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La Russie et la guerre économique
A défaut de mener un combat frontal contre la Russie, après son invasion de l’Ukraine le 24 février dernier, les Etats occidentaux ont adopté une série de sanctions qui ont débouché sur un climat de guerre économique. Les mesures concernent tant les personnes avec des interdiction de se déplacer, les moyens de transports avec la fermeture des espaces aériens, les échanges matériels et immatériels. Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, une grande puissance avait subi de telles sanctions. . Des banques commerciales russes ont été exclues de Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Télécommunication), un réseau de messagerie. 300 milliards de dollars de réserves de la banque centrale ont été immobilisés. L’objectif des Occidentaux était de provoquer une paralysie de la 11e économie mondiale dans l’espoir de bloquer son effort de guerre, d’inciter sa population à protester et à dissuader d’autres pays à recourir aux mêmes pratiques, la Chine étant visée avec le risque d’un conflit avec Taïwan. En quelques mois, l’Union européenne a adopté sept plans de sanction. Des analystes avaient prédit l’effondrement de l’économie russe pour l’été ; or cette prévision ne s’est pas encore vérifiée. La Russie n’est pas l’Afrique du Sud, la Corée du Nord, l’Iran ou la Lybie qui ont subi ou subissent encore des embargos. La Russie est un pays disposant d’abondantes richesses naturelles et qui a tissé des liens avec des États comme la Chine qui refusent de s’aligner sur les positions occidentales.
La guerre économique exige du temps comme l’ont prouvé les précédents en Afrique du Sud ou en Lybie. Le pouvoir russe est conscient de la fragilité des démocraties face à leurs opinions. Les embargos gênent actuellement plus les Européens que les Russes en pouvant déboucher sur une récession et des pénuries. La Russie avec la hausse des cours bénéficie toujours de rentrées de devises en provenance des pays avec qui elle a maintenu des relations (Chine, pays émergents, Amérique latine). Les embargos technologiques pénaliseront la production d’énergie d’ici quelques mois même si les autorités russes comptent sur la Chine pour fournir les pièces détachées nécessaires. La mise hors marché (occidental) du deuxième producteur de pétrole et de gaz est sans précédent dans l’histoire contemporaine. Sur la durée, une réallocation de l’offre devrait intervenir avec le développement du gaz liquéfié dont le coût restera sans nul doute supérieur à celui du gaz naturel. Le pétrole qui n’est plus acheté par les occidentaux l’a été l’Inde et la Chine au prix d’une décote d’environ 25 dollars par rapport au prix du marché. La vente du gaz à l’Europe représente moins de 10 % des recettes publiques russes. L’arrêt des livraisons aurait donc peu d’effet sur la situation économique. Selon une société de conseil américaine, Rystad Energy, la Russie perdrait autour de 85 milliards de dollars en recettes fiscales pétrolières et gazières cette année, par rapport à un objectif de 300 milliards de dollars, Capital Economics, un autre cabinet de conseil, estime que la Russie a vendu son pétrole à un prix moyen de 85 dollars le baril depuis février. À compter du 31 décembre, les assureurs européens qui dominent le marché du transport pétrolier, ne pourront plus couvrir les pétroliers transportant des cargaisons russes. Il faudra trouver des assureurs de substitution reconnus au niveau mondial. De nombreux ports et canaux pourraient ne pas autoriser le passage des navires si le risque de pollution par les hydrocarbures n’est pas couvert. 14 % des exportations russes pourraient être ainsi menacées.
Les sanctions visant les oligarques et le blocage des avoirs à l’étranger auraient des effets mesurés. Selon Anders Aslund, ancien conseiller des gouvernements russe et ukrainien, seulement 50 milliards de dollars, sur les 400 milliards de dollars d’actifs offshore bloqués, ont été réellement gelés. Les oligarques ont réalisé de montages juridiques complexes en recourant aux possibilités offertes par les différents paradis fiscaux comme les Îles Caïmans ou Jersey. Ils ont également recours à des prête-noms afin de ne plus apparaître dans les documents officiels. De nombreux établissements financiers, en particulier ceux de petite taille et situés dans des États appliquant avec modération les sanctions, manquent de moyens et de temps pour effectuer toutes les vérifications. Les difficultés de oligarques accroissent leur dépendance au pouvoir russe, ce qui n’est pas pour déplaire à Vladimir Poutine.
Les banques commerciales russes sont confrontées à une série d’interdictions depuis l’invasion, en fonction de leur taille et de leur proximité avec le Kremlin. Les investisseurs occidentaux ne peuvent plus acheter ou vendre des obligations ou des actions émises par dix-neuf banques russes. Dix établissements de crédit russes dont les deux plus importants en termes d’actifs, ont été expulsés de Swift, le système d’informations bancaires utilisé par 11 000 banques pour les paiements transfrontaliers. Vingt-six ne peuvent plus effectuer de virements internationaux en dollars. Selon la Bundesbank, entre le 1er février et le 30 avril, les opérations entre les banques russes et celles de la zone euro se sont effondrées. Les alternatives à Swift, telles que le recours au télex, sont complexes et lentes. L’interdiction du dollar dans les échanges avec la Russie pèse sur les importations mais aussi sur toute une série d’opérations qui impliquent à un moment ou un autre le recours à la monnaie américaine. La Russie doit parfois recourir au troc pour une partie de ses activités commerciales transfrontalières. Les sanctions n’ont pas totalement isolé financièrement la Russie du reste du monde. Les banques qui sont associées à l’achat de pétrole et de gaz, notamment Gazprombank, sont toujours autorisées à utiliser Swift. Les banques russes de taille modeste sont restées connectées au réseau. L’Inde, qui importe du pétrole russe, recherche toujours un moyen viable de le payer en roupies. Le système d’informations bancaires chinois, CIPS, est de plus en plus utilisé. Les volumes d’échanges sur la paire yuan-rouble à la bourse de Moscou ont récemment atteint des sommets.
Le gel des réserves détenues par la Banque centrale de Russie en Occident, soit environ la moitié de sa réserve totale de 600 milliards de dollars, a eu des résultats tout aussi mitigés. Quelques heures après l’annonce de la mesure, le rouble a perdu 30 % de sa valeur. Pour limiter la dépréciation de la monnaie, la banque centrale russe a porté à 20 % ses taux provoquant une récession. En juin, les sanctions ont également contraint la Russie à son premier grand défaut de paiement sur sa dette extérieure depuis plus d’un siècle, après avoir empêché la banque centrale de traiter 100 millions de dollars de paiements dus aux détenteurs d’obligations. Au milieu de l’été, le rouble avait néanmoins retrouvé son taux de change d’avant sanctions et les taux directeurs étaient revenus à 8 %. Le taux de change du rouble est avant tout administré et ne saurait être un indicateur fiable de la santé de l’économie russe. Il n’en demeure pas moins que les réserves de devises de la Russie augmentent grâce aux recettes de pétrole et de gaz vendus à vils prix. Le défaut technique de paiement de la Russie a donc peu de conséquences pour l’économie, les importations pouvant être réglées.
Parmi les sanctions les plus efficaces figurent les interdictions de licences pour les exportations. Les entreprises occidentales doivent, en effet, demander des licences pour exporter des produits en Russie. Or, elles sont de moins en moins accordées. Les restrictions vont bien au-delà des produits « à double usage » – ceux qui ont des applications à la fois militaires et commerciales – comme les drones et les lasers. Si les microprocesseurs, les ordinateurs, les logiciels et les équipements énergétiques ne sont plus exportables, c’est également le cas de biens de faible technologie, tels que les produits chimiques et les matières premières. Les règles qui étaient appliquées à l’Iran ou à la Corée du Nord le sont désormais à la Russie. Les États-Unis ont recours au dispositif d’extraterritorialité. En vertu de la « Foreign Direct Product Rule », les contrôles sont étendus non seulement aux produits fabriqués aux États-Unis, mais aussi aux produits étrangers fabriqués à l’aide de logiciels et d’outils américains ou contenant des intrants américains. Les États-Unis ont ainsi réduit de 90 % des exportations mondiales de microprocesseurs vers la Russie en moins d’un an. Jusqu’en 2020, les fabricants d’armes en Russie recouraient à plus de 70 fournisseurs américains ou européens. Les secteurs des transports et des mines sont également dépendants d’entreprises occidentales. Le métro de Moscou qui bénéficiait d’un contrat maintenance opéré par une entreprise allemande pourrait connaître quelques difficultés dans les prochains mois. Les entreprises chinoises, qui fournissent généralement un quart des importations russes, ont tardé à aider, car elles aussi craignent de perdre l’accès aux pièces occidentales essentielles. Même Huawei a réduit ses liens avec la Russie.
La production manufacturière russe a diminué de 7 % entre décembre et juin, du fait des problèmes du secteur de l’’automobile (baisse de 90 % de la production), de celui de la pharmacie (25 %) et de celui des équipements électriques (15 %). En mai, la Russie a assoupli les normes de sécurité pour permettre la production de voitures sans airbags ni freins antiblocage. Le déploiement de la 5g a dû être ralenti. Faute de pouvoir accéder à des pièces détachées, la production de pétrole et de gaz pourrait être pénalisée. Les industries de base, telles que l’extraction et le raffinage des métaux, sont également en baisse.
Pour compenser l’absence des importations en provenance des pays occidentaux, la Russie s’approvisionne sur les marchés parallèles, les marchés gris non autorisés contrôlés par les mafias en tout genre. Les autorités russes font appel à des revendeurs de l’Asie du Sud Est. Ces derniers mois, ils ont réussi à importer des serveurs et des téléphones, sans le consentement des marques concernées. Un trafic de cartes Visa avec des fausses identités a été également constaté, permettant à des Russes de voyager en-dehors de leur pays.
Face à la fermeture de leur pays, selon Konstantin Sonin, de l’Université de Chicago, plusieurs centaines de milliers de Russes auraient émigré, dont beaucoup sont hautement qualifiés. Plus de 1 200 entreprises étrangères implantées en Russie ont fermé leurs établissements, selon des chercheurs de l’Université de Yale. Le FMI prévoit que le taux de croissance du pays en 2025-26 aura diminué d’environ de 50 % par rapport aux estimations d’avant le déclenchement de la guerre. L’effondrement rapide de la Russie n’a pas eu lieu mais son avenir économique n’en demeure pas moins sombre à la condition que les États occidentaux arrivent à maintenir le régime des sanctions durant une période assez longue, quitte à en subir les contreparties économiques.
La streaming ou quand l’ancien monde fait de la résistance
Les grands studios hollywoodiens comme la Warner Bross ou, Disney ont décidé de ne pas subir le sort de Kodak au moment de l’émergence de la photo numérique, en réagissant rapidement à l’apparition du streaming comme mode de diffusion numéro 1 des films. Si dans un premier temps, face à Netflix ou à Amazon, les géants du cinéma américains se sont sentis désemparés, ils ont réussi à rattraper rapidement leur retard. Netflix, qui espérait conquérir 800 millions de foyers, semble devoir stagner autour de 220 millions, son cours de bourse a chuté depuis le début de l’année de 60 %. Le 10 août, Hollywood a remporté une victoire symbolique avec l’annonce de Disney confirmant que son nombre d’abonnés dépassait celui de Netflix (221 millions d’abonnements en streaming). Ce résultat a été obtenu au prix d’importantes pertes. Disney a indiqué que son principal service de streaming, Disney+, enregistrera ses plus fortes pertes en 2022 avec un retour à l’équilibre programmé en 2024. Une forte hausse des prix est prévue à partir de décembre, aidera. De même, Warner visera à ce que son activité de streaming génère un bénéfice brut d’exploitation de 1 milliard de dollars d’ici 2025. Le secteur du streaming entend devenir rentable ce qui suppose des prix plus élevés pour les abonnés supposés désormais être captifs. Une chasse à la fraude est également lancé. La possibilité de communiquer les codes à plusieurs personnes sera de plus en plus réduite.
Les salles de cinéma sont les principales victimes du succès du streaming. Leurs recettes qui avaient baissé de 80 % en 2020 durant l’épidémie peinent à remonter. Aux États-Unis, Cineworld, la deuxième chaîne de cinéma au monde, a déclaré le 22 août dernier qu’elle envisageait de déposer le bilan. En revanche, Paramount, qui a retardé la sortie de « Top Gun, Maverick » pendant la pandémie, a été récompensée par un gain en salles dépassant le milliard de dollars.
Après deux années difficiles, les parcs à thème ont renoué avec le succès et génèrent des recettes importantes dont profitent les majors du cinéma américains, Disney en tête. La force des vieilles compagnies de loisirs américaines est de pouvoir compter sur de multiples guichets pour générer des recettes (cinémas, parcs, chaînes de télévision, ventes de goodies, streaming). Pour certaines compagnies, cette multiplicité de guichets constitue néanmoins un handicap pour réaliser des investissements à forte rentabilité. Ainsi, Warner a décidé de vendre CNN et de réduire ses projets de films. De son côté, Amazon entend également devenir un grand producteur et acquérir des portefeuilles de films. Cette société a ainsi acheté la Metro Goldwyn Mayer, le studio qui produit « James Bond », pour 8,5 milliards de dollars et a acquis les droits de la Ligue nationale de football américaine pour 1 milliard de dollars par an. Selon Morgan Stanley, Amazon devrait dépenser 16 milliards de dollars en contenu et Netflix 14 milliards de dollars. En 2023, le projet d’Amazon est d’atteindre 20 milliards de dollars de dépenses dans les contenus.
Si Amazon et Apple jouent l’intégration de leurs clients dans leur écosystème, en exploitant au mieux les données collectées, les anciennes majors du cinéma répliquent en offrant des abonnements moins chers et en proposant des forfaits permettant d’accéder par exemple à leurs parcs d’attraction. Paramount a annoncé un accord avec la chaîne de supermarchés Walmart grâce auquel les membres de Walmart +, la réponse du magasin à Amazon Prime, auront un accès gratuit au service de streaming Paramount+. Walmart considère que le streaming est un moyen de fidélisation de ses clients. Il a également ajouté de la musique à son offre via un accord avec Spotify.
La bataille du streaming est donc engagée entre l’ancien et le nouveau monde. Dans les prochaines années, une concentration pourrait intervenir. Des anciennes majors du cinéma ou des nouveaux acteurs digitaux, qui l’emportera ? Pour le moment, l’avantage reste au nouveau monde mais l’ancien dispose de la possibilité de valoriser au mieux le contenu. En France, force est de constater que le secteur du cinéma a réagi tardivement à la montée en puissance du streaming. Les chaînes de télévision essaient de mettre des services en ligne mais sont largement devancées par les opérateurs américains.