3 décembre 2022

Le Coin des tendances – Etats-Unis/France – énergie

France/États-Unis, les vieux alliés sont-ils les meilleurs ?

En 1960, en pleine guerre froide, Charles de Gaulle prononce un discours devant le Congrès américain qui lui vaut une standing ovation. « Rien ne compte plus pour la France« , avait alors déclaré le général.

La France se plait à répéter qu’elle est l’alliée la plus ancienne des États-Unis. Les deux pays partagent de nombreux points communs dont un attachement aux philosophes des Lumières. Entre les deux pays, les relations diplomatiques ne sont pas exempts d’aspérités. La France tend à rappeler son rôle d’aînée et à faire valoir ses droits d’ancienne grande puissance vis-à-vis des États-Unis dont le comportement hégémonique et cavalier est souvent dénoncé. La France a, à plusieurs reprises, eu des divergences marquées avec son vieil allié que ce soit au sujet du Vietnam ou de l’Irak. L’annulation du contrat d’achat des sous-marins français par l’Australie au profit d’un contrat avec le Royaume-Uni et les États-Unis a donné lieu à des tensions un peu surjouées car ce changement de fournisseurs cachait des problèmes de délais de livraison et des mode de propulsion, la France ayant refusé l’accès à la technologie nucléaire à l’Australie.

Les États-Unis font l’objet d’une réelle admiration tant de la part des responsables politiques que des citoyens français. Le modèle américain est tout à la fois rejeté et encensé. Le livre de Jean-Jacques Servan Schreiber, Le défi américain publié en 1968 a été vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Il inspira de nombreux dirigeants dont Valéry Giscard d’Estaing qui fit sien le style des Kennedy. Les États-Unis figurent parmi les destinations préférées des Français à l’étranger. Plus de 5 % des touristes venant en France sont d’origine américaine.

Les relations entre les Présidents français et américains ont souvent donné lieu à une importante exploitation médiatique du moins de ce côté-ci de l’Atlantique. Valéry Giscard d’Estaing partagea ainsi sa piscine avec le Président Gérald Ford. François Mitterrand prit soin de maintenir des relations étroites avec Ronald Reagan en lui fournissant le nom des agents secrets russes travaillant en Occident (affaire Farewell). Nicolas Sarkozy, jugé comme le plus américain des présidents français passa même ses premières vacances dans le Massachusetts. Emmanuel Macron qui incarne la synthèse entre VGE, François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, apparaît plutôt comme un américanophile ayant tenté d’amadouer Donald Trump. Son déplacement en visite d’État au mois de novembre à l’invitation de Joe Biden est une première car il est ainsi le seul président français, sous la Ve République, à avoir eu droit à deux visites d’État en Amérique. Cette visite est intervenue un an après l’annonce du contrat Aukus, de coopération militaire entre l’Amérique, la Grande-Bretagne et l’Australie qui a mis un terme anticipé au contrat de sous-marins signé entre la France et l’Australie. Depuis plusieurs mois de part et d’autre de l’Atlantique, le temps était au renforcement des liens. Les responsables américains évoquent une « coopération exceptionnelle » sur tous les grands dossiers géopolitiques. Les États-Unis de Joe Biden entendent favoriser l’unité de l’Europe face à la Russie, redevenue un adversaire de première importance. Les États-Unis sont conscients que les problèmes d’accès à l’énergie et le coût du soutien militaire à l’Ukraine pourrait tenter certains États européens d’atténuer la pression sur le Russie. Ils espèrent compter sur la France et l’Allemagne pour maintenir la ligne de fermeté en vigueur depuis le mois de mars. Les États-Unis sont néanmoins favorable à l’idée de conserver un contact avec la Russie comme le pratique la France depuis le début de la crise.

 Les États-Unis souhaitent également bénéficier de l’appui des Européens dans leurs efforts pour limiter l’influence croissante de la Chine dans la région indopacifique. La France, en étant présente dans les océans Indien et Pacifique, constitue un allié potentiel. Les États-Unis ont « légèrement insisté » afin que l’affaire calédonienne soit traitée au plus vite. L’indépendance de l’archipel aurait été, selon les Américains, une aubaine pour les Chinois qui entendaient prendre le contrôle des mines de Nickel.

Durant la présidence de Donald Trump, l’allié naturel en Europe des États-Unis était le Royaume-Uni. Avec Joe Biden, ce rôle est davantage partagé entre le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, néanmoins dans l’administration américaine, une méfiance à l’égard de la France persiste. Les changements de position rapides de la politique française surprennent les responsables américains que ce soit envers la Russie, la Chine ou l’Europe. Emmanuel Macron a défendu avant la guerre en Ukraine l’idée d’arrimer la Russie au système de sécurité européen et a critiqué vertement l’OTAN avant de s’en faire un des meilleurs défenseurs. Joe Biden ne partage pas, par ailleurs, l’avis du Quai d’Orsay d’inviter le Président Xi Jinping à être un médiateur entre la Russie et l’Ukraine.

Les problèmes entre la France et les États-Unis sont essentiellement d’ordre économique. La France reproche à son partenaire américain les subventions en faveur des énergies propres et des usines de semi-conducteurs, sachant que l’Europe tente d’appliquer la même politique. Les Américains de leur côté ont toujours contesté la politique de protection du marché agricole et de celui de la culture en Europe. De même, ils jugent que la législation sur la protection des données va à l’encontre des intérêts de leurs entreprises. Sur ce dernier sujet, une convergence est néanmoins constatée. L’opposition de la France à la politique commerciale de son allié a pour limite les efforts consentis par ce dernier pour la fourniture de gaz liquéfié, les exportations ayant augmenté de 40 % en moins d’un an. Un cadeau qui n’en est pas vraiment un selon les autorités françaises, du fait des prix pratiqués par l’allié américain.

Le calme avant la tempête ?

Au mois de juillet dernier, les pythies annonçaient un hiver en enfer pour l’Europe. Le vieux continent était condamné à connaître le retour du froid, faute de disposer d’une alimentation en gaz. La mise à l’arrêt d’une grande partie du parc nucléaire français faisait craindre des courants d’électricité. Cinq mois plus tard, 95 % des capacités de stockage en gaz sont pleines et une flotte de méthaniers attend au large des ports pour pouvoir décharger leur cargaison. Le gaz naturel qui sera livré au premier trimestre de l’année prochaine se vend environ 125 euros par mégawattheure (mwh), contre plus de 300 euros pendant l’été. Les prix de gros de l’électricité sont passés de plus de 800 à 250 euros le mégawatt. Contrairement aux craintes exprimées ici ou là, la survenue de la récession est pour le moment différée. La production industrielle allemande a augmenté en septembre et le chômage est resté stable à 3 %. La perte de pouvoir d’achat est limitée voire inexistante en raison du soutien des pouvoirs publics. Le PIB de l’Union européenne a ainsi pu augmenter de 0,2 % au troisième trimestre.

Le choc pour l’Europe n’en demeure pas moins important. En 2021, le prix du mégawatt de gaz était de 20 euros. Le calendrier de remise en fonction des centrales nucléaires française est incertain. En cas de durcissement des conditions climatiques, la consommation, en énergie en baisse marquée depuis le mois de septembre, augmenterait. Les réserves ne permettent un approvisionnement que de trois mois au maximum. Avant la guerre en Ukraine, la Russie fournissait 50 % du gaz de l’Union européenne. Actuellement, ce taux est de 15 % et il est censé être nul en 2023. Le plan d’arrêt d’importation de gaz russe par l’Union européenne comporte plusieurs volets principaux. Un des objectifs est de diversifier les sources d’approvisionnement et de remplir les capacités de stockage. L’Allemagne a construit sa première installation d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en moins d’un an. Des gazoducs planifiés de longue date de la Norvège à la Pologne et de la Pologne à la Slovaquie ont été lancés afin de faciliter la diffusion du gaz sur tout le continent. Pour constituer ses réserves, les entreprises européennes ont dû surenchérir par rapport aux autres clients essentiellement asiatiques. Elles ont été facilitées par le ralentissement de la croissance chinoise du fait de la politique du zéro covid. Si un assouplissement de la politique sanitaire intervient dans ce pays, la demande en gaz pourrait augmenter.

Le deuxième objectif de l’Union européenne est une réduction de la consommation de gaz pour produire de l’électricité. L’Allemagne, qui abrite un puissant lobby antinucléaire, a accepté la prolongation de la durée de vie de ses trois derniers réacteurs, mais seulement jusqu’en avril. Quelques centrales au charbon mises à l’arrêt ont été redémarrées dont une en France. Les gouvernements européens multiplient les projets concernant les énergies renouvelables. Ils multiplient les réductions d’impôts, notamment en Belgique et en France. Ils réduisent les formalités administratives en France en République tchèque et en Italie. Du fait de l’arrêt des centrales nucléaires françaises, la dépendance de l’Europe au gaz pour la production d’électricité a augmenté. La sécheresse de cet été limite en outre les capacités de production des centrales hydroélectriques. Les oppositions des populations aux éoliennes et aux panneaux solaires ne facilitent pas la concrétisation des projets de substitution des énergies propres aux énergies carbonées.

L’Union européenne demande que les États membres réalisent d’importantes économies d’énergie. Elles sont censées atteindre de 10 à 15 % pour le gaz. Si le temps exceptionnellement chaud pour l’automne a permis la réalisation d’importantes économies, rien ne garantit qu’il en sera de même durant l’hiver. En protégeant les consommateurs des hausses de prix, les gouvernements n’incitent que modérément à la diminution de leur consommation énergétique. L’esseentiel de l’effort est ainsi supporté par les entreprises. En France, le prix de l’électricité et du gaz pour les ménages n’a augmenté que de 5 % par rapport à l’an dernier. Elle entend augmenter ce plafond à 15 % en 2023. L’Espagne a subventionné l’utilisation du gaz dans la production d’électricité pour faire baisser les prix. L’Italie, qui ne produit que 40 % de son électricité à partir du gaz, a réduit les taxes qui lui sont appliquées. Le résultat inévitable est que ces pays ont beaucoup moins réduit leurs dépenses que les autres grandes économies européennes qui n’ont pas encadrées les prix de l’énergie. La disparité des réponses est contraire au droit européen. Logiquement, les États membres devaient mettre en place des politiques convergentes. L’Union peine à mettre en place une politique commune que ce soit en matière de prix d’achat du gaz ou du pétrole que pour l’éventuelle émission d’un emprunt commun destiné à financer les mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. La Commission européenne a proposé un plafond de 275 euros/mwh sur le contrat à terme européen de référence, à condition que les prix mondiaux du GNL soient inférieurs d’au moins 58 euros. Ce plafond est jugé élevé pour certains pays comme la France ou l’Espagne, qui craignent qu’il n’entre jamais en vigueur. Un plafond plus bas pénaliserait d’autres États, y compris l’Allemagne, au cas où cela entraînerait des pénuries, car le gaz pourrait être détourné vers d’autres parties du monde. Ce plafond pourrait enfin être inefficient car il ne concernerait pas les ventes privées. Les divergences reflètent des expositions diverses aux importations russes. L’industrie allemande dépend du gaz et préfère payer des prix élevés afin d’éviter tout rationnement. La France est peu consommatrice de gaz, mais, en l’absence du nucléaire, importe des quantités importantes d’électricité. Elle est donc favorable à toute mesure susceptible d’encadrer les prix de gros de l’électricité. L’Espagne a un pipeline vers l’Algérie et une capacité suffisante pour importer du GNL. Elle est en opposition frontale avec la France qui refuse la construction d’un gazoduc à destination de l’Allemagne. En revanche, l’Espagne est favorable à un plafonnement strict du prix, car elle a la garantie d’être livrée. L’Italie et une grande partie de l’Europe de l’Est demandent un plafonnement du prix du gaz et des mesures de soutien aux consommateurs.

La hausse du prix de l’énergie n’a pas plongé l’économie européenne en récession. Elle bénéficie encore des effets du rebond post covid et des plans de relance qui ont été mis en œuvre en 2021. Par ailleurs, les ménages disposent d’une cagnotte d’épargne qu’ils n’ont pas encore touché. Le pari des gouvernements est une stabilisation de l’inflation en fin d’année et une décrue au début de l’année prochaine grâce notamment à un effet base (les prix de 2023 seront comparés à ceux de 2022 bien plus élevés que ceux de 2021). Ce pari repose également sur une augmentation modérée des salaires afin d’éviter l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Il n’en demeure pas moins que la BCE devrait procéder à de nouvelles hausses de taux directeurs pour casser l’inflation avec comme conséquence un ralentissement de la croissance. Dans ces conditions, la survenue d’une récession au début 2023 reste d’actualité avec selon Goldman Sachs un déficit de production de 3 à 4 %. Une accélération de la substitution d’énergie pourrait réduire l’effet prix sur la production. Pour l’institut d’études allemand IFO, 75 % des entreprises auraient réussi en six mois à diminuer leur consommation de gaz sans réduire leur production. La chimie de base, les métaux et la céramique peinent néanmoins à rester compétitifs.

Les populations européennes sont pour le moment relativement calmes face aux augmentations des prix du fait des mesures de soutien au pouvoir d’achat décidées par les gouvernements. Les manifestations concernent essentiellement les systèmes de santé et des retraites ainsi que l’environnement. Les grèves sur le niveau de salaire n’ont pas été suivis par un nombre important de salariés. En Espagne, 670 000 personnes ont manifesté dans les rues de Madrid le 13 novembre sur la question des soins de santé et non sur les prix de l’énergie. Les populations européennes continuent à soutenir l’Ukraine face à la Russie. À l’Est, elles craignent que la Russie ne s’arrête pas à la conquête de l’Ukraine. En Allemagne, les affres de la division Est/Ouest demeurent fortes. Le consensus de la population repose sur les aides publiques qui depuis septembre 2021, se sont élevées à 573 milliards d’euros en Europe, selon Bruegel, un groupe de réflexion. L’Allemagne aurait au total consenti un effort de 264 milliards d’euros, tandis que la Suède aurait dépensé moins de 2 milliards d’euros. L’Italie devrait porter son soutien aux ménages et aux entreprises de 75 à plus de 100 milliards d’euros. Les dépenses totales atteignent 3 000 euros pour chaque ménage européen, soit presque autant que ce qui est consacré chaque année à l’éducation. La Commission européenne estime que plus des deux tiers de toutes les dépenses ne sont pas ciblées. La question du financement de ces mesures est renvoyée à plus tard même si la crise au Royaume-Uni au mois d’octobre dernier a souligné la vulnérabilité financière des États européens. L’Italie, l’Espagne, la Grèce et la France qui sont entrées dans la crise avec des ratios dette/PIB supérieurs à 100 % devraient voir leur dette encore augmenter de 3 à 6 points de pourcentage. Le retour de critères budgétaires en 2024 devrait compliquer la donne d’autant plus que les États membres doivent faire face à des besoins en dépenses publiques croissants (retraite, santé, éducation, défense, transition énergétique…). Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a averti les ministres des finances européens qu’une augmentation des dépenses publiques pourrait conduire à une hausse plus rapide des taux d’intérêt. Les États dont les charges d’intérêt sont particulièrement élevées pourraient avoir besoin de la BCE pour soutenir leurs dettes et demander à bénéficier du programme anti-fragmentation.

 Face à la complexité de la situation et aux incertitudes économiques, les gouvernements ont tendance à différer les réformes structurelles même si en France le gouvernement a relancé celle sur les retraites mais avec une ambition moindre par rapport au projet de 2018. Initialement, avant la guerre en Ukraine, les décideurs avaient espéré que 2022 et 2023 seraient une période de refonte économique sur fond d’accélération de la transition énergétique. L’Europe est désormais confrontée à ralentissement économique avec un retour plus rapide à une croissance potentielle faible dans un contexte de vieillissement démographique. La nécessité de retrouver des projets communs débouchant sur une expansion équilibrée pour l’ensemble de l’Europe demeure d’actualité.