Le Coin des Tendances – restauration – logistique, transports
La logistique, le virus et les fêtes de fin d’année
Les fêtes de fin d’année exigent une logistique à toute épreuve. Pour Noël et le nouvel an, les entreprises doivent livrer des milliards de cadeaux construits dans le cadre de process mondialisé. Pour certains secteurs d’activité, cette période représente plus du tiers du chiffre d’affaires annuel. Dès le mois de juin, de nombreuses usines sont réquisitionnées juste pour la confection de biens qui seront offerts à Noël. Les entreprises de transports planifient les livraisons à partir de septembre Avec la crise sanitaire, l’épreuve s’est muée en course d’obstacles de haute voltige. En plus de Noël, la demande est dopée par les plans de relance Depuis près de deux ans, la mécanique de précision qu’est l’industrie mondialisée doit faire face à des problèmes d’approvisionnement et de transports. Les pénuries de main-d’œuvre se multiplient dans de nombreux pays. Aux Etats-Unis, des millions de personnes d’âge actif refusent reprendre le chemin du travail. En Chine, les mesures de tolérance zéro conduisent à l’isolement de centaines de milliers de salariés et à la fermeture des terminaux portuaires dès la découverte d’un ou deux cas de covid-19. La diffusion du variant Omicron risque à nouveau de bloquer de nombreux sites de production en Asie. Cette situation génère une forte inflation. La valeur des marchandises exportées de Chine vers l’Amérique était de 5 % supérieure au cours des six premiers mois de 2021 par rapport à 2019, avant la pandémie. En septembre et octobre, cette valeur était même de 19 % supérieur à celui de deux ans plus tôt. Les retards de production se répercutent sur la livraison. En Chine, les porte-conteneurs sont contraints, d’attendre la réouverture des ports ou les marchandises. Il en résulte un manque de bateaux et de conteneurs dans d’autres régions du monde. Sur le marché du fret, le prix de transport d’un conteneur a été multiplié par plus de dix par rapport à son niveau d’avant la pandémie. L’envolée du prix du conteneur peut mettre en cause la rentabilité de certaines importations. Ainsi, la valeur d’un conteneur de chaussures de sport est d’environ 50 000 dollars. Un surcout de 15 000 dollars modifie en profondeur la rentabilité de l’opération. Les importateurs recourent à d’autres moyens de transports comme l’avion ou le camion pour réduire les surcoûts du transport maritime. Cette situation devrait perdurer car plus d’une centaine de navires sont en attente à proximité des ports en mer de Chine, d’autant plus que se profile le nouvel an chinois, période de faible activité.
Le marché du transport maritime pourrait être durablement déséquilibré. Depuis 2016, avec la guerre commerciale sino-américaine et la tertiarisation des activités, les investissements dans les porte-conteneurs avaient diminué. La crise sanitaire se traduit, pour le moment, par un retour en force des biens industriels. Les ménages s’équipent en biens électroniques et améliorent leur logement. Par ailleurs, les plans de relance conduisent à une forte demande de biens d’équipements. Il en est de même pour la transition énergétique. Le système de transports a tendance à se concentrer autour de quelques grandes entreprises sont Maersk, DHL, FedEx, CMA-CGM. La constitution d’un oligopole devrait amener une hausse des prix. Du fait des incertitudes sur l’évolution de la réglementation environnementale, les grands armateurs temporisent au niveau des investissements. Entre 2007-09, les carnets de commandes de navires équivalaient à environ 60 % de la flotte existante, ce taux est désormais de 20 %.
De la fourchette à l’assiette, les voies insondables de la restauration à travers les âges
Le 9 avril 2020 sur le site « OpenTable », un site Web de réservation de couverts dans les restaurants, l’activité était nulle en raison des confinements décidés à l’échelle internationale. En temps normal, des millions de réservation transitent, chaque jour, sur ce site. L’arrêt de la restauration sur place était inimaginable pour des millions de restaurants obligés soit de fermer, soit de modifier leurs activités. La livraison à domicile, la vente à emporter se sont ainsi imposées en quelques jours au point de constituer aujourd’hui des sources pérennes de chiffres d’affaires. La livraison à domicile qui était une activité marginale pour les restaurants s’est installée sur la durée. Pour des pizzerias à Paris, elle assure désormais plus de 50 % du chiffre d’affaires quand ce taux était inférieur à 10 % en 2019.
La restauration est un des plus vieux métiers du monde et s’est adaptée en permanence aux évolutions de l’économie et de la société. La vente à emporter a été longtemps la forme de restauration la plus répandue. Les archéologues ont dénombré 158 snack-bars à Pompéi, un pour 60 à 100 habitants, un ratio plus élevé que de nombreuses villes actuelles. La viande, le gibier et le poisson prêts à l’emploi étaient disponibles pour les Londoniens à partir des années 1170. Aux Etats-Unis, la première taverne a été ouverte en 1634, à Boston. A Paris, le premier « restaurant » avec un service sur place date de 1765. Il était situé rue des Poulies ou rue Bailleul. Il avait été par un marchand de bouillon nommé Boulanger. Cette version est contestée par l’Almanach du Dauphin de l’année 1777 qui attribue le premier restaurant à messieurs Roze et Pontaillé en 1766, locataires d’une partie de l’Hôtel d’Aligre rue Saint-Honoré. Selon d’autres sources, l’établissement de la rue des Poulies aurait été transféré dans un quartier plus huppé de la capitale ; les propriétaires en déménageant ayant également changé leur noms. Le terme « bouillon » s’est perpétué pour désigner un restaurant. Le titre du plus vieux restaurant de Paris est également revendiqué par deux autres établissements, « la Petite Chaise », située à Paris au croisement de la rue de Grenelle et de la rue de la Chaise et qui aurait été créée en 1680, et par « la Tour d’Argent » sur les quais de Seine qui existerait depuis 1582. Pour ces deux derniers restaurants, la preuve de leurs origines manquent. Ainsi, « la Tour d’Argent » affirme avoir accueilli pour un déjeuner Louis XIV et sa cour. Les historiens contestent ce fait, n’ayant retrouvé aucun document sur ce sujet. Par ailleurs, les quais n’étaient pas aménagés à l’époque. Les premières traces de « la Tour d’Argent » datent du XVIIIe siècle. L’établissement était alors un cabaret. Au-delà du titre de premier restaurant de Paris, le principe de la table d’hôte avec une grande table et un menu unique s’est développé à partir du XVIIIème siècle faisant suite à l’essor des cafés dont un des plus anciens à Paris est le Procope, ouvert en 1686. Si dans un premier temps, prévalait le service à la Française en vertu duquel tous les plats arrivent en même temps, le service à la Russe avec la présentation des plats les uns après les autres s’est imposé depuis.
En parallèle au restaurant ouvert à une clientèle de passage, des cuisines communautaires pouvant avoir un objectif de bienfaisance étaient réservées aux habitants, les étrangers étant souvent refusés. Le charbon étant relativement cher, des familles qui n’avaient pas les moyens financiers pour en acquérir pouvaient ainsi accéder à des plats chauds.
Si les restaurants ne se sont pas imposés avant le XVIIIe siècle, c’était en raison de l’inconvenance, à l’époque, de s’attabler à la vue de tous. Les terrasses étaient alors inimaginables. Le développement de la restauration collective est également dû à un changement dans les pratiques commerciales. Certains historiens estiment que les restaurants sont apparus dans une phase de libéralisation de l’économie. Avant le XVIIIe siècle, les guildes puissantes rendaient souvent difficile pour une entreprise de vendre deux produits différents simultanément. Les bouchers monopolisaient la vente de la viande, les vignerons celui du vin. Les restaurants en vendant de la viande, des légumes, du vin, etc., brisaient cet interdit. Quand le dénommé Boulanger proposait à sa clientèle, à Paris, un plat de « pieds de mouton sauce au vin blanc », les traiteurs ont affirmé que le plat contenait un ragoût, un plat de viande qu’ils étaient seuls autorisés à préparer. Ils ont porté leur affaire devant les tribunaux, mais Boulanger a gagné son procès. Censée marquer le début d’un mouvement dans la France du milieu du XVIIIe siècle vers des marchés plus ouverts, l’histoire est probablement apocryphe. En Grande-Bretagne, les réformateurs inquiets de l’ivresse publique ont adopté une loi en 1860 autorisant les lieux servant du vin à proposer également des plats. À peu près à la même époque, les États américains ont commencé à adopter des lois sur la sécurité alimentaire, donnant aux clients plus de confiance dans la qualité des aliments qui jusqu’à maintenant pouvait laisser à désirer.
Si les restaurants ont d’abord, accueilli des clientèles modestes, dans un second temps, avec l’abandon de la table et du menu uniques, ils ont attiré des clients aisés qui pouvaient montrer leur richesse en commandant des boissons et des plats onéreux. Le Guide Michelin a été publié pour la première fois en 1900 ; les étoiles sont arrivées 26 ans plus tard. En France, en 2019, plus d’un million de personnes travaillaient pour le secteur de la restauration, en hausse de plus de 20 % par rapport à 2001. Les Français ont dépensé plus de 57 milliards d’euros en 2019 dans les restaurants. Le développement du tourisme, l’éloignement croissant des lieux de travail du domicile, le changement des modes de vie expliquent cet essor dont a profité, en premier lieu, la restauration rapide. Même si les ménages disposent désormais de cuisines de plus en plus sophistiquées, de robots culinaires, de lave-vaisselles, jusqu’à la crise sanitaire, le nombre de repas pris à l’extérieur du domicile était en constante augmentation. Pour autant, la note des restaurants a fortement progressé ces dernières décennies. Aux Etats-Unis, en 1930, un repas au restaurant était 25 % plus cher qu’un repas équivalent à la maison ; en 2014, l’écart était passé à 280 %. De 2007 à 2020, le prix d’un repas dans un restaurant trois étoiles Michelin était le double du taux d’inflation sous-jacente.
Le recours à la restauration est une question d’offre et de demande. L’augmentation des flux migratoires constitue un vecteur important dans l’ouverture de restaurants. Les qualifications exigées sont assez faibles tout comme les besoins de capitaux. Les restaurants mettant en avant les cuisines étrangères dépassent en termes de clients la simple communauté dont ils sont l’expression. Les restaurants chinois ou italiens en sont les vibrants exemples. Le développement du travail des femmes a conduit ces dernières à avoir moins de temps à consacrer à la préparation des repas. Le combat pour l’égalité avec les hommes a aussi amené à une répartition plus équilibrée des taches au sein des ménages, égalité qui a favorisé la restauration, qu’elle soit sur place ou à livrer. Le décollage des fast-food en France a commencé à la fin des années 1970 et au début des années 1980, années marquées par la forte progression du taux d’activité féminine. Les ménages consacrent de moins en moins de temps au repas du fait de la progression de celui dévolu aux loisirs. Le coût utilitaire marginal de la préparation des déjeuners ou des dîners à la maison a augmenté, rendant le prix du restaurant relativement plus abordable.
Le succès des émissions télévisées sur les chefs cuisiniers souligne l’importance que la restauration a prise. Ces derniers sont désormais considérés comme des stars. Si pour certains, le souhait de redécouvrir les charmes du fait à la maison est important, ce phénomène reste assez marginal. Certes, durant les confinements, les ménages auraient repris goût à préparer des plats à la maison. La meilleure preuve en aurait été fournie par l’achat massif d’ustensiles et de robots ménagers. Malgré tout, le grand gagnant de la crise sanitaire en matière de restaurant est Uber Eats qui réalise désormais un chiffre d’affaires supérieur à Uber et les VTC. Après les confinements des années 2020 et 2021, les restaurants ont bénéficié rapidement d’un afflux de clients qui avaient été privés de sortie. Quelle que soit sa forme, le restaurant fait partie des sorties plaisirs pour une grande partie de la population. La demande en authenticité progresse, obligeant les franchises et la restauration rapide à s’adapter. Les plats proposés doivent donner l’impression d’être artisanaux, faits au fond de la cuisine, même si ces derniers n’échappent pas au processus d’industrialisation de la filière. Dans les années 1970, Jacques Borel lance une chaine de restauration autoroutière et fait l’objet de critiques acerbes. Il était accusé de proposer des plats industriels. Cinquante ans plus tard, de nombreux restaurants de toute taille se font livrer tout ou partie de leur carte en ayant recours à des cuisines industrielles. La recherche de l’authenticité avec la réalisation de décors anciens côtoie ainsi des pratiques tayloriennes. Les restaurateurs aiment mettre en avant pour rassurer leur clientèle que leur établissement existe depuis des décennies, voire des siècles. Le Procope à Paris en est la parfaite illustration. Si le nom évoque la Révolution française, l’établissement actuel date des années 1950.
La restauration évolue au gré des modes, des comportements, des besoins économiques. Elle se segmente de plus en plus à l’image des autres produits et services. Sur fond de marché en expansion, elle prend des formes de plus en plus multiples, de la vente à emporter jusqu’au restaurant gastronomique. La répartition des restaurants sur le territoire évolue au gré des déplacements de la population. Autrefois, essentiellement en centre-ville, ils se sont développés en périphérie, à proximité des centres commerciaux et des bureaux. Comme les boulangeries, ils peuvent ressembler à des hangars aménagés. Depuis une dizaine d’années, les camions-restaurants, « les food trucks » ont fait leur retour, permettant d’amener les repas au plus près des consommateurs tout en jouant sur la fibre nostalgie. Ils servent des burgers, des pizzerias, des sushis, des crêpes. Ils étaient très présents dans les années 1960 et 1970 avant de connaître un déclin important en raison de la montée en puissance des fast-food. Le concept avait été mis au point par Charles Goodnight sous le nom du « chuckwagon » durant la Guerre de Sécession aux Etats-Unis reprenant le concept des cantines de campagne chères à toutes les armées. Toujours autre-atlantique, les camions restaurants connaissent un succès important à la fin du XIXe siècle en se positionnant à proximité des usines et des cités ouvrières.