Le Coin des tendances : le Japon – Génération Z
Le Japon entre inflation et déflation
Dans les années 1980, le Japon était tout à la fois le symbole de la réussite économique et une menace pour les États-Unis et les États européens. C’était l’époque ou Toyota, Nissan, Sony, Panasonic, etc. régnaient en maîtres sur de nombreux marchés. Le Japon était alors promis de devenir la première puissance économique mondiale au XXIe siècle mais le miracle japonais s’est enrayé dans les années 1990. Le pays, sur fond de déclin démographique, est passé à côté de la révolution des technologies de l’information et de la communication pour laquelle il était, pourtant, bien placé. Sony qui avait une multitude de brevets n’y a pas cru. Le conformisme japonais n’a pas facilité l’avènement d’un secteur qui a mis en avant son caractère disruptif. L’économie japonaise s’est alors enfoncée dans un cycle de faible croissance sur fond de déflation et d’envolée de la dette publique. La Banque centrale japonaise a bien avant les autres pratiqué une politique monétaire accommodante avec des taux directeurs faibles.
Le 19 mars dernier, la Banque du Japon a relevé ses taux d’intérêt pour la première fois depuis 2007, afin de lutter l’inflation. L’objectif de taux d’intérêt pour les prêts au jour le jour, auparavant compris entre -0,1 % et 0 % augmente d’un dixième de point de pourcentage. La banque centrale a également abandonné sa politique de contrôle de la courbe des rendements, qui plafonnait les rendements obligataires à long terme à 1 %. Le Japon semble ainsi suivre, avec retard, l’exemple des autres banques centrales. Le retour de l’inflation constitue une surprise pour ce pays. Avant 2022, l’inflation annuelle n’avait été supérieure à 2 % que pendant 12 mois au cours dix années précédente. Actuellement, il est au-dessus de ce niveau depuis 22 mois consécutifs. Avec la déflation, les salaires n’augmentaient plus. Mais, depuis quelques mois, leur progression, du moins dans les grandes entreprises, atteint plus de 5 %. La hausse rapide du cours des actions surprend également. L’indice Nikkei 225 a ainsi dépassé le record qu’il avait établi en décembre 1989, il y a plus de 35 ans…
Cette évolution traduit-elle une normalisation de l’économie japonaise ?
Les caractéristiques structurelles d’une économie sont plus importantes que ses attributs nominaux comme l’inflation, les taux d’intérêt globaux et la croissance boursière. Si l’on considère les fondamentaux, même la hausse des taux d’intérêt n’est pas tout à fait ce qu’elle semble être. Les taux d’intérêt réels au Japon demeurent négatifs voire ils sont devenus encore plus négatifs qu’avant la crise sanitaire en raison de la hausse des prix. De toute façon, la banque centrale a indiqué dans sa déclaration du 19 mars dernier qu’elle prévoyait de maintenir des conditions financières accommodantes et qu’elle continuerait à acheter des obligations ce que ne font plus la BCE et la FED.
Le maintien de taux d’intérêt bas n’est pas sans lien avec le vieillissement de la population. Les ménages âgés épargnent de manière importante permettant de financer le déficit public qui en 2023 a été de 5,6 % du PIB. La demande interne est atone en raison de l’attrition démographique que connaît le pays. Le Japon perd chaque année 300 000 habitants. 30 % de la population a plus de 65 ans et le taux de fécondité reste à des niveaux historiquement bas, 1,3 enfant par femme en 2023. Dans ce contexte, le FMI s’attend à une hausse du PIB de seulement 0,5 % par an au cours des quatre prochaines années, contre 2 % aux États-Unis. L’économie japonaise est bridée par les pénuries de main-d’œuvre, problème ne pouvant pas être compensé par l’arrivée de travailleurs immigrés compte tenu des fortes réticences au sein de la population. Le maintien d’une politique monétaire accommodante est enfin justifié par le poids de la dette publique (255 % du PIB en termes bruts et 159 % en net après compensation des actifs financiers de l’État). Ces taux figurent parmi les plus élevés au monde. Le service de la dette absorbe près de 9 % du budget de l’État. Celui-ci ne supporterait pas un resserrement monétaire qui amènerait les taux à plus de 4 %.
Plusieurs risques menacent le Japon. Pour commencer, le ralentissement de la croissance de la Chine également – sur fond de déclin démographique – le touche directement en réduisant le volume des exportations. Les tensions commerciales qui se multiplient sont également une source d’inquiétudes. Le Japon dépend des exportations de son industrie informatique et électronique ainsi que de ses constructeurs automobiles. Le pays sera également amené à réduire son déficit public. La pression du remboursement des intérêts sur le budget augmente d’année en année. Le système financier semble solide, mais le régulateur financier japonais a récemment renforcé sa surveillance des banques régionales. De nombreux observateurs s’inquiètent de l’effet des hausses de taux sur les prêts hypothécaires et sur les petites et moyennes entreprises qui ne disposent pas de réserves de liquidités importantes.
À moyen terme, l’inflation est susceptible de revenir en-dessous des 2 %, mais l’économie japonaise reste structurellement déflationniste. Le Japon a besoin de réformes qui accroissent la productivité et stimulent le taux de croissance potentiel. De plus en plus d’acteurs estiment que la politique monétaire ne peut pas résoudre tous les problèmes du pays. Une réorientation des dépenses publiques en faveur de la recherche et de l’investissement est de plus en plus demandée.
Le Japon ciblé par son allié américain
Depuis l’annonce en décembre dernier du rachat de US Steel par Nippon Steel, aux États-Unis, le débat est ouvert sur la sauvegarde d’un ex-fleuron national de l’acier. Joe Biden, en pleine campagne électorale, a souligné qu’il était « vital » que l’entreprise soit détenue par des propriétaires nationaux. « J’ai dit à nos métallurgistes que je les soutenais et je le pensais sincèrement ». Donald Trump, de son côté, a indiqué qu’il s’oppose à tout accord avec le Japon et répète qu’il est favorable à l’instauration d’un droit de douane supplémentaire de 10 %. Réduire les échanges commerciaux signifie des prix plus élevés pour les consommateurs. Empêcher le rachat d’entreprises par des concurrents étrangers aboutit à ralentir la diffusion du progrès technique. Dans le cas particulier d’US Steel, l’entreprise japonaise a pris l’engagement de ne pas supprimer d’emplois et d’augmenter les investissements. L’opposition de Joe Biden est apparu peu transparente car elle n’est pas fondée sur des règles claires. Elle risque d’être contreproductive en dissuadant l’arrivée d’investisseurs internationaux dont ont besoin les Américains pour compenser le déficit abyssal de leur balance des paiements courants. Elle risque en outre d’inciter toutes les entreprises américaines en difficulté et susceptibles d’être rachetées d’exiger le même traitement de la part des pouvoirs publics. La décision de Joe Biden place les États-Unis dans une situation inconfortable car elle vise directement un allié proche, le Japon. Celui-ci espère que la situation se détende après les élections du mois de novembre.
La génération Z, génération anxieuse ?
Le problème « jeunes » est une antienne qui traverse les décennies et les siècles. Dans les années 1930, aux États-Unis comme en Europe, la génération post 1914 était accusée de nihilisme, de recherche de plaisirs faciles, après les horreurs vécues par leurs aînés dans les tranchées. Après la Seconde Guerre mondiale, des blousons noirs des années 1950 aux révoltés de 1968, la guerre des générations marqua les Trente Glorieuses. Les années 1960 et 1970 ont été marquées par de grandes manifestations de jeunes en Europe comme aux États-Unis sur fond de libération des mœurs et de lutte contre la guerre du Vietnam. Dans les années 1980, encore, l’accent était mis sur les comportements à risques de jeunes que ce soit au niveau de l’alcool, de la vitesse ou du sexe. La société de consommation à outrance était alors la norme avec comme symbole la télévision. Dans un livre intitulé « La disparition de l’enfance » (1982), l’auteur américain Neil Postman, un théoricien de l’éducation, a soutenu que les adolescents étaient pervertis par la télévision. En France, Ségolène Royal avec son livre « Le stress du bébé zappeur » était sur la même ligne. Avec les chaînes d’information en continue, les drames de la planète sont vécus en temps réel. Les attentats contre le World Trade Center constituent en la matière une rupture. En direct, des centaines de millions de personnes ont assisté à la chute des deux tours et à la mort de nombreux de leurs occupants. Avec les réseaux sociaux, les fausses informations se mêlent aux vraies dans un ballet incessant.
Face à ce flux sans fin, les jeunes sont devenus des anxieux professionnels. Ils sont gagnés par la nostalgie et par le conservatisme. Autrefois révolutionnaires ou nihilistes, ils sont aujourd’hui les adeptes du statuquo. En France, ils défilent contre le report de l’âge de départ à la retraite et tout changement apporté au droit du travail. La génération Z qui rassemble les personnes nées entre la fin des années 1990 et la fin des années 2000 serait une génération de dépressifs. Aux États-Unis, un cinquième des étudiants ont reçu, en 2019, un diagnostic ou un traitement pour une dépression, contre un dixième dix ans plus tôt. Avec le covid, ce taux aurait encore progressé. En France, un cinquième des jeunes seraient également confrontés à des problèmes mentaux. Aux États-Unis, le nombre de suicides de jeunes est en forte hausse. Il aurait doublé de 2010 à 2023 pour les jeunes filles âgées de 10 à 14 ans. En France, les pensées suicidaires ont été multipliées par plus de deux depuis 2014 chez les 18-24 ans (passant de 3,3 % à 7,2 % en 2021). Les jeunes femmes sont particulièrement exposées aux pensées suicidaires. En 2021, 9,4 % des femmes de 18 à 24 ans déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, contre 5 % des jeunes hommes. Globalement, dans toutes les tranches d’âge, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à déclarer des pensées suicidaires. Pour expliquer le développement des sentiments dépressifs des jeunes, leurs aînés accusent les smartphones et les réseaux sociaux. Ces derniers capteraient l’attention et l’énergie des jeunes générations en les détournant des communautés réelles. Selon une étude de l’IFOP du mois de février 2024, les jeunes français auraient de moins en moins de relations sexuelles faute de temps, faute de désirs, faute de rencontres, malgré les applications qui sont censées les faciliter. Les nouvelles technologies de la communication et de l’information seraient par ailleurs responsables d’une fragilité, d’une sensibilité accrue des jeunes. Ces derniers reçoivent sans filtre une multitude d’informations en mode passif. Ils éprouveraient des difficultés à hiérarchiser les données. L’incapacité à exprimer des émotions à travers les écrans apparaît comme une source de frustrations. Jonathan Haidt, psychologue social et professeur d’université américain, plaide pour l’interdiction des smartphones à l’école. Il estime également que l’éducation des enfants est devenue trop protectrice. Le culte de l’enfant roi a transformé ce dernier en anxieux. Il souhaite que les jeunes puissent se déchaîner davantage afin de s’endurcir. L’écrivaine américaine, Abigail Shrier, stigmatise le recours à la psychologisation permanente de la société. Elle souligne qu’aux États-Unis, deux cinquièmes des jeunes ont déjà consulté pour des problèmes mentaux ; elle pense que ces consultations n’étaient pas toute fondées. La société de la victimisation n’aide pas à l’affirmation des caractères et à la responsabilisation. Les mauvais élèves seraient le produit du système et non le résultat d’une absence d’envie d’étudier. En France, les notes ont été bannies tout comme la culture générale à Sciences Po, jugée discriminante socialement. Il en a été de même, un temps, pour les mathématiques au lycée. Toujours à Sciences Po Paris, le mode de sélection a abandonné les épreuves sur table pour privilégier des critères prenant en compte les difficultés que les élèves ont rencontrées dans leur vie scolaire. Cette primauté de la victime ne rend pas les jeunes plus heureux pour autant, bien au contraire. L’augmentation du nombre de jeunes rencontrant des problèmes mentaux est peut être la conséquence du surcroît d’attention apporté à cette question. Les anciennes générations de jeunes étaient moins scrutées que les actuelles.
Au-delà de la santé mentale, les jeunes générations sont confrontés à des problèmes physiques. L’essor de l’obésité qui aurait quadruplé, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, chez les moins de 18 ans en trente ans à l’échelle mondiale inquiète les autorités qui demandent à leur population de faire de l’exercice. L’armée française constate une baisse des performances physiques de ses jeunes recrues. La sédentarité liée à l’utilisation des écrans touche en priorité les enfants et les adolescents. Selon une enquête de Santé Publique France, les enfants de 2 ans passent en moyenne 56 minutes par jour devant les écrans, tandis que les adolescents peuvent atteindre six à sept heures les jours sans école.
La génération Y était incomprise par les baby-boomers des années 1946-1964. Ces derniers stigmatisaient l’individualisme des premiers. Aujourd’hui, la génération Z est considérée comme perdue en raison de son manque d’implication, de son conservatisme voire son égoïsme. Il est assez sain que la succession des générations donne lieu à des tensions et à des remises en cause. Les problèmes de santé physique sont certainement plus inquiétants que ceux d’ordre mental. La mauvaise alimentation s’est propagée de génération en génération pour devenir une règle. Le no-sport de Winston Churchill s’est également imposé même si ce dernier point mérite d’être relativisé. Depuis la fin des confinements, les salles de sport et les piscines accueillent de plus en plus de jeunes.