Le Coin des tendances – Internet – cryptomonnaies
Internet, la transparence au service de l’information ?
Le grand espoir des années 1990 et 2000 était qu’Internet soit une source de liberté et de créativité. L’accès rapide et gratuit à l’information renforçait les valeurs démocratiques et facilitait la diffusion des connaissances. Depuis le début des années 2000, les régimes autoritaires ont appris à restreindre l’accès à Internet ou à l’utiliser à leurs fins tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières. Les fausses informations se sont multipliées. Les logiciels comme Pegasus permettent d’écouter facilement des dirigeants. Les frontières entre le gratuit et le commercial se sont brouillées. Les multinationales du digital se sont construites des situations de rente leur permettant de dégager des bénéfices sans précédent. Si ces dérives défraient la chronique par leur ampleur, Internet reste cependant un outil de transparence sans précédent.
L’obtention d’images de la planète coûtait plusieurs milliers de dollars au début des années 2000. Lors de l’invasion de l’Afghanistan en 2001, le gouvernement américain était en mesure d’acheter toutes les images satellite commerciales. Aujourd’hui, face à la multitude de données, aucun gouvernement ne pourrait faire de même. En 2021, un grand nombre d’images sont libres d’accès et offrent des qualités de résolution supérieures. Une photographie de n’importe quel endroit de la Terre, d’un pétrolier sinistré ou des itinéraires empruntés par des joggeurs dans une ville est disponible en quelques clics. L’avion utilisé par Lionel Messi pour se rendre de Barcelone à Paris le 10 août dernier a été suivi par des centaines de milliers de fans. Des responsables des fonds spéculatifs suivent les mouvements des dirigeants d’entreprise dans leurs jets privés, pour prédire les fusions et acquisitions. Des communautés en ligne et des outils collaboratifs, comme Slack, permettent aux amateurs et aux experts d’utiliser les informations fournies gratuitement, de dénoncer des pollutions marines et de trouver les responsables. Les Gouvernements font de même pour repérer les pêches illégales. Des détectives amateurs ont aidé Europol, l’agence de police de l’Union européenne, à enquêter sur l’exploitation sexuelle des enfants en identifiant des indices géographiques en arrière-plan des photographies. L’Organisation Non-Gouvernementale, Human Rights Watch, a analysé des images pour disposer de preuves concernant le nettoyage ethnique au Myanmar (Birmanie). Des analystes amateurs et des journalistes ont utilisé l’Open Source (OSINT) pour trouver le lieu des camps d’internement ouïghours au Xinjiang. En exploitant toujours des images, des chercheurs ont repéré que la Chine en train de construire des centaines de nouveaux silos de missiles nucléaires.
Les images et les données accessibles sur la toile n’empêchent pas la désinformation, la manipulation, ni les actes illégaux. En revanche, les moyens à la disposition des lanceurs d’alerte, des ONG, des gouvernements pour dénoncer de tels agissements sont importants. La probabilité que la vérité soit découverte augmente le coût des actes répréhensibles pour les gouvernements. L’Open Source peut poser des problèmes de sécurité. Ainsi, des internautes en utilisant les données des trackers de fitness peuvent déterminer les positions de militaires. Il est également possible de localiser les systèmes de défense antimissile américains. Le fait de disposer d’images très précises n’empêche pas les erreurs. Ainsi, après l’attentat du marathon de Boston en 2013, les internautes ont scruté la scène du crime et identifié plusieurs suspects en utilisant des applications dédiées, qui se sont révélés être des passants innocents. Les frontières entre la transparence et la désinformation sont fines. La concurrence au niveau des recherches et des enquêteurs constitue pour le moment la meilleure des parades pour éviter la désinformation. L’autre problème soulevé par l’accès aux images et aux données est le respect de la vie privée. Les données générées par les téléphones peuvent être facilement exploitées à des fins illégales. Tout le monde ou presque pouvant se transformer en paparazzi, nul est à l’abri d’une exploitation malveillante de son image. Avec la presse écrite, la radio voire avec la télévision avant le début d’Internet, compte tenu du nombre limité des diffuseurs, il était relativement aisé de faire retirer des informations diffamatoires. Google et les autres GAFA ont mis en place des procédures de protection de la vie privée et d’effacement à la demande de données mais les rectifications sont bien souvent longues et partielles. Avant les révolutions industrielles et la montée en puissance de la bourgeoisie, la vie privée existait peu au sein des villages et des petites villes. L’embourgeoisement, avec l’essor des logements individuels, du travail dans les entreprises, a provoqué une séparation des sphères publiques et privées. La vie de la famille échappait alors aux regards extérieurs. Internet induit un nouveau changement. Tout est désormais public sauf volonté contraire de l’individu.
Les cryptoactifs à la conquête du monde ?
Les cryptomonnaies ou plutôt les cryptoactifs pour reprendre le terme de la Banque Centrale Européenne sont des actifs virtuels stockés sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs l’acceptant en paiement de réaliser des transactions sans avoir à recourir à la monnaie légale. Le plus connu des cryptoactifs est le bitcoin représentant 50 % de l’encours de cette catégorie d’actifs. En 2019, 6 000 cryptoactifs étaient répertoriées. Ce nombre dépassait à la mi 2021 les 11 150. Leur capitalisation boursière est passée en deux ans de 330 milliards de dollars à 1 600 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB du Canada. Plus de 100 millions de personnes détiendraient des cryptoactifs en 2021, soit trois fois plus qu’en 2018. Des clubs de football ont créé des cryptoactifs ; celui du PSG a gagné 43 % avec l’annonce de la venue de Lionel Messi. Il a été indiqué qu’une partie de sa rémunération sera acquittée en Token du PSG.
Les cryptoactifs ne sont pas des monnaies car ils ne remplissent pas ou que très partiellement les trois fonctions dévolues à ces dernières. Leur forte fluctuation ne leur permet pas d’en faire des unités de compte. Leur forte volatilité rend complexe la réalisation des échanges. Ils induisent des frais de transactions importants pour de simples opérations de détail. Leur absence de valeur intrinsèque ne permet pas non plus d’en faire des réserves de valeur, inspirant confiance. Les cryptoactifs ne s’appuient sur aucun sous‑jacent réel. Leur émission repose sur un algorithme informatique, sans considération des besoins de l’économie et de ses échanges, ce qui ne permet pas de leur attacher une valeur intrinsèque. Au plan juridique, les cryptoactifs ne sont pas reconnus comme monnaie ayant cours légal, ni comme moyen de paiement Selon l’article L111‑1 du Code monétaire et financier, la monnaie de la France est l’euro qui est donc la seule monnaie ayant cours légal en France. Ils n’offrent aucune garantie de remboursement en cas de fraude. Ils ne sont pas émis contre remise de fonds. De ce fait, et contrairement à la monnaie électronique, les cryptoactifs ne sont pas assortis, dans l’Union européenne, d’une garantie légale de remboursement à tout moment et à la valeur nominale en cas de paiement non autorisé. Ils ne sont donc pas considérés comme des moyens de paiement par la Banque de France. Malgré tout depuis la crise financière, le marché des cryptoactifs est en plein essor. Il tend à accueillir un nombre croissant de professionnels. En 2020, les acteurs institutionnels (banques, assureurs, fonds) étaient responsables de 63 % des échanges, contre 10 % en 2017. Si l’essor des cryptoactifs est indéniable, leur marché demeure très volatil. Le bitcoin est ainsi passé de 64 000 dollars en avril à 29 000 dollars fin juillet pour remonter au début du mois d’août autour de 45 000 dollars. Avec leur diffusion croissante, de plus en plus d’experts estiment que le marché ne peut plus s’effondrer durablement. Les robots algorithmiques ont été programmés afin de passer des ordres d’achat automatiques quand le bitcoin passe en dessous de certains seuils. Néanmoins, ce marché est soumis à de nombreux aléas. Plusieurs risques demeurent. Une défaillance technique, un piratage ou une intervention des régulateurs pouvant aller jusqu’à l’interdiction ou l’émission de cryptomonnaies officielles, pourraient mettre un terme à l’envolée des cours. Une remontée des taux d’intérêt pourrait également réduire l’attractivité des actifs numériques.
Sur le marché des cryptos, trois catégories d’investisseurs cohabitent :
- les « fondamentalistes » qui parient sur la chute des devises et l’avènement du bitcoin comme monnaie internationale en raison du surendettement des États ;
- les « tacticiens » qui estiment que sa valeur augmentera avec son adoption par un nombre croissant d’épargnants ;
- les « spéculateurs » qui veulent gagner rapidement de l’argent.
Les spéculateurs sont de passage sur le marché des cryptos quand les tacticiens sont sensibles aux évolutions de leur cours. Les fondamentalistes sont peu nombreux mais plus fidèles. En cas de krach sur les cryptoactifs, de nombreux acteurs seraient concernés. Des associations, des fondations, des entreprises ont placé une partie de leurs liquidités en cryptomonnaies ces derniers mois. Les sociétés qui se sont spécialisées dans leur gestion seraient également menacées. La capitalisation des sociétés cotées de cryptographie est évaluée à 90 milliards de dollars. Les sociétés de paiement comme PayPal, Revolut et Visa perdraient une partie de leurs activités en croissance. Des acteurs de l’électronique et de l’informatique comme Nvidia, un fabricant de microprocesseurs, seraient touchés du fait de leurs ventes aux « mineurs » de cryptoactifs. Compte tenu de leur essor, les marchés « actions », avant tout aux États-Unis, pourraient être impactés par ricochet en cas de krach. Des banques ont prêté des dollars à des investisseurs qui ont ensuite acheté des bitcoins. Certains ont prêté des dollars contre des garanties cryptographiques. Dans les deux cas, les emprunteurs proches du défaut pourraient chercher à liquider d’autres actifs en cas de chute brutale et durable. Le marché des dérivés en cryptoactifs est passé de 1,6 à plus de 24 milliards de dollars de mars 2020 à juin 2021. Lors de la chute de 33 % du cours du bitcoin le 18 mai dernier, les liquidations forcées de position ont atteint près de 10 milliards de dollars. Étant donné que le changement de dollars contre des bitcoins est lent et coûteux, les traders souhaitant réaliser des gains et réinvestir les produits effectuent souvent des transactions en Stables Coins, comme le Tether, indexés sur le dollar ou l’euro. L’encours de ces Stables Coins dépasse les 100 milliards de dollars. Pour garantir l’indexation, les émetteurs de Stable Coins acquièrent des actifs (prêts, obligations, parts de fonds). En cas de « cryptocrash », les émetteurs pourraient être contraints de se délester de leurs actifs. En juillet, l’agence de notation Fitch a souligné que les cryptoactifs en cas de crise pourraient « affecter la stabilité des marchés du crédit à court terme ». Aux États-Unis, les responsables de la Securities and Exchange Commission et de la Réserve fédérale accordent une plus grande attention aux risques liés aux crypto-monnaies, et aux Stables Coins. Pour éviter un effet de contagion, le club de Bâle des superviseurs a récemment proposé que les banques financent leurs avoirs en bitcoins avec uniquement du capital, pas de la dette. La crainte des régulateurs est une sortie brutale des acteurs institutionnels et notamment des hedge funds des cryptoactifs. Un précédent a marqué les esprits. La chute de l’indice boursier américain S&P 500, de 2,5 % en une journée après l’engouement d’actionnaires individuels pour GameStop, une entreprise spécialisée dans les jeux vidéo qui a pris à contre-pied quelques hedge funds.
Pour le moment, les acteurs institutionnels n’envisagent pas de krach. Goldman Sachs prévoit de lancer un fonds crypto en bourse, Visa propose désormais une carte de débit qui paie les récompenses des clients en bitcoins. Plus les bitcoins se diffusent, plus la nécessité d’une régulation s’imposera afin d’éviter une déstabilisation de la sphère financière. Les banques centrales sont en train de tester l’émission de monnaies digitales qui pourraient concurrencer les cryptoactifs. La circulation parallèle de devises accessibles à un grand nombre d’acteurs pourrait devenir la règle dans les prochaines années. Jusqu’à maintenant, au sein des pays avancés, la devise nationale – ou plurinationale pour l’euro – était la seule à avoir cours légal. La possibilité de payer en bitcoins, en monnaie digitale de banque centrale, etc. , changerait bien des repères avec des risques de transferts spéculatifs à la clef. Aujourd’hui, il n’est pas interdit de détenir des dollars ou du yen mais les coûts de change sont dissuasifs. Si demain, il est possible de demander la conversion de son salaire payé en euros en bitcoins puis de payer avec ce dernier sa baguette, sans avoir de commissions à acquitter, la situation sera tout autre.