Le Coin des Tendances – la récession – aviation décarbonation
La décarbonation de l’aviation, mission impossible ?
L’aviation est responsable de 2,5 % des émissions des gaz à effet de serre anthropiques (dont 0,8 % pour les jets privés). Si le transport aérien joue un rôle marginal dans les émissions, il concentre les critiques en raison de son caractère élitiste et de sa forte croissance. À court terme, les capacités pour le transport aérien de se décarboner sont faibles. Si pour les avions à faible rayon d’action et de petite taille, les batteries électriques peuvent constituer une solution, il en est tout autrement pour les longs courriers. Le recours à l’hydrogène n’est pas envisageable au mieux avant une dizaine d’années. Pour limiter les émissions de CO2 de l’aviation, des espoirs sont mis sur l’utilisation d’un carburant à partir du dioxyde de carbone : le SAF (Sustainable Aviation Fuel). Ce dernier est élaboré en captant le CO2 soit dans l’air, soit dans les circuits de production industrielle. Plusieurs compagnies aériennes ont déjà effectué quelque 450 000 vols avec ce type de carburant. Le principal problème demeure son coût qui est trois fois plus élevé que le kérozène classique. Le processus de production du SAF est complexe. Le principal producteur de SAF hydrotraité est Neste, une entreprise finlandaise. Neste a comme objectif de produire 1,9 milliard de litres de SAF par an d’ici la fin de 2023, soit environ 15 fois la production mondiale totale en 2021 (mais toujours moins de 2 % de la consommation mondiale de kérozène). Neste recourt aux graisses de cuisson recyclées pour son carburant pour avion. D’autres sociétés utilisent cette technique. Aux États-Unis, World Energy a transformé une ancienne raffinerie à Paramount, en Californie, pour produire ce type de carburant. D’ici 2025, cette usine devrait produire environ 1,3 milliard de litres de SAF par an. La limite de la production du SAF est la capacité à disposer d’huiles et de graisses en quantité suffisante. En cas de manques de déchets, la tentation serait de produire de l’huile et des graisses naturelles au risque d’encourager la multiplication des palmiers à huile de palme et d’augmenter le prix des produits alimentaires qui l’utilisent. Aux États-Unis, les déchets forestiers et agricoles pourraient néanmoins répondre aux trois quarts de la demande actuelle du pays en carburant d’aviation, sans qu’il soit nécessaire d’établir de nouvelles plantations ou de concurrencer la production alimentaire. Pour améliorer le process, des industriels préfèrent utiliser la pyrolyse, qui permet de produire un liquide riche en hydrocarbures pouvant être transformée en SAF. Cette option a été choisie par Boeing. La direction du constructeur américain a annoncé en juillet que certains de ses avions seraient testés avec ce carburant. Une utilisation opérationnelle est attendue pour 2024. D’autres équipes de recherche travaillent sur des projets qui reposent sur une exploitation directe des émissions de gaz à effet de serre des entreprises industrielles. Les techniques de fixation directe du CO2 sont appelées processus power-to-liquid. Elles permettent la production de e-carburants (une abréviation d’électro-carburants, la production nécessitant de l’électricité). Les processus power-to-liquid ont en commun la création d’un mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone, appelé gaz de synthèse. À des températures et pressions appropriées, et en présence de catalyseurs appropriés, les constituants de ce gaz réagissent pour donner des hydrocarbures et de l’eau. Ce procédé est appelé Fischer-Tropsch, du nom des chimistes allemands qui l’ont inventé dans les années 1920. Il avait été utilisé par l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale pour transformer le charbon en combustibles liquides, afin de pallier le manque de pétrole.
Des équipes travaillent à la réalisation, à partir de l’énergie solaire, de gaz de synthèse en réduisant l’eau en hydrogène et le CO2 en monoxyde de carbone, ce gaz pouvant être transformé dans un second temps en SAF. La société Synhelion a annoncé qu’une usine expérimentale produirait du gaz de synthèse à l’échelle industrielle, près de Cologne, à partir de laquelle elle espère, l’année prochaine, livrer du SAF aux compagnies aériennes du groupe Lufthansa. Une nouvelle usine en Espagne est prévue en 2025 afin de profiter des capacités solaires de ce pays. D’ici 2030, la production de l’entreprise pourrait atteindre quelque 850 millions de litres par an, soit suffisamment pour répondre à environ la moitié des besoins des compagnies de la Suisse. L’objectif, d’ici 2040, est de 50 milliards de litres par an. Synhelion travaille également sur un projet récupérant le CO2 émis par la fabrication du ciment. Ce projet donne lieu à une association avec la Cemex, une entreprise mexicaine qui est l’un des plus grands producteurs de ciment au monde. Une partie de la fabrication du ciment consiste à chauffer du calcaire pour chasser le CO2. Cette industrie responsable d’environ 8 % des émissions anthropiques de gaz. Le CO2 en question est assez pur et peut donc être utilisée en tant que matière première. Après avoir testé cette solution avec succès en Espagne, les deux sociétés ont désormais comme projet la construction d’une usine qui fabriquerait du e-carburant. De son côté, Repsol, une entreprise espagnole, s’est associée à Saudi Aramco, le géant pétrolier saoudien, pour construire une usine à Bilbao qui fabriquera du carburant non seulement pour les avions, mais aussi pour les voitures, les camions et les bateaux, en utilisant de l’hydrogène vert et du CO2 alimentés par une raffinerie à proximité. Cette usine, dont l’ouverture est prévue en 2024, utilisera un procédé catalytique. Pour fabriquer du SAF, certains étudient la possibilité de recourir à la biotechnologie.
Selon certaines estimations, le SAF pourrait représenter, d’ici le milieu du siècle, jusqu’à 65 % de l’atténuation des émissions de carbone de l’aviation, le reste provenant des avions électriques et à hydrogène quand ils seront opérationnels. Pour cela il faudra produire plus de 450 milliards de litres de SAF par an. Pour favoriser la production de SAF, l’administration américaine a annoncé des crédits d’impôt et d’autres incitations dans le cadre du nouveau projet de loi sur les dépenses du pays. L’Union européenne préfère la méthode du malus et des quotas. Les États membres sont invités à imposer des objectifs. Le pourcentage de carburant décarboné devrait passer de 2 % en 2025 à 85 % d’ici 2050.
La récession, une bataille de « mots »
Les auteurs sur Wikipédia ne s’entendent pas sur la définition de « récession ». Le mois dernier, le site a été contraint d’interdire aux nouveaux utilisateurs anonymes de modifier la page consacrée à ce mot après la polémique portant sur l’affirmation selon laquelle deux trimestres consécutifs de baisse du PIB indiquent une récession. La page, qui n’avait auparavant été modifiée que 24 fois en 2022, a été modifiée à 180 reprises en une semaine. Le débat ne s’est pas cantonné à Internet et à Wikipédia. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, la qualification d’une période en récession génère d’intenses débats.
Une récession se caractérise par une forte baisse de l’activité économique se traduisant par un recul de la production, de l’investissement et de l’emploi. Les revenus des entreprises comme des ménages sont logiquement orientés à la baisse. La crise financière mondiale de 2007-09 a réduit de près de 4 % la croissance économique mondiale.
Dans certains pays, dont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, la convention veut que deux trimestres de croissance négative du PIB indique une récession. Mais de nombreux économistes estiment que cette définition est trop étroite. Le Japon utilise plusieurs indicateurs, notamment la production, les ventes au détail et l’emploi pour apprécier l’existence ou non d’une récession. Le gouvernement américain s’en remet au National Bureau of Economic Research, un groupe de recherche privé à but non lucratif pour déterminer si le pays est en récession. Un panel de huit économistes, connu sous le nom de Business Cycle Dating Committee est ainsi l’arbitre américain des récessions depuis 1978. Comme au Japon, le comité définit une récession en utilisant une série de facteurs, y compris l’emploi, le revenu des ménages et la production industrielle. Le critère du PIB est jugé insuffisant pour déterminer le développement ou pas d’une récession. Ce comité considère qu’actuellement les États-Unis ne sont pas en récession. L’emploi est toujours en forte croissance. Le chômage est faible et la croissance de l’emploi robuste : le pays a créé 528 000 emplois en juillet, soit plus du double des attentes. Les revenus des entreprises et des ménages augmentent. Ce comité estime que les jugements en temps réel sont sujets à d’importantes erreurs d’appréciation. En 2012, une récession a été à tort diagnostiquée au Royaume-Uni. Si officiellement les États-Unis ont été en récession entre 2008 et 2009, dans les faits, cette dernière avait commencé dès 2007. L’opinion est peu sensible aux arguties des économistes. Elle est en règle générale plus pessimiste que ces derniers. Selon une enquête réalisée par CNN en juillet ; 64 % des personnes interrogées estimaient qu’une récession avait, aux États-Unis, déjà commencé. En juin, 73 % des Britanniques répondant à un sondage Ipsos pensaient de même pour leur pays.
Au-delà des débats sémantiques, une récession est annoncée au Royaume-Uni comme en Allemagne. Le Royaume-Uni est confronté aux effets du Brexit et à la faiblesse des mesures de soutien aux ménages quand l’Allemagne doit faire face à une crise industrielle du fait de l’augmentation des coûts de production. La transition énergétique pénalise fortement le secteur automobile qui a été, en outre, fortement touché par la pénurie des microprocesseurs. La récession pourrait durer de trois à cinq trimestres mais, en la matière, les prévisions n’engagent que ceux qui les écoutent.