Le Coin des Tendances – Royaume-Uni – banques centrales et inflation
Royaume-Uni, l’Empire déchu
Six ans après le référendum sur le Brexit et un an et demi après le départ effectif de l’Union européenne de la Grande Bretagne, l’économie de cette dernière demeure convalescente. La crise sanitaire, en brouillant les repères, permet d’atténuer les effets réels du divorce.
Des problèmes économiques anciens
L’économie britannique est en souffrance depuis de nombreuses décennies. Elle n’a pas connu le même essor que les États européens continentaux durant les Trente Glorieuses. Le poids des dettes issues de la Seconde Guerre mondiale, une politique monétaire inadaptée, des prélèvements élevés et un marché du travail rigide à cette époque ont entravé la croissance du Royaume-Uni. Les années 1970 lui furent fatales en raison d’une politique de « stop and go » qui s’accompagna d’une augmentation des coûts salariaux. Si en 1970, le PIB par habitant britannique était équivalent à celui de la France, en 2000, un écart de 10 points était constaté. En 1976, le Royaume-Uni fut même contraint de faire appel au FMI. Le déficit public avait alors atteint 9 % du PIB avec une inflation importante sur fond d’indexation des salaires. Le déficit extérieur élevé et la dépréciation de la livre sterling obligèrent le Royaume-Uni, en mal de réserves de change, de demander le soutien du FMI. Cette situation inédite, vécue comme un affront par les Britanniques, contribua à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979. La politique mise en œuvre dans les années 1980 reposait sur une libéralisation de l’économie et sur des baisses d’impôt. Elle a provoqué une récession importante et une forte augmentation du déficit public. L’amélioration de la situation économique dans les années 1980 s’explique en partie par l’exploitation des gisements d’hydrocarbures de la Mer du Nord. Le Royaume-Uni a néanmoins réussi à attirer de nouveaux investisseurs dans les années 1980 et 1990 et a bénéficié des retombées de la place financière de Londres. Tout en n’intégrant pas la zone euro, la City était devenue incontournable pour certaines opérations financières libellées en euros. La sortie de l’Union constitue désormais un handicap pour la réalisation de ce type d’opérations.
Le défi de la productivité
Le Royaume-Uni faisait jeu égal avec la France à la fin des années 2010, ce n’est plus le cas dix ans plus tard. Le PIB par habitant diverge par rapport à celui de l’Allemagne ou des États-Unis. Une des raisons du déclin de ces dernières années, repose sur la faiblesse de gains de productivité au Royaume-Uni. En parité de pouvoir d’achat, la productivité du travail a décroché, à compter de la crise financière, par rapport à celle des États-Unis, de la France et de l’Allemagne au début de ce siècle. Entre 2009 et 2019, le taux de croissance de la productivité britannique a été le deuxième plus lent du G7. Avec le Brexit, l’investissement des entreprises a diminué. La compétitivité est pénalisée par le ralentissement des échanges avec le reste de l’Europe. Depuis la fin de 2020, les entreprises qui commercent avec l’Union européenne sont confrontées à des formalités administratives supplémentaires, à des retards douaniers et à des taxes plus élevées. Au dernier trimestre de 2021, la Grande-Bretagne a exporté 16 % de moins qu’à la fin de 2019. L’OCDE prévoit une croissance atone durant plusieurs années. Le pouvoir d’achat des ménages devrait baisser avant même la prise en compte de l’inflation, en raison de la hausse des prélèvements obligatoires et de la faible revalorisation des salaires. L’inflation est, par ailleurs, une des plus élevées des pays de l’OCDE en raison de problèmes d’approvisionnement plus importants qu’ailleurs.
Le long débat sur le Brexit a conduit des entreprises à différer puis à annuler certains investissements. Depuis 2010, la Grande-Bretagne investit moins que la France, l’Allemagne et l’Amérique. Les dépenses en faveur de la recherche et de l’innovation ont été également réduites. La baisse de l’investissement aurait atteint 11 % de 2012 à 2019. Les données statistiques britanniques indiquent que de nombreux secteurs ont été touchés par la baisse des gains de productivité : l’assurance, l’industrie de l’information et de la communication, la fabrication d’équipements de transport ainsi que les produits pharmaceutiques. Les secteurs les plus performants du Royaume-Uni ont connu un recul des gains de productivité. Selon la London School of Economics, les entreprises britanniques souffrent d’un problème de financement. La levée de capitaux propres y est plus difficile. Les banques financent moins facilement les PME qu’en Allemagne.
Si le Royaume-Uni peut s’enorgueillir de disposer de centres d’enseignement supérieur de renom international, la diffusion des connaissances y est plus lente que dans les autres pays occidentaux. Le niveau moyen des compétences est inférieur à la moyenne de l’OCDE detout en étant plus élevé que celui de la France. En matière d’innovation, le Royaume-Uni est nettement en retrait. En moyenne, le taux de dépôt de brevets est deux fois moins élevé chez les Britanniques déposent que chez les Américains, les Français et les Allemands.
Pour compenser les effets du Brexit au niveau de la productivité, le gouvernement britannique compte sur les États-Unis ou sur certains pays du Commonwealth. Les liens passés ne préjugent pas de l’intérêt présent des relations économiques et commerciales. L’Union européenne demeure un ensemble de plus de 450 millions d’habitants, plus dynamique que le Royaume-Uni. Le pari de Boris Johnson de transformer son pays en paradis fiscal pour les investissements étrangers a comme limite le coût élevé de l’État providence et les mesures de rétorsions que pourrait prendre l’Europe.
Le dilemme infernal des banques centrales
Pendant une bonne partie de la décennie, les taux d’intérêt les plus bas ont semblé être une réalité dans la zone euro, tout comme la faible inflation. Désormais, le prix à la consommation augmente à un rythme annuel supérieur à 8 %, bien au-dessus de l’objectif de 2 % fixé par la Banque centrale européenne.
En Europe, l’augmentation des prix est avant tout provoquée par la montée des cours de l’énergie et des matières premières quand, aux États-Unis, l’inflation est également due aux plans de relance massifs décidés par les autorités. Les prix de l’énergie dans la zone euro qui ont augmenté à un taux annuel énorme de 39 % en mai, contribuent à environ quatre points de pourcentage à l’inflation globale, contre deux aux États-Unis.
L’inflation se diffuse pernicieusement au sein de l’ensemble de l’économie. L’inflation « sous-jacente », qui exclut les prix de l’alimentation et de l’énergie progresse de mois en mois. Les prix à la production allemands ont augmenté à un niveau record de 33,5 % en avril par rapport à l’année dernière, tirés non seulement par l’énergie, mais aussi par les biens à forte intensité énergétique tels que le béton et les produits chimiques.
Sur le terrain des salaires, les augmentations se multiplient mais elles demeurent inférieures à l’inflation. Aux Pays-Bas, où le marché du travail est tendu, la hausse n’était que de 2,8 % en mai. Si la situation restait en l’état, l’Europe pourrait échapper à une spirale salaire-prix avec néanmoins comme conséquence une baisse de la consommation et l’affaiblissement de la croissance.
L’inflation reste alimentée en Europe comme aux États-Unis par les problèmes d’approvisionnement qui perdurent notamment avec les récentes fermetures en Chine. L’Allemagne, le principal pays industriel de la zone euro, est plus pénalisée par ce problème qui induit le maintien d’un taux faible taux d’activité pour plusieurs secteurs dont celui de l’automobile. Les pays d’Europe du Sud sont moins exposés. Ils devraient bénéficier de la reprise du tourisme international après deux ans de marasme. Depuis le mois d’avril, les demandes de séjours sont en forte augmentation en Espagne et en Italie.
La croissance pourrait résister grâce au dynamisme du marché de l’emploi qui contribue à l’élévation du niveau des revenus et donc de la demande interne. Plusieurs pays sont en situation de plein emploi. La baisse du chômage est générale. Les créations d’emploi ont certes ralenti depuis le début de la guerre en Ukraine mais elles n’ont pas disparu. Ces créations sont rendues possibles par la bonne santé des entreprises et par le maintien d’une demande vive dans plusieurs secteurs d’activité (tourisme, loisirs, e-commerce, transports, etc.).
Pour faire face à l’inflation, les ménages, du moins une partie d’entre eux, disposent d’une épargne abondante constituée durant la crise sanitaire. L’épargne covid représente 10 % du revenu annuel des ménages en France comme en Allemagne. Jusqu’à maintenant, en moyenne, les ménages n’ont pas puisé dans cette épargne, voire continue à l’alimenter. Face aux incertitudes, les Européens ont tendance à conserver un volant important de liquidités ce qui pourrait peser sur la consommation.
Pour éviter un ralentissement marqué de la croissance et la multiplication des tensions sociales, de nombreux gouvernements ont mis en place des programmes de de soutien en faveur des ménages. L’Allemagne et la France auraient engagé entre 1 et 2 % de leur PIB dans le cadre de plans visant à atténuer les effets de la hausse des prix. Ces plans ne sont pas sans limite sur le plan budgétaire et leur efficacité est discutable. Dans certains pays, des organisations politiques ou des associations de défense des consommateurs réclament un blocage des prix des produits de première nécessité et des loyers. Pour le moment, les gouvernements hésitent à s’engager dans cette voie périlleuse. Tout blocage pose le problème de la rentabilité des entreprises subissant la hausse des coûts de production. La fixation des prix est renvoyée à l’État en lieu et place du marché. L’URSS dans le passé a péri, entre autres, de cette incapacité à maîtriser les prix de production. Si l’instauration d’un blocage toujours prévue à titre temporaire, sa sortie constitue, en revanche, une source de difficultés importantes. Il faut veiller à ce qu’elle ne provoque pas un rebond de l’inflation. Par ailleurs, le blocage des prix génère d’importants effets pervers, marché noir, pénurie, etc. La loi de 1948 sur les loyers en France a provoqué une raréfaction des logements mis en location et une dégradation du parc locatif faute d’investissements de la part des propriétaires.