9 juillet 2022

le Coin des tendances – start up – énergie – emploi

Pénurie de main d’œuvre, les dures lois de la démographie

Dans les années 1980 et 1990, les gouvernements mettaient en avant l’augmentation rapide de la population active, autour de 200 000 par an pour expliquer le chômage élevé en France. Dans les prochaines années, ils pourraient bien se plaindre de sa décrue qui multipliera les goulets d’étranglement.

La fin de l’augmentation de la population active

De 23,2 millions en 1975, le nombre d’actifs a connu, depuis, une progression quasi continue, à l’exception de l’année 2020 marquée par une crise sanitaire et économique exceptionnelle. Malgré cette crise et en tenant compte du rebond intervenu en 2021, la population active a crû d’environ 90 000 personnes par an en moyenne entre 2011 et 2021. La hausse est passée de +110 000 par an entre 2011 et 2016 à +70 000 entre 2016 et 2021. D’après les dernières estimations de l’INSEE, la population active augmenterait de 20 000 personnes par an de 2021 à 2040. À compter de 2040, elle se contracterait de 50 000 par an jusqu’en 2050. La décrue est évaluée à 30 000/40 000 pour les deux décennies suivantes. Si le nombre d’actifs est amené à décroître, celui des plus de 70 ans connaîtra dans les prochaines années une forte progression. Ces derniers progresseraient de 5,2 millions tandis que celui des moins de 70 ans diminuerait de 3,1 millions. La part des personnes âgées de 70 ans ou plus parmi les 15 ans ou plus passerait ainsi de 18 % en 2021, à 26 % en 2070.

Pour établir ses projections, l’INSEE a retenu le principe d’un solde migratoire positif de 70 000 par an et un taux de fécondité de 1,8.

Une augmentation du taux d’activité

Pour atténuer la dégradation du rapport cotisants/retraités, l’INSEE parie sur la progression du taux d’activité. Après une longue période de baisse, du milieu des années 1970 à la fin des années 1990, le taux d’activité des 55 ans ou plus est en augmentation depuis le début des années 2000. En effet, il a presque doublé entre son point bas en 1998 (13 %) et la dernière valeur observée en 2021 (25 %). Cette hausse de l’activité des seniors s’explique par trois raisons : l’arrêt de dispositifs qui facilitent la sortie du marché du travail comme les préretraites ou la dispense de recherche d’emploi pour les demandeurs d’emploi âgés, les réformes des retraites successives (2003, 2010 et 2014) et l’augmentation tendancielle de la participation des femmes au marché du travail. Selon l’INSEE, en projection, le taux d’activité des 55 ans ou plus se maintiendrait autour de 25 % du fait du vieillissement de cette catégorie de la population et la fin de l’effet des réformes passées des retraites.

Par tranche d’âge quinquennale, le taux d’activité des 55‑59 ans a nettement progressé dans le courant des années 2010, passant de 64 % en 2010 à 76 % en 2019 pour les femmes et de 69 % à 81 % pour les hommes. Ce taux d’activité n’augmenterait que faiblement dans les prochaines années, et atteindrait à l’horizon de projection en 2070, 80 % pour les femmes comme pour les hommes. La réforme des retraites adoptée en 2010 (décalage de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans et de l’âge d’annulation de la décote de 65 à 67 ans) et celle de 2014 (allongement de la durée de cotisation requise pour une retraite à taux plein) ont eu, en revanche, un impact sur les comportements d’activité des seniors de 60 ans ou plus. Pour les personnes âgées de 60 à 64 ans, après une hausse de 1,7 point par an en moyenne au cours des années 2010, le taux d’activité continuerait d’augmenter à un rythme plus modéré en projection pendant les deux décennies à venir (+1,0 point par an en moyenne), avant d’atteindre un plateau à 58 % vers 2040, soit 20 points de plus qu’en 2021 et 46 points de plus qu’en 2000. L’année 2040 correspond à la fin de la montée en charge de la réforme de 2014 en vertu de laquelle la durée de cotisation passe de 42 à 43 années pour l’obtention d’une retraite à taux plein. Malgré des taux d’activité très proches entre les femmes (37 %) et les hommes (38 %) en 2021, ces derniers devraient à nouveau diverger à l’avenir. Le taux d’activité des femmes se stabiliserait à partir de 2040 autour de 53 %,  soit un niveau sensiblement inférieur à celui projeté pour les hommes (63 %). Cet écart s’explique par une diminution progressive attendue de l’âge moyen de liquidation des droits à retraite des femmes relativement aux hommes, due aux carrières plus complètes des femmes par rapport à celles des générations précédentes, leur permettant progressivement de liquider leurs droits plus tôt que les hommes grâce aux trimestres supplémentaires octroyés pour chaque enfant.

Le taux d’activité des 65‑69 ans a retrouvé en 2021 son niveau du début des années 1980. Il s’élève à 9 % (8 % pour les femmes, 10 % pour les hommes). En projection, il augmenterait sous l’effet des réformes de 2010 et 2014 à un rythme proche de celui de la décennie 2010 (+0,3 point par an en moyenne d’ici 2040, contre +0,4 point entre 2010 et 2020). Il atteindrait alors un plateau à 16 % à l’horizon 2050. À l’instar des 60‑64 ans, le taux d’activité augmenterait plus pour les hommes (20 % en 2050) que pour les femmes (14 %), si bien que l’écart entre hommes et femmes atteindrait environ +6 points à partir de 2050.

Du fait principalement de l’allongement de la durée des études, le taux d’activité des jeunes a fortement baissé de 1975 jusqu’au début des années 2000. Depuis, sous l’effet des différentes mesures de soutien à l’emploi des jeunes et notamment avec le fort développement de l’apprentissage, à compter de 2019, le taux d’activité des 15‑24 ans a légèrement augmenté. Dans le scénario de projections, le taux d’activité de cette classe d’âge se stabiliserait autour du niveau actuel, sous l’hypothèse notamment d’une stabilité du taux d’emploi en alternance.

Parmi les personnes d’âge intermédiaire (25‑54 ans), le taux d’activité des hommes, bien que toujours élevé (92 % en 2021), s’érode légèrement depuis 1975 au rythme de -0,1 point par an en moyenne. Pour les femmes au contraire, l’activité a fortement augmenté au fil des générations : +0,5 point par an depuis 1975, pour atteindre 84 % en 2021 ; le rythme de cette augmentation a déjà commencé à s’atténuer au cours des dernières décennies, le taux d’activité croissant en moyenne de 0,8 point par an entre 1975 et 2000, contre +0,2 point entre 2000 et 2021. La projection de ces tendances conduit à une stabilisation des taux d’activité des femmes comme des hommes d’âge intermédiaire à compter de 2040. Dans l’ensemble, les évolutions d’activité des hommes et des femmes de 25‑54 ans se compensant globalement, le taux d’activité global de cette tranche d’âge évoluerait peu entre 2020 et 2070.

Le taux d’activité des personnes en âge de travailler, conventionnellement définies comme celles de 15 à 64 ans, croîtrait quasi continûment, de 2,3 points entre 2021 et 2070. Cette hausse serait modérée au regard de la hausse de 3,4 points constatée sur les seules deux dernières décennies de 2000 à 2021. Pour l’ensemble des 15 ans ou plus en revanche, le taux d’activité global diminuerait de 3,7 points sur la même période (après  0,8 point entre 2000 et 2021). En effet, la part de la population de 65 ans ou plus, dont les taux d’activité sont très faibles, augmenterait fortement, abaissant le taux moyen par un effet de composition.

Poursuite de la dégradation du rapport actifs/inactifs

De ce fait, le rapport entre le nombre d’actifs et celui d’inactifs âgés de 60 ans ou plus continuerait de se dégrader, passant de 2,0 en 2021 à 1,5 en 2070 (après 2,6 en 1990). Alors que, jusqu’en 2021, la part des femmes dans la population active progressait continûment, elle diminuerait légèrement en projection. En particulier, parmi les seniors, dont le nombre croîtrait du fait du vieillissement, le taux d’activité des femmes se stabiliserait à un niveau durablement plus faible que celui des hommes.

Cette dégradation plus rapide que prévu du rapport cotisants/retraités rend plus difficile le financement des retraites. Le déficit d’une dizaine de milliards d’euros prévu par le Conseil d’Orientation des Retraites pourrait s’amplifier, sans réforme, entre 2030 et 2040. Par ailleurs, la moindre croissance pèsera également sur les comptes.

Les start-up ne montent plus au ciel

À San Francisco, la société, Fast, un fabricant de logiciels de paiement pour les marchands en ligne a déposé récemment son bilan, symbole du changement de climat dans le secteur de la haute technologie. Fast était une entreprise en plein essor connue pour ses opérations de communication flamboyantes. Entre 2019 et 2021, elle avait levé plus de 125 millions de dollars. La société n’a pas résisté à l’inflation galopante et au dérèglement des chaînes d’approvisionnement. Le niveau élevé des incertitudes, la hausse des taux d’intérêt et la crainte d’une récession provoquent une prudence accrue de la part des investisseurs. L’industrie du capital risque privilégie les valeurs « sures ». Les start-ups qui ne disposent pas de liquidités sont menacées. Aux États-Unis, l’idée d’un écrémage jusqu’en 2024 est partagée par de nombreux spécialistes financiers. Après plusieurs années à forte croissance, l’époque serait à la correction, à l’élimination des valeurs purement spéculatives. Les valeurs technologiques américaines ont été portées par la domination des États-Unis sur le secteur de l’information et de la communication. Or, aujourd’hui, de nombreux pays ont des pôles technologiques de qualité que ce soit en Chine ou en Inde. À l’échelle mondiale, les start-up ont bénéficié de 621 milliards de dollars de financement en 2021, ce qui a constitué un record. Ce montant est dix fois celui constaté en 2012. La rentabilité des projets financés ne pouvait que baisser. Le retour à la réalité est brutale. L’indice Nasdaq a perdu 30 % par rapport à son sommet de novembre dernier. 140 entreprises américaines soutenues par des fonds de capital-risque ont désormais des capitalisations boursières inférieures au montant total des sommes qu’elles ont levé depuis leur création. Faraday Future, un constructeur américain de voitures électriques qui avait levé plus de 3 milliards de dollars, ne vaut plus que 710 millions de dollars. Grab, une application basée à Singapour, a levé 14 milliards de dollars avant son introduction en bourse pour une valorisation de 40 milliards de dollars. Sa valeur a été depuis divisée par quatre.

Les flux de capitaux s’amenuisent pour le secteur de la haute technologie. Au deuxième trimestre 2022, le nombre de tours de financement a diminué de 7 % sur un an aux États-Unis, de 11 % en Asie et de 19 % en Europe. Depuis le début de l’année, les actions des start-up attirent moins. Le nombre d’échanges sur les grandes places financières a diminué de 17 sur le premier semestre (source Apevue). Les valorisations des entreprises de haute technologie non cotées sont également en repli même si la baisse est moins importante que celle des actions cotées. Le cours de l’action « Impossible Foods », un producteur d’aliments végans a diminué de 17 % depuis janvier, tandis que celui de « Beyond Meat », un concurrent coté s’est contracté de 61 %.

Si le repli des valeurs cotées ou non est impressionnant, il ne remet pas en cause l’ensemble du système des start-up. Compte tenu des levées de fonds réalisées et du niveau des liquidités, elles sont nombreuses à pouvoir surmonter la crise actuelle. Les entreprises technologiques seront amenées à réduire leurs coûts en maîtrisant plus finement notamment leurs effectifs. Aux États-Unis, 800 start-up auraient déjà réduit leur masse salariale depuis la mi-mars. Better.com, un prêteur hypothécaire en ligne, a licencié 3 000 personnes depuis le mois de mars, soit 33 % de son personnel.

Parmi les start-up exposées à la crise figurent les sociétés de cryptographie, qui ont profité, en 2020 et en 2021, des placements opérés par les Américains à partir des chèques versés par l’administration. Près d’un quart des Américains a, en effet, acquis des cryptoactifs lors de ces deux dernières années. L’essor de ce placement avait contribué à la baisse du taux d’activité, un nombre non négligeable d’Américains vivant des plus-values générées par l’achat et la vente de bitcoins et de leurs cousins. Le retournement du marché, avec la hausse taux d’intérêt a placé sous tension les entreprises qui s’étaient spécialisées dans l’échange de bitcoins. Le prix des actions de Blockchain.com, une plateforme de cryptographie, sur les marchés secondaires a baissé de 56 % depuis mars. Les Américains privilégient les placements sûrs. Par ailleurs, ils ne dégagent plus de plus-values sur le marché des start-up, ce qui les prive de liquidités pour investir sur le marché des cryptoactifs.

Le monde change. La crise de 2022 qui intervient un peu plus de vingt ans après l’éclatement de la première bulle Internet sera fatale pour de nombreuses start-up mais elle sera sans nul doute salutaire pour l’ensemble de l’économie. L’essor rapide des valeurs de la haute technologie était devenu spéculatif avec la création de rentes. Ce secteur attirait des capitaux qui auraient été certainement mieux employés ailleurs. La correction en cours peut déboucher sur un assainissement du marché des valeurs technologiques.

L’an 1 de la guerre énergétique

L’Europe est entrée dans la guerre énergétique. Ayant déjà interdit ou promis d’interdire les importations de pétrole de Russie, les dirigeants de cette dernière ont décidé de réduire les exportations de gaz. Les gouvernements du G7 ont déclaré le 28 juin dernier qu’ils exploreraient les moyens de plafonner le prix du pétrole et du gaz russe. La conséquence sera à la rentrée un volume moindre de gaz et de pétrole pour l’Europe. Si pour le pétrole, des solutions alternatives peuvent être assez rapidement trouvées, il en est autrement pour le gaz. Le développement de méthaniers, et la mise en place de terminaux pour le gaz liquéfié exigent de l’argent et du temps.

Pour éviter une pénurie, les États-Unis ont augmenté leurs exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe. La part de gaz américain dans les importations totales de gaz du vieux continent est passée de 6 % en septembre 2021 à 15 % en mai 2022, alors même que celle de la Russie est passée de 40 à 24 %. Si jusqu’au mois de mai, la constitution des réserves de gaz en Europe était comparable aux années précédentes, la survenue du moindre aléa peut remettre en cause les approvisionnements. Ainsi, le 8 juin dernier, un incendie a fermé l’installation de liquéfaction de gaz de Freeport au Texas. La panne qui devrait durer 90 jours, a privé l’Europe de 2,5 % de son approvisionnement en gaz. La Russie en a profité pour réduire davantage ses livraisons. Gazprom ne livre plus via le gazoduc Nord Stream 1 que 40 % du gaz prévu par contrat en prétextant le retard dans la livraison d’une turbine en cours d’entretien au Canada. Cet incident a réduit de 7,5 % l’approvisionnement de l’Europe.

En Europe, les terminaux méthaniers sont saturés offrant peu de marges de manœuvre. Il y a certainement des moyens pour accroître les livraisons en provenance de l’Algérie, l’Azerbaïdjan ou la Norvège en ayant recours aux gazoducs existants. Les autorités néerlandaises étudient la possibilité de redémarrer le champ gazier néerlandais de Groningen, qui fournissait autrefois autant que le gazoduc Nord Stream mais qui avait été progressivement arrêté après avoir provoqué des tremblements de terre. La population des Pays-Bas est divisée au sujet de cette réouverture. Selon Rystad Energy, un cabinet de conseil, l’Union européenne aura reconstitué près des deux tiers ses réserves de gaz en octobre, soit un niveau inférieur à l’objectif initialement fixé des quatre cinquièmes. La Russie pourrait, en outre, arrêter définitivement Nord Stream en juillet. Dans ce cas, les stocks de gaz ne seraient que de 60 % par rapport à leur niveau habituel.

L’Europe est en situation de vulnérabilité énergétique pour plusieurs raisons. La production des énergies renouvelables est aléatoire. En 2021, cette production fut réduite par la sécheresse et par l’absence de vent. L’arrêt de nombreuses centrales nucléaires françaises pour maintenance déstabilise également le marché électrique européen. Les prix spot de l’électricité en France étaient en moyenne de 197 euros par mégawattheure en mai, contre 15 euros il y a un an. Le parc nucléaire vieillissant de la France ne constitue plus une réserve de production électrique pour l’Europe. La France, autrefois le plus grand exportateur d’électricité d’Europe, achète désormais de l’électricité à ses voisins. La France a dû prendre la décision de remettre en exploitation une centrale au charbon pour répondre à la demande. L’Autriche, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont déclaré qu’ils pourraient retarder la fermeture ou rouvrir les centrales au charbon. L’Allemagne a annulé son intention de mettre hors service plus d’un cinquième de ses centrales au charbon cette année. Avec le Brexit, le gouvernement britannique a annoncé qu’il pourrait ne plus acheminer le gaz qui arriverait sur ses terminaux vers l’Europe continentale, ce qui devrait contribuer à la hausse des cours. La situation cet automne et cet hiver dépendra également de la météorologie. Un hiver froid pourrait mettre sous tension l’Europe avec des coupures d’électricité et des rationnements qui pourraient pénaliser les entreprises et notamment celles intervenant dans le secteur de l’industrie. Le compte à rebours est lancé pour empêcher un scénario catastrophe en Europe qui pourrait conduire à une récession.