Le Coin des tendances – intelligence artificielle – art – santé
Comment réguler l’intelligence artificielle ?
L’intelligence artificielle (IA) apparaît aux yeux des gouvernements, des investisseurs, des entreprises comme une nouvelle terre promise. Preuve de l’importance du sujet, le gouvernement britannique a décidé de réunir à Londres, dans le même immeuble que celui occupé durant la Seconde Guerre mondiale, par l’équipe d’Alan Turing qui a travailla sur le premier ordinateur numérique programmable une centaine de dirigeants mondiaux. L’objectif de cette réunion est de déterminer comment rendre l’intelligence artificielle utile pour la société.
Tous les États ou les organisations internationales essaient tout à la fois de favoriser le développement de l’intelligence artificielle et de la réguler. La commission Bruxelles tente de finaliser une directive de l’Union européenne d’ici la fin de l’année. L’administration américaine devrait prochainement publier un texte réglementaire sur l’intelligence artificielle. Le G7 a publié, fin octobre, un projet de code de conduite pour les entreprises. Le texte contient 11 recommandations non contraignantes en faveur d’une IA « sûre, sécurisée et digne de confiance ». Le G7 estime que l’IA est une source potentielle de dangers. Elle faciliterait le développement des armes chimiques, biologiques et nucléaires en « abaissant les barrières à l’entrée, y compris pour des acteurs non étatiques ». L’IA pourrait être utilisée pour mener des cyberattaques, ou pour prendre le contrôle sur des infrastructures critique. Le G7 a également souligné que l’IA est porteuse de risques sociétaux et politiques : biais algorithmiques potentiellement discriminants, piratage de données personnelles, désinformation. Le G7 recommande des tests systématiques des modèles d’IA avant leur arrivée sur le marché, le lancement de compétitions pour encourager la découverte de failles par des tiers, rapports de transparence, la mise en place d’outils de sécurité robustes.
De son côté, la Chine a présenté le 18 octobre dernier une « Initiative mondiale pour la gouvernance de l’intelligence artificielle » visant à concurrencer le code du G7. La régulation réglementaire masque des tentations protectionnistes. Elle est l’expression de la rivalité croissante des trois grandes zones économiques que sont les États-Unis, la Chine et l’Union européenne. Le Royaume-Uni entend jouer un rôle de flibustier en créant un cadre relativement ouvert. Les États-Unis estiment que les Britanniques sont complaisants à l’égard de la Chine.
Si autrefois, les entreprises de la haute technologie étaient opposées à toute régulation, elles se montrent, avec l’IA, plus enclines à l’accepter. Alphabet et Microsoft, craignent qu’une concurrence effrénée ne remette en cause leur plan d’investissement et leur rentabilité.
L’élaboration d’un cadre réglementaire est complexe car l’IA est en plein essor avec des innovations présentées de manière quotidienne. Les prévisions sont difficiles à réaliser. Des voies peuvent être ouvertes et refermées rapidement faute de réel intérêt. Certains dangers sont explicitement soulignés mais ne sont pas obligatoirement nouveaux. Lors d’une audition au Sénat à Washington en juillet, Dario Amodei, directeur général d’Anthropic, a averti que les modèles d’IA seront en mesure de fournir dans quelques années toutes les informations nécessaires à la fabrication d’armes biologiques, permettant ainsi à « beaucoup plus d’acteurs de mener des attaques biologiques à grande échelle ». Ces informations circulent déjà sur la toile, l’IA permettra simplement de gagner du temps. La question se pose également pour les armes nucléaires et cyberarmes. La désinformation est pointée du doigt parmi les menaces. ChatGPT est capable de générer des textes pouvant créer de la confusion chez les électeurs. Toujours lors d’une audience au Sénat, Gary Marcus, un sceptique notoire à l’égard de l’IA, a ouvert son témoignage avec un extrait d’actualité rédigé par GPT-4 d’Openai qui affirmait de manière convaincante que certaines parties du Congrès étaient « secrètement manipulées par des entités extraterrestres ». La création de fausses vidéos serait devenue un jeu d’enfant. Pour éviter l’utilisation abusive de l’IA, Microsoft a réclamé un régime de licence obligeant les entreprises à enregistrer les modèles dépassant certains seuils de performance. D’autres propositions incluent le contrôle de la vente de puces puissantes utilisées pour former les logiciels de langage et l’obligation pour les entreprises de cloud computing d’informer les autorités quand des clients développent des modèles pionniers. La majorité des entreprises conviennent que ce sont les applications plutôt que les modèles eux-mêmes qui devraient être réglementées. Une réglementation fondée sur l’utilisation permettrait d’utiliser le cadre des lois existantes. Les développeurs d’IA y sont favorables, considérant que des règles plus larges et plus intrusives ralentiraient l’innovation. L’Union Européenne estime néanmoins qu’au-delà des applications, les modèles eux-mêmes devraient être surveillés. Le Parlement européen souhaite que les modélistes évaluent les conséquences de leur technologie dans tous les domaines, de la santé aux droits de l’humain . Il insiste pour obtenir des informations sur les données sur lesquelles les modèles sont formés. Le Canada a présenté, avec le projet de Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD), un cadre plus stricte. Le Brésil réfléchit également à une législation assez stricte. Aux États-Unis, l’administration de Joe Biden évolue sur le sujet. Tout comme la Grande-Bretagne, elle pourrait revoir son approche non interventionniste.
Un cadre plus contraignant constituerait un changement de cap par rapport aux nouvelles technologies. Le principe de précaution deviendrait de mise. Les entreprises devraient faire tester leurs modèles en interne et en externe avant leur publication et de partager des informations sur la manière dont elles gèrent les risques liés à l’intelligence artificielle.
Pour la régulation de l’intelligence artificielle, les États-Unis et la Grande-Bretagne considèrent que les agences gouvernementales ou les autorités administratives indépendantes existantes suffisent quand l’Union européenne souhaite en créer une nouvelle. Des dirigeants du secteur technologique appellent à la création d’un organisme international semblable au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
Les États occidentaux et la maîtrise des dépenses de santé
De 1950 à 2009, les dépenses américaines de santé sont passées de 5 à 17 % du PIB. Les États-Unis sont de loin le pays dont le poids des dépenses de santé est le plus important au niveau mondial. Mais, dans tous les États, ces dernières ont connu une progression forte. En vingt ans, au sein de l’OCDE, elles sont ainsi passées de 7 à 9 % du PIB. Entre la fin des années 1970 et le milieu des années 2010, les dépenses publiques britanniques de santé ont augmenté de 4 % par an en termes réels, bien plus vite que la croissance économique de 2 % par an. De 1980 à 2010, si les prix ont augmenté de 150 %, les dépenses de santé ont progressé de 250 %.
La progression de ces dernières a été longtemps considérée comme une bonne mesure de l’amélioration des conditions de vie. Les soins de santé sont des « biens supérieurs ». Ils sont censés augmenter plus vite que le PIB. Quand les citoyens s’enrichissent d’un dollar, ils s’attendent à ce que leurs dépenses de santé augmentent de plus d’un dollar. Les Américains dépensent ainsi le plus en dépenses de santé car les États-Unis sont la première puissance économique mondiale. Depuis quelques années, les dépenses de santé sont perçues non plus comme un symbole de progrès mais comme une contrainte, comme un poids pesant sur les finances publiques. Avec l’épidémie de covid, elles ont connu une rapide augmentation mais celle-ci endiguée, les pouvoirs publics entendent reprendre le contrôle des dépenses de santé afin d’éviter, malgré le vieillissement de la population, un dérapage.
Au sein de l’OCDE, les dépenses de santé s’élèvent à 2 000 milliards de dollars, soit leur niveau de 2009. La maîtrise de ces dépenses est variable, selon les pays. Le ratio des dépenses de santé par rapport au PIB s’est contracté par rapport à son pic d’avant covid en Australie et en Suède. En Norvège, il a baissé de 2,5 points de pourcentage de PIB par rapport à son niveau de 2016. Même aux États-Unis, selon le Bureau of Economic Analysis, la part des dépenses consacrées aux soins de santé est désormais inférieure à son niveau d’avant pandémie.
Depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont pesé sur les prix des soins. Si auparavant, ils augmentaient plus vite que l’inflation et le PIB, c’est maintenant, en moyenne, l’inverse qui se produit. Même en France, pourtant connue pour l’augmentation de ses dépenses de soins, leurs prix augmentent désormais conformément à la moyenne des prix. À la fin des années 1990, les gouvernements prennent conscience que l’évolution des dépenses de santé menace l’équilibre des finances publiques. Le président des États-Unis, Barack Obama, en 2009, souligne « notre problème de santé est notre problème de déficit ». En 2017, l’organisme de surveillance budgétaire britannique mentionne qu’une « croissance excessive des coûts dans le secteur de la santé pourrait ajouter 90 % du PIB à la dette britannique d’ici les années 2060 ».
Pendant des années, le système de santé a été considéré comme incapable de générer des gains de productivité. Soigner exige du temps et des moyens de plus en plus importants d’où l’idée que le système soit soumis à la loi des rendements décroissants. Le recours à de nombreux soignants ne pouvait déboucher que sur une hausse des coûts. Le caractère bureaucratique de ce système est par nature inflationniste. Selon le Bureau of Labor Statistics américain, la productivité du travail dans les services de santé a baissé de 13 % entre 1990 et 2000, mais a, depuis, rattrapé tout le terrain perdu entre 2000 et 2019. Au Royaume-Uni, entre 2004 et 2017, une étude du National Health Service (NHS), la productivité dans le secteur de la santé s’est accrue de 17 % quand celle de l’ensemble de l’économie n’a progressé que de 7 %. Le développement de l’ambulatoire, les innovations technologiques ont permis d’importants gains de productivité.
La maîtrise des dépenses de santé est également liée aux mesures de régulations adoptées ces dernières années dans de nombreux pays. Aux États-Unis, l’Affordable Care Act (ACA), adoptée en 2010, a durci les modalités de remboursement par le gouvernement des entreprises qui dispensent des traitements. L’ACA a également rendu plus difficile pour les médecins de prescrire des traitements inutiles. Pendant des années, les gouvernements ont faiblement revalorisé les rémunérations des personnels de santé. De nombreux pays ont pratiqué un malthusianisme en matière santé en ayant recours à des numérus clausus pour la formation de nouveaux médecins et à des fermetures d’établissements. Au sein des pays européens, l’usage des génériques s’est généralisé. Ces derniers représentaient, en 2022, 50 % des médicaments vendus contre 33 % en 2010.
La maîtrise des dépenses de santé s’est imposée par l’érosion de la croissance. Les dépenses de santé n’augmentent plus, en partie car l’économie est en panne. La pression pour leur hausse est forte. L’épidémie de covid a souligné la vulnérabilité des systèmes de santé, la faible rémunération des professionnels de santé et le problème des effectifs. La multiplication des pénuries de médicaments et le manque de médecins sont monnaie courante au sein de l’OCDE. Le vieillissement de la population devrait conduire à une forte augmentation des dépenses de santé. En cas de faible croissance et en cas d’absence de gains de productivité, la maîtrise des finances publiques risque d’être mise à dure épreuve.
France/Royaume-Uni, la bataille de l’art aura-t-elle lieu ?
France et Royaume-Uni, c’est l’histoire d’une rivalité ancestrale qui s’est transformée, au nom de la raison d’État, en entente. De Guillaume le Conquérant à Fachoda en passant par la guerre de 100 ans et Napoléon, le Royaume-Uni et la France se sont au long des siècles disputés, à coup d’épées puis de fusils, la supériorité européenne voire mondiale. Les matchs de rugby France/Angleterre restent des rendez-vous incontournables dont l’enjeu dépasse le simple domaine sportif. L’art est également un terrain de compétition entre les des deux nations.
Le 20 octobre, un tableau du peintre espagnol Joan Miró, a été vendu chez Christie’s à Paris pour 20,7 millions d’euros ce qui en fait l’une des peintures les plus chères vendues en France ces dernières décennies. Cette vente confirme le rôle croissant de Paris dans le domaine de l’art. Auparavant, Londres était la capitale des ventes aux enchères pour les peintes espagnols ou italiens. Christie’s qui a été racheté par le groupe français Kering a décidé de déplacer les ventes de tableaux à Paris l’année dernière en raison du Brexit. « Une partie de l’attractivité de Londres résidait autrefois dans sa position au centre de l’Union européenne », explique Guillaume Cerutti, le président de Christie’s. Il ajoute, « la dynamique est désormais davantage du côté de Paris ». Si Paris progresse, Londres ne demeure pas moins en tête pour les ventes aux enchères. En 2002, Sotheby’s a réalisé 70 ventes aux enchères à Paris, contre 131 à Londres. Paris a néanmoins le vent en poupe, le nombre de ventes y a progressé de 140 % en dix ans contre une hausse de 75 % pour Londres. De plus en plus de galeries d’art s’installent à Paris, non seulement dans le 6e arrondissement ou le 8e arrondissement mais aussi dans des arrondissements, aujourd’hui tendance, comme le Xe.
Le marché de l’art français est encore modeste comparé à celui du Royaume-Uni, qui a réalisé en 2022, 18 % des 67,8 milliards de dollars de ventes d’art dans le monde. Le Royaume-Unis est le premier marché européen et le deuxième au monde après les États-Unis qui assurent 45 % des ventes mondiales. Londres conserve un avantage pour les œuvres d’art européennes dont la valeur dépasse 10 millions de dollars. La France ne détient que 7 % du marché mondial de l’art. Au sein de l’Union européenne, La France n’a pas de concurrent. 54 % de toutes les transactions artistiques de l’Union y sont réalisées.
Le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en 2020 a modifié la dynamique des acheteurs et des vendeurs d’art. Avant, les Européens pouvaient acheter une œuvre d’art à Londres sans aucun droit d’importation . Désormais, entre 5 et 20 % de la valeur sont prélevés si un acheteur l’importe dans un pays de l’Union depuis Londres. Ce dernier est également contraint d’effectuer de nombreuses formalités administratives. Pour ces raisons, des artistes européens ont quitté Londres pour d’autres villes d’Europe, selon le dirigeant d’Art Basel.
L’attractivité de Paris est également liée à l’essor de la Fashion week. Le monde de l’art dépend de plus en plus de celui du luxe. Des fondations privées, alimentées par des entreprises de produits de luxe comme Kering ou LVMH, participent au rayonnement de l’art en France. Depuis 2021, la Bourse de Commerce, ancienne bourse de matières premières, abrite la collection de François Pinault, La Fondation Cartier présente depuis des décennies à Paris, boulevard Raspail a prévu de déplacer sa collection d’art contemporain dans un immeuble en face du Louvre. La Fondation Louis Vuitton dans le Bois de Boulogne symbolise l’association du luxe et de l’art. Forte de son sponsor, la Fondation Louis Vuitton peut organiser des expositions coûteuse. La rétrospective de Mark Rothko, peintre américain, inaugurée le 18 octobre, présente 115 œuvres, dont la valeur globale se chiffre en milliards de dollars.
Paris retrouve quelques lustres au niveau des ventes d’art depuis le Brexit. Elle renoue avec son brillant passé. De la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Paris était la capitale mondiale de l’art et notamment de l’art moderne. Elle a perdu ce rôle dans les années 1950 en raison de l’adoption d’une fiscalité dissuasive et d’une baisse de la création artistique en France. Londres et New York ont ainsi supplanté la capitale française. Pour constituer un pôle artistique solide, trois facteurs sont déterminants :
- la richesse du pays et la présence de mécènes ;
- l’infrastructure culturelle (galeries, musées, écoles, salles de ventes) ;
- la réglementation qui se doit d’être simple et transparente.
Londres et Paris sont performants sur les deux premiers critères mais moins sur le troisième pour lequel New York est plus compétitif. Pour préserver la place de Londres, les professionnels de l’art britanniques demandent au gouvernement de prendre des mesures afin de simplifier la réglementation applicable aux ventes d’œuvres. Ils réclament également la suppression des taxes à l’importation afin de pouvoir rivaliser avec Paris.
Dans un contexte économique et géopolitique complexe, la rivalité entre les différentes places devrait s’exacerber. La crise en Chine devrait réduire les achats des nouveaux milliardaires asiatiques. La guerre au Proche-Orient pourrait également amener les ressortissants des pays pétroliers à déserter les salles de ventes occidentales qui ont déjà perdu les acheteurs russes.