18 décembre 2021

Le Coin des Tendances – la voiture – rivalité USA / Chine – la grande démission du travail

La voiture, c’est finie ?

Sur fond de transition énergétique, un autre combat fait rage, celui de la place de la voiture au sein des grandes agglomérations. De nombreux élus ont pris position pour réduire la place dévolue à l’automobile dans leur cité. À Paris, la maire a décidé, avec son équipe municipale, de diminuer le nombre des places de stationnement et la vitesse. Elle a également limité les voies de circulation ouvertes aux voitures. Cette politique n’est pas spécifique à Paris. À Londres, à Milan ou à Berlin, les élus prennent des dispositions semblables ou ayant les mêmes effets. Même aux États-Unis, la voiture particulière est de plus en plus contestée. À Madison, la capitale du Wisconsin, le maire met en avant un nombre croissant d’habitants sans voiture qui recourent aux transports en commun ou au vélo pour se déplacer, rejoignant ainsi Paris où moins d’un habitant sur deux possède une voiture. À Cleveland, le maire prévoit de transformer les voies de circulation routière en voies cyclables protégées. Des villes comme Buffalo ou Minneapolis abandonnent les règles de « stationnement minimum », qui obligent les promoteurs immobiliers à réaliser des parkings dans les nouveaux bâtiments. À New York, un péage urbain pourrait être mis en œuvre pour se rendre à Manhattan. Chicago a prévu de construire 160 kilomètres supplémentaires de pistes cyclables séparées dans les trois prochaines années À Boston, plusieurs lignes de transports publics pourraient devenir gratuites prochainement. L’objectif des élus est de réduire les embouteillages et la pollution. Les habitants des grandes villes sont partagés. Ils sont favorables à une limitation des flux en provenance de l’extérieur mais estiment être également contraints dans leur liberté de déplacement. Les élus souhaitent également privilégier le développement par le tourisme et les loisirs. En Europe, Londres a été en pointe dans la lutte contre les voitures en établissant un péage dès 2003. En France, un des symboles de cette politique a été l’interdiction des voitures sur les rives gauche puis droite de la Seine décidée en 2013 et 2017. Cette mesure constitue une réelle rupture par rapport au projet qui avait abouti rive droite, à la réalisation de la voie express Georges Pompidou. Inaugurée en 1967, elle visait à permettre l’arrivée de la voiture au cœur de la capitale grâce à une autoroute. À Lyon, la reconquête des quais a été effectuée en supprimant l’autoroute urbaine des années 1960/1970. À Marseille, l’arrivée de l’autoroute A7 au cœur de la ville a été reculée afin d’aménager les quartiers de la Joliette. À Paris, le nombre de cyclistes aurait, selon la mairie, progressé depuis le 1er confinement de plus de 60 % grâce à la réalisation de plus de 50 kilomètres de voies cyclables. À Londres, les élus ont interdit dans plusieurs quartiers toute circulation routière.

Dans tous les pays, ces  politiques de restriction de la circulation routière génèrent des oppositions. Les habitants des banlieues se sentent ostracisés que ce soit par les péages urbains que par l’impossibilité d’utiliser des véhicules ne répondant pas aux normes environnementales en vigueur ou par la diminution du nombre de places de stationnement.  À Londres, l’instauration de quartiers sans voiture et d’une redevance prélevée sur les voitures anciennes polluantes ont entraîné des manifestations et des heurts avec les forces de l’ordre.

Si jusque dans les années 2000, le coût d’usage d’une voiture avait tendance à diminuer, depuis une dizaine d’années, une inversion s’est produite. Le prix des voitures du fait notamment du durcissement des normes environnementales augmente. La voiture redevient un produit de luxe. En dix ans, le prix à l’achat des voitures neuves a augmenté (+35 % en France selon le journal l’Argus) de telle façon qu’un nombre croissant de ménages n’y a plus accès. L’âge moyen d’achat d’un véhicule neuf est en hausse constante. En France, en moyenne, une voiture neuve coûte 26 000 euros, ce qui correspondait, en 2004 au prix d’entrée dans le haut de gamme chez Renault. Le taux de ménages ayant acquis une voiture neuve dans l’année est tombé à 2,3 % contre 7 % au milieu des années 1990. La proportion de particuliers dans les immatriculations n’atteint pas plus de 45 % des ventes, contre 50 % il y a cinq ans et 72 % il y a vingt-cinq ans. Les constructeurs estiment que les normes et l’électrification des voitures conduisent à une augmentation des prix. Cette dernière est également la conséquence d’une montée en gamme assumée par de nombreuses firmes automobiles. Les pouvoirs publics, en imposant la possession de pneus neiges dans de nombreux départements, contribuent à la hausse du prix d’utilisation des voitures. Cette augmentation touche en premier lieu les ménages le plus modestes. Ainsi, aux États-Unis, le budget « transports » absorbe 30 % du budget pour le ménages appartenant au premier vingtile dans la distribution des revenus quand ce taux est de 10 % pour les ménages appartenant au dernier décile. Le prix du carburant est dans tous les pays occidentaux un sujet de tension. Le gouvernement britannique a ainsi reporté les augmentations prévues des taxes sur l’essence depuis dix ans. La taxe sur l’essence du gouvernement fédéral aux États-Unis a été relevée pour la dernière fois en 1993. Le 23 novembre dernier, face au mécontentement des conducteurs, Joe Biden a décidé de puiser dans les stocks stratégiques de pétrole afin d’en faire baisser les prix, ces derniers ayant augmenté en un an de 55 %. En France, en 2018, avec les manifestations des Gilets jaunes, le gouvernement a abandonné son plan de hausse du prix des taxes sur le gazole. En Allemagne, le quotidien, Bild, fustige une culture « contre la voiture ». Au Royaume-Uni, le Daily Mail a mené une longue campagne contre les quartiers sans voiture et les pistes cyclables, arguant qu’elles provoquent des embouteillages et augmentent la pollution.

Les partisans des voitures sont surreprésentés chez les périurbains, les ruraux et les plus de 50 ans. Les jeunes ont une propension à conduire beaucoup plus faible que leurs aînés. Aux États-Unis, en 1983, 92 % des 20-24 ans avaient un permis de conduire. En 2017, ce chiffre était tombé à 79 %. Les jeunes sont plus susceptibles de vivre en ville, et préfèrent les transports en commun. Ce choix est également contraint. Le prix des logements ayant également fortement augmenté, leur pouvoir d’achat ne leur permet plus de faire face aux dépenses associées à la possession d’un véhicule. En France, alors que 90 % des moins de 25 ans détenaient leur permis en 1980, ils n’étaient, en 2018, plus que 80 %, selon les chiffres publiés par le ministère de l’Intérieur. En Allemagne, l’âge médian d’un acheteur de voiture neuve est de 53 ans, en France de plus de 55 ans quand en 2010, il était inférieur à 50 ans. En Allemagne, entre 1998 et 2013, les taux de possession d’une voiture ont baissé pour tous les moins de 40 ans, mais continuent d’augmenter chez les plus de 65 ans. La crise sanitaire pourrait modifier à la marge les tendances en cours. Par crainte du virus, des usagers habituels des transports en commun préfèrent utiliser désormais leur véhicule. Par ailleurs, l’engouement pour les villes de taille plus petite et pour les maisons avec jardin impose la possession d’une voiture qui était devenue inutile au sein des grandes agglomérations bien desservies en transports publics. L’augmentation de l’âge moyen des voitures, 10,8 ans en France en 2021, contre 8 ans en 2014 n’est pas sans limite. Plus de 40 % du parc automobile français, est susceptible d’être bloqué en cas de pic pollution, ce qui pourrait inciter, à plus ou moins long terme, les ménages d’opter pour des voitures moins polluantes.

Rivalité sino-occidentale, les États-Unis et les autres

Depuis le début de la guerre commerciale entre l’Amérique et la Chine, en 2017, les investisseurs, essaient d’évaluer dans quelle mesure et à quelle vitesse les deux plus grandes économies mondiales se découpleront et mettront à l’interdépendance qui les anime. De part et d’autre, l’idée d’un mur virtuel commercial, politique et militaire semble s’imposer. Les autorités chinoises sont tentées par un retour à un nationalisme protectionniste, celles des États-Unis souhaitant imposer à l’Occident un modèle isolationniste.

Si dans les années 2000 et 2010, les entreprises chinoises avaient la possibilité de se financer à l’extérieur, ce temps semble en partie fini. En souhaitant le retour des entreprises cotées chinoises en Chine, Xi Jiping met un terme à un processus d’internationalisation engagé en 1993. À l’époque, le gouvernement chinois encourageait les entreprises à lever à l’étranges des capitaux afin de bénéficier de ressources à faibles coûts. L’annonce de Didi Global, une société chinoise de covoiturage, de retirer ses actions de New York, six mois seulement après une offre publique initiale (IPO) est un symbole. Cette décision pourrait en amener d’autres. En 2021, les actions d’entreprises chinoises cotées à Wall Street représentent plus de  2,1 milliards de dollars. Le gouvernement chinois justifie son changement de politique par les nouvelles obligations imposées par les autorités américaines aux entreprises étrangères cotées dans leur pays. Celles-ci doivent fournir des informations de plus en plus précises sur leurs activités aux États-Unis et en-dehors au nom de la règle de l’extraterritorialité. Cette inflexion n’empêche pas dans le même temps les dirigeants chinois d’encourager la venue d’entreprises financières américaines en Chine afin de moderniser la place financière nationale. De la sorte, la Chine poursuit une stratégie de découplage asymétrique en réduisant sa dépendance vis-à-vis de l’Occident tout en cherchant à accroître celle de l’Occident à son endroit. L’exposition transfrontalière de JPMorgan Chase au pays a augmenté de 9 % depuis 2019. Les avoirs en actions et obligations des investisseurs de portefeuille étrangers ont presque doublé au cours des trois dernières années, pour atteindre 1,1 milliard de dollars. Si Xi Jinping a  déclenché une guerre contre les grandes entreprises de haute technologie afin de mieux les contrôler, dans le même temps, la place financière a bénéficié de 100 milliards de dollars de capitaux étrangers supplémentaires investis essentiellement au sein des start-ups chinoises. Le développement de la place financière chinoise constitue, à terme, une menace pour Wall Street. Des entreprises de pays tiers pourraient être incitées à chercher des financements en Asie. Un des enjeux, à terme, de cette relocalisation des activités de financement est le rôle dévolu au dollar. Malgré son rang de première puissance commerciale mondiale, la Chine est contrainte, pour ses échanges, d’utiliser le dollar. Sa volonté de se libérer de cette contrainte s’est manifestée à travers le développement d’un RMB digital.

La bataille avec la Chine n’est pas que financière. Elle est également technologique. Celle-ci concerne les secteurs de l’information et de la communication ainsi que ceux de la défense. La capacité de la Chine à se doter, toute comme la Russie, de missiles hypersoniques, a été durement ressentie outre-Atlantique. De même, la dépendance en matière de microprocesseurs ou de matériels de télécommunication a donné lieu à des plans de régénération de l’économie. Les États-Unis appellent de leurs vœux l’adoption par leurs alliés d’un comportement clair face à la Chine en réduisant leurs importations de biens sensibles. Taïwan, considéré par les Américains comme une démocratie modèle, est un élément clef dans la fabrique du monde de demain. En tant le principal producteur de semi-conducteurs avancés, ce pays est un maillon important pour la présence américaine en Asie. Complétée d’implantations au Japon, en Corée et en Indonésie, pays, elle permet de ceinturer la partie continentale de la Chine. La volonté de cette dernière d’imposer sa loi en Asie et en premier lieu à proximité de la Mer de Chine a, pour le moment, pour seule limite, la volonté des États-Unis de défendre Taïwan. Les Chinois préfèrent des tactiques autres qu’une invasion complète comme le recours à des cyber-attaques. Ils pourraient être tentés de prendre des îles périphériques et de réaliser un blocus naval afin d’amener Taïwan à négocier. Si les États-Unis venaient à abandonner leur allié, la partition du monde devrait s’accélérer même si l’instauration d’un rideau de fer entre les deux grandes zones économiques sera plus difficile à abaisser qu’en 1947 entre l’Est et l’Ouest de l’Europe.

Pour contrer la Chine et son projet de « Nouvelle Route de la Soie », l’Union européenne a appelé un monde « Indopacifique » libre et ouvert en proposant un plan de financement des infrastructures mondiales, comme les États-Unis l’ont également fait. La rivalité avec la Chine a conduit les Américains et les Britanniques à signer un accord avec l’Australie connu sous le nom d’Aukus prévoyant la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire. Ce contrat a été conclu après l’annulation du contrat avec la France qui ne portait que sur la livraison de sous-marins classiques. Les États-Unis estiment qu’il est stratégiquement nécessaire de doter l’Australie de sous-marins performants en vue d’un éventuel conflit avec la Chine au sujet de Taïwan. La compétition sino-américaine a donc fait une victime collatérale, la France. Face à la présence de plus en plus marquée en Nouvelle Calédonie, le Gouvernement français a infléchi sa position pour le dernier référendum d’indépendance de cette île. Si jusqu’à maintenant, il avait opté pour une neutralité, lors de la troisième et supposée dernière consultation organisée le 12 décembre, son souhait de maintenir la Nouvelle Calédonie s’est fait jour. Le refus de différer la date du scrutin comme le demandait les représentants indépendantistes Kanaks en a été un des signes.

Les États-Unis peinent malgré tout à réaliser un front antichinois du fait de la butalité et l’unilatérisme de leur politique étrangère. Sur le terrain commercial, Joe Biden reste, par ailleurs, proche des positions de Donald Trump. Il n’a pas souhaité adhérer au Pacte Transpacifique révisé. Le premier pacte, négocié par Barak Obama, avait été abandonné par Donald Trump. Malgré sa renégociation, les États-Unis restent sur leur ligne protectionniste, ce qui met à mal les relations avec leurs alliés. Le règlement des différends avec l’Europe progresse mais à petite vitesse. Le Gouvernement américain reste convaincu que, dans les prochaines années, l’Union européenne, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie voire l’Inde n’auront pas d’autres choix que de se rallier à ses positions en raison de leur dépendance militaire et technologique. Face à une Russie belliqueuse, une Chine hégémonique, un Iran imprévisible, les démocraties devront accepter le comportement égoïste des États-Unis.

La Grande Démission et la fin du travail

En 1919, après la Première Guerre mondiale et l’épidémie de grippe espagnole, de nombreuses villes occidentales ont dû faire face à des mouvements sociaux. Ce fut notamment le cas de la ville américaine de Seattle. Face à une forte inflation, les salariés de cette ville ont demandé des revalorisations de leur rémunération et une réduction du temps de travail. Les travailleurs des chantiers navals se sont alors mis en grève. Les autres secteurs d’activité au sein de la ville furent également touchés par des mouvements sociaux qui se sont répandus dans les autres grandes cités américaines puis à l’Europe qui était également en proie à des insurrections communistes, notamment en Allemagne. Les employeurs craignaient alors une montée d’un large sentiment anticapitaliste au sein des ouvriers.

Un siècle plus tard, Seattle a connu plusieurs grèves dont celle des menuisiers qui réclament une amélioration de leurs salaires et de leur condition de travail. Sur fond de pénurie de main d’œuvre et de démissions, les entreprises sont à la peine pour pourvoir de nombreux postes. Les entreprises technologiques ont augmenté les salaires moyens de près de 5 % depuis 2020. L’entreprise Microsoft qui est un des employeurs majeurs de l’agglomération, a affirmé qu’elle se préparait à gérer d’importantes transitions professionnelles. Une partie non négligeable de ses salariés souhaite soit avoir de nouvelles activités au sein du groupe, soit démissionner pour changer de vie. Aux États-Unis, plus de cinq millions de personnes ne seraient pas revenues sur le marché du travail après le confinements. Au mois d’août dernier, 4,3 millions de personnes ont démissionné de leur poste aux États-Unis. En octobre, ce nombre était de 4,2 millions. Ce  phénomène est appelé « The Great Resignation » – « la Grande Démission ». Avec la pandémie, de nombreux salariés auraient changé leur rapport au travail. Dans une banque à Manhattan, plus de 5 % des salariés ont déclaré vouloir changer d’emploi dans les douze prochains mois. Pour conserver leurs salariés les entreprises pharmaceutiques de la Cote Est sont contraintes de proposer de fortes augmentations de salaire. Pour le moment la zone euro échappe à cette vague de grande démission à la différence du Royaume-Uni. Dans ce pays au  troisième trimestre de l’année, près de 400 000 salariés sont passés d’un emploi à un autre après avoir remis leur préavis, le niveau le plus élevé jamais enregistré. En France, les secteurs de l’hébergement et de la restauration sont à la peine pour retrouver leurs salariés d’avant la crise. Cette situation est en grande partie due au non-retour de travailleurs immigrés après la fin des confinements.

Les enquêtes sur les motivations des salariés donnent des résultats contradictoires. Si une volonté de changer se fait jour, dans le même temps, l’engagement des salariés qui constitue un indicateur de la satisfaction au travail, est proche de son niveau record au sein de l’OCDE. Le nombre important de postes vacants offre, pour la première fois depuis de nombreuses années, des possibilités de choix pour les salariés. Grâce aux économies réalisées depuis le début de la crise sanitaire, ces derniers peuvent attendre avant de prendre leurs décisions. L’augmentation du nombre des démissions ne doit pas, en outre, être exagérée. Elle est la conséquence du gel du marché du travail en 2020. Des salariés ont différé leur départ de leur entreprise en attendant la fin de la crise sanitaire. Le souhait de changer de vie en abandonnant les grandes agglomérations était déjà vivace avant l’épidémie. Cette dernière n’a fait qu’accentuer cette tendance. Aux États-Unis, les États d’’Arizona ou du Nevada profitent du désintérêt de la population pour les grandes villes de la Cote Ouest. En France, Angers, La Rochelle, Le Mans ou Ajaccio se caractérisent pas de forts taux de créations d’emploi en lien avec l’augmentation de leur population. La Grande Démission ne s’apparente pas totalement à un rejet de la valeur travail. La demande en biens de consommation et en services des salariés souhaitant changer de vie reste élevée , d’autant plus qu’il s’agit majoritairement d’urbains.