Le Coin des Tendances – transition énergétique – Chine/USA
La taxation du carbone, un protectionnisme déguisé ?
Dans son livre « Le climat après la fin du mois », l’économiste Christian Gollier promeut l’instauration d’une taxe sur les activités polluantes et donc sur les émissions de CO2, considérant que c’est le seul moyen de réduire les externalités négatives. L’utilisation d’une voiture essence ou diesel, le chauffage au bois ou la production d’énergie électrique en recourant au charbon ont des incidences sur le climat et la santé des populations. Les coûts de ces nuisances ne sont pas intégrés au prix de vente. Il n’y a donc pas de mécanisme de sanction du marché. En instituant une taxe compensant le prix des nuisances, les consommateurs sont amenés soit à renoncer à leurs achats, soit à participer financièrement à la remise en état de l’environnement ou aux dépenses de santé. L’efficacité de la tarification suppose qu’elle soit généralisée à l’échelle mondiale afin d’éviter des passagers clandestins.
Depuis une quinzaine d’années, plusieurs pays ou collectivités publiques ont mis en place des marchés « carbone ». Sur ce type de marché, une entité publique (par exemple les Nations unies, l’Union européenne ou un État, etc.) fixe aux émetteurs de gaz à effet de serre un plafond d’émission plus bas que leur niveau d’émission actuel et leur distribue des quotas d’émission correspondant à ce plafond. Les agents économiques qui n’ont pas épuisé l’ensemble des droits peuvent soit les conserver ou les céder à d’autres qui en ont besoin.
L’unité de compte et d’échange, le quota, représente une tonne de carbone (ou gaz à effet de serre équivalent). Les transactions peuvent se faire sur un marché organisé (une bourse du carbone), ou de gré à gré, directement entre un acheteur et un vendeur. Le prix du quota dépend avant tout de la quantité de quotas émise par l’entité publique, c’est-à-dire du niveau du plafond fixé. Moins elle distribue de quotas par rapport aux émissions, plus les émetteurs de carbone doivent réduire leurs émissions ou acheter des quotas. Le prix reflète ainsi le degré d’ambition de la politique climatique des pouvoirs publics.
Le premier marché carbone est celui de l’Union européenne. Environ 11 000 sites industriels émetteurs de CO2 sont concernés par ce marché. Aux États-Unis, sept États du Nord-Est (le Connecticut, le Delaware, le Maine, le New Hampshire, le New Jersey, l’État de New York, et le Vermont) ont créé l’ « Initiative Régionale contre l’Effet de Serre » (en anglais Regional Greenhouse Gas Initiative ou RGGI). Ses règles de fonctionnement ont été publiées en 2006, mais l’organisme n’est opérationnel qu’à partir de 2009. Les États du Maryland, du Massachusetts, du Rhode Island et de Virginie l’ont rejoint par la suite. Un marché du carbone existe en Nouvelle Zélande. Il a été créé en 2008 et couvre près de 50 % des émissions de gaz à effet de serre de la Nouvelle-Zélande. Le marché laisse la possibilité à certains acteurs d’adhérer volontairement au système. Après avoir testé depuis 2013 des marchés locaux dans sept de ses plus grandes villes, la Chine a annoncé le 1er février 2021 l’entrée en vigueur de son marché national du carbone, inspiré du système d’échanges de quotas d’émissions de l’Union européenne, qui devrait couvrir le tiers des émissions de gaz carbonique en Chine et devenir le plus grand marché mondial du carbone. D’autres marchés du carbone se sont développés, notamment en Australie, en Californie, en Corée du Sud ou au Royaume-Uni qui ne fait plus parti du marché européen depuis le Brexit. Plusieurs initiatives sont en cours de finalisation dans plusieurs autres États dont la Russie.
Le 14 juillet, la Commission européenne a dévoilé son projet d’imposer ce qui serait, en fait, un droit de douane sur certaines importations à forte intensité de carbone qui produites en dehors de l’Union, ne sont pas soumises à son système de plafonnement et d’échange de carbone. L’objectif est d’éviter des délocalisations et le développement d’importations de produits moins chers car ne supportant pas de taxe carbone.
L’instauration d’une taxe à l’entrée est liée au fait que tous les pays ne sont pas disposés à appliquer les mêmes règles en matière d’émission des gaz à effet de serre. Si les prix du carbone étaient mondiaux, les coûts de mise en œuvre de l’accord de Paris sur le changement climatique pourraient, selon l’Environmental Defence Fund, chuter de 79 %. Pour le moment, le principe d’un marché unique du carbone est une chimère. Si la Chine a créé son marché carbone le 16 juillet dernier, elle a retenu des tarifs très faibles.
La mise en place d’une taxe carbone à l’entrée de l’Union européenne pourrait être contraire aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce en étant de nature protectionniste ; elle pourrait entraîner de la part des pays qui en sauraient victime des rétorsions. Les États-Unis menacent déjà l’introduction d’une taxe carbone aux frontières.
Le protectionnisme a toujours été jugé préjudiciable aux échanges et à la croissance. Les Européens pourront toujours alléguer que cette taxation vise à corriger une inégalité de fait et à rendre la croissance durable. Pour être non protectionniste, il faudrait prendre en compte l’existence ou pas de taxes carbone dans les pays producteurs mais cette option est difficile à appliquer. En 2018, la Commission européenne a déclaré quelle serait « clairement ingérable ». Dans le cadre du Pacte vert européen, les entreprises étrangères seront taxées quand leurs émissions de gaz à effet de serre dépassent celles des 10 % des entreprises de l’Union appartenant à leur secteur d’activité. Cette mesure, si elle est adoptée, obligera les entreprises concernées à présenter de nombreux justificatifs pour échapper autant que possible à la taxe carbone.
Face à la multiplication des tentations protectionnistes, le FMI propose une taxe carbone mondiale minimale dont le taux serait fonction du PIB par habitant. Cette idée semble en l’état peu réaliste. William Nordhaus, un économiste de l’environnement, lauréat du prix Nobel, pense que les pays volontaires devraient former un club climatique au sein duquel le carbone est tarifé, puis simplement imposer des tarifs punitifs forfaitaires aux pays qui refusent d’adhérer. Les pays en développement et émergents considèrent que l’Occident, responsable de la grande partie des émissions de gaz à effet de serre depuis la première révolution industrielle, entendent leur en faire payer le prix avec l’instauration de la taxe carbone. Cette dernière freinerait la croissance des pays pauvres qui n’ont pas profité des énergies carbones pour se développer dans le passé.
États-Unis/Chine, la guerre est-elle inévitable ?
L’arrivée de Joe Biden n’a pas modifié en profondeur les relations entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière est accusée de vouloir saper la domination géopolitique américaine et de vouloir imposer ses règles illibérales au reste du monde. Si la diplomatie américaine est depuis l’arrivée du nouveau Président moins encline aux coups de force, elle demeure très dure à l’encontre des autorités chinoises. La montée en puissance de la Chine est considérée comme la principale menace à laquelle doit faire face les États-Unis. Au cours de ses six premiers mois, l’administration de Joe Biden a, à la surprise de beaucoup, officiellement affirmé l’existence d’un « génocide » au Xinjiang, et a également travaillé avec ses alliés pour imposer de nouvelles sanctions aux responsables publics chinois concernés. Le nouveau Président a maintenu et affiné les interdictions de Donald Trump de réaliser des affaires avec Huawei ainsi qu’avec une longue liste d’entreprises technologiques et d’entreprises affiliées à l’armée chinoise. Il a fait savoir qu’un sommet avec Xi Jinping, le Président chinois, ne figurait pas dans ses priorités. Lors du dernier sommet du G7, le Président américain a clairement dit que les États-Unis devaient être le fer de lance de l’Occident face aux autocrates parmi lesquels il comptait les dirigeants chinois.
Les autorités chinoises, de leur côté, considèrent que les dix à quinze prochaines années constituent une fenêtre d’opportunité pour affirmer l’autorité de leur pays à l’échelle mondiale. Les Chinois entendent être leaders dans toutes les technologies critiques et réécrire les règles de l’ordre mondial. Leur objectif est de placer la Chine au rang de 1ère puissance mondiale en 2049 pour le centenaire de l’arrivée au pouvoir des communistes. Les responsables chinois estiment que l’Occident est entré dans une phase de déclin rapide leur permettant de redessiner la carte des influences. Ils sont convaincus de l’inefficacité du système démocratique dans une société d’information totale.
L’administration américaine est consciente que l’endiguement de la Chine ne peut pas être mené de la même manière que celui de l’URSS après la Seconde Guerre mondiale. Son intégration dans l’économie mondiale est telle que la Chine est désormais inexpugnable. Elle est souvent le premier pays en matière d’échanges pour un très grand nombre d’États. L’influence soviétique était essentiellement idéologique et militaire, celle de la Chine est en plus économique. Les États-Unis doivent mener une guerre d’influence pour conserver leurs positions. Joe Biden estime que pour contrer la Chine, il est nécessaire de restaurer la grandeur américaine après des décennies de déclin. Le gouvernement américain considère que les États-Unis doivent conserver leur primauté technologique. À cette fin, il a fait adopter une loi sur l’innovation et la concurrence. 52 milliards de dollars sont prévus en faveur de la recherche et notamment la fabrication de semi-conducteurs. 29 milliards de dollars ont été affectés à un nouveau fonds pour les sciences appliquées qui soutiendrait des projets dans les matériaux avancés, la robotique, l’intelligence artificielle et d’autres technologies. Il prévoit également des crédits pour la conquête spatiale. Dans le cadre du plan de relance pandémique de 1 900 milliards de dollars qui a été adopté en mars, des dotations ont été prévues pour la modernisation des infrastructures avec une priorité donnée aux entreprises américaines. En revanche, Joe Biden n’a pas réussi à faire adopter la totalité de son plan d’investissement qui a été réduit après négociation avec les élus républicains à 600 milliards de dollars en lieu et place des 1900 milliards de dollars.
Pour certains experts, la Chine dépassera en termes de PIB les États-Unis avant 2035. Elle exerce de plus en plus un champ de gravitation puissant bien au-delà de la zone asiatique. La montée en puissance de ses armées et ses investissements dans la recherche et le développement la rendent de plus en plus attractive pour les autres États.
Les Américains veulent empêcher la Chine d’être en capacité de reconstruire l’ordre mondial. Militairement, ils veulent maintenir une politique de dissuasion dans des zones se trouvant juste au-delà des eaux chinoises internationalement reconnues, investir dans des armes de pointe pour empêcher la Chine de prendre le contrôle des eaux ou des îles comme Taiwan dont elle revendique régulièrement la possession. La Chine, comme la Russie, investit dans des armes de très hautes technologies comme les missiles hypersoniques qui contraignent les États-Unis à réaliser un effort de modernisation.
Pour la première fois depuis 1945, les États-Unis doivent répondre à un défi technologique. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, s’est clairement prononcé pour une politique plus dure à l’encontre de la Chine, politique qui ne soit pas dictée par les impératifs commerciaux par les impératifs géopolitiques. Il est favorable au maintien des tarifs douaniers et des sanctions prises par Donald Trump.
En juin, l’administration a achevé un examen de la chaîne d’approvisionnement qui a identifié les domaines dominés par la Chine, notamment les métaux des terres rares, le lithium et le cobalt (essentiels pour les batteries de grande capacité) ainsi que certains médicaments et ingrédients pharmaceutiques. Elle a appelé l’Amérique à travailler avec d’autres pays sur la façon de se sevrer du marché chinois.
Les autorités américaines sont inquiètes de la dépendance croissante en matière de microprocesseurs de pointe. La sécurisation des approvisionnements en provenance de Taïwan est une question de plus en plus posée. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company est en effet devenue le principal fournisseur de puces haut de gamme des États-Unis et de l’Europe. Les progrès de la Chine dans des technologies telles que l’intelligence artificielle et l’informatique quantique est également un sujet de préoccupation. L’administration américaine entend élargir le contrôle sur les exportations stratégiques.
Avec l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, la politique des États-Unis à l’encontre de la Chine se veut plus multilatérale. L’administration américaine souhaite, en effet, associer à sa lutte ses alliés traditionnels dont, en premier lieu, les Européens. Dans cet esprit, elle a accepté de régler le différend avec l’Union européenne au sujet d’Airbus accusé de recevoir des subventions des États membres. Elle a également levé les sanctions contre la société construisant le gazoduc Nord Stream 2, gazoduc qui alimentera essentiellement l’Allemagne. De la sorte, elle considère que la lutte contre la Chine l’emporte sur la confrontation avec la Russie. En mars, les États-Unis ont également voulu rassurer leur allié Sud-Coréen en concluant un nouvel accord de partage des coûts pour sa présence militaire en Corée du Sud. Joe Biden a déjà commencé à récolter les fruits de cette politique en obtenant que la Grande-Bretagne, le Canada et l’Union s’associent à sa politique de sanction à l’encontre des responsables chinois du Xinjiang. Au mois de mai, le Président sud-coréen Moon Jae-in, lors d’une visite à la Maison Blanche, a accepté de mentionner la préservation du statut de Taïwan dans le cadre de la déclaration conjointe. En juin, les déclarations finales du G7 et, quelques jours plus tard, celle du sommet de l’OTAN, ont souligné la menace posée par la Chine. La compétition entre les deux grandes puissances concerne également les vaccins anti-covid19. Pour le moment, les Occidentaux ne disposent pas de suffisamment de stocks de vaccins pour contrer la diplomatie chinoise.
Le front uni contre la Chine est néanmoins fragile. De nombreux gouvernements entendent développer leurs échanges avec la Chine. Le 1er juillet, Rishi Sunak, le chancelier britannique, a appelé à une « relation mature et équilibrée » avec la Chine. Le 7 juillet, Boris Johnson, le Premier ministre, a déclaré qu’il ne voulait pas faire fuir les investissements à cause d’un « esprit anti-Chine ». La France et l’Allemagne sont également exprimé quelques réserves face à la volonté des États-Unis d’engager un bras de fer avec la Chine. Les États qui économiquement dépendent de cette dernière ne souhaitent guère suivre la politique américaine. En vingt ans, l’influence commerciale des États-Unis a fortement reculé. Ils étaient le premier partenaire économique d’une majorité d’États en 2000 quand aujourd’hui ce rôle est occupé par la Chine.
Aux États-Unis, de nombreuses entreprises et institutions financières font pression sur l’administration pour maintenir l’accès au marché chinois et pour l’assouplissement des contrôles à l’exportation. Le 7 juillet dernier, plus de quarante associations américaines de tendance progressiste ont écrit à Joe Biden pour lui demander d’abandonner la « posture antagoniste » des États-Unis envers la Chine et de coopérer sur le changement climatique. Les responsables du Bureau de l’industrie et de la sécurité ne sont guère pressés pour dresser une liste de technologies émergentes qui pourraient être soumises à de larges contrôles à l’exportation. Les douanes et la protection des frontières ont tardé à publier leurs ordonnances de blocage des importations de marchandises fabriquées en ayant eu recours au travail forcé au Xinjiang. Les États-Unis comme les autres États prennent en compte qu’ils ne peuvent pas se passer des importations chinoises. 45 % de l’approvisionnement mondial de silicium hautement raffiné provient du Xinjiang.
La Chine est entrée en concurrence avec les États tant sur le plan commercial que militaire. Son influence s’est considérablement accrue en Afrique abandonné par les occidentaux ces dernières années, sachant que l’influence européenne et notamment française est en net recul. La base militaire chinoise à Djibouti, avec plus de 2000 soldats, est tout un symbole du changement d’état d’esprit de ce pays qui ose désormais dépasser sa zone traditionnelle d’influence. La route de la soie qui englobe de nombreux ports africains et européens ainsi que des voies terrestres en Europe centrale est devenue un outil diplomatique. Les pays d’Europe de l’Est, de plus en plus en froid avec l’Union européenne et avec les États d’Europe de l’Ouest, se tournent de plus en plus vers la Chine. Cette dernière a mis en place des structures d’aides financières qui entrent en concurrence avec le FMI ou l’Union européenne. À défaut de guerre physique, une partition du monde en deux n’est pas en soi inimaginable avec comme bémol le fait que la Chine et ses alliés pourraient être dominants sur le plan du PIB.