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Taxe carbone à la frontière, une usine à gaz ?
Mardi 13 décembre, la Commission européenne, le Parlement européen et les États membres se sont mis d’accord sur les grandes lignes d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce dispositif sans précédent permettra de taxer, dans les secteurs les plus émetteurs (acier, ciment, engrais, etc.) et les importations de marchandises en provenance de pays tiers aux normes inférieures à celles de l’Union en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. L’objectif est d’éviter un recours à des importations de produits ne respectant pas les normes européennes et qui pourraient être ainsi moins coûteuses que ceux fabriqués en Europe. Ce mécanisme est censé limiter les délocalisations. Il pourrait néanmoins les accroître en incitant les entreprises incorporant de nombreux biens intermédiaires fabriqués à l’étranger et exportant une part non négligeable de leur production à s’implanter dans des pays n’appliquant pas de taxe carbone. Par ailleurs, ce mécanisme pourrait avoir un effet inflationniste indéniable.
L’Union européenne est la première zone commerciale au monde à mettre un prix carbone sur ses importations. Ce dispositif s’inscrit dans un plan dénommé « Fit for 55 » en cours de négociation devant permettre à l’Union de réduire d’au moins 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport au niveau atteint en 1990 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
La taxe obligera les importateurs de marchandises de pays tiers à acheter des certificats pour couvrir les émissions de CO2 directes engendrées par leur fabrication. Cette taxe vise à instituer des conditions de concurrence équitables entre les entreprises étrangères et les entreprises européennes, qui doivent acheter des « droits à polluer » sur le marché européen du carbone. Si un prix carbone existe déjà dans un pays tiers, les importateurs ne paieront que la différence. La Chine dispose ainsi d’un prix du carbone, qui est encore inférieur à celui de l’Union. Les importateurs seront donc amenés à s’acquitter de droits carbone aux frontières. La Chine aura la possibilité d’augmenter son prix carbone. Le dispositif tiendra compte des émissions indirectes issues de l’électricité utilisée pour la production des produits importés. Le mécanisme concernera les importations des secteurs jugés les plus polluants (fer et acier, aluminium, ciment, engrais, électricité). La production d’hydrogène a été incorporée à la liste comme le réclamait le Parlement européen.
Le mécanisme entrera en vigueur en octobre 2023 mais, dans un premier temps, les entreprises déclareront le contenu carbone des produits importés sans payer. Les importateurs seront taxés à partir de 2026 ou 2027.
D’ici à 2030, le MACF sera étendu à tous les secteurs pour lesquels il y a des risques de fuite de carbone, sur la base d’une liste qui sera établie par la Commission. Pour le moment, les produits transformés ne sont soumis à la taxe. Ainsi, un constructeur automobile achète de l’acier à la Turquie, il devra payer des droits carbone. Si un fabriquant automobile importe de l’acier en Europe depuis la Turquie, il paiera le MACF mais s’il importe une voiture fabriquée au Maroc avec de l’acier turc, il ne l’acquittera pas. Ce sujet devrait être traité par l’Europe ultérieurement. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pourrait générer plus de 14 milliards d’euros de recettes annuelles. Cette ressource sera affectée au budget européen.
Sa mise en œuvre suppose la suppression des quotas gratuits de droits carbone dont bénéficient certains secteurs et entreprises de l’Union européenne afin d’éviter une distorsion de concurrence qui serait condamnée par l’Organisation Mondiale du Commerce. Depuis la mise en place du marché carbone européen en 2005, les industries à fortes émissions de gaz à effet de serre disposent de quotas de droits carbone afin de ne pas pénaliser leur production. Selon le WWF, les secteurs de la sidérurgie et des cimenteries bénéficieraient d’une exonération de taxe carbone portant sur 53 % de leurs émissions de gaz à effet de serre. Le Parlement souhaite une réduction des quotas gratuits de 20 % par an, à partir de 2027 sur cinq ans. La Commission et le Conseil de l’Union défendent le principe d’une réduction de 10 % par an, entre 2025 et 2035. Le gain pour les États a été évalué à 40 milliards d’euros qui pourraient être affectés à la recherche pour la décarbonation en prenant exemple sur le plan « Reduction Act américain ».
Les représentants des industries européennes sont plutôt hostiles à ce mécanisme de taxation des importations. Ce dernier ne prend pas en compte l’organisation des chaines de valeur. Les importateurs de produits de base seront pénalisés devant payer leurs quotas carbone et les droits sur les importations. Ces transformateurs pourraient souffrir de la concurrence des autres zones géographiques qui conserveront des taxes carbone inférieure. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Turquie et de nombreux pays émergents pourraient être gagnants d’autant plus que l’assujettissement des produits finis à la taxation carbone interviendra dans un second temps. Un fabricant de couteaux de Corse devra acheter de l’acier étranger taxé ou de l’acier européen protégé mais plus cher que ses concurrents situés en Turquie ou en Algérie. Les exportateurs européens perdront en compétitivité avec une base de coûts supérieure plus élevée. D’âpres négociations sont à attendre avant la mise en place de ce mécanisme en 2026 ou en 2027 pour établir son champ et ses modalités d’application. Les autorités européennes devront établir les règles de taxation de produits fabriqués dans de nombreux pays. Elles devront vérifier le respect des normes environnementales qui seront différentes et dont le respect pourra varier d’un pays à un autre. Ce mécanisme devrait accroitre les prix des produits finaux et réduire le pouvoir d’achat des ménages. L’Europe s’engage dans une voie qui pourrait s’assimiler à une forme de protectionnisme. Depuis quelques semaines, les autorités françaises demandent à l’Europe de réagir au plan d’aide américain aux entreprises afin qu’elles accélèrent leur transition énergétique. Ce plan comporte des crédits d’impôt sur le modèle du crédit d’impôt recherche français qui a fait l’objet de critiques, en son temps, tant par la Commission européenne que par les Etats-Unis. De part et d’autre de l’Atlantique, un regain de nationalisme économique est à l’œuvre, regain qui pénalisera avant tout les consommateurs.
Quand l’intelligence artificielle devient une réalité !
Le secteur de l’agriculture souffre d’un problème croissant de main d’œuvre. Le renouvellement des agriculteurs partant à la retraite est difficile et le nombre de saisonniers disponibles tend à diminuer. Le recours aux machines agricoles au cours du XXe siècle a révolutionné ce secteur ancestral. Depuis quelques années, la tendance est au développement de drones agricoles. Pour les dernières récoltes de céréales, le constructeur de tracteurs John Deere a expédié sa première flotte de machines entièrement autonomes aux agriculteurs. Ces derniers n’ont plus besoin d’être à bord pour entretenir leurs parcelles et réaliser les récoltes. Les tracteurs de labour sont équipés de six caméras et utilisent l’intelligence artificielle pour reconnaître les obstacles et effectuer les missions demandées. En 2022, la moitié des véhicules vendus par John Deere ont des capacités d’intelligence artificielle incluant des systèmes de caméras embarquées. Ses tracteurs autonomes sont capables de détecter les mauvaises herbes parmi les cultures, de pulvériser des pesticides. Les nouvelles moissonneuses-batteuses autonomes modifient automatiquement leur réglage pour s’adapter à la taille des grains et limiter les pertes. Pour une exploitation de taille moyenne, le surcoût à l’achat d’un tracteur à intelligence artificielle serait récupéré entre deux à trois ans.
Selon une étude du cabinet de conseil, McKinsey, en 2022, 50 % des entreprises à travers le monde ont utilisé d’une manière ou une autre l’intelligence artificielle, contre 20 % en 2017. De nombreuses innovations se diffusent à un rythme rapide comme l’application « Chatgpt » qui est un outil conversationnel en langage naturel. Ce dernier est capable de produire des réponses et des textes, demandées en temps réel. Il peut simuler des conversations humaines avec peu d’erreurs, écrire des textes sur tous les sujets. Faute d’avoir intégré un nombre suffisant de données, cet outil demeure en l’état néanmoins incapable d’effectuer des analyses et des prévisions économiques. Stability ai et Midjourney, deux startups, ont, de leur côté élaboré des modèles permettant de générer des images. Ces modèles peuvent ainsi créer un chien sur un vélo dans le style de Picasso ou de Matisse. Ils peuvent créer des logos à partir de souhaits formulés par des clients en moins d’une une minute.
Si depuis le début de l’année 2022, le monde du digital est en crise après les années fastes durant la pandémie, celui de l’intelligence artificielle continue à attirer les capitaux. Cette année, les fonds de capital-risque aux États-Unis ont investi 67 milliards de dollars dans des entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle. Entre janvier et octobre 2022, 28 nouvelles licornes dans ce domaine (startups évaluées à 1 milliard de dollars ou plus) ont été créées. Microsoft serait en pourparlers pour augmenter sa participation dans Openai, le développeur de Chatgpt. Alphabet, la société mère de Google, prévoit d’investir 200 millions de dollars dans Cohere, un concurrent d’Openai. Depuis le début de l’année, plus de 20 startups en intelligence artificielle ont été lancées par des anciens d’Openai et de Deepmind, l’un des laboratoires d’intelligence artificiel d’Alphabet. Si Facebook ou Twitter réduisent leurs effectifs, les startups de l’intelligence artificielle recrutent. Plus de 7000 postes par mois ont été créés, aux États-Unis, dans ce secteur depuis le milieu de l’été.
Les premiers utilisateurs de l’intelligence artificielle sont les grandes entreprises du digital. A partir des années 2000, les techniques d’apprentissage automatique ont été exploité afin d’améliorer l’efficience des systèmes de publicité de Google. L’intelligence artificielle est utilisée dans les messageries pour proposer des phrases ou par les moteurs de recherche. L’intelligence artificielle gère les chaînes d’approvisionnement d’Amazon et améliore l’efficacité des robots d’entrepôt. Elle est de plus en plus utilisée par les cabinets de recrutement pour sélectionner les candidats pour les postes de travail. Microsoft recourt à l’intelligence artificielle pour supprimer les bruits nuisibles lors des conférences en Teams et propose des ébauches de présentation PowerPoint. L’intelligence artificielle devient une source de revenus croissante pour les grandes sociétés du digital. Amazon, Google et Microsoft fournissent désormais des outils d’intelligence artificielle aux clients. Les revenus du service cloud d’apprentissage automatique de Microsoft ont, en 2022, été multipliés par deux. De l’industrie à l’assurance, le recours à l’intelligence artificielle se diffuse.
La gestion des chaînes d’approvisionnement est de plus en plus automatisée. Lors de l’ouragan Ian aux États-Unis, la chaine de supermarché, Walmart, a été contraint de fermer un grand centre de distribution, interrompant le flux de marchandises vers les supermarchés de Floride. Pour assurer l’approvisionnement, l’entreprise a utilisé une nouvelle simulation de sa chaîne d’approvisionnement alimentée par l’intelligence artificielle pour rediriger les livraisons à partir d’autres centres et prédire l’évolution de la demande de marchandises après la tempête. Walmart a gagné des journées de travail en ayant recours à cette simulation.
Les startups travaillant sur l’intelligence artificielle recourent à des systèmes de briques d’intelligence servant de base à de multiples application, éléments qui sont affinés en fonction des usages. Ce procédé démultiplie les capacités de création et de diffusion des applications. GPT3, un langage naturel développé par Openai, est utilisé dans de nombreuses applications. Cette pratique permet de réaliser d’importantes économies d’échelle et de réduire les coûts des projets d’intelligence artificielle de 20 à 30 %. Plusieurs entreprises informatiques proposent un assistant virtuel capable de générer des lignes de code, permettant, selon Microsoft, un gain de temps de 50 % dans la réalisation de programmes. Microsoft travaille sur des outils qui seraient des copilotes pour les professionnels. Des outils pourraient ainsi traiter automatiquement un certain nombre de tâches. Adept, une société californienne travaille sur un copilote pour « les travailleurs du savoir ». Ce copilote pourra fournir les résultats issus de feuille de calcul et les interpréter. Il pourra effectuer des recherches immobilières complexes sur Internet. Il pourra épauler les commerciaux dans la recherche de clients.
L’intelligence artificielle est de plus en plus utilisée par les industriels pour concevoir de nouveaux modèles. En 2021, Nike, un géant du vêtement de sport, a acheté une startup spécialisée dans la création par intelligence artificielle. En fonction des besoins, des attentes des consommateurs, le logiciel propose à Nike de nouveaux modèles de baskets. Alexa, l’assistante virtuelle d’Amazon, peut inventer des histoires à raconter aux enfants. Nestlé utilise des images créées par dalle-2, un autre modèle d’Openai, pour aider à vendre ses yaourts. Certaines sociétés financières emploient l’intelligence artificielle pour rédiger une première ébauche de leurs rapports trimestriels. PromptBase est une place de marché où les utilisateurs peuvent acheter et vendre des systèmes génératifs experts. Il est ainsi possible d’embaucher des ingénieurs virtuels pour résoudre des problèmes donnés.
L’intelligence artificielle n’est pas sans faille. Si elle s’améliore par les données auxquelles elle a accès et par les requêtes qui lui sont posées, elle reflète les travers de ses créateurs et de l’environnement dans lequel elle est placée. L’intelligence artificielle en lien avec les réseaux sociaux peut devenir complotiste et raciste si aucun filtrage n’est réalisé. Elle peut démultiplier des erreurs si elles sont mentionnées comme des vérités sur certains sites de référence. Meta a fermé au grand public « Galactica », son modèle de base pour la science, après avoir indiqué que ce dernier avait généré des recherches réelles mais fausses. Si aujourd’hui beaucoup de capitaux sont investis dans l’intelligence artificielle, la rentabilité des projets demeure faible.
Quand « le fait maison » n’est pas le meilleur ami de l’environnement
Si le « fait maison » progresse en ayant recours aux robots ménages et aux équipements d’électroménager, il ne se substitue loin de là aux achats de même nature dans les commerces. Selon une étude du Crédoc du mois de décembre, l’équipement individuel t ne remplace que partiellement l’équipement collectif. Ainsi, 56 % des ménages détenteurs de machines à pain achètent du pain en commerce au moins une fois par semaine, contre 66 % des foyers qui n’en ont pas. Seuls 30 % des foyers possédant une yaourtière achètent des yaourts une fois par semaine ou plus souvent, contre 52 % de ceux qui n’en ont pas. Les détenteurs de machines de fitness se rendent plus souvent en salle de sports que ceux n’en possèdent pas. La pratique en salle induit celle à domicile. Il en est de même pour la piscine. Les adeptes de la piscine prolongent leur plaisir quand ils le peuvent en possédant une piscine individuelle.
La possession d’équipements de cuisine ou de sport a augmenté sensiblement depuis le début de la crise sanitaire. Elle s’inscrit dans un processus d’individualisation des pratiques culturelles et de maitrise de l’emploi du temps. Prendre soin de soi, pratiquer du sport, s’accomplir en cuisinant sont des thèmes valorisés par les médias. Les ventes des machines à pain ont ainsi progressé de plus de 75 % au cours des neuf premiers mois de l’année 2020. En dix ans, de 2011 à 2021, le taux d’équipement en machine à pain ou en yaourtière a connu une hausse de 7 points. Celui des home cinémas a progressé de 9 points sur la même période. Entre 2018 et 2020, le taux de pratiquants d’un sport à domicile est passé de 18 % à 47 %. Le taux d’équipement en matériels de sport domicile a augmenté de 8 % entre septembre 2020 et septembre 2021 (étude de l’Union Sport et Cycle, 2021).
En 2021, 29 % des ménages résidant en France métropolitaine déclarent posséder un appareil de fitness à leur domicile et 8 % une piscine individuelle. Près de 8 ménages sur 10 possédant un appareil de fitness mettent en avant la disponibilité et la facilité d’usage. Pour 15 % des ménages possédant une machine contre 6 % de ceux qui possèdent une yaourtière. Pour ces derniers, la préoccupation santé (28 %) constitue le premier critère d’achat.
L’achat d’équipements individuels peut être contesté dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique. En ayant peu utilisé, ils sont des sources de pollution. En outre, ils aboutissent à sous-utilisation des lieux collectifs. Certes, en évitant des trajets en voiture, ils peuvent réduite l’empreinte carbone. Pour les chercheurs du Crédoc, le bilan de l’individualisation de la pratique du sport ou de la cuisine serait négatif en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Le Crédoc rappelle que 30 % de machines à pain, 16 % des yaourtières, 15 % des appareils de fitness et 10 % des home cinémas ne seraient jamais utilisés. Par ailleurs, 11 % des machines à pain, 7 % des appareils de fitness, 5 % des home cinémas et 3 % des yaourtières possédés seraient hors d’usage mais ne seraient pas réparés. La piscine fait figure d’exception, avec un taux d’utilisation bien plus important. Seulement 16 % ne sont jamais utilisées et 15 % sont hors état de fonctionnement.
Le partage de biens d’équipement rencontre un faible écho dans la population. Seulement 27 % des ménages seraient prêts à partager leur appareil de fitness ou leur machine à pain avec des personnes extérieures à leur foyer. Ce taux est de 21 % pour ceux possédant une yaourtière. Seulement 1 ménage sur 10 se dit prêt à partager son home cinéma.