Le Coin des Tendances – puces -énergie
L’Europe et la menace de pénurie énergétique
L’Europe est-elle réellement confrontée à un risque systémique à l’automne avec la menace d’un manque d’énergie ? N’y-a-t-il pas une extrêmisation de toutes les situations ? L’Union européenne, la zone euro ont surmonté depuis l’an 2000, la crise financière, la crise grecque, la crise des migrants, le Brexit, la crise sanitaire. À chaque fois, les pythies ont annoncé la fin de la monnaie commune, de l’Union. À chaque fois, elles ont été démenties.
L’Europe est de longue date dépendante pour son énergie comme l’est également le Japon. La hausse brutale du cours du pétrole et surtout de celui du gaz remettent en cause le processus de rebond de croissance constaté après le choc de 2020. Cet été, les prix de livraison du gaz pour cet hiver sont sept fois plus élevés que leur niveau d’avant la crise en Ukraine. Face à une situation inédite, les gouvernements nationalisent des opérateurs énergétiques comme EDF en France et prévoient des programmes de rationnement de l’énergie. Le gaz assure un quart des besoins en énergie du Vieux continent, la Russie en fournissant le tiers. Contrairement au pétrole et au charbon, qui sont fongibles et relativement faciles à transporter à l’échelle mondiale, le gaz doit être acheminé par gazoduc ou transporté sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), en utilisant des installations spécifiques coûteuses. Tous les États européens ne sont pas dans la même situation en raison de leur degré de dépendance à la Russie et de possibilités de substitution du gaz russe différentes. Certains pays n’ont pas encore reconstitués la moitié de leurs réserves (la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie) quand d’autres sont à plus de 60 % comme la France.
Pour la Russie, le pétrole constitue la principale ressource. Il assure plus de 10 % de son PIB et près de 30 % des recettes publiques. L’embargo occidental sur le pétrole gène peu la Russie qui a trouvé d’autres clients. L’augmentation des prix la favorise même. L’embargo sur le gaz aurait également de faibles conséquences sur l’économie russe. Il représenterait 2 % du PIB national. Les effets seraient plus importants sur l’Europe qui ne peut pas s’en passer rapidement. Selon le Fonds monétaire international, la consommation annuelle de gaz de l’Union s’élève à 400 milliards de mètres cubes. Sur ce total, environ 285 milliards sont issus d’importations effectuées par gazoducs dont 145 milliards proviennent de Russie. Depuis le mois de mars, les Européens ont réussi à compenser la baisse de 60 % de l’approvisionnement russe en ayant recours notamment aux importations de gaz naturel liquéfié (GNL). Le FMI estime qu’une contraction des livraisons russes à hauteur de 70 % est gérable avec néanmoins comme corollaire une hausse significative des prix. Un arrêt total des livraisons russes durant l’hiver serait selon l’institution internationale plus problématique. Les prix seraient alors en forte augmentation et certains États devraient mettre en œuvre des rationnements afin d’éviter une implosion généralisée de leurs systèmes de fourniture de l’énergie. Le déficit de l’offre de gaz conduirait à une baisse contrainte de la consommation entre le début du mois de novembre et la fin mars d’environ 12 %, soit 36 milliards de mètres cubes. Un hiver rigoureux pourrait poser un réel problème. L’augmentation de la consommation peut alors atteindre 30 milliards de mètres cubes. Sans coopération entre les États européens et sans une gestion fine de l’énergie, la situation pourrait rapidement devenir catastrophique. Les pays les plus exposés sont ceux d’Europe centrale et orientale. Pour la Hongrie, la République slovaque et la République tchèque, le déficit d’offre de gaz pourrait s’élever à 40 %. Leur croissance pourrait être amputée de 6 %. En Autriche et l’Allemagne, le recul du PIB serait de 2 points, pour l’Italie de 3,5 points. Une forte récession dans ce pays qui est en proie à des problèmes de politique intérieure est une crainte pour les autorités européennes. Pour l’Espagne et la France, la perte de PIB serait d’1 point.
Face à de telles menaces, une course de vitesse s’est engagée en Europe pour remplir les réserves de gaz et de pétrole. Les dirigeants européens font la tournée des pays producteurs de gaz. L’Italien Mario Draghi était le 18 juillet en Algérie pour sécuriser les approvisionnements en gaz. Le même jour, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen était en Azerbaïdjan pour doubler d’ici quelques années les importations de gaz. La France a également récemment signé un partenariat énergétique avec les Émirats arabes unis … Le remplissage des réserves de gaz est passé de 26 à 60 % de mars à juin, l’objectif étant d’atteindre 80 % en novembre pour pouvoir passer l’hiver. Les achats de gaz naturel liquéfié (GNL) se sont multipliés en Europe. Ils ont augmenté de 70 % sur un an. Près de 30 % du GNL exporté dans le monde l’a été au profit de l’Europe ces derniers temps, contre moins de 20 % en 2021. Face à la pénurie de terminaux pour le GNL, l’Allemagne a acquis en urgence des barges flottantes de regazéification mais elles ne devraient être opérationnelles pas avant 2023. Ironie de l’histoire, une partie du gaz liquéfié vendu à l’Europe (15 %) proviendrait de Russie par des voies détournées. Ce pays aurait gagné près de 400 millions de dollars par jour ces derniers temps grâce aux ventes de gaz canalisé et congelé vers l’Europe.
L’année 2022 est la plus compliquée en raison de l’impossibilité de mettre en place d’ici l’hiver de nouvelles infrastructures pour le gaz liquéfié. Le plan européen de stockage est pour le moment contrarié par les problèmes rencontrés dans un champ gazier norvégien et par la température élevée de cet été entraînant une consommation plus élevée d’électricité. L’arrêt de nombreux réacteurs des centrales nucléaires françaises complique la situation.
En Europe, les consommateurs n’ont pas pour le moment supporté réellement les conséquences de la majoration des prix de l’énergie du fait de l’application des boucliers tarifaires. L’Allemand moyen paie 70 % de moins que le prix du marché pour le gaz. En France, la compensation est plus faible. Les utilisateurs industriels tels que les entreprises chimiques et verrières sont en difficulté, ainsi qu’une large liste d’entreprises, dont de nombreux champions allemands. Dans toute la zone euro, un arrêt des flux de gaz russe pourrait réduire la croissance du PIB de 3,4 points de pourcentage et augmenter l’inflation de 2,7 points de pourcentage, selon UBS une banque. En Allemagne, le coup serait encore plus élevé.
La crise sanitaire avec son arrêt sur image a provoqué une contraction brutale mais temporaire du PIB. Le choc énergétique a des effets bien plus pernicieux. Du fait que les États européens ne sont pas exposés de la même manière à la rupture des approvisionnements russes, les tensions internes à la zone euro pourraient se multiplier. Les tentations protectionnistes déjà latentes pourraient se multiplier d’autant plus que les gouvernements sont confrontés à la montée des extrémismes. Selon l’hebdomadaire « The Economist », le marché unique serait menacé par la crise énergétique. Pour contrer les forces antieuropéennes et pour résoudre les problèmes d’approvisionnement, la Commission de Bruxelles travaille sur un plan qui sera présenté au sommet européen convoqué en urgence le 26 juillet prochain. Compte tenu de leurs rôles dans le commerce du gaz, la Commission souhaite intégrer dans plan la Grande-Bretagne et la Norvège. Jusqu’à maintenant, Boris Johnson s’y opposait. Son départ pourrait peut-être faciliter le les négociations. L’Europe entend comme pour les vaccins grouper les commandes. La Commission a également demandé aux Pays-Bas de reporter la fermeture e leur champ gazier de Groningue prévue pour les raisons écologiques l’année prochaine. Le plan européens devrait fixer des règles communes en matière de rationnement. Les consommateurs intensifs d’énergie seraient mis à contribution en premier et les consommateurs particuliers en dernier. Les pays sont appelés à partager leur capacité de stockage et à garantir la libre circulation du gaz. La Commission pourrait également proposer une harmonisation des prix afin d’éviter des distorsions de concurrence. Elle serait favorable à la répercussion des hausses avec des mesures ciblées en faveur des ménages les plus modestes.
La crise ukrainienne débouchera peut-être sur la mise en place d’un grand marché de l’énergie en Europe. La construction européenne est née en 1951 autour du charbon avec la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier. En 1957, le Traité de Rome prévoyait avec Euratom une coopération au niveau de l’énergie nucléaire. Depuis, malgré les deux chocs pétroliers, peu de progrès avaient été réalisés. La pénurie de gaz par ses répercussions pourrait obliger l’Europe à s’unir afin de garantir la sécurité énergétique de ses membres. L’Europe tend à trouver des solutions parfois innovantes quand elle est confrontée à des situation de crises extrêmes.
Le marché des puces en recherche d’équilibre et de transparence
En 2021, la demande de cartes graphiques a augmenté de manière rapide. Elles sont demandées tant par les mineurs de crypto-monnaie que par les joueurs de jeux vidéo, les fabricants d’automobiles, de smartphones ou de missiles. L’année dernière, les revenus de l’industrie des puces ont augmenté de plus de 25 %, pour atteindre près de 600 milliards de dollars. Le producteur de microprocesseur taïwanais, TSMC, est devenu la dixième entreprise la plus valorisée au monde. Cette place est sans précédent pour un sous-traitant. La valorisation de cette entreprises a augmenté en un an de plus de 40 %.
Face à l’augmentation de la demande, TSMC et ses deux principaux concurrents, l’américain Intel et le sud-coréen Samsung, ont investi 92 milliards de dollars l’année dernière, soit une augmentation de 73 % par rapport à 2019. D’ici 2024, elles ont prévu 210 milliards de dollars supplémentaires d’investissement au cours des deux prochaines années. Cette frénésie semble néanmoins atteindre sa limite. La construction au quatre coins de la planète d’usines de microprocesseurs pourrait aboutir rapidement à une saturation du marché. Les prix seraient déjà orientés à la baisse tout comme les bénéfices. Samsung a mis en garde contre la stagnation de ses bénéfices et envisagerait de baisser les prix des puces mémoire au second semestre 2022. En juin, Micron Technology, un fabricant américain de puces mémoire, prévoyait des ventes de 7,2 milliards de dollars au troisième trimestre, soit un cinquième de moins qu’attendu.
Selon une estimation, les prix des puces graphiques ont chuté de moitié depuis janvier. La chute des cryptomonnaies réduit la demande de la part de mineurs. Par ailleurs, avec la fin des confinements, la consommation en jeux vidéo est en baisse. Les entreprises à fort besoin de microprocesseurs comme celles de l’industrie automobile se sont organisées pour garantir leur approvisionnement. Elles ont même pu créer des ateliers de gravure Les investissements engagés en 2021 devraient commencer à produire leurs effets d’ici la fin de l’année faisant craindre une surproduction. 34 centres e production de microprocesseurs ont été mis en ligne dans le monde en 2020 et 2021. 58 autres devraient ouvrir entre 2022 et 2024. Cela augmenterait la capacité mondiale d’environ 40 %. Intel a six usines en chantier. Les plans de Samsung incluent l’ouverture prochaine d’une grande usine au Texas. TSMC en construit une similaire en Arizona.
Un marché en voie de retournement
Le marché des ordinateurs personnels (PC) qui absorbe 30 % de la production de puces serait en train de se retourner. Après une poussée pandémique en lien avec l’essor du télétravail et de l’école à domicile, les livraisons mondiales d’ordinateurs sont en baisse depuis le début de l’année 2022 de 8 %. Les ventes de smartphones qui captent 20 % des puces produites, devraient également diminuer. Les ventes en Chine seraient en recul de près de 30 % au deuxième trimestre 2022 par rapport à la période équivalente de 2021. La survenue d’une récession ne ferait qu’accentuer cette tendance. La baisse de la croissance pourrait provoquer un repli des ventes de voitures ce qui pèserait également sur les achats de microprocesseurs d’autant plus que les constructeurs ont constitué des stocks de précaution importants. Les expéditions de microprocesseurs automobiles ont été d’environ 40 % supérieures, au premier semestre, aux besoins réels pour faire face à tout risque de pénurie. Si les ventes stagnent ou baissent, les entreprises diminueront en premier lieu leurs stocks.
L’abondance mais pas de baisse des prix ?
Le secteur des microprocesseurs est depuis la crise sanitaire jugé stratégique incitant les États à multiplier les subventions. Aux États-Unis, le Congrès discute un texte prévoyant l’octroi de 52 milliards de dollars sur cinq ans en subventions. L’Union européenne a promis de son côté 43 milliards de dollars jusqu’en 2030. L’Inde, le Japon et la Corée du Sud ont des programmes similaires. La Chine a lancé une politique de soutien à la filière des semi-conducteurs. La multiplication des aides devrait déboucher sur des surcapacités. Selon le Boston Consulting Group, cet interventionnisme pourrait entraîner une augmentation des prix de 35 à 65 % en raison de la diminution de la concurrence. Les industriels craignent par ailleurs que les États ne respectent pas leurs engagements. Certains seraient prêts à remettre en cause leur programmes d’investissements en raison de la baisse de la rentabilité du secteur.
Un secteur en proie à la géopolitique
Le gouvernement américain semble déterminé à réduire les échanges au niveau de microprocesseurs. Il multiplie les contrôles à l’exportation pour empêcher les acheteurs chinois d’accéder aux semi-conducteurs et aux équipements nécessaires à leur fabrication. Le marché des puces est de plus en plus fragmenté. Les entreprises chinoises se détournent des fabricants américains ou coréens pour privilégier les producteurs locaux. Or, les, producteurs de puces américains préviennent que leurs gros budgets de R&D seraient difficiles à maintenir s’ils perdaient la clientèle chinoise. Les États-Unis exercent des pressions croissantes auprès de leurs alliés pour limiter les exportations vers la Chine de biens technologiques. ASML, l’entreprise néerlandaise qui fabrique des machines de lithographie à 100 millions de dollars l’unité, utilisées pour graver des puces haut de gamme fait l’objet de demandes du gouvernement américain pour qu’elle cesse de les vendre aux entreprises chinoises. La Chine représente 15 % des ventes d’ASML. Après l’annonce des demandes américaines, son cours de bourse a chuté de plus 7 %.
Un marché monopolistique
Un des problèmes du marché des microprocesseurs provient de son extrême concentration. Dans les années 1980, un grand nombre d’entreprises étaient présentes. Aujourd’hui, chacune des catégories de microprocesseurs est dominée par deux ou trois entreprises. Sur les puces à mémoire, Micron, Samsung et sk Hynix tiennent le marché, contre 20 il y a quarante ans. Pour les microprocesseurs de pointe, Intel, Samsung et TSMC sont les capables de les produire, contre près de 30 entreprises en 2001. Des positions de rente se sont établies avec les effets pervers connus en matière d’offre et de prix. Les entreprises peuvent organiser des pénuries assez facilement et ne pas répercuter l’ensemble des gains de productivité.