Le Coin des tendances – Milton Friedman – Russie – artificialisation des sols
Milton Friedman, du purgatoire à la résurrection
L’économiste américain Milton Friedman (1912/2006) a eu son heure de gloire dans les années 1980/1990 avant de rentrer au purgatoire à moins que ce soit l’enfer. Après avoir été le héraut du monétarisme et de l’équilibre budgétaire, il est aujourd’hui accusé d’avoir légitimé une dérive financière du capitalisme. Aux États-Unis, ni les Démocrates ni les Républicains, n’osent se réclamer de ses thèses. Pour autant, l’influence de l’économiste demeure. Ses critiques du keynésianisme, son plaidoyer en faveur de l’importance des banques centrales, son insistance sur la primauté de la masse monétaire dans l’explication de l’inflation et sa priorisation des taux d’intérêt réels par rapport aux taux d’intérêt nominaux sont d’une criante actualité. Milton Friedman a donné ses lettres de noblesse à la politique monétaire, longtemps considérée comme accessoire dans le domaine de la science économique. L’économiste américain fut surtout un des derniers à avoir une vision globale de l’économie et à relier celle-ci à la politique et aux libertés publiques.
Milton Friedman a démontré l’importance de la monnaie pour la macroéconomie. Ce qui aujourd’hui semble être considéré comme une évidence, ne l’était pas jusque dans les années 1950. Il a, en calculant la masse monétaire en circulation, prouvé que la Réserve Fédérale était en grande partie responsable de la Grande Dépression en 1929. Ben Bernanke, le Président de la FED durant la crise financière lors du 90e anniversaire de Milton Friedman lui avait rendu ainsi hommage : « en ce qui concerne la Grande Dépression, vous avez raison, nous avons commis une erreur. Nous en sommes très désolés. Mais grâce à vous, nous ne recommencerons plus ».
Milton Friedman a reçu le Prix Nobel d’Économie en 1976 pour ses découvertes dans le champ de l’analyse de la consommation, de l’histoire et de la théorie monétaire et pour sa démonstration de la complexité des politiques de stabilisation monétaire. Il aurait sans nul doute été horrifié par la croissance de la masse monétaire intervenue depuis quinze ans. Il en aurait déduit que le monde court le risque d’une hyperinflation. Selon la formule de base de la théorie quantitative MV=PY (M pour masse monétaire, V pour vitesse de circulation de la monnaie, P pour l’indice des prix et Y pour la production), il y a un lien direct entre le PIB, les prix et la masse monétaire. Fier de sa formule, Milton Friedman s’en servait comme plaque d’immatriculation pour ses voitures. Cette utilisation lui a valu quelques contraventions car le signe « = » ne rentrait pas dans les signes admissibles.
De son vivant, Milton Friedman fut accusé d’avoir été l’instigateur de politiques économiques brutales, en particulier dans l’Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin. Il fut même suspecté d’avoir épaulé Augusto Pinochet au Chili. Dans les faits, son influence dans la mise en œuvre pratique de politiques économiques fut faible.
Contrairement à certaines allégations, Milton Friedman jugeait la redistribution acceptable pour réduire la pauvreté. Il était favorable aux programmes de chèques scolaires et de soins de santé ainsi qu’aux politiques fiscales visant à améliorer les revenus des classes moyennes. Il ne s’est jamais considéré comme un économiste libéral classique. Il critiquait la philosophie du laissez-faire intégral qui « n’attribue presque aucun rôle à l’État autre que celui du maintien de l’ordre et de la paix ». Bon connaisseur des œuvres de Keynes et de Hayek, Milton Friedman considérait avant tout qu’il fallait sauver le marché en ne sacrifiant pas les libertés individuelles. Plus de 17 ans après son décès, cette objectif demeure d’actualité.
Zéro artificialisation, mission impossible ?
La loi Climat et résilience de 2021 a fixé un objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols en France à l’horizon 2050. Elle prévoit une diminution de moitié de la consommation d’espace par rapport à la décennie précédente à horizon 2031. Cette loi vise à limiter la conversion d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, en espaces urbanisés, en fixant un calendrier progressif de réduction de l’artificialisation. Elle constitue une rupture en matière d’urbanisme et soulève de nombreuses interrogations ainsi que l’opposition de certains élus dont le Président de la Région Auvergne, Laurent Wauquiez.
Des besoins en logements importants et non satisfaits
Dans un pays dont la population continue à augmenter et où les besoins en logement demeurent élevés notamment en raison de la multiplication des divorces, l’habitat est la principale cause de consommation d’espace. Entre 2009 et 2021, selon l’INSEE, environ 300 000 hectares (0,5 % du territoire national) d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été consommés en France hors Mayotte. Durant cette période, l’espace urbanisé a progressé de 8,7 %. Plus des deux tiers de cette augmentation (67,5 %) ont été affecté à l’habitat et 25,5 % destinés à l’activité économique. Dans 2 % des cas, les surfaces ont été consommées à la fois pour l’un et pour l’autre. Dans 5 % des cas, l’affectation reste inconnue. De 2009 à 2011, autour de 20 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers ont été utilisés chaque année à des fins d’habitat. Cette consommation annuelle a ensuite diminué jusqu’en 2015, en particulier en Bourgogne-Franche-Comté, en Normandie et dans les Hauts-de-France. Depuis 2016, elle avoisine 15 000 hectares, correspondant à une fois et demie la superficie de la ville de Paris.
Entre 2009 et 2019, le parc des résidences principales a augmenté de 8,8 %. Cette hausse explique 66,3 % de l’artificialisation des sols. Durant cette période, la population a, en France, augmenté de 4,2 % et explique près de la moitié de la consommation d’espace (32,9 % sur les 66,3 % précités). Dans le même temps, la diminution de la taille moyenne des ménages liée à l’essor des familles monoparentales et aux divorces a également accru le besoin en logements. La baisse de la taille moyenne des ménages (2,19 personnes par ménage en 2019, contre 2,28 en 2009) explique 33,4 % de la surface consommée.
Une partie de l’utilisation de l’espace s’explique par l’inadéquation entre offre et demande de logements. Les ménages ont tendance à se concentrer dans les grandes agglomérations et en bordure de littoral. En revanche, la population diminue dans plusieurs régions (Bourgogne Franche-Comté, Grand Est par exemple).
En France, le nombre de logements vacants a augmenté de 31 % en dix ans. Cette augmentation traduit en partie l’inadéquation entre offre et demande de logements. Elle contribue à la surface consommée en moyenne à hauteur de 19,4 %. Ce taux atteint plus de 35 % en Centre-Val de Loire ainsi qu’en Bourgogne-Franche-Comté et dans l’ouest de la région Grand Est.
Le développement des résidences secondaires
Le développement des résidences secondaires (+13 % entre 2009 et 2019), en particulier dans les zones touristiques, contribue également à diminuer la surface des espaces naturels, agricoles et forestiers. Ce facteur souvent mis en avant joue un rôle moindre (11,4 % de la consommation d’espace liée à l’habitat) en comparaison avec l’effet de la progression du nombre de logements vacants. Souvent observée en zone littorale ou de montagne, la hausse du nombre de résidences secondaires dans les départements touristiques peut expliquer plus de 30 % de la consommation d’espace. C’est le cas dans les Alpes-Maritimes, les Hautes-Alpes, en Guadeloupe et en Martinique, ainsi que dans les deux départements corses.
La taille des logements en question
Si les ménages aspirent à des logements plus spacieux, ils doivent accepter dans les faits des logements plus petits. La surface moyenne des logements a diminué de 4 % de 2009 à 2019. L’augmentation des prix explique cette évolution. En revanche, les élus locaux rechignent à accepter des immeubles de grande taille ce qui induit un étalement des constructions. Ce facteur explique 7 % de la consommation d’espace.
La surface moyenne des logements diminue dans 49 départements, notamment en raison des limites du foncier disponible et des niveaux du prix de l’immobilier. Dans quinze de ces départements, la baisse de la surface moyenne des logements contribue fortement à limiter l’espace consommé. Il s’agit notamment des départements franciliens, des départements d’outre-mer, de plusieurs départements ayant une grande métropole (Haute-Garonne, Rhône, Gironde, Loire-Atlantique et Nord) ainsi que des Pyrénées-Atlantiques. En revanche dans 22 départements, où la pression foncière est souvent moins forte, la hausse de la surface moyenne des logements contribue à augmenter la surface consommée de plus de 5 %, voire de 10 % en Lozère et de 11 % en Savoie.
La maison individuelle et l’artificialisation des sols
La maison individuelle est accusée d’être consommatrice d’espace d’où la priorité donnée à la densification. Les départements ayant en registré une forte artificialisation se caractérisent par une forte augmentation du nombre de maisons individuelles. Le calcul de l’espace artificialisée en la matière est sujet à discussion. En effet, la construction d’une maison individuelle donne lieu à une artificialisation de l’ensemble de la parcelle même si des espaces verts sont préservés voire créés. Entre des immeubles entourés de parking et des lotissements à faible densité intégrant des zones vertes, le bilan en termes d’artificialisation et de biodiversité peut se discuter.
Des situations variables selon les régions et les départements
Le taux d’évolution de la consommation d’espace lié à l’habitat entre 2009 et 2019 s’établit à 7,6 % au niveau national mais varie d’une région à une autre. Il est supérieur à 14 % en Corse mais il faut prendre en compte le fait qu’avant 2009 le taux de consommation de l’espace était faible. Le niveau de consommation a fortement augmenté (plus de 10 %) dans douze départements. La moitié se situe dans le quart sud-ouest de l’Hexagone (Landes, Gers, Pyrénées-Atlantiques, Haute‑Garonne, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne et Corrèze). Le Calvados, la Seine-Maritime, la Mayenne, la Haute-Savoie et l’Ardèche sont également dans ce cas. Avant 2009, les départements de l’Ardèche et de la Corrèze avaient un niveau de consommation encore limité (moins de 3 %), ce qui n‘était pas le cas des départements normands du Calvados et de la Seine-Maritime, ni de la Haute-Garonne, où plus de 5 % du territoire était déjà consommé pour l’habitat.
À l’opposé, le rythme de consommation d’espace est faible dans douze départements (moins de 4 % sur la période). Dans cette liste figurent les départements franciliens, à l’exception de la Seine-et-Marne, au sein desquels la part de la superficie consommée pour l’habitat était déjà très élevée avant 2009 (jusque 40 % pour les départements de la petite couronne). Le département des Alpes-Maritimes est dans une situation identique, alors que la Haute-Marne, la Nièvre, l’Aisne et la Meuse avaient un niveau de consommation limité avant 2009.
Dans les départements ayant une grande métropole, la consommation d’espace est avant tout liée à l’évolution de la démographie (60 % de la surface consommée). Il s’agit de la Loire-Atlantique (Nantes), Haute-Garonne (Toulouse), Gironde (Bordeaux), Hérault (Montpellier), Ille‑et‑Vilaine (Rennes) et Rhône (Lyon). Toutefois, la plupart de ces départements ne figurent pas parmi ceux qui consomment le plus d’espace sur les dix dernières années en raison de la forte artificialisation passée et du coût du foncier. L’Île-de-France se trouve dans cette situation où les capacités d’artificialisation sont faibles tant pour des questions de prix que de disponibilité du foncier.
La baisse de population joue un rôle important dans l’utilisation des espaces. Ainsi, le déclin démographique dans 25 départements contribue à modérer la transformation d’espaces naturels, agricoles et forestiers en lieux d’habitat, en particulier dans treize départements en déprise démographique. Il s’agit notamment de la Haute-Marne, la Nièvre, l’Indre, la Meuse ou encore la Creuse. Ces départements se caractérisent par une population âgée et faiblement active.
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La France est, au sein de l’Union européenne, un pays à faible densité démographique, 106 habitants au kilomètre carré pour une moyenne au sein de l’Union européenne de 114. De nombreux espaces sont peu ou pas peuplés. Imposer une zéro artificialisation fondée sur une logique de préservation de l’environnement pourrait générer de nombreux effets pervers voire contreproductifs. La population continue à augmenter et est, par nature, mobile. Par appétence, pour des raisons économiques, la population se déplace. Il est donc nécessaire de satisfaire à la demande de logements qui s’accroît par ailleurs pour des raisons sociétales (divorces, développement du célibat, essor des familles monoparentales). À défaut de pouvoir artificialiser, il faut donc densifier les espaces urbanisés ce qui n’est pas sans poser des problèmes de promiscuité et de sécurité. Par ailleurs, une telle politique aboutit à privilégier les propriétaires en zone urbaine dont les biens immobiliers ne pourront que se valoriser davantage. Ces derniers sont en règle générale favorables à la limitation des permis de construire. Les propriétaires ayant des terrains non constructibles se trouvent lésés n’ayant aucun espoir de les valoriser. Au moment où la France souhaite se réindustrialiser, la zéro artificialisation rend difficile l’implantation d’usines. Cet objectif est donc malthusien et assez injuste. Il renchérit le coût du foncier tant pour les entreprises que pour ceux qui cherchent un logement. Sur le plan environnemental, la densification génère des nuisances non négligeables en particulier en matière de gestion des réseaux (assainissement, eaux pluviales, etc.). La réalisation de lotissement associant construction et environnement avec un étalement de la population répond aux souhaits de nombreux ménages et permet de revitaliser des communes. Plutôt que de se focaliser sur l’affectation des sols il conviendrait de s’intéresser à la qualité des constructions et à leur conciliation avec l’environnement. En économie comme en sociologie, l’immobilisme n’est pas viable.
La Russie, en pleine vague inflationniste
La Russie, tout au long de son histoire agitée, a connu des épisodes de forte inflation. En 1917, en pleine période révolutionnaire, les prix ont fortement augmenté sur fond de pénurie. Durant le règne de Staline, plusieurs vagues inflationnistes ont mis à mal le pouvoir d’achat des ménages. La fin de l’URSS en 1991 et la crise financière mondiale entre 2007 et 2009 ont donné lieu à des hausses de prix importantes. L’invasion de la Crimée en 2014 et la guerre en Ukraine depuis le 20 février 2022 ont généré une forte accélération des prix. Près de deux ans après le début du conflit, l’inflation demeure élevée. L’inflation en Russie était de 7,5 % sur un an en novembre 2023, contre 6,7 % le mois précédent. La banque centrale n’a pas d’autre solution que de relever ses taux directeurs pour empêcher l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Ils ont été ainsi portés à 16 % vendredi 15 décembre. C’est la cinquième hausse consécutive depuis le mois de juillet.
Les hausses de prix depuis le début de l’année en 2022 sont provoquées par les embargos et par les pénuries de main-d’œuvre. La chute du rouble renchérit le coût des importations. Le rouble a perdu 25 % de sa valeur dans les jours qui ont suivi le déclenchement des hostilités. S’il est réapprécié dans une deuxième temps, il est à nouveau en baisse depuis le mois d’octobre. La perte de change demeure supérieure à 15 %
La Russie est confrontée à la désorganisation de nombreux secteurs d’activité. La mobilisation de centaines de milliers de réservistes pour combattre en Ukraine et le départ précipité de nombreux employés qualifiés à l’étranger pour éviter d’être enrôlé à l’armée génèrent un sous-effectif handicapant. Les salaires sont en forte hausse, +8 % sur un an et le taux de chômage est à un niveau historiquement bas (3,5 %).
L’inflation est également alimentée par la forte progression des dépenses de défense (+70 % en 2024). Les besoins de l’armée en logistique sont de plus en plus importants. De 10 000 à 15 000 tonnes de matériels sont livrées chaque jour selon le ministère de la Défense (nourriture, armement, linge, matériels, système de santé, etc.). Les dépenses militaires devraient atteindre 106 milliards d’euros en 2024, soit 30% des dépenses fédérales et 6 % du PIB, une première dans l’histoire moderne de la Russie. Les dépenses sociales sont également en forte progression. En prévision des prochaines élections, le gouvernement tend à être plus généreux. Certaines familles de soldats tués au combat reçoivent des indemnités équivalant à trois décennies de salaire moyen. Les chiffres du ministère russe des Finances suggèrent que les mesures de relance budgétaire représentent cette année environ 5 % du PIB.
La croissance du PIB surprend néanmoins. Attendu en baisse, celui-ci devrait s’accroître, en 2024, de 3,3 %.
Face à une demande en forte croissance, l’économie russe est en surchauffe avec des augmentations de prix qui concernent tous les secteurs. Le prix des chambres d’hôtel a été multiplié par plus de deux à Moscou entre février 2022 et décembre 2023. L’offre peine à répondre à la demande. La croissance pourrait rapidement s’enrayer. Le manque de capitaux commence à se faire ressentir. Les investisseurs étrangers ont retiré environ 250 milliards de dollars d’investissements directs, soit près de la moitié du stock d’avant-guerre.
La situation économique de la Russie dépend de l’évolution du cours du pétrole. Malgré la réduction de la production par les pays de l’OPEP et de ses alliés dont la Russie, le cours du baril tend à rester relativement faible. Le gouvernement russe peut compter sur ses fonds de réserve pour financer son effort de guerre et ses prestations sociales. Ces fonds ne sont pas néanmoins sans limite. Une guerre qui perdurerait deux ou trois années de plus se traduirait par une croissance des déficits et de l’inflation.