19 février 2022

Le Coin des tendances : streaming, le marché des actions

Les marchés « actions », la fin d’un cycle ?

Il y a deux ans, le cours des actions chutait sur toutes les places financières avec l’annonce de la diffusion à toute la planète de l’épidémie de covid-19. En quelques jours, l’économie mondiale allait faire un arrêt sur image. Les interventions des banques centrales et des gouvernements ont enrayé le mouvement de chute. S’en est suivie une « remontada ». Malgré quelques secousses comme l’affaire GameStop et les montagnes russes du bitcoin, les marchés ont résisté aux différentes vagues de covid et poursuivi leur essor sur fond d’injection de liquidités et de taux bas. Le S&P500 a battu à soixante-dix reprises son record en 2021, il faut remonter à 1995 pour trouver une année encore plus faste en la matière.

Quelques fissures apparaissent depuis le début de l’année. Une légère correction aux États-Unis est survenue sur fond de volatilité accrue. Robert Shiller de l’Université de Yale, qui a obtenu le prix Nobel d’Économie pour ses travaux sur les bulles financières, considère que la situation actuelle n’est pas sans ressemblance avec la période qui avait précédé la crise de 1929. Les investisseurs estiment que les marchés sont surévalués mais ils ne souhaitent pas en sortir de crainte d’être perdants. L’action moyenne du S&P500 coûtait 40 fois ses bénéfices début janvier, tels que mesurés par le ratio cours/bénéfices, un niveau qui n’a été dépassé qu’avant l’éclatement de la bulle Internet de 2000. La valorisation des actions est alimentée par le flux abondant de liquidités que les politiques monétaires accommodantes ont générés. Cette liquidité nourrit également les levées de fonds pour les fonds de capital-risque, la spéculation sur les cryptoactifs et l’augmentation des prix de l’immobilier qui, aux États-Unis, ont progressé de 29 % depuis le début de la crise sanitaire et de plus de 10 % au sein de l’Union européenne.

Face à l’inflation renaissante qui est également une conséquencede l’augmentation des liquidités, les banques centrales entendent sortir des politiques monétaires expansionnistes en supprimant les rachats d’obligations et en augmentant leurs taux directeurs. La banque centrale américaine qui initialement ne devait relever en 2022 qu’une seule fois ses taux, pourrait le faire trois, quatre voire cinq fois. La Banque centrale européenne qui n’avait prévu d’augmenter ses taux qu’en 2023 voire en 2024 pourrait également le faire dès 2022. Comment ce retournement de tendance sera-t-il vécu par les marchés ? Quelles seront les conséquences notamment aux États-Unis de moindres gains sur les marchés « actions ». Selon Sir Jon Cunliffe, sous-gouverneur de la Banque d’Angleterre, « les marchés doivent pouvoir corriger, et certaines personnes perdront de l’argent. C’est une partie nécessaire et logique du processus ». Pour plusieurs acteurs, les marchés n’ont réellement connu de correction depuis de nombreuses années, celle de mars 2020 ayant été éphémère et provoquée par un choc extérieur. Ce dernier n’a pas corrigé les déséquilibres créés par la politique monétaire. Le dernier krach causé par les risques financiers endogènes a été celui de la crise financière mondiale. Depuis lors, le système financier a traversé une période de changements technologiques et réglementaires inhabituellement rapides qui ont fondamentalement modifié sa structure.

Les détenteurs d’actions ont changé lors de ces dix dernières années. Le poids des banques et des assureurs du fait des règles prudentielles a reculé au profit d’institutions financières spécialisées dans la gestion d’actifs pour le compte de tiers (fonds de pension, gestionnaires d’actifs comme BlackRock, etc.). Ces institutions gèrent un stock d’actions bien plus important que celui des banques. Aux États-Unis, en 2007, 80 % des actions étaient inscrites en valeur dans les banques, en 2021, ce ratio est inférieur à 50 %.

Aux États-Unis, un peu moins en Europe, les ménages ont acquis ces dix dernières années un volume élevé d’actions. Le poids de ces dernières au sein du patrimoine des Américains est passé de 15 à 27 % de 1990 à 2021. Les ménages utilisent de plus en plus les applications de courtage en ligne pour acheter et vendre des actions via leur smartphone. Cette pratique n’est pas sans risque sachant que les gestionnaires d’actifs en ligne ne disposent pas des mêmes filets de sécurité que les banques qui doivent recourir à des assurances pour les dépôts et qui disposent du soutien de la banque centrale.

En 2022, les fonds sont plus exposés aux États-Unis en cas de retournement des marchés « actions » en en raison de changements technologiques et réglementaires. Ils disposent d’un volume plus faible de titres du Trésor ou d’obligations. Les banques pourraient avoir plus de difficultés à sauver des fonds en difficulté en 2022 qu’en 2007. Il y a dix ou vingt ans, si une banque avait un client qui ne pouvait pas faire d’appel de marge, la banque pouvait acheter cette position et l’absorber dans son bilan. Les banques ne disposent plus des mêmes facilités. La baisse de la capacité d’intermédiation s’est accompagnée du développement des « Exchange Traded Funds » (ETF) qui sont des fonds indiciels. Ces fonds qui répliquent des indices connaissent un succès croissant avec un encours qui dépasse désormais 7 900 milliards de dollars à l’échelle mondiale et qui a été multiplié par cinq en moins de 10 ans. Avec les ETF, les particuliers accèdent facilement à des tranches d’obligations ou d’actions. Certains des ETF à revenu fixe proposés aux particuliers par BlackRock peuvent contenir plus de 8 000 obligations différentes. Des problèmes peuvent survenir en période de stress boursiers. Les  ETF se négocient beaucoup plus fréquemment que les obligations qui les composent. En mars 2020, alors que la volatilité secouait les marchés, le plus grand ETF d’obligations d’entreprise de qualité supérieure de BlackRock s’échangeait 90 000 fois par jour, tandis que les cinq principaux titres du fonds ne s’échangeaient que 37 fois. Certains soutiennent que cela rend les prix des obligations plus précis. Cela peut également révéler à quel point les prix sont volatils en période de stress et pourraient favoriser un krach.

Les fonds obligataires des marchés émergents constituent un autre point à surveiller. Ces marchés sont fragiles, sensibles aux variations de taux et de change. Une hausse des taux américains peut mettre en difficulté de nombreux pays émergents et créer une onde choc pour les fonds.

Depuis la crise financière de 2008, les régulateurs ont accru leur rôle. Face au blocage des marchés interbancaires, ils ont repris à leur charge certaines des missions qui étaient initialement dévolues aux premiers. Ils ont ainsi favorisé l’émergence d’importantes chambres de compensation qui ont dans les faits réduit le rôle des banques. Cette sécurité peut diminuer le degré de vigilance de la part des banques et des autorités. Le shadow banking est l’objet d’attention sans pour autant faire l’objet d’une surveillance identique à celle qui est en vigueur pour les banques ou les assureurs. Des institutions publiques centralisées prennent en partie le risque d’intermédiation. Si l’endettement a diminué dans les banques, il a, en revanche, augmenté chez d’autres institutions financières qui sont moins contrôlées ou qui n’accèdent pas aux mécanismes de compensation. Cela peut concerner les assureurs, les fonds de capital-risque, les family office, etc. Les régulateurs et les banques centrales en premier lieu éprouvent des difficultés à apprécier les effets de la désintermédiation. En 2019, au moment où la Fed réduisait ses avoirs en bons du Trésor, les taux d’intérêt sur le marché des rachats au jour le jour, où les banques et les investisseurs échangent des bons du Trésor contre des espèces, ont monté de manière brutale jusqu’à 10 % obligeant la banque centrale à réinjecter des liquidités de manière importante. En mars 2020, le marché du Trésor a connu des tensions quand de nombreux investisseurs ont tenté de se décharger de leurs obligations en même temps. Selon Mohamed El-Erian, conseiller économique en chef chez Allianz, les problèmes de liquidité peuvent se produire à tout moment et avoir des effets sur les indices de manière importante comme l’a prouvé l’affaire GameStop qui a provoqué une chute de 5 % du S&P500, car les fonds spéculatifs avec des positions courtes ouvertes ont été contraints de désendetter leurs portefeuilles. Le système de compensation a imposé des appels de capitaux si élevés aux courtiers comme Robinhood qu’ils ont été contraints de suspendre leurs échanges, mettant fin à la chute des cours. S’ils avaient été autorisés à continuer, il aurait pu mettre en faillite suffisamment de fonds et les empêcher de livrer suffisamment d’actions GameStop, de sorte que les maisons de courtage au détail auraient été obligées d’acheter les actions requises à n’importe quel prix. Selon El Erian, la propriété des titres s’est considérablement élargie. « C’est logiquement une bonne nouvelle pour la vitalité des marchés et pour leur profondeur mais à court terme, cela pourrait amplifier l’insécurité financière ».

Face à des contractions des marchés actions, les ménages pourraient subir des pertes de capitale et de revenus qui pourraient, surtout aux États-Unis, se répercuter sur la consommation et la croissance. Comme dans les années 1990, ces derniers utilisent les gains des marchés pour consommer ou pour investir sur les cryptoactifs. Aux États-Unis, 11 % des particuliers en détiennent ; en France, ce taux serait de 8 %. Face aux différentes menaces qui parcourent le système financier, l’idée que les banques centrales viendraient à son secours est amplement partagée. La grande vulnérabilité du nouveau système financier est que le chaos peut être auto-réalisateur. Plus le nombre de participants exposés aux fluctuations du marché est élevé plus ces fluctuations peuvent être violentes.

Le monde impitoyable du streaming vidéo

Netflix a révolutionné la société de la consommation des loisirs en proposant à ses abonnés un nombre important de films et de séries télévisées. Face au succès de cette start-up, des concurrents dont certains issus de grands groupes comme Disney, Amazon, Paramount ou Apple, ont développé leurs services de vidéos en ligne. Le simple ralentissement de la progression du nombre d’abonnés a été perçu comme une catastrophe pour Netflix qui comptabilise 221,84 millions d’abonnés et a réalisé un bénéfice net de plus de 600 millions d’euros. Pour 2022, le bénéfice devrait s’élever à 1,3 milliard d’euros. Pour autant au quatrième trimestre 2021, la société n’a gagné que 8,28 millions d’abonnés quand les investisseurs en espéraient 8,5 millions. Pour le premier trimestre 2022, Netflix anticipe 2,5 millions de nouveaux abonnés, soit environ près de la moitié de ce que Wall Street espère (5,7 millions). Cela devrait être la plus faible augmentation du nombre d’abonnés enregistrée depuis 2010. En 2024, le nombre d’abonnés devrait être de 260 millions contre 300 millions attendus.

Disney connaît encore une forte croissance mais des nuages apparaissent obligeant l’entreprise à se réorganiser. La filiale de streaming, Disney +, visait initialement 60 millions d’abonnés en 2024. Cet objectif a été atteint en moins de 12 mois. Désormais, ce sont 260 millions d’abonnés qui sont attendus d’ici 2024. Pour le dernier trimestre 2021, Disney a enregistré 11,8 millions de nouveaux abonnés, soit plus que Netflix. Si Bob Chapek, le nouveau directeur général de Disney considère que l’avenir de son entreprise est désormais lié à la diffusion en ligne, il est pleinement conscient que l’équilibre est fragile. Le marché du streaming vidéo commencerait à se saturer, faisant douter à terme de la rentabilité des entreprises qui y sont présentes. Disney comme Netflix doutent sur la pérennité du modèle de croissance de l’industrie du streaming. Les coûts augmentent plus vite que les recettes. L’obtention de nouveaux abonnés est une source de dépenses croissantes. La nécessité de produire en permanence de nouveaux programmes est également génératrice de charges. Le caractère concurrentiel du secteur ne permet pas la constitution de rentes. Les anciennes entreprises de médias qui sont passées d’une activité de télévision très rentable à une alternative qui l’est beaucoup moins.

La conquête de nouveaux clients est de plus en plus difficile pour les entreprises de vidéo en ligne. Ces dernières sont contraintes d’abaisser leurs tarifs dans les pays émergents où le pouvoir d’achat de la population est plus faible qu’en Occident. En Inde, Netflix a récemment réduit le prix de son forfait de base de 6,60 à 2,60 dollars par mois. La banque Morgan Stanley estime que désormais les revenus de Netflix augmentent de 10 % par an à moyen terme, et non de 15 % ou plus comme auparavant.

Pour conserver les abonnés, les entreprises de streaming doivent offrir toujours plus de nouveautés et d’exclusivité qui coûtent très chères à acheter ou à produire. Elles devraient dépenser plus de 230 milliards de dollars en contenu cette année, soit un montant plus élevé qu’en 2010 selon la société de conseil Ampere Analysis. En 2017, Disney pensait dépenser 2 milliards de dollars en contenu en streaming en 2024, or ce montant devrait dépasser les 9 milliards de dollars.

Les dépenses augmentent du fait des coûts croissants de tournage. Le budget de chaque épisode de la dernière saison de « Game of Thrones » de WarnerMedia était de 15 millions de dollars. Le « Seigneur des anneaux » d’Amazon, attendu en septembre 2022, aurait coûté quatre fois plus cher. Cette montée au sommet des coûts est liée à la forte mobilité des abonnés. Que ce soit pour le téléphone, Internet ou la télévision par câble, les changements d’opérateur sont relativement rares. Ils interviennent notamment au moment des déménagements. Avec le streaming, la volatilité est plus élevée. Les consommateurs résilient facilement pour migrer vers la plateforme qui propose les dernières séries à la mode. Apple tv+ doit faire face à un important taux d’annulation d’abonnements. Elle perd chaque mois un dixième de ses clients, selon la société de données en ligne « Antenna ».

La combinaison de la hausse des coûts, de recettes en recul et du ralentissement de la croissance des revenus met à mal le modèle des entreprises de films en ligne. En 2022, la marge d’exploitation de Netflix devrait se contracter à 19 %, une première lors de ces six dernières années. Les règles d’amortissement sont par ailleurs sujettes à caution. Les entreprises effectuent des amortissements longs justifiés par le fait que les séries ou les films peuvent être regardés sur plusieurs années or, l’obsolescence semble très rapide. Au bout de quelques semaines, les visionnages s’effondrent surtout en ce qui concerne les films et les séries regardées par les jeunes. La gestion des portefeuilles de films est différente de celle qui prévaut pour la télévision. Les rediffusions peuvent rapporter dans le temps bien plus qu’une exclusivité. Cela permet par exemple à Disney d’avoir une rentabilité de 30 % pour ses activités télévisuelles. Aux États-Unis, la facture moyenne d’accès au câble est de près de 100 dollars par mois, les téléspectateurs étant en outre soumis à la publicité. Les entreprises de médias substituent une activité à faible rentabilité à une activité à fortes marges en déplaçant leur meilleur contenu du câble vers leurs services de streaming. Ils renoncent également aux revenus provenant des salles de cinéma en envoyant des films directement en streaming.

L’évolution semble irréversible. Aux États-Unis, le streaming devrait représenter plus de 50 % de la consommation de médias audiovisuelles d’ici 2024. Le nombre d’heures passées devant les chaînes de télévision traditionnelles est en chute libre aux États-Unis comme en Europe. Les recettes publicitaires ont déjà déserté la radio et commencent à diminuer pour la télévision. Face à cette mutation, outre-Atlantique, des regroupements sont en cours. Un pôle autour de Disney+, ESPN et Hulu se constitue. Apple et Amazon se rapprochent quand WarnerMedia et Discovery devraient fusionner. Même Netflix pourrait être concernée. Sur ce marché du Streming, l’Europe est absente malgré le fait que des entreprises comme Gaumont, TF1 ou Canal+ disposent d’importants contenus. L’incapacité d’avoir un ou plusieurs groupes diffusant sur l’ensemble du territoire européen a permis aux entreprises américaines de préempter le marché. Les regroupements d’entreprises ont été avant tout nationaux comme TF1 et M6 ce qui ne permet pas d’avoir la masse critique pour démarcher 450 millions de consommateurs.