7 janvier 2023

Le Coin des Tendances – Russie – nucléaire

Le nucléaire en France, une affaire d’État

L’énergie nucléaire bénéficie d’un regain d’intérêt de la part de nombreux États en raison de son caractère décarbonée et de sa capacité à fournir de l’électricité en quantité suffisante au moment où le pétrole et le gaz connaissent une forte progression de leur cours. Cette nouvelle appétence en faveur du nucléaire intervient après une décennie de remise en cause en lien avec l’accident de la centrale de Fukushima au Japon en 2011. L’Allemagne avait ainsi décidé la fermeture de ses centrales pour 2023. Si en France, la question de l’arrêt du nucléaire n’a pas réussi à s’imposer dans l’opinion publique, le principe d’un rééquilibrage en faveur des énergies renouvelables a été adopté par les gouvernements depuis 2012. La fermeture de Fessenheim a été érigée comme le symbole de cette politique qui devait conduire à un accroissement de la production d’électricité par les éoliennes et par le solaire.

Dans le combat contre les émissions de gaz à effet de serre, l’énergie nucléaire a d’évidents atouts. Elle est capable de fournir de l’électricité en quantité importante quel que soit le temps ou presque (les périodes de sécheresse peuvent limiter les capacités de refroidissement). L’énergie nucléaire ne dépend pas du bon vouloir d’un pays, l’uranium étant répartie dans de nombreux pays. Les possibilités d’utiliser de l’uranium recyclé et enrichi limite, par ailleurs les besoins en minerais. De nombreux pays comme le Royaume-Uni ou l’Inde ont, depuis quelques années, décidé de relancer leur filière nucléaire. La Chine a également lancé un programme ambitieux. Même l’Allemagne qui y a renoncé s’interroge.

Malgré les déboires des EPR en France, en Finlande ou Royaume-Uni, le Président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé l’engagement d’un nouveau programme de construction de centrales nucléaires visant à remplacer celles qui arrivent à leur terme et à faire face à une demande croissante d’électricité. Ce changement de cap met un terme à une période de trente ans sans réelle construction. Il est également la conséquence des difficultés rencontrées par les énergies renouvelables qui butent sur leur caractère aléatoire, leur faible rentabilité et sur l’hostilité qu’elles peuvent rencontrer dans l’opinion publique sur le plan local (implantation des éoliennes par exemple).

La France à la croisée des chemins

En 2022, la France dispose de 56 réacteurs qui fournissent logiquement 70 % de la capacité de production d’électricité, c’est-à-dire la part la plus élevée au monde et plus de trois fois celle des États-Unis. Avant 2012, ce taux était même supérieur à 72 %. Le recours au nucléaire a permis à la France d’avoir une faible empreinte carbone. Chaque Français n’émet que 4,5 tonnes de CO2 par an, bien moins que les Allemands (7,9 tonnes) ou les Américains (14,7 tonnes). Les États européens étaient convaincus que la France serait le pays le mieux à même à passer le retrait de la Russie du marché du gaz et du pétrole. L’arrêt de 30 réacteurs fut durement ressenti à l’étranger et a été considéré comme un signe du déclin industriel en France. Les menaces de coupures électriques ont contribué à accroître au sein de la population française le sentiment de défiance à l’encontre des autorités.

Le parc français subit les effets de l’âge. Construites à des dates rapprochées, les centrales françaises rencontrent les mêmes problèmes en même temps. Leur révision décennale intervient également à des dates rapprochées. Certains choix techniques effectués dans les années 1980/1990 pour accroître la puissance des réacteurs afin de limiter leur nombre et leur lieu d’implantation dans une période où la contestation des pacifistes et des écologistes augmentait, ont rendu les centrales françaises plus fragiles (fissures sur les systèmes de refroidissement). 19 réacteurs ont dû être arrêtés en même temps au cœur de l’été. Par conséquent, le « facteur de charge » des réacteurs français, qui mesure si une centrale fonctionne à pleine capacité, oscille autour de 60 % dans l’hexagone, contre plus de 90 % en Amérique. En 2021, 5 810 jours-réacteur ont été perdus en raison d’arrêts, dont près de 30 % non-planifiés, selon le « World Nuclear Industry Status Report », une publication indépendante. Les derniers chantiers ne cessent de réserver de mauvaises surprises.

Le nucléaire en France, une question d’indépendance énergétique

La France a fait le choix de l’énergie nucléaire au moment du premier choc pétrolier Dès le début des années 1950, dans le prolongement des recherches sur la bombe atomique, les autorités françaises ont engagé un programme d’énergie électrique d’origine nucléaire. Ce programme a été dès le départ supervisé par l’État. En recourant à des techniques militaires, la France a développé une filière reposant sur un système de refroidissement graphite gaz. Les premières centrales nucléaires. (Marcoule, Chinon, Saint-Laurent et Bugey) reposent sur cette technique. Dès la fin des années 1960 et au début des années 1970, une opposition se fait jour entre le Commissariat à l’Énergie Atomique et EDF, le premier défend la filière française graphite/gaz quand la seconde souhaite développer des centrales à eau pressurisée, jugées plus rentables. Le plan de construction des centrales nucléaires de 1972 est accéléré dès 1974 et accru avec un objectif de 6 à 7 tranches par an. En 1975, le gouvernement de Jacques Chirac opte pour la filière à eau pressurisée de Westinghouse permettant la construction sur un modèle standardisé de centrales nucléaires à forte capacité de production. La France a construit au total 58 réacteurs. L’industrie nucléaire a, durant plusieurs décennies, attiré les élèves des grandes écoles et les meilleurs techniciens. Les chantiers mobilisent les grandes entreprises des travaux publics, de la métallurgie, de l’électronique. Elle joue un rôle structurant majeur avec des entreprises en pointe comme Framatome et Alstom. Pour financer cet ambitieux programme, EDF emprunte l’équivalent d’une centaine de milliards d’euros sur les marchés internationaux. Afin de pouvoir recycler les déchets radioactifs, l’usine de retraitement de la Hague est modifiée et agrandie en 1976.

La montée en puissance du parc nucléaire français se fera ressentir dans les années 1980 avec l’entrée en fonction d’un grand nombre de réacteurs. La part du nucléaire dans la production électrique nationale passe de 37 % en 1981 à 55 % en 1984. Les pouvoirs publics incitent le recours au chauffage électrique. La France peut s’enorgueillir d’avoir un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe. Grâce à son parc de centrales, EDF devient durant les années 1980 le premier exportateur européen d’électricité.

La montée en puissance du parc nucléaire français se fera ressentir dans les années 1980 avec l’entrée en fonction d’un grand nombre de réacteurs. La part du nucléaire dans la production électrique nationale passe de 37 % en 1981 à 55 % en 1984. Les pouvoirs publics incitent le recours au chauffage électrique. La France peut s’enorgueillir d’avoir un prix de l’électricité parmi les plus bas d’Europe. Grâce à son parc de centrales, EDF devient, durant les années 1980, le premier exportateur européen d’électricité.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, des mouvements contre le nucléaire se développent autour des pacifistes et des Verts. En Bretagne, ils obtiennent l’abandon du projet de centrale à Brennilis. La contestation se concentre contre le projet de réalisation de Superphénix à Creys-Malville. Ce projet prévoyait la création d’un réacteur à neutrons rapides permettant de produire soixante fois plus d’électricité qu’avec un réacteur classique et d’utiliser des déchets radioactifs en provenance des autres centrales. Le chantier est victime d’une attaque au lance-roquettes le 18 janvier 1982. Mis en service en 1984, Superphénix est arrêté en 1997 après plusieurs incidents techniques et en raison de la persistance d’une forte opposition des écologistes. Avant même l’affaire du super-réacteur, en 1983, le gouvernement avait réduit le rythme de lancement de nouveaux réacteurs à une seule tranche par an. La catastrophe de Tchernobyl de 1986, faisant suite à celle de Three Mile Island aux États-Unis en 1979, provoqua une onde choc internationale induisant une surveillance accrue de l’énergie nucléaire. L’accident nucléaire de Fukushima en 2011 a conduit également à un durcissement des normes de sécurité et incita plusieurs pays à abandonner cette énergie.

La dernière construction d’une centrale nucléaire en France avant l’EPR de Flamanville est celle de Civaux relié au réseau en 1999. Dès la fin des années 1980, les chantiers s’étaient faits plus rares, EDF privilégiant des réacteurs à forte puissance (1300 MW). Les pouvoirs publics incitèrent EDF et les industriels du secteur à prendre position sur les marchés étrangers. Les résultats furent mitigés et ne permirent pas de compenser la baisse d’activité en France.

Le chemin de croix de l’EPR

Dès la fin des années 1980, EDF travaille néanmoins au remplacement des plus anciennes centrales nucléaires. Un projet de centrales de troisième génération initialement « European pressurized reactor », renommé « Evolutionary power reactor » (EPR) est lancé en 1989. Le réacteur EPR se caractérise par une puissance supérieure à celle des générations précédentes (1600 MW contre 1300 MW). L’EPR a été étudié pour fournir 22 % d’électricité de plus qu’un réacteur traditionnel à partir de la même quantité de combustible nucléaire, et pour réduire d’environ 15 à 30 % le volume de déchets radioactifs générés. En prenant en compte les nouvelles obligations liées aux incidents de 1986 et de 2011 ainsi que le retour d’expérience, les dispositifs de sécurité ont été améliorés avec de nombreuses redondances dans les équipements pour pallier des avanies. Cette redondance vise également à réduire le nombre de jours d’arrêt pour maintenance de la centrale. Ce projet européen reposait essentiellement sur une coopération franco-allemande mais connaît dès ses débuts de nombreux déboires. La construction d’une centrale expérimentale en France est ainsi annulée en 1997 par le gouvernement de Lionel Jospin. Gerhard Schröder qui a succédé à Helmut Kohl fait adopter une loi de sortie du nucléaire en 2001. L’absence de perspective de nouveau réacteur nucléaire en Allemagne entraîne un retrait progressif de Siemens. Au début des années 2000, Framatome, l’entreprise qui a construit les réacteurs d’EDF, développe son projet d’EPR. Sous son nouveau nom, Areva, elle signe un contrat avec la Finlande en coopération avec Siemens. EDF décide, de son côté de construire son propre EPR à Flamanville, et d’en vendre d’autres à la Chine et au Royaume-Uni. Les difficultés d’Areva à assumer financièrement la construction des EPR aboutira à son rachat par EDF qui supervise ainsi toute la filière nucléaire française.

L’EPR de Flamanville symbolise les difficultés pour la France de relancer son industrie nucléaire après vingt ans de mise en sommeil. Lancée en 2007, la construction doit faire face à de nombreuses difficultés aboutissant à une augmentation du budget qui est passé de 3,4 à plus de 19 milliards d’euros et à des retards importants. Le raccordement au réseau devrait intervenir en 2024, soit 12 ans plus tard que prévu. Les autres EPR construits par Areva ou EDF ont tous connu des surcoûts et des retards. Seuls les projets chinois ont été reliés au réseau électrique. En 2022, trois EPR étaient opérationnels, deux reliés la centrale nucléaire de Taishan en Chine (Taishan 1 et 2, entrés en service commercial respectivement en 2018 et 2019) et un troisième en Finlande (centrale nucléaire d’Olkiluoto), connecté au réseau en mars 2022 mais dont la mise en service commercial est prévue pour, au mieux, le premier trimestre 2024.

L’énergie nucléaire, le comeback

Avec la guerre en Ukraine et les besoins croissants en énergie décarbonée, plusieurs pays ont indiqué leurs souhaits de se doter de plusieurs réacteurs EPR. L’Inde, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède, la Bulgarie mais aussi les États-Unis, ou la Turquie travaillent à la construction de nouvelles centrales nucléaires. En France, le Président de la République Emmanuel Macron, lors de son allocution télévisée du 9 novembre 2021, a acté la construction de nouveaux réacteurs. Cette annonce a été confirmée le 10 février 2022. Les six réacteurs sont censés être mis en service à partir de 2035, les derniers d’ici 2050. Une étude est également lancée pour la réalisation de huit réacteurs supplémentaires. Compte tenu du vieillissement du parc nucléaire français, la part du nucléaire dans le mix électrique français baissera de 70 % en 2021 à 40 % à l’horizon 2050, les EPR ne compensant qu’en partie les conséquences des fermetures des centrales les plus anciennes.

EDF est confrontée à une série de défis majeurs. L’entreprise doit tout à la fois développer les énergies renouvelables, gérer le parc vieillissant de ses centrales, vendre à perte de l’électricité à ses concurrents et lancer la construction de nouveaux EPR, sachant que sa dette nette est de 90 milliards d’euros. L’entreprise a un besoin de capitaux, ce qui suppose l’accord préalable de la Commission de Bruxelles. Cette dernière pourrait imposer la séparation des activités notamment celles liées à l’international pour éviter toute distorsion de concurrence.

La stratégie d’EDF soulève quelques interrogations. Certains estiment que la construction de réacteurs de grande puissance est une solution obsolète et coûteuse. Les réacteurs de petite taille coûtent moins chers et sont plus rapides à construire. Ils peuvent être installés au plus près des zones de consommation. D’autres considèrent qu’EDF sera incapable de respecter les budgets. La construction des nouveaux EPR pourrait coûter 21 milliards d’euros au lieu des 17 milliards d’euros. Les délais de livraison apparaissent également impossibles à tenir. Les premières centrales ne pourraient être livrées qu’en 2043 et non en 2035. La Cour des comptes française a calculé qu’en 2019, un mégawattheure (mwh) d’électricité nucléaire coûtait près de 65 euros à produire (en tenant compte des coûts de construction). Les centrales EPR de nouvelle génération devraient aboutir à abaisser ses coûts. En l’état actuel, les besoins en électricité devraient augmenter du fait d’un moindre recours aux énergies carbonées tant de la part des particuliers que des entreprises. Le passage à l’électrique du parc automobile n’est pas en tant que tel impossible à réaliser. Il devrait mobiliser l’équivalent de deux à trois réacteurs nucléaires. Certains experts estiment que la consommation des voitures serait absorbable même avec un seul réacteur. En revanche, les besoins de l’industrie pourraient conduire à une hausse de la consommation. Avec le développement des énergies renouvelables, l’idée de petits réacteurs nucléaires d’appoint pouvant répondre à des besoins limités dans le temps avec un temps de réaction rapide pourrait s’imposer. Ces petits réacteurs posent un problème majeur, leur acceptabilité par la population. Pour les nouveaux projets d’EPR, EDF comme le gouvernement privilégient comme lieu d’implantation les sites déjà existants qui avaient été lors de leur création dimensionnés de telle façon à pouvoir accueillir de nouvelles tranches. Les délais de réalisation des centrales apparaissent longs et sont liés à l’augmentation de la réglementation administrative et des règles de sécurité. Le gouvernement s’est engagé à diminuer le temps d’obtention des permis de construire afin d’accélérer le processus de construction. Par ailleurs, les entreprises concernées se mobilisent pour former les personnels nécessaires. Le compte à rebours est lancé.

L’économie russe, en mode combat

Près d’un an après le début du conflit en Ukraine, l’économie russe fait preuve d’une étonnante résilience. De nombreux experts avaient prédit une forte contraction du PIB sur fond d’inflation et de pénuries. Dans les premières semaines après l’adoption des sanctions occidentales, les places financières de Vladivostok et de Moscou ont vivement réagi et le cours du rouble s’est effondré. Les premières projections soulignaient que le PIB pouvait reculer de 10 à 15 % en 2022. Elles ont été réalisées en tenant compte d’une baisse de l’offre en lien avec l’instauration des embargos et une restriction de la demande du fait de la hausse des taux d’intérêt, imposée par la banque centrale russe, afin de lutter contre l’inflation. En quelques semaines, les entreprises occidentales se sont retirées de Russie. La banque centrale a doublé ses taux d’intérêt. Les sanctions ont pénalisé dans les premiers mois les secteurs qui dépendaient pour leur approvisionnement des importations européennes ou américaines. L’industrie automobile fut particulièrement touchée avec une mise à l’arrêt des chaînes de production. Mais, dès l’été 2022, les économistes ont revu à la hausse leurs prévisions. La contraction du PIB pour l’année dernière est évaluée entre 3 et 4 %. La récession apparaît pour le moment moins forte que celle subie au moment de la crise des subprimes. La baisse des revenus des ménages, évaluée entre 3 et 5 %, reste supportable. Ces derniers ont eu tendance à augmenter leur effort d’épargne par crainte d’une longue crise. La récession devrait durer a priori jusqu’à la fin du premier semestre 2023. Le taux de chômage est resté stable à moins de 5 %, les entreprises ayant reçu comme consigne de maintenir leurs effectifs.

La résistance de l’activité tient à l’inversion rapide des anticipations inflationnistes. Après leur forte progression durant le printemps, elles sont redescendues. Des taux d’intérêt plus élevés ont encouragé les ménages à placer les sommes d’argent retirées des comptes bancaires au début de la pandémie de covid-19. Les effets des sanctions commerciales ont été moindres que prévu. Les importateurs russes se sont approvisionnés au sein des pays asiatiques, en Amérique latine ou en Afrique. Ils ont eu également accès à des produits occidentaux en les achetant dans des États ne respectant pas (ou de manière limitée) les embargos. La Turquie joue en la matière un rôle de plaque tournante tant pour les importations que pour les exportations russes. Des journalistes d’investigation tchèques ont ainsi prouvé, dans le cadre d’une enquête publiée par le journal Seznam Zpravy, que des produits russes soumis à l’embargo européen continuent d’entrer et de circuler dans les États membres et inversement. Du bois russe a été ainsi commercialisé en Pologne. Des gilets par balles et des casques militaires de fabrication européenne ont été livrés à l’armée russe. Le Financial Times a réussi à prouver l’existence de filières d’importations de biens européens en Russie. Les importations passent par des pays qui bénéficient d’accords commerciaux avec la Russie comme le Kazakhstan. La contrebande de marchandises est censée devenir plus difficile avec l’ajout décidé, en novembre 2022, par le Conseil de l’Union européenne de la violation des mesures restrictives à la liste des « crimes de l’Union européenne ».

La bonne tenue des cours du pétrole et du gaz a permis, par ailleurs, à la Russie d’enregistrer un fort excédent de sa balance des paiements courants en 2022, plus de 220 milliards de dollars, soit le double de son niveau de l’année précédente. Cet excédent facilite la constitution de réserves de changes. Il permet l’achat de biens importés et a contribué à limiter la dépréciation du rouble. Les plafonnements du prix de vente du gaz et du pétrole par les États occidentaux ne devraient que marginalement handicaper la Russie, les plafonds choisis étant supérieurs aux coûts de production. Le choix d’un plafond à 60 dollars pour le baril russe ne constitue pas une réelle perte par rapport aux prix de vente actuels, la Russie étant obligée de pratiquer des ristournes. Jusqu’à maintenant, elle a bénéficié d’un soutien relatif des pays de l’OPEP qui n’ont pas augmenté leur production comme le demandaient les États occidentaux. Les pays du Golfe entendent maximiser leur rente pétrolière et semblent ne pas avoir oublié l’effort consenti par la Russie en 2016 pour rééquilibrer le marché pétrolier. L’accord OPEP+ (intégrant la Russie) avait alors permis de relever le cours du baril de 27 à 60 dollars.

L’industrie russe tente de s’adapter en trouvant d’autres fournisseurs notamment chinois. L’industrie automobile a ainsi repris sa production (37 000 véhicules en octobre) au début de l’automne. Le commerce avec la Chine a augmenté de près de 33 % depuis le mois de janvier 2022 avec des achats importants de biens intermédiaires. Ces achats témoignent d’une reprise de l’investissement qui serait en hausse de près de 6 % en rythme annuel au troisième trimestre 2022. Les entreprises indiennes et chinoises ainsi que celles dépendants de capitaux du Moyen Orient seraient celles qui auraient accru le plus fortement leurs dépenses d’investissement.

La crise liée aux embargos n’a pas donné lieu à un dérapage budgétaire important. Le déficit resterait contenu autour de 2 points de PIB. Les autorités préfèrent utiliser l’arme monétaire pour réguler l’activité et lutter contre la hausse des prix. La Banque centrale a augmenté son taux directeur à 7,5 %, taux inférieur à l’inflation qui dépasse 12 %. Le taux des prêts varie entre 10 et 14 % en moyenne mais le marché du crédit reste assez dynamique. La croissance du crédit aux particuliers s’explique principalement par le développement des crédits immobiliers (croissance de 2,4 %).

Les autorités russes continuent à dédollariser leur économie. La monnaie américaine représentait 83 % des transactions en février 2022 à la Bourse de Moscou. Ce taux n’était plus que de 40 % en octobre 2022. L’euro a en revanche accru son rôle sur ce marché passant de 12 à 22 %. Le poids du yuan a également augmenté représentant 25 % des transactions. Pour accéder aux marchés financiers internationaux et contourner l’interdiction d’utiliser le système d’information bancaire SWIFT, la Russie passe, pour ses transactions internationales, par des petits pays ayant une réglementation monétaire relativement souple comme le Qatar, Oman ou l’Arménie. L’Arménie occupe une place stratégique de choix en étant tout à la fois reliée au système Swift et au système chinois MIR. La Russie fait également appel à des pays proches, anciens membres de l’URSS, ainsi qu’à l’Égypte ou à la Mongolie.

Les sanctions internationales ont provoqué une récession en Russie mais elle reste limitée en l’état actuel. La Russie a atténué leurs effets grâce aux recettes des hydrocarbures et au redéploiement de son commerce. Les excédents commerciaux ont permis une stabilisation de la situation monétaire et le maintien par la banque centrale du taux de 7,5 %. En 2022, la Russie a bénéficié de recettes importantes issues des ventes de gaz et de pétrole. Sa décision d’arrêter les livraisons de gaz et de pétrole à l’Europe devrait peser sur les résultats économiques de 2023. La capacité pour la Russie d’amplifier le basculement de ses échanges avec l’Asie sera cruciale pour la croissance de cette année et des suivantes. Pour réussir son pari, l’État russe devra réaliser des infrastructures importantes en Sibérie et en Extrême-Orient tout en se méfiant de l’intrusion chinoise au sein de ces zones désertiques.