Le Coin des Tendances – recherche génétique, philanthropie
La philanthropie, des origines à sa renaissance
La Fondation de Bill et Mélinda Gates, soutenue par plusieurs milliardaires américains dont Warren Buffet, joue un rôle de plus en plus important dans l’aide aux pays en développement et dans de nombreux programmes de recherche. Elle met en lumière le poids de la philanthropie aux États-Unis. La dotation de cette fondation dépasse les 50 milliards de dollars. Elle est devenue, depuis sa création en 2000, le premier acteur privé pour l’aide au développement. Elle a consacré plus de 1,75 milliard de dollars dans la lutte contre l’épidémie de covid-19.
Aux origines du mécénat
Dans la Grèce antique ou dans l’Empire romain, les familles riches se faisaient un devoir de financer des actions publiques. Ce devoir est quasiment une obligation, un signe d’honorabilité. De nombreux domaines étaient sujets à des dons, le sport (jeux olympiques), la culture, la religion, le secours des pauvres, des malades, des vieillards, ou des orphelins. Certains donateurs créaient des communautés qui pouvaient s’assimiler à des fondations. Le principe de base qui est toujours en vigueur était que le capital cédé soit affecté à une cause reconnue d’utilité publique
Après la chute de l’empire romain et pendant le Moyen Âge, les fondations ne subsistaient plus qu’au sein de l’église et sous sa seule autorité, reposant sur l’idée de charité. Les pouvoirs publics tentent de protéger les fondations. Ainsi, sous Philippe III (1245/1285), une ordonnance de 1275 prévoit la sécurisation des fonds destinés aux œuvres. Aux XVIe et XVIIe siècles, avec la multiplication des conflits armés, des famines et des épidémies, les institutions charitables se multiplièrent pour faire face aux conséquences sanitaires et sociales. Les communes et les églises encouragent les dons pour financer des dépenses croissantes. Devant la montée de pouvoirs parallèles, le Roi de France décida de réaffirmer que seul monarque a le droit d’autoriser la création de fondations. Une rivalité entre le pouvoir central et les ordres religieux se fait jour à partir du XVIe siècle et qui prendra fin avec la Révolution française. En 1666, l’édit de Saint-Germain-en-Laye prohibe les communautés nouvelles et réglemente celles existantes concernant la faculté de recevoir des dons et legs. Cette législation ne fut guère appliquée.
Pendant la période révolutionnaire, le décret d’Allarde du 2 et 7 mars 1791 et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, en interdisant les corporations et les corps intermédiaires, ont freiné l’émergence de structures philanthropiques, tout comme l’opposition entre l’église et les gouvernements républicains sous la IIIe République. La Révolution appliquait l’idée qu’il n’existait pas de constituant entre l’État et le citoyen. Ceci impliquait que l’État prenait toutes les questions touchant l’individu à sa charge. Sous le Consulat, le Code civil de 1802 ignore les fondations mais il prévoit l’acceptation de libéralités par des établissements d’utilité publique. Les dons se développent dans le cadre de « solidarités fraternelles ». En France, trois fondations ont survécu à la Révolution et existent toujours avec de nouveaux statuts mais avec leurs lettres patentes : l’hospice de Blérancourt, l’hospice de Condé, l’hôpital de Vireresxel.
Aux États-Unis, le rapport au mécénat est tout autre. Dès la fin de la Guerre de Sécession, les détenteurs de grandes fortunes s’associèrent avec des représentants du monde politique, économique et culturel afin d’améliorer le niveau d’éducation de la population et d’instituer un minimum de protection sociale. La législation américaine a été une des premières à reconnaitre la possibilité pour des acteurs privés de s’engager dans des missions de service public. La loi Tilden de 1893 permit l’émergence de la fiducie comme mode de gestion. Cette loi facilita la création des fondations qui prirent la forme de trustee. Leur nombre est passé, de 27 à plus de 200 entre 1915 et 1925. Le fondateur de la Standard Oil, John Davison Rockefeller créa, en 1913, la Fondation Rockefeller dotée alors de 250 millions de dollars. L’objectif qui lui avait été assigné était de « promouvoir le bien-être de l’humanité à travers le monde ». D’autres industriels comme Andrew Carnegie, Andrew Mellon, créèrent également des fondations. La Première Guerre mondiale contribua à enraciner le don dans la société américaine. Les massacres humains, les destructions entraînèrent des mouvements de générosité.
En France, l’organisation de la philanthropie fut plus lente à se dessiner qu’aux États-Unis. Le renouveau du mécénat intervient néanmoins à la fin du XIXe siècle avec notamment la création de l’Institut Pasteur par un décret du 4 juin 1887. L’objectif est de collecter à l’échelle internationale des fonds afin que Louis Pasteur puisse mener ses recherches sur les vaccins et diffuser celui contre la rage. D’autres fondations sont créées comme la Fondation Thiers (1893), la Fondation Centre Hélio Marin de Roscoff (1902), la Fondation Rothschild (1904), l’Institut Océanographique (1906). La création des fondations se poursuit entre les deux guerres avec l’Institut Curie (1921), la Fondation de la Croix Saint-Simon (1922), la Cité Internationale Universitaire de Paris (1925), la Fondation Santé des étudiants de France (1925) et les Apprentis d’Auteuil (1929).
Devant la montée en puissance des fondations américaines, André Malraux, Ministre de la Culture, confia à l’un des membres de son cabinet, Michel Pomey, la mission d’étudier leur fonctionnement et de proposer une adaptation de la législation française. Son rapport a débouché sur la création de la Fondation de France qui avait comme objectif de catalyser la générosité du public et de la contrôler. Cette fondation gère des missions philanthropiques qui sont confiées par des fondateurs, personnes physiques ou morales. La loi du 23 juillet 1987 a institué un statut de fondation reconnue d’utilité publique. Ce statut contraignant prévoyait même, jusqu’en août 2003, qu’un représentant de l’État siège au sein du conseil d’administration et du conseil de surveillance. La dotation minimale pour une fondation d’utilité publique doit être d’au moins un million d’euros, ce qui limite les possibilités de création. La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie autorise la création de fonds de dotation. Ce nouveau statut se veut plus souple et plus proche de celui des associations.
Selon la Fondation de France, plus de 2 487 fondations et 2 494 fonds de dotation auraient été répertoriés en 2017. 24 % d’entre elles interviennent dans le secteur social, 17 % dans la santé, 17 % dans la culture et 9 % dans l’enseignement supérieur. Les actifs représenteraient 26 milliards d’euros. Les États-Unis comptent plus de 85 000 fondations disposant d’une dotation totale de 865 milliards de dollars. Les dons aux particuliers représentaient, en 2015, 1,5 % du PIB aux États-Unis contre 0,6 % au Royaume-Uni, 0,15 % en Allemagne et 0,11 % en France.
De nombreuses grandes entreprises françaises se sont dotées de fondations qui participent de plus en plus à leur raison d’être. La fondation d’entreprise AG2R LA MONDIALE pour l’autonomie et le vivre ensemble reprend les valeurs défendues par le au groupe en intervenant en faveur de l’autonomie par l’éducation, l’entrepreneuriat des jeunes, l’économie sociale et solidaire ou la solidarité entre les générations.
Le rôle croissant des fondations aux États-Unis
Depuis une dizaine d’années, un renouveau du mécénat est constaté aux États-Unis. En 2010, l’appel de Bill Gates et Warren Buffet aux milliardaires afin qu’ils s’engagent à donner la moitié de leurs actifs de leur vivant ou à leur mort a créé un mouvement. Les fondateurs de start-up devenues des multinationales ont été à l’origine de nouvelles fondations. À la fin du premier semestre 2017, 170 milliardaires avaient accepté de relever le pari pour un montant dépassant 365 milliards de dollars. Mark Zuckerberg et son épouse ont ainsi décidé de donner à terme 99 % des actions qu’ils détiennent dans Facebook à une fondation qui a pour objectifs l’amélioration du potentiel humain et de l’accès à l’éducation ainsi qu’à la santé. Elle a également comme mission de faciliter la recherche scientifique et la transition énergétique.
Aux États-Unis, les créateurs de fondation veulent changer le monde quand, en Europe, ils privilégient les actions plus ponctuelles, plus proches du terrain. Cette différence est évidemment liée à la différence de taille mais aussi des rôles respectifs des États de part et d’autre de l’Atlantique. Aux États-Unis, les fondations viennent, en partie, suppléer la défaillance dans certains domaines des structures publiques quand, sur le vieux continent, elles interviennent en supplément. La philosophie des fondations européennes repose sur le mécénat quand, pour les Américains, elle est de nature messianique. Les États-Unis se caractérisent par de plus fortes inégalités qu’en Europe avec un niveau de prélèvements beaucoup plus faible, de 10 à 15 points de PIB inférieurs. La philanthropie serait un outil pour financer des biens publics non satisfaits par les administrations. Le poids des impôts étant plus faible qu’en Europe, les citoyens aisés disposeraient de marges financières plus importantes pour effectuer des dons. La montée des inégalités n’est pas réellement un facteur explicatif car celle-ci a été équivalente au Royaume-Uni et au Canada ces trente dernières années sans pour autant provoquer une progression des dons.
Des dons de plus en plus importants aux États-Unis
Des années 1960 aux années 2020, les dons aux fondations des foyers américains les plus aisés ont plus que doublé. En 1960, ils représentaient, pour les 1 % les plus riches, 40 % du revenu moyen américain ; en 2018, ce ratio était de 80 %. En France, malgré une législation très incitative, les dons n’ont pas connu une telle progression. Selon les données administratives fiscales, les dons des 10 % des Américains les plus riches représentent entre 2,5 et 3,5 % de leurs revenus quand en France ce ratio se situe entre 0,2 % et 0,4 %. Les dons en France sont dix fois plus faibles qu’aux États-Unis, cinq fois plus faibles qu’au Canada et deux fois plus faible qu’au Royaume-Uni. Les Français donnent plus néanmoins que les Espagnols. Aux États-Unis, les dons sont essentiellement réalisés par les plus riches ; plus de 60 % des dons sont le fait des 10 % des ménages les plus aisés. En France, les dons sont un peu moins concentrés, les 10 % les plus riches étant responsables de 40 % des dons. Le dernier centile de revenus est à l’origine de 30 % des dons aux États-Unis contre 15 % en France.
Le rôle ambigu de la fiscalité
La politique fiscale d’incitation des dons n’explique pas leur évolution. La France qui dispose de la législation la plus incitative se classe parmi les pays où les dons sont les plus faibles. Aux États-Unis, ces derniers sont encouragés non seulement par des déductions importantes mais aussi en raison d’un barème progressif de l’impôt sur le revenu. Les ménages les plus riches limitent la facture fiscale en déduisant les dons quand la France a privilégié le dispositif des réductions d’impôt dont le montant est indépendant du taux marginal d’imposition. Ces réductions d’impôt étant plafonnées, les contribuables aisés ne tirent pas un avantage fiscal à effectuer des dons importants. Il n’en demeure pas moins que le système français est le plus généreux avec une réduction d’impôt de 66 % sur les sommes versées dans la limite de 20 % du revenu imposable. Le taux de la réduction d’impôt est de 25 % au Portugal ainsi qu’en Espagne, de 26 % en Italie, de 29 % au Canada et de 33 % en Nouvelle Zélande. Les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni, la Suisse et donc les États-Unis pratiquent un système de déduction sur le revenu de base. Il est à noter que la Finlande est un des rares pays de l’Union européenne à ne pas disposer de dispositif d’incitation fiscale en faveur des dons. Aux États-Unis, la pratique des dons est très ancienne. Le premier dispositif fiscal date de 1917 et est intervenu en parallèle à l’imposition des revenus. L’orientation des dons vers les œuvres sociales est liée dans ce pays à une législation de 1938 qui a interdit tout soutien à des organisations agissant à l’extérieur du territoire américain dans un contexte d’isolationnisme exacerbé. En France, le mécanisme fiscal n’a été institué pour la première fois qu’en 1954. L’avantage fiscal était alors très faible car la déduction ne pouvait pas dépasser 0,5 % du revenu imposable. Ce n’est qu’en 1989 que le dispositif actuel fut introduit. La création des fonds de dotation en 2008 a également facilité le léger essor des dons en France. En 2016, 2,2 milliards d’euros en réduction d’impôt liés aux dons ont été accordés : 1,3 milliard d’euros au titre de l’impôt sur le revenu, 750 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés et 150 millions d’euros au titre de l’ISF devenu depuis l’IFI. Des dons peuvent être réalisés à travers les legs au moment des décès mais ils ne font pas l’objet de statistiques.
Des différences sociologiques entre l’Europe et les États-Unis
Les aspects sociologiques expliquent en grande partie l’importance des dons dans un pays. Les ménages recherchent une forme de reconnaissance de leurs pairs en effectuant un don qui est un vecteur d’image de soi. Les donateurs souhaitent infléchir le cours de la vie de leurs condisciples que ce soit en matière de santé ou de développement durable. Les pays où la religion protestante est majoritaire sont plus portés à la philanthropie que ceux qui sont d’obédience catholique. Le caractère moins hiérarchique du protestantisme, le rapport direct des croyants à Dieu peuvent expliquer cette différence. Le poids de l’histoire est également important. La France a toujours été assez réticente à l’immixtion du privé dans la gestion des biens publics. La faiblesse de l’épargne retraite, les relations complexes entre les acteurs publics et privés au sein du système de santé ou le débat sur la dépendance traduisent cette réticence. La protection sociale en France est une question qui relève de la sphère publique. Le privé est accusé de vouloir réaliser du profit sur les malades, les retraités, les dépendants. Si le privé intervient, ce n’est pas pour régler un problème mais pour tirer un avantage. En France, la nation s’est construite autour de l’État à la différence des États-Unis. Si dans ce pays, le mécénat peut épauler des dépenses publiques plutôt faibles, en Europe, ce sont les problèmes financiers des administrations publiques qui justifient son recours croissant. Les États ont de moins en moins de marges de manœuvre pour investir du fait d’un endettement croissant et de la priorité donnée aux dépenses sociales.
L’essor des fondations est parallèle à l’endettement croissant des États. Les mécènes privés sont appelés à se substituer au financement public. C’est dans cet esprit qu’un statut de fondation universitaire a été créé en 2007 en France et que les fondations hospitalières ont été instituées à partir de 2014. Ces fondations permettent aux institutions publiques de collecter des fonds et de les gérer de manière autonome. Elles échappent ainsi à la règle d’universalité budgétaire. En France, cette association publique/privée n’est pas sans poser problème comme l’ont prouvé les difficultés rencontrées par François Pinault pour présenter ses collections d’art en France. Les pouvoirs publics ont même accordé aux fondations la possibilité de financer la presse avec l’article 10 de la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.
La médecine à l’heure de la révolution génétique
Sans les avancées de la recherche génétique, la lutte contre l’épidémie de Covid-19 serait bien plus difficile. Les travaux sur les génomes qui ont commencé dans les années 1970 prouvent actuellement toute leur utilité. Le premier virus à avoir vu son génome décrypté était le ms2, en 1976. Cette structure simple comporte 3 569 lettres d’ARN. Cette découverte fut le fruit d’une dizaine d’années de travail dans un laboratoire belge. Le génome sars-cov-2, qui est presque neuf fois plus long, a été publié quelques semaines à peine après sa découverte par des médecins de Wuhan. Depuis, plus d’un million d’échantillons différents de sars-cov-2 ont été décryptés afin de rechercher d’éventuelles mutations. Pour la première fois, la séquence génomique originale est devenue la base de plusieurs vaccins à destination des femmes et des hommes.
La lecture de l’ADN dans un génome humain coûtait plus de 10 millions de dollars en 2007, aujourd’hui, l’opération est réalisée pour moins de 1 000 dollars. La digitalisation et le recours à l’intelligence artificielle sont une source d’innovations importante que des entreprises comme Moderna ou BioNTech ont su exploiter. Leurs vaccins sont novateurs dans le sens qu’ils permettent aux cellules du corps humain de fabriquer la protéine virale permettant de stimuler le système immunitaire. Vingt ans après les premières expérimentations, le succès des vaccins ARN contre le sars-cov-2 ouvre de nouvelles perspectives à la médecine. Des vaccins contre des maladies restant peu ou mal traitées comme le paludisme ou le cancer sont imaginables. En recourant à l’ARN, la médecine dote le corps humain de la possibilité de se réparer. Les cellules peuvent être amenées à réaliser certaines tâches. Les thérapies adaptées aux anomalies génétiques rares, voire ponctuelles, pourraient trouver des outils jusqu’à maintenant inconnus. Avec l’ARN, la médecine pourrait être à l’aube d’une nouvelle révolution à l’image de celle des antibiotiques en 1945 ou celle de la radiographie à partir des années 1960.
La pandémie a également démontré la valeur des technologies
de séquençage de gênes. L’observation de sars-cov-2 lors de sa mutation est un
élément clef dans la lutte contre l’épidémie. Elle permet un suivi des
mutations et de travailler rapidement sur une adaptation des vaccins. Si le
covid-19 devenait endémique, ce qui est loin d’être improbable, dans les
prochaines années, des dispositifs de séquençage seront certainement développés
afin de suivre en temps réel les virus et leur évolution. Des systèmes d’alerte
précoce pour la propagation d’agents pathogènes pourraient être créés. La
pandémie a comme conséquences positives de dévoiler tout le potentiel des
biotechnologies et de la recherche génétique. Avec l’accroissement des moyens
et la médiatisation dont bénéficie actuellement ce secteur, de nombreuses
avancées sont attendues dans les prochaines années. Les laboratoires
pharmaceutiques qui ont été longtemps dubitatifs sur l’intérêt de ces nouvelles
technologies devraient modifier leur plan de recherche en leur faveur.