Le Coin des tendances : Etats-Unis – Chine
Tempêtes boursières en Chine
La Chine est tout à la fois un régime communiste et capitaliste. Cette cohabitation n’est pas sans poser problèmes surtout quand la bourse est confrontée à une chute des cours. Yi Huiman, le directeur de la China Securities Regulatory Commission (CSRC), l’autorité de régulation et de contrôle des marchés financiers chinois, a été soudainement licencié et remplacé après la contraction de 1 000 milliards de dollars de la capitalisation des bourses de Chine et de Hong Kong. Ses prédécesseurs avaient connu le même sort. Liu Shiyu a été limogé en 2019 en faisant l’objet d’une enquête pour corruption. Xiao Gang a été jugé responsable du krach boursier de 2015.
La baisse de 20 % de l’indice de Shanghai composite en trois ans témoigne des difficultés que rencontre la deuxième économie mondiale. La politique du zéro covid, la crise immobilière et les tensions commerciales avec l’Occident ont miné le moral des investisseurs. En 2015, lors du précédent krach, les banquiers conseillaient à leurs clients de vendre leurs titres pour acheter des logements. En 2023, cette échappatoire n’existe plus.
Les Chinois semblent être entrés dans un tunnel sans fin depuis le début de l’épidémie de covid. La reprise économique attendue avec la fin des confinements s’est essoufflée au cours du premier semestre 2023, cédant la place à une déflation. Celle-ci a contraint la banque centrale chinoise à abaisser ses taux. La chute de la bourse n’est pas sans conséquences sur l’activité économique. Plus de 200 millions de Chinois possèdent des actions. Leur moral étant en forte baisse, ils restreignent leurs dépenses de consommation et cela d’autant plus que les prix de l’immobilier sont également en baisse.
Le ralentissement de la croissance, le contrôle de plus en plus marquée du parti communiste sur les entreprises, ainsi que le soutien implicite des autorités à Vladimir Poutine conduisent les investisseurs internationaux à se détourner de la Chine. Le solde net des capitaux est ainsi devenu négatif, le montant des ventes excédant désormais les achats. Dans les années 2000, le solde était positif à hauteur de 200 milliards de dollars. La majorité des investisseurs étrangers ont peu d’espoir d’une reprise prochaine de l’économie chinoise. Plusieurs années seraient nécessaires pour assainir le marché immobilier.
Le régulateur du marché « actions chinois » a publié, à la fin du mois de janvier, une série de déclarations pour stabiliser les cours. Il a mentionné son intention d’empêcher les mouvements anormaux des échanges et de réprimer les ventes à découvert malveillantes. Central Huijin, la branche nationale du fonds souverain chinois, a prévu d’effectuer des achats d’actions pour endiguer le mouvement de baisse. Les autorités seraient prêtes à acheter jusqu’à 280 milliards de dollars d’actions soit environ 3 % de la capitalisation boursière chinoise. Cette option reprendrait la politique qui avait été mise en œuvre en 2015. À l’époque 6 % de la capitalisation boursière totale avaient été rachetés directement ou indirectement par les pouvoirs publics.
Jusqu’à maintenant, les mesures annoncées n’ont pas rassuré les investisseurs étrangers qui estiment que le pouvoir central souhaite les contrôler encore plus fortement qu’auparavant. Ils utilisent fréquemment des outils de couverture, comme la vente à découvert. La montée de la répression les a donc amenés à se retirer des marchés chinois par crainte de ne plus couvrir leurs positions. Certains se retirent également, craignant que leurs collaborateurs ne soient arrêtés et accusés de délits financiers. Face au scepticisme des investisseurs, le gouvernement pourrait décider un plan de sauvetage plus important après les vacances du Nouvel An chinois. Xi Jinping envisagerait de revoir de fond en comble le marché financier chinois qui reste un outil dans les mains du pouvoir. Ces dernières années, le gouvernement a incité les entreprises à se faire coter afin de pouvoir attirer des capitaux étrangers. L’objectif était de rivaliser les entreprises américaines dans le secteur de la haute technologie. L’afflux de capitaux a généré une instabilité des cours d’autant plus que l’usage des fonds collectés est discutable. Le retour sur investissement s’est avéré bien plus faible que prévu. Les entreprises chinoises ont été pénalisées par les problèmes d’accès aux microprocesseurs et aux logiciels d’origine américaine.
Pour provoquer un redémarrage du marché financier, le gouvernement chinois souhaite que les entreprises publiques soient mieux valorisées. Les investisseurs considèrent les sociétés d’État comme moins bien gérés, sentiment que ne partagent pas les autorités chinoises. Ces dernières ont donc proposé de créer un « système de valorisation à la chinoise » afin d’augmenter le cours de leurs actions. Les investisseurs seraient invités à prendre en compte les rôles sociaux plus larges, comme la réduction du chômage en période de récession, que les entreprises d’État sont censées jouer. Les régulateurs souhaitent par ailleurs que les entreprises versent des dividendes réguliers et procèdent à des rachats d’actions qui récompensent les actionnaires comme cela se pratique régulièrement en Occident. Si les réformes réussissent, elles augmenteront non seulement le cours des actions, mais elles augmenteront également le patrimoine de l’État grâce à ses participations dans ces entreprises. Le succès de ces réformes suppose que les investisseurs acceptent la position dominante de l’État sur le marché, que ce soit pour diriger les flux de capitaux ou pour rendre les entreprises chinoises plus attractives. Si les investisseurs chinois n’ont pas le choix, les étrangers opteront sans nul doute pour la prudence.
L’économie américaine : entre menaces et résilience
Depuis le mois de février 2023, l’indice S&P 500 américain a gagné plus de 20 %, l’indice Nasdaq, plus de 34 %. En 2023, la croissance du PIB a atteint 2,6 %. Au mois de janvier, l’économie a créé 353 000 emplois. L’inflation sous-jacente se rapproche de l’objectif des 2 % permettant d’espérer une première diminution dans les prochains des taux directeurs qui évoluent actuelle dans la fourchette de 5,25 à 5,5 %. Ces bons résultats ne sauraient masquer les menaces qui planent sur l’économie américaine.
L’affaire de l’inflation n’est pas totalement réglée. La forte croissance et le rythme élevé de créations d’emploi font craindre un possible rebond de la hausse des prix. Le 31 janvier dernier, Jerome Powell, le Président de la Fed, a indiqué qu’une baisse rapide des taux directeurs n’était pas à l’ordre du jour. Avec l’arrivée à maturité des dettes contractées durant la période de faible taux d’intérêt, le coût de l’endettement des agents économiques risque de progresser. La dette des entreprises non financières aux Etats-Unis dépasse 21 000 milliards de dollars. Les profits des entreprises commencent à stagner. Les objectifs de résultats des entreprises pour 2024, publiés en ce début d’année, sont plus modestes qu’attendus.
Les Américains, depuis deux ans, soutiennent la croissance en puisant dans leur épargne afin de maintenir leur consommation. Or, la cagnotte constituée durant l’épidémie de covid a été, en grande partie, utilisée. Le taux d’épargne est désormais inférieur à son niveau de 2019. Depuis quelques mois le taux de défaut de paiement sur les cartes de crédit augmente. Les remboursements des prêts étudiants qui ont repris en octobre dernier, après que la Cour suprême a annulé un moratoire imposé pendant la pandémie, pèsent également sur le pouvoir d’achat des étudiants et de leur famille. Les commerces comme la grande distribution commencent à ressentir une baisse de la croissance de la consommation. Wayfair, un magasin en ligne de meubles, a annoncé le licenciement de 13 % de son personnel. La société de la marque emblématique Levi Strauss a déclaré qu’elle prévoyait une croissance de son chiffre d’affaires comprise entre 1 et 3 %, un niveau bien en-deçà de ses prévisions initiales ce qui pourrait le contraindre à supprimer de 10 à 15 % des emplois. Whirlpool s’attend en 2024 à une stagnation de son chiffre d’affaires. General Motors évalue une augmentation de ses ventes limitée à 3 % en 2025, contre +12 % en 2023. Pour soutenir les ventes, le constructeur sera contraint de baisser ses tarifs sachant qu’il subira une hausse de ses coûts en lien avec la mise en œuvre de l’accord salarial imposé par les syndicats à la fin de l’année dernière. Les constructeurs électriques n’échappent pas au ralentissement de la consommation. Tesla a prévenu que sa croissance « pourrait être nettement plus faible » cette année. Ses actions ont perdu 12 % de leur valeur amenant une perte de capitalisation de 80 milliards de dollars.
Les sociétés spécialistes dans les produits de consommation de base ont réussi, ces dernières années, à répercuter la hausse de leurs coûts de production dans le prix des produits finaux ce qui a permis de maintenir le niveau des bénéfices. Cette stratégie est de moins en moins applicable, la demande était orientée à la baisse. Colgate-Palmolive a déclaré qu’il prévoyait une croissance de ses ventes comprise entre 1 et 4 % cette année, contre 8 % l’année dernière.
Le ralentissement des exportations vers la Chine n’est pas sans poser quelques problèmes à l’économie américaine. La baisse des achats des Chinois a été durement ressentie pas Nike ou Apple dont les ventes ont diminué de 13 % au cours du dernier trimestre 2023. Starbucks fortement implanté en Chine est également affecté par la baisse du moral des consommateurs chinois. Le parfumeur américain Estée Lauder a annoncé qu’il supprimerait 3 000 emplois, en partie à cause de la faiblesse de la demande chinoise. La multiplication des sanctions commerciales et la montée du nationalisme économique ne sont pas sans conséquences sur les exportations de produits d’origine occidentale.
L’économie américaine a été portée en 2023 également par l’investissement en lien avec les mesures de soutien décidées par le pouvoir fédéral. Au cours du premier semestre de l’année dernière, la construction mensuelle d’usines aux États-Unis a progressé de 17 %, en tenant compte de l’inflation. Au second semestre, cette croissance a ralenti à 8 %. Plusieurs entreprises revoient à la baisse leur projets d’investissement. TSMC, le premier constructeur taïwanais de microprocesseurs, a annoncé au mois de janvier qu’il retarderait d’un ou deux ans l’ouverture d’une deuxième usine en Arizona. Intel, un fabricant américain de microprocesseurs a également annoncé le report de l’ouverture de son usine dans l’Ohio. Ces retards sont imputables à des perspectives de ventes moins dynamiques que prévu et à des retards dans le versement des aides publiques. Sur les 52 milliards de dollars prévus dans la loi sur les puces pour soutenir leur fabrication nationale, seule une petite fraction a été allouée. Les constructeurs automobiles américains reportent également leurs investissements en raison d’une demande en voiture en faible croissance.
Un secteur échappe pour le moment au marasme, l’intelligence artificielle (IA). Amazon, Alphabet et Microsoft ont annoncé une croissance du chiffre d’affaires de leurs divisions cloud de 13 %, 26 % et 30 % au cours du dernier trimestre. Les projets d’investissement demeurent élevés et en hausse par rapport à 2023. Meta (le groupe de Facebook) dont les bénéfices ont atteint 39 milliards de dollars en 2023 a décidé de consacrer 37 milliards de dollars en 2024 à l’intelligence artificielle. Cet effort n’empêchera pas Meta d’effectuer des rachats d’actions pour soutenir le cours et de verser des dividendes. Ces annonces ont amené la capitalisation de cette société au courant du mois de février à plus de 1 200 milliards de dollars. Cependant, le retour sur investissement en matière d’intelligence artificielle demeure toujours un sujet de discussion. Selon le Boston Consulting Group, 71 % des entreprises américaines ayant investi dans l’intelligence artificielle poursuivent avant tout des expérimentations et s’engagent sur des projets à petite échelle. 24 % utilisent réellement dans leur process de production ou de vente l’intelligence artificielle et 5 % ont abandonné leurs projets en la matière.
Les commentateurs économiques pronostiquent la chute de l’Empire américain tous les ans depuis vingt ans sans que celle-ci n’intervienne. Les États-Unis ont réussi, contre vent et marée, à maintenir leurs positions au niveau international. Ils attirent les meilleurs chercheurs du monde entier tout comme les capitaux. Le dollar reste la monnaie internationale de référence. Les menaces de dédollarisation restent virtuelles. Le vieillissement de la population y est plus faible que dans le reste de l’OCDE. Si, le pays est de plus en plus divisé, cette caractéristique n’est pas spécifique aux États-Unis. La dette publique y est élevée mais elle est inférieure à celle du Japon et de nombreux pays européens. L’économie américaine évolue sans nul doute sur un équilibre instable mais pour le moment elle fait preuve d’une insolente résilience. En économie comme dans le reste, la chance compte surtout quand elle se repose sur quelques atouts.