14 janvier 2023

Le Coin des Tendances – Mer du Nord – Royaume-Uni

La mer du Nord, le nouvel eldorado de l’économie européenne ?

Le monde a longtemps tourné autour de deux mers, la mer Méditerranée et la mer du Nord. Elles ont en commun d’être riches et d’être des lieux d’échanges bordés par un grand nombre d’États. La mer du Nord s’étend sur une superficie d’environ 575 000 km2. Les pays qui la bordent sont le Royaume-Uni, la Norvège, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France (pour 50 km de littoral entre Calais et la frontière belge). En favorisant l’essor de nutriments dans ses fonds marins peu profonds, ses fortes marées constituent une aubaine pour les poissons et donc les pêcheurs. Ses ports, Anvers, Rotterdam ou Hambourg, sont au cœur du développement économique de l’Europe. Cette mer est devenue dans le troisième quart du XXe siècle un haut lieu de production de pétrole et de gaz. À leur apogée dans les années 1990, la Grande-Bretagne et la Norvège, produisaient 6 millions de barils de brut par jour, soit près de 50 % de la production actuelle des Émirats arabes unis. Un champ écossais pétrolier, le Brent, a même donné son nom au prix de référence mondiale du pétrole consommé en Europe.

Le renouveau énergétique de la mer du Nord

La mer du Nord souffre depuis plusieurs années de l’épuisement des gisements de gaz et de pétrole ainsi que de celui de ses réserves halieutiques. Depuis quelques années, elle retrouve une attractivité en devenant la zone d’installation de nombreuses fermes d’éoliennes. Cette mer est reconnue comme étant l’une des plus venteuses du monde permettant aux éoliennes de produire sur de longues périodes de volumes importants d’électricité. Les grandes entreprises d’énergies ou spécialisées dans les concessions investissent dans des parcs éoliens situés au Nord de l’Europe. Vinci, avec Siemens Energy, vient au début du mois de janvier 2023 de remporter un appel d’offre pour construire et installer deux plateformes offshore de conversion d’énergie éolienne en mer du Nord, au large de l’Allemagne. Ce contrat de quatre milliards d’euros permettra de générer 4 GW d’électricité couvrant la consommation d’une ville de 4 millions d’habitants comme Berlin. Leur mise en service est prévue en 2029 et 2030. Ce projet s’intègre dans le cadre du Plan de transition énergétique de l’Allemagne, prévoyant la réalisation d’un important réseau de production d’électricité d’origine éolienne off-shore. En juillet 2022, Vinci avait annoncé un contrat similaire d’un milliard d’euros pour alimenter l’équivalent d’une ville comme Hambourg, soit 1,8 million d’habitants à compter de 2028.

Un potentiel énergétique hors du commun

Le potentiel de production électrique de la mer du Nord est important. Le mauvais temps devient un atout économique. Avec des vitesses de vent moyennes de dix mètres par seconde, le bassin est l’un des plus rafaleux au monde. L’implantation des éoliennes est facilitée par la profondeurs relativement faible de la mer du Nord et par son sol meuble permettant la fixation des turbines dans les fonds marins. Les éoliennes offshore de la mer du Nord fonctionnent jusqu’à 60 % de leur capacité, contre 30 à 40 % pour des éoliennes au sol. Lors d’une réunion à Esbjerg en mai 2022, la Commission européenne et quatre pays de la mer du Nord ont convenu d’installer de quoi produire 150 GW d’ici 2050, soit cinq fois le total européen et trois fois le total mondial actuel de la production électrique par éolienne. En septembre, les États riverains de la mer du Nord ont décidé de porter ce potentiel de production à 260 GW. Cette montée en puissance est rendue possible par les progrès réalisés ces dernières années. Une turbine peut générer désormais 14 MW, et une ferme peut en contenir plus de 100. Les câbles sont plus robustes, les pertes sur longues distances sont réduites. Les transformateurs en mer, nécessaires pour convertir l’énergie éolienne du courant alternatif en courant continu, sont plus performants. Les parcs sont reliés non plus à un réseau mais à plusieurs réseaux électriques sur terre afin de permettre une meilleure exploitation de la production électrique. Plusieurs parcs éoliens en cours d’installation dépassent 1 GW de capacité, soit l’équivalent de la production d’une centrale nucléaire. Celui de Dogger Bank, situé entre 130 km et 200 km au large des côtes britanniques aura un potentiel de production de 3,6 GW en 2026. Les économies d’échelle entraînent une baisse des coûts, rendant l’éolien offshore compétitif par rapport aux autres formes d’énergie.

Au niveau de la logistique, la mer du Nord pourrait se doter d’ « îlots énergétiques » accueillant le personnel de réparation des parcs éoliens. Ces îlots concentrent l’électricité et produisent de l’hydrogène qui sera transporté à terre par bateau ou par pipeline. Près de dix programmes sont à l’étude. Un appel d’offre concernant « North Sea Energy Island », un atoll artificiel à 100 km au large des côtes danoises, devrait être lancé au cours de cette années. cet atoll a vocation d’être une plaque tournante pour dix parcs éoliens à proximité.

Des éoliennes à l’hydrogène vert

L’énergie électrique par éolienne qui dépend de la puissance du vent peut servir à la fabrication de l’hydrogène vert ou de l’ammoniac. En mai 2022, la Commission européenne a lancé un plan visant à multiplier, d’ici 2025, par dix la capacité de fabrication de d’électrolyseurs indispensables pour le fractionnement de l’eau. La bonne réalisation de ce plan permettra la production, d’ici 2030, de 10 millions de tonnes de carburant vert. La Commission a également proposé la création d’une « banque de l’hydrogène » capitalisée à hauteur de 3 milliards d’euros qui aurait comme mission de participer au financement des projets de construction d’usines de fabrication de carburant vert. Des pipelines destinés au transport l’hydrogène devraient se multiplier. Ils offrent l’avantage d’être moins coûteux à réaliser que les lignes à haute tension et à subir moins de pertes que ces dernières.

La mer du Nord, un espace de stockage du CO2

La mer du Nord pourrait également devenir un espace de stockage du CO2. Des études sont réalisées pour collecter et injecter des gisements de gaz épuisés de la mer du Nord le CO2 en provenance des entreprises cimentières ou chimiques. Un projet à Rotterdam, appelé Porthos, vise à relier le plus grand port d’Europe par un pipeline à une station de compression, puis à un champ gazier offshore épuisé. Cette installation pourrait absorber 2,5 millions de tonnes de CO2 par an pendant 15 ans, soit près de 2 % des émissions néerlandaises. Le port d’Amsterdam a également un projet similaire. La ville norvégienne de Bergen a récemment achevé les opérations de forage d’un puit d’injection de CO2 dans le cadre d’un projet baptisé « Northern Lights ». Au total en Europe, 70 projets de stockage ont été lancés.

Un écosystème vert se met en place

Les États d’Europe du Nord disposent de nombreux atouts pour attirer des entreprises de haute technologie. Les régions alimentées par l’énergie éolienne attirent de plus en plus les entreprises souhaitant atteindre la neutralité carbone. Meta a acheté 212 hectares de terres agricoles au Danemark, à proximité de la ville portuaire d’Esbjerg alimentée par une ferme éolienne en mer, pour construire un centre de données pour ses réseaux sociaux. Cette ville entend devenir un haut lieu des nouvelles technologies. Son maire fait la promotion de sa ville tant aux États-Unis qu’en Asie.

Les faibles prix de l’électricité réduisent le coût de stockage et de traitement des données pour les grandes entreprises du digital. Le climat de l’Europe du Nord permet de refroidir à moindres coûts les centres de données. Les États d’Europe du Nord disposent d’une main-d’œuvre hautement qualifiée et d’institutions stables. Les grandes régions d’implantation des centres de données (Irlande, l’Ouest américain) arrivent à saturation conduisant les entreprises à rechercher d’autres lieux. En 2021, les centres de données irlandais et autres usages numériques consommaient 17 % de l’électricité du pays. Les fournisseurs d’électricité, dans ce pays, rechignent désormais à accepter de nouveaux clients. Par sa faible profondeur, la mer du Nord est idéale pour le passage de câbles de données. 13 nouveaux câbles ont été installés en mer du Nord depuis 2020, contre cinq sur l’ensemble de la décennie 2010. Les entreprises de fabrication de batteries tendent à s’implanter dans des régions où l’électricité est abondante. Les entreprises de la sidérurgie ou de la chimie qui entendent utiliser de plus en plus cette énergie réfléchissent à la création d’usines dans le Nord de l’Europe.

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Les États d’Europe du Nord ont construit leur richesse sur le charbon et l’industrie. Le déclin de cette dernière et le climat ont conduit durant des années à une perte d’attractivité. Avec l’émergence des énergies renouvelables, ils renouent avec leur vocation industrielle, fondée sur une énergie abondante et peu chère. Les ports profitent de cette embellie en accueillant les infrastructures nécessaires à la construction de fermes d’éoliennes. Par ailleurs, l’arrêt des importations de gaz russe a pour conséquence le développement d’installations pour traiter le gaz liquéfié.

La possible puissance énergétique du Nord pourrait entraîner des changements de rapport de force au sein de l’Union européenne. Ces dernières décennies, la puissance économique de l’Allemagne reposait essentiellement sur les Länder de Bavière et du Bad Wurtemberg. La France, qui ne dispose que d’un petit accès à la mer du Nord, a peu exploité, pour le moment, le potentiel de l’éolien offshore et privilégie le nucléaire. Elle pourrait perdre de son influence en Europe au profit du Danemark, de la Belgique et des Pays-Bas. En dehors de l’Union européenne, deux États pourraient bénéficier d’un avantage compétitif, la Grande-Bretagne et la Norvège. La France entend de ce fait développer une filière d’hydrogène vert au sud de l’Europe avec la réalisation d’un pipeline entre Barcelone et Marseille. Des initiatives sont prises pour accélérer des projets de centrales solaires pouvant rivaliser avec l’éolien.

Deux ans après, le Royaume Uni, ne sait toujours pas sur quel pied danser !

Le Brexit a changé la vie de nombreux Britanniques. Les commerçants qui s’étaient, par exemple, spécialisés dans la vente de produits grecs ou corses, y renoncent en raison des contraintes administratives. Seules les boutiques faisant appel à des grossistes de taille suffisante peuvent proposer ce type de produits mais à des prix devenus prohibitifs. Les échanges avec l’Union européenne se sont ralentis. Les exportations britanniques vers l’Europe sont passées de 70 000 à 42 000 types de produits, selon un article de chercheurs de l’Aston Business School. L’ensemble de l’économie britannique pâtit de la réduction du commerce avec le continent. Selon l’économiste, John Springford, du Center for European Reform, le Brexit aurait réduit le PIB du Royaume-Uni de 5,5 % et entraîné une baisse de l’investissement de 11 %. Le Brexit a accentué les faiblesses du pays contrairement à ce qu’avait espéré ses partisans. La désindustrialisation s’est accentuée tout comme le déficit commercial. Les accords commerciaux signés avec la Nouvelle-Zélande ou l’Australie ne changent pas donne, les échanges avec ces deux pays étant réduits. Les États-Unis qui avaient promis monts et merveille sous la présidence de Donald Trump se montent avares en soutien, la priorité de l’administration de Joe Biden étant d’entretenir de bonnes relations économiques avec l’Union européenne.

« Out or in ? »

Plus de six ans après l’adoption du Brexit, 60 % de la population britannique considère que ce choix était une erreur, mais seulement 25 % se prononcent en faveur de la réintégration. En revanche, 70 % des sondés sont pour un renforcement des relations avec l’Union européenne selon le centre de réflexion « Tony Blair Institute ». Une normalisation des relations passe par l’adoption d’un tarif douanier plus favorable et par une simplification des démarches administratives. Le Royaume-Uni pourrait ainsi bénéficier d’un régime proche de celui en vigueur pour l’Islande, la Norvège ou la Suisse. Cette voie nécessiterait tout à la fois l’accord des tenants de la ligne dure au Royaume-Uni et des Européens qui n’entendent pas accepter un système de libre-échange sans compensation de la part des Britanniques. Le rapport de force est favorable à l’Union européenne, le marché britannique pesant de moins en moins dans les échanges avec les États membres.

Après être sorti de tous les programmes européens, le Royaume-Uni se montre plus coopératif, depuis le départ de Boris Johnson. Il a ainsi rejoint un programme visant à déplacer rapidement le matériel militaire à travers les frontières et s’est porté volontaire pour aider à surveiller la frontière sud de l’Union européenne pour faire face à l’arrivée de migrant. En décembre, il a décidé de participer au programme de l’Union visant à construire des parcs éoliens et des interconnexions électriques en mer du Nord. Les responsables britanniques rêvent d’une participation à la carte afin de tirer parti de l’Union et de ne pas être isolés sans être soumis aux contraintes de l’Union.

Le point d’achoppement le plus important entre Londres et Bruxelles concerne l’Irlande du Nord. Le refus de Boris Johnson de respecter le protocole du traité commercial qui permettait de maintenir la province dans le marché unique a provoqué d’importantes tensions. Le gouvernement britannique a contourné le traité en imposant une frontière douanière et réglementaire dans la mer d’Irlande, sachant que celle-ci ne pouvait pas être mise en œuvre entre l’Irlande du Nord et celle du Sud. Le Parlement britannique est appelé prochainement à se prononcer sur la suppression unilatérale des éléments du protocole concernant la frontière irlandaise. En réponse, l’Union a gelé la participation du Royaume-Uni à « Horizon », un programme de recherche scientifique, et à « Copernicus », un programme de satellites spatiaux, ainsi qu’à plusieurs accords de coopération entre les régulateurs (concurrence et services financiers notamment).

Des marges de manœuvre réduites

Le nouveau Premier ministre, Rishi Sunak, a promis de trouver une solution pour l’Irlande avant le 25e anniversaire de l’accord de paix du Vendredi saint au mois d’avril. Les députés anti-brexit restent néanmoins opposés au protocole et surtout au pouvoir d’arbitrage donné à la Cour de Justice de l’Union européenne. Le degré d’ouverture du Rishi Sunak est relatif car il a indiqué son intention de remettre en cause toutes les normes européennes. Il souhaite accorder une plus grande liberté aux services financiers ainsi qu’aux secteurs de l’intelligence artificielle et des sciences de la vie. Un projet de loi visant à modifier ou à abroger toutes les lois de l’Union devrait être par ailleurs adopté d’ici la fin de 2023. Cette divergence des normes rendra encore plus difficile les échanges. En cas de durcissement de la position britannique sur l’affaire irlandaise, la Commission de Bruxelles pourrait suspendre l’accord commercial en vigueur ce qui signifierait une forte augmentation des droits de douane. Le changement des normes pourrait ralentir les échanges obligeant des autorisations au cas par cas. Les accords sur la pêche et l’électricité qui doivent être reconduits en 2025 pourraient être abandonnés.

Le rendez-vous de 2025, possibilités et limites

Les relations commerciales avec l’Union pourraient rester compliquées jusqu’aux élections qui sont prévues justement en 2025. Une victoire travailliste, actuellement pronostiquée par les sondages, pourrait déboucher sur une normalisation plus rapide des relations avec l’Union européenne. La question de l’assouplissement des contraintes réglementaires appliquées aux échanges sera l’un des objectifs du gouvernement travailliste. Boris Johnson avait souhaité instituer un système complexe afin de tourner la page de l’Union et souligner la souveraineté restaurée du Royaume-Uni. Le négociateur européen Michel Barnier avait également prôné l’instauration de dispositions réglementaires contraignantes afin de ne pas inciter de nouveaux pays à sortir de l’Union européenne. Le Royaume-Uni n’avait pas vocation à être un membre fantôme du marché unique qui en aurait tiré tous les avantages sans en payer le prix. En 2019, un Brexit dur convenait à tout le monde. Le Labour propose de revenir à un système plus souple en particulier pour les échanges de produits agricoles. Les déplacements des artistes et des hommes d’affaire devraient être également facilités. Le Royaume-Uni est de plus en plus exclu des grandes tournées internationales en raison des contraintes qui pèsent sur les non-résidents souhaitant travailler, même de manière temporaire, sur son territoire. Les représentants du Labour entendent également trouver un accord sur les normes. Ils souhaitent par ailleurs, l’adoption d’un traité de sécurité avec l’Union européenne. Les partisans du Brexit avaient mis en avant la nécessité d’être dans ce domaine complètement autonome de l’Union. Du côté de l’Union européenne, l’intégration du Royaume-Uni à l’Espace Économique Européen auquel participe la Norvège ou l’Islande, ou à l’AELE n’est pas d’actualité. L’idée d’une voie médiane pourrait s’imposer. Le Royaume-Uni qui est traité comme le Canada pourrait se rapprocher du système en vigueur pour la Norvège.

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D’ici quelques années, le Royaume-Uni et l’Union européenne seront amenés à éclaircir leurs relations. Dix ans après le Brexit, les tensions seront moindres, permettant de modifier le traité commercial. Cette éventuelle renégociation interviendra dans un contexte tout autre. La pandémie et la guerre en Ukraine provoquent de nombreux changements. La coopération en matière de santé et de défense est devenue en Europe une priorité. Le Royaume-Uni qui demeure une puissance militaire importante ne peut pas négliger les conséquences de la guerre en Ukraine. Les États membres ne peuvent pas, quant à eux, se priver de l’allié britannique. Au niveau de l’énergie, l’interdépendance est également de mise. De part et d’autre de la Manche, une révolution de pensée sera sans nul doute nécessaire. Les dirigeants britanniques devront reconnaître le bienfondé du droit européen et les représentants des États membres les spécificités de la Grande Bretagne.