère contreproductif des subventions octroyées au profit de secteurs dont l’offre est limitée par des réglementations, comme le logement ou l’éducation. Les acteurs intervenant dans ces domaines seraient du fait du soutien public dont ils bénéficient, dissuadés de réaliser des gains de productivité et auraient tendance à augmenter leurs prix. Cette augmentation conduit à de nouvelles demandes de subventions. Ainsi, toute augmentation du prêt aidé aux profit des étudiants américains se répercuterait, selon une étude de la Federal Reserve Bank de New York, sur les frais de scolarité à hauteur de 60 %.
La transition énergétique, un saut vers plus de dépenses publiques
La transition énergétique devrait être à l’origine d’une progression des dépenses publiques. Afin d’orienter les investissements vers les énergies renouvelables et afin de compenser la hausse des prix de l’énergie sur les consommateurs, les États seront conduit à multiplier interventions directes, aides et prestations. L’Office for Budget Responsibility, l’organisme de surveillance budgétaire britannique, estime que les dépenses nécessaires pour atteindre le zéro net d’ici 2050 conduiront à une augmentation de la dette publique de 21 points de PIB.
Dans tous les pays, la quasi-totalité des partis politiques, toutes sensibilités confondues, demandent un renforcement de l’État. Le parti conservateur britannique est de moins en moins libéral. En Suède, le gouvernement a décidé d’augmenter les dépenses sociales après plusieurs décennies de rigueur. En France, aucun candidat à l’élection présidentielle ne souhaite une réduction des prestations sociales, seul la suppression de postes de fonctionnaires étant avancée par certains. Peu d’économistes ou d’essayiste , à l’exception de Gaspard Koenig ou Agnès Verdier-Molinier, appellent, ces derniers temps, à un recul de l’Etat et à une diminution des dépenses publiques.
De l’art de la contradiction à la violence en politique
Les campagnes présidentielles donnent lieu, en France, depuis une trentaine d’années, à des concours d’éloquence sur le déclin économique et social de la France. La litanie des maux occupe les premières places dans les articles de presse. La fermeture des usines, les pertes d’emploi, la destruction du paysage et de la langue, la baisse du niveau des élèves sont autant de sujets qui sont au cœur des débats publics. La France ne serait plus qu’une somme d’archipels ; son peuple serait à ce point divisé que la guerre civile serait imminente. Le sentiment du déclin est partagé par 75 % des Français selon un récent sondage. Au sein de l’Union européenne, les Français sont les plus critiques vis-à-vis de la gestion par le Gouvernement de la crise sanitaire. L’année dernière, alors que le covid se répandait pour la première fois, un sondage suggérait que seulement 39 % des Français pensaient que leur gouvernement gérait bien la crise, contre 74 % en Allemagne et 69 % en Grande-Bretagne Dans une autre enquête, les Français ont déclaré que les trois mots qui les représentent le mieux sont « incertitude », « inquiétude » et « fatigue ». Cet état d’esprit n’est pas sans fondement. La France n’arrive plus qu’au 23e rang pour le PIB par habitant tout comme pour le niveau des élèves selon le classement établi par l’OCDE. Son poids dans les échanges extérieurs a été divisé par deux en quarante ans. Le taux de chômage y demeure plus élevé qu’en Allemagne, de manière structurelle depuis près de vingt ans, et le budget de l’État est déficitaire depuis 1973.
Les paradoxes de la crise morale française
La dépression française est récurrente depuis le début du siècle. Les crises semblent se succéder à un rythme de plus en plus rapide : crise des banlieues, crise des gilets jaunes, crise des retraites, crise migratoire, crise financière, crise sanitaire, crise environnementale. Ce malaise profond n’est pas sans paradoxe. Sur le terrain de l’épidémie, la France compte désormais une plus grande proportion de personnes entièrement vaccinées que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. La vie depuis le mois de juin a presque repris son cours habituel. L’économie enregistre un puissant rebond permettant d’effacer la récession de l’année dernière. La croissance du troisième trimestre, de 3 % par rapport au précédent, a été supérieure à celle de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne. Le taux de chômage en France est, en 2021, inférieur à son niveau de 2019. Les créations d’emplois sont importantes dans tous les secteurs. Les entreprises se plaignent de plus en plus d’être confrontées à des pénurie de main d’œuvre. Dans le cadre de la stratégie gouvernementale « Made in France », de nouvelles usines – fabriquant des batteries dans le nord de la France et des panneaux isolants dans le sud-ouest sont en cours de construction. Un plan en faveur de l’hydrogène a été lancé. Ce contexte économique porteur a permis à l’indice CAC40 de battre enfin son record qui datait du 4 septembre 2000. Cette sortie de crise par le haut est la conséquence des politiques de soutien aux entreprises et aux ménages que le gouvernement a mis en œuvre dès le mois de mars 2020.
Défiance collective, bonheur individuel
Malgré cette défiance générale à l’encontre des pouvoirs publics, 78 % des Français, selon une enquête Elabe, réalisée à l’automne 2021, se déclarent heureux et 57 % à envisagent leur avenir personnel avec optimisme, soit respectivement cinq et dix points de plus par rapport à l’année 2018. Individuellement tout va bien quand sur le plan collectif, la dépression est de rigueur. Un tel décalage entre sphère privée et sphère publique ne se rencontre pas au sein des autres États développés. Plusieurs facteurs sociologiques et historiques l’expliquent. Les Français sont traditionnellement rétifs à l’économie de marché. Les bénéfices, la rémunération des dirigeants, les établissements financiers sont des sujets d’éternels polémiques. Les Français sont traditionnellement critiques à l’encontre de l’État central tout en demandant qu’il intervienne plus afin de corriger les inégalités. Le nationalisme des Français prend souvent la forme d’une autoflagellation et d’une déresponsabilisation. L’État est le bouc-émissaire numéro un. Il est le porteur de toutes les frustrations. Les difficultés rencontrées par les entreprises d’automobiles pour obtenir des microprocesseurs ou l’arrivée de migrants ne sont pas analysées comme la conséquence de blocages des chaînes d’approvisionnement mondiale ou comme la résultante de pressions migratoires internationales ; elles ne sont perçues que sous l’angle d’une incapacité de l’État à régler les problèmes du quotidien. Toute défaite que ce soit en football ou en économie est un désastre national. L’affaire des sous-marins avec l’Australie en est la meilleure preuve. Le chauvinisme fait perdre toute lucidité à l’opinion. Que les entreprises françaises ne fussent pas capables d’honorer le carnet de commande et qu’elles ne puissent pas offrir des moteurs mus par l’énergie nucléaire, avaient peu d’importance face à l’affront provoqué par la volte-face de l’Australie qui a préféré se remettre de son allié traditionnel, les États-Unis.
Un rapport complexe au pouvoir
Selon l’économiste de l’École d’Économie de Paris, Claudia Senik, « les Français ont un rapport ambivalent au bonheur ». Si individuellement, ils se déclarent heureux, ils sont collectivement malheureux. Le morne, le sombre, le pessimisme a toujours été tendance dans l’hexagone. La politique est un art avec comme points cardinaux l’opposition, la contradiction, l’agitation et l’indignation. Toute campagne électorale s’accompagne d’une montée aux extrêmes des promesses qui évidemment sont rarement réalisables : du doublement des salaires des enseignants, à la baisse du chômage en passant par la suppression de centaine de milliers de postes de fonctionnaires et par la baisse des prélèvements. Le jeu politique s’apparente plus à une guerre. La population condamne cette dérive tout en s’en délectant parfois. Les Français attendent beaucoup de l’État tout en sachant par avance qu’ils seront déçus. De nature suspicieuse, ils estiment que même s’ils tirent avantages des prestations et des aides, celles-ci sont un dû et qu’elles se devaient être plus élevées.
De la violence en politique
La violence de la politique s’exprime notamment à travers une multitude de révolution, ou de révoltes et également à travers une instabilité politique. La France est un pays de révoltes, révoltes de nature essentiellement fiscales et dirigées contre le pouvoir central. La première grande révolte fiscale, intervient, dans notre pays en 1358, durant la Guerre de Cent ans. Elle prend le nom de « Grande Jacquerie ». La Fronde entre 1648 et 1653 est tout à la fois une crise économique et politique. Elle est provoquée par l’augmentation des impôts, elle-même conséquence du quintuplement des dépenses publiques. À la fin des années 1780, avec la réapparition de la disette du fait de mauvaises récoltes, les révoltes se multiplient dans les campagnes. La crise financière due à la participation de la France à la guerre d’indépendance des États-Unis, oblige l’État à envisager une nouvelle levée d’impôt. Dans l’incapacité de restaurer l’équilibre budgétaire, de 1774 à 1790, dix ministres des finances se succèdent. Le 7 juin 1788, c’est la journée des Tuiles à Grenoble. La révolte gagne les parlements de province. Acculé à la banqueroute, Louis XVI convoque, pour 1789, les États Généraux qui n’ont pas été réunis depuis 1614, pour voter les impôts. La Révolution est enclenchée. La révolution de 1848, la Commune de 1871, le Boulangisme, les ligues entre les deux guerres, les révoltes agricoles, le Poujadisme ou les gilets Jaunes, la liste des contestations mettant en cause directement le pouvoir central est longue. L’essayiste du début d XIXe siècle, Prévost-Paradol écrivait à juste titre « La Révolution française a fondé une société mais elle cherche encore son gouvernement ». En France, la légitimité du gouvernement est toujours en suspens. Il en résulte une profonde instabilité d’où les changements fréquents d’institutions. Si depuis plus de 60 ans, la Constitution de la Ve République est en vigueur, elle a été, à plusieurs reprises, fortement amendée. La violence du jeu politique entraîne une rotation du personnel politique. En période de crise, ce phénomène s’accélère. La durée de vie d’un Gouvernement était de neuf mois sous la IIIe République et de six mois sous la IVe. Depuis 1958, une stabilité relative s’est installée, relative car les changements de ministres, entre deux élections, demeurent fréquents. La France a ainsi, depuis 2017, connu trois Ministres de l’Intérieur. L’instabilité française tranche avec la pérennité du pouvoir en Allemagne. Depuis 1949, ce pays a connu huit Chanceliers quand en France dix Présidents de la République et plus de soixante gouvernements se sont succédé. Depuis 1974, hors période de cohabitation, aucun Président de la République n’a été réélu en France quand quatre le furent aux États-Unis. En Allemagne, Helmut Kohl et Angela Merkel ont exercé leur pouvoir durant plus de 16 ans. Nul n’imagine, en France, un contrat de coalition, comme en Allemagne liant de manière très précise les responsables politiques pour une mandature entière. La violence en politique est plurielle. Elle existe entre les citoyens et les élus, entre les élus des différents bords mais aussi voire surtout au sein d’un même camp ou parti politique. Les caractéristiques du jeu politique français tendent à se diffuser au-delà des frontières. La radicalisation des débats aux États-Unis depuis une vingtaine d’années a fait voler en éclat le système relativement consensuel qui avait cours depuis une centaine d’années. Il en est de même au Royaume-Uni où le jeu s’est durci avec le Brexit. L’Italie semble avoir trouvé une solution à son instabilité et sa violence politique latine en recourant à des Premiers Ministres techniques rassemblant des coalitions hétéroclites.
La recherche du bonheur collectif est un exercice périlleux car elle se façonne autour de sentiments, de sensations très personnelles. Elle est empreinte d’une forte nostalgie qui résulte bien souvent d’une reconstitution subjective de l’histoire. La glorification de la période gaullienne qui est de mise depuis une trentaine d’années oublie que le fondateur de la Ve République a été contesté violemment. De l’exercice de son pouvoir jugé solitaire au référendum de 1969 en passant par l’indépendance de l’Algérie et mai 1968, les Français de l’époque étaient divisés. Sous Valéry Giscard d’Estaing comme sous François Mitterrand, une partie de la population criait haut et fort au déclin du pays et au manque de grandeur de sa politique étrangère. Les blessures du pays sont anciennes. À la différence des États-Unis, elles ont du mal à se refermer. La décapitation de Louis XVI, Waterloo, la défaite de Sedan en 1870, la débâcle de juin 1940, Dien Bien Phu en 1954, le départ des pieds noirs en 1962 d’Algérie résonnent toujours dans la tête des Français. Les Français semblent être incapables de faire la paix avec eux-mêmes.