Le Coin des Tendances – Etats-Unis – Chine – découplage
Résilience de l’économie américaine post-covid
En 2020, l’économie américaine comme celle de la quasi-totalité des États est entrée dans une profonde récession. Dès 2021, le rebond a été exceptionnel en lien avec l’adoption de plans de relance sans précédent en période de paix. La hausse des prix provoquée par la désorganisation des chaines de valeurs durant l’épidémie de covid, la forte demande des ménages et des entreprises dès la fin des confinements et par la guerre en Ukraine a contraint les banques centrales, et en premier lieu la FED, à abandonner leur politique monétaire ultra-accommodante. La fin des rachats d’obligations et les nombreux relèvements successifs de taux directeurs ont laissé craindre la survenue d’une récession aux États-Unis. Les indices boursiers ont fortement baissé à la fin de l’année 2022 et les prévisions concernant les bénéfices des entreprises étaient sombres. Quelques mois plus tard, l’inflation tend à se résoudre. La hausse des taux a eu, pour le moment, peu d’incidences sur l’emploi. Si l’économie américaine a flirté avec la récession, elle n’y est pas réellement entrée. Le temps est de plus en plus à l’optimisme sur fond, grâce à l’intelligence artificielle, de nouvelle révolution technologique. Les espoirs d’amélioration des gains de productivité mis à mal depuis l’épidémie portent les cours des actions. Depuis le début de l’année, l’indice S&P 500 des grandes entreprises a augmenté de près d’un cinquième.
Aux États-Unis, tous les secteurs économiques ne sont pas à la même enseigne. Le secteur de l’automobile souffre en raison de la profonde mutation à laquelle il est confrontée. Le passage du moteur thermique au moteur électrique nécessite des investissements coûteux et provoque des changements dans la chaîne de valeur, le fabriquant de batteries bénéficiant de marges importantes en lieu et place des constructeurs. L’arrivée de concurrents chinois entraîne une bataille des prix qui pèse sur les résultats des entreprises. Les entreprises du secteur de la santé, après avoir enregistré des résultats sans précédent lors de l’épidémie de covid, sont confrontés à un retour à la normale et doivent accepter une baisse de leurs résultats. Aux États-Unis, leurs bénéfices sont en baisse et des suppressions d’emplois sont annoncées. Les entreprises énergétiques après une année exceptionnelle en 2022, connaissent un reflux de leur chiffre d’affaires avec la baisse des cours de l’énergie. Des entreprises spécialisées dans les biens intermédiaires et les matériaux sont touchées par le ralentissement de l’économie chinoise.
Au-delà de ces quelques secteurs, la situation demeure malgré tout porteuse. L’Inflation Reduction Act en facilitant les investissements réalisés en lien avec la transition énergétique porte l’activité. Les fabricants de biens d’équipement comme Caterpillar ou Raytheon ont augmenté leurs revenus de plus de 8 % au deuxième trimestre de cette année et leurs bénéfices de 16 %. Si les producteurs de pétrole et les raffineurs sont pénalisés par la baisse du cours du pétrole, les exportateurs de gaz liquéfié continuent grâce à la demande européenne, à augmenter leur chiffre d’affaires. Leurs bénéfices sont au plus haut. A la différence de la zone euro, les consommateurs américains n’ont pas diminué leur consommation avec l’inflation. Ils ont préféré puiser dans leur épargne. La demande en biens alimentaires en forte baisse en France augmente aux États-Unis au point que les bénéfices des entreprises de ce secteur sont, au premier semestre 2023, en progression de plus de 5 %. Starbucks a même annoncé un bénéfice d’exploitation pour le deuxième trimestre de 1,6 milliard de dollars, en hausse de 22 %. Kraft Heinz a, de son côté, déclaré avoir réalisé un bénéfice d’exploitation de 1,4 milliard de dollars, soit deux fois et demie ce qu’il avait fait il y a un an. Les entreprises de l’agro-alimentaire ont réussi à relever leurs prix de vente et ont ainsi maintenu leurs marges. Les confiseurs aux États-Unis ont, par exemple, augmenté de 11% le prix de leurs chocolats sur un an afin de compenser la hausse du coût du cacao. PepsiCo a relevé le prix de ses boissons non alcoolisées de 15 % au cours du seul deuxième trimestre 2023. Son bénéfice d’exploitation a progressé de près de 75 % à 3,7 milliards de dollars. Ses prévisions de vente sont excellentes. Elles devraient progresser de 10 % en 2023 et son bénéfice net est attendu en hausse de 12 %, contre une prévision antérieure de respectivement 8 % et 9 %. Depuis 2022, les Américains ont renoué avec les joies du tourisme. Ils se rendent fréquemment en Europe, dans les Caraïbes ou en Amérique latine. Le transport aérien a ainsi retrouvé son niveau d’avant crise sanitaire. American Airlines, Delta Air Lines et United Airlines ont déclaré, à eux trois, des bénéfices nets de 4,2 milliards de dollars au deuxième trimestre 2023, soit le niveau le plus élevé constaté depuis 2015. Les hôtels enregistrent des taux de remplissage sans précédent. La chaîne Hilton a annoncé que son revenu par chambre disponible avait augmenté de 12 %, d’une année sur l’autre.
Cette frénésie de consommation aux États-Unis est rendue possible par la cagnotte constituée durant la crise sanitaire et par les mesures de soutien du gouvernement fédéral. Au rythme des dépenses, les ménages auront réduit à néant leur cagnotte d’ici la fin de l’année. Les augmentations de salaire qui ont également favorisé la demande ont tendance à diminuer. La reprise des remboursements des prêts étudiants en octobre, après que la Cour suprême a annulé le projet de Joe Biden d’en annuler une partie, pourrait entraîner une baisse des dépenses de consommation pouvant atteindre 9 milliards de dollars par mois, selon le cabinet « Oxford Economics ». La hausse des taux pourrait conduire des entreprises à reporter leurs investissements. Face à l’augmentation de la charge des intérêts, une augmentation du nombre des faillites est attendue. Ces dernières sont au plus haut depuis treize ans.
Au-delà de quelques signaux pessimistes, la tendance de fond demeure à l’optimisme. D’année en année, l’économie américaine prouve sa résilience. L’intelligence artificielle et la transition énergétique portent la croissance. Par ailleurs, les ménages continuent à migrer au profit de la Floride, du Nevada, de l’Utah ou de l’Oregon accélérant la mutation de l’économie qui dispose ainsi de nouveaux foyers de croissance.
Chine/Occident, le découplage commercial est-il un mirage ?
Le commerce international est en pleine mutation. Sur fond de tensions persistantes, au cours du premier semestre 2023, les Etats-Unis ont échangé davantage avec le Mexique et le Canada qu’avec la Chine pour la première fois en près de deux décennies. Ce changement est la conséquence des mesures prises depuis le mandat de Donald Trump. Joe Biden a poursuivi la politique de son prédécesseur. Il a ainsi le 9 août dernier, publié un décret visant à durcir les modalités d’investissements directs en Chine. Ceux concernant, par exemple, l’informatique quantique sont interdits tout comme les projets d’intelligence artificielle et ceux permettant la fabrication de microprocesseurs de haute technologie. Les États-Unis souhaitent ralentir la marche en avant de la Chine, éviter tout dépendance à l’encontre de ce pays et préparer le cas échéant un conflit concernant Taïwan avec ce dernier. Si l’objectif est clair, la traduction en acte l’est moins. Les liens économiques et financiers entre les deux pays sont nombreux et complexes. Si le commerce avec la Chine recule, celui des alliés des États-Unis avec cette dernière augmente. Au deuxième trimestre 2023, 51 % des importations américaines en provenance des pays asiatiques étaient chinoises, contre 66 % avant l’élection de Donald Trump en 2016. Durant cette période, les entreprises américaines ont acheté plus de produits aux autres pays asiatiques qui ont fait appel à des biens intermédiaires d’origine chinoise en plus grande quantité. La structuration de la chaine de valeur a évolué mais le poids des intrants chinois est resté à peu près le même. Selon une étude de l’Université de Californie à San Diego, les pays les plus intégrés à l’économie chinoise comme le Vietnam, Taïwan ou le Cambodge sont les grands gagnants de cette réorganisation du commerce international. Parfois, les exportations vers les pays de l’OCDE ne sont rien de plus que des produits chinois qui ont été simplement reconditionnés pour éviter les droits de douane et les sanctions. Le plus souvent, les intrants sont des pièces mécaniques ou électriques de base pouvant être fabriqués ailleurs qu’en Chine mais qui sont moins chères et plus abondantes dans ce pays. Le découplage ne serait qu’apparent. Les données douanières prouvent que le volume final des échanges au profit des Occidentaux en provenance de Chine continuerait à augmenter. Au cours des six premiers mois de l’année 2023, les ventes chinoises de batteries, de biens électroniques ou électriques en Indonésie, en Malaisie, en Thaïlande, aux Philippines et au Vietnam ont atteint 49 milliards de dollars, en hausse de 80 % par rapport à 2018. La quasi-totalité de ces échanges donnent lieu à une réexportation. L’autre preuve de cette adaptation des entreprises chinoises aux sanctions américaines est la progression des investissements directs étrangers dans les pays d’Asie du Sud-Est. En la matière, la Chine a dépassé les États-Unis. Apple, la première capitalisation boursière mondiale, a décidé de limiter au maximum sa production en Chine en délocalisant dans plusieurs autres pays d’Asie du Sud Est de ses usines. Une grande partie de la production repose néanmoins sur des entreprises chinoises. Sur les 25 producteurs au Vietnam sur sa liste officielle de fournisseurs d’Apple, neuf sont originaires de Chine continentale. Toujours pour échapper aux mesures protectionnistes, les entreprises chinoises s’implantent dans des pays bénéficiant d’accords commerciaux avec les Européens ou les Américains. Au Mexique membre de l’accord de libre-échange Alena qui comprend les États-Unis et le Canada, 40 % des investissements directs étrangers dans le secteur de l’automobile sont d’origine chinoise. En 2022, les entreprises chinoises ont exporté pour 300 millions de dollars par mois de pièces dans ce pays, soit plus du double du montant enregistré en 2017. En Europe centrale et orientale, en 2018, la Chine ne fournissait que 3 % des pièces automobiles importées en République tchèque, en Hongrie, en Pologne, en Slovaquie, en Slovénie ou en Roumanie. En 2022, ce taux dépasse 10 %. Cette montée en puissance s’explique par la progression de la production des véhicules électriques qui intègrent un grand nombre de pièces chinoises.
Les États-Unis sont de plus en plus critiqués par leurs alliés en ce qui concerne leur politique vis-à-vis de la Chine. Les pays européens et les pays asiatiques n’entendent pas perdre leurs parts de marché en Chine qui est un marché de plus en plus rentable pour nombre d’entreprises. Ces pays jouent sur les deux tableaux en affichant une solidarité de façade avec les États-Unis, solidarité qui n’est pas obligatoirement suivi d’effets.