Le Coin des tendances – transition énergétique – pays en développement
Réchauffement climatique et migrations
Le réchauffement climatique en rendant des territoires inhospitaliers pourrait provoquer une progression des migrations. Celles-ci s’effectueront majoritairement à l’intérieur des pays. Dans son ouvrage « Nomad Century« , publié en 2022, la journaliste indépendante britannique, Gaia Vince a écrit que si le monde se réchauffait de 4°C d’ici la fin du siècle, les territoires actuellement habités par 3,5 milliards de personnes deviendraient inhabitables. D’ici 2050, 150 à 216 millions de personnes pourraient être ainsi contraintes à des déplacements intra-nationaux. Ces mouvements de population devraient accroître les guerres civiles. Selon une étude de Marshall Burke de l’Université de Stanford, une augmentation des conflits armés est à attendre. Le terrorisme et la criminalité s’alimentent du changement climatique.
Le milieu rural fortement exposé aux conséquences du réchauffement climatique
Les habitants des zones rurales sont les plus exposés au réchauffement climatique du fait des problèmes croissants d’accès à l’eau. Ils seront incités à quitter leur territoire et venir s’installer au sein des grandes agglomérations qui sont par ailleurs, des centres importants d’émissions de gaz à effet de serre. Ces transferts de populations pourraient, en revanche, avoir un effet positif sur la croissance. Au sein des zones urbaines, dans les pays en développement, la pauvreté est moins fréquente qu’en milieu rural, les salaires urbains étant plus élevés et moins dépendants des aléas climatiques. L’urbanisation permet, en outre, à un nombre croissant de personnes d’accéder à des services collectifs comme les écoles, les établissements de soin et à des emplois mieux rémunérés. Elle est une source de croissance économique. Au Niger, les enfants urbains sont deux fois plus susceptibles d’aller à l’école primaire que leurs collègues ruraux, et près de quatre fois plus susceptibles d’aller à l’école secondaire. L’urbanisation a également comme conséquence une baisse rapide du taux de fécondité. En Afrique subsaharienne, les femmes rurales ont, en moyenne, 5,8 bébés quand celles qui habitent en milieu urbain n’en ont que 3,9. Cette baisse de la fécondité s’accompagne d’une forte diminution de la mortalité infantile.
La submersion marine, un risque majeur
Si pour le moment, les migrants climatiques fuient avant tout les sécheresses, dans les prochaines années, ils pourraient vouloir échapper aux inondations provoquées par la montée des eaux. Les pays en développement n’auront pas les moyens de protéger leurs littoraux ce qui pourrait entraîner des déplacements massifs de population. 300 millions à un milliard de personnes sont potentiellement concernées. La grande majorité des pays d’Asie seront amenés à prendre des mesures pour éviter des catastrophes humaines. Le Bangladesh, pays peuplé de 170 millions d’habitants est quasi totalement inondable. Cet État est un des plus exposés aux catastrophes naturelles en lien avec le réchauffement climatique. Les cyclones y sont de plus en plus violents et la mer ronge les cotes à grande vitesse. Le gouvernement du Bangladesh a mis en place une stratégie nationale en matière de déplacement climatique. Ce plan vise à freiner l’installation dans les zones le plus vulnérables et à aider les personnes déplacées à retrouver un emploi. De nombreux habitants refusent de déménager sur des territoires isolés ayant peu d’emplois à proposer. Malgré des aides prenant la forme de logements et de parcelles à cultiver, les Bangladais préfèrent retourner, quelques mois ou années après leur déplacement, dans les zones inondables. De nombreux migrants climatiques sont tentés de se rendre au sein des pays émergents ou avancés. La fermeture des frontières, ces dernières années, limite les possibilités de migration surtout à destination de l’Europe. En revanche, l’Argentine, a créé un nouveau visa pour les personnes qui fuient les catastrophes liées au climat. Ce visa est, dans les faits, peu utilisé, l’Argentine n’étant pas le pays le plus facile d’accès pour des migrants ayant peu de revenus. Un rapport de la Maison Blanche en 2021 a déclaré que certaines des personnes déplacées par le changement climatique pourraient être considérées comme des réfugiés.
L‘Afrique, un continent sous pression
La question des migrations climatiques devrait prendre de l’ampleur avec la progression de la population de l’Afrique qui devrait passer de 1,2 à 2,5 milliards de personnes de 2022 à 2050. Concentrée, de plus en plus, le long des côtes et confrontée à une croissance insuffisante pour garantir une élévation des revenus, une partie de la population africaine sera incitée à aller tenter sa chance ailleurs. En Afrique du Nord, 4,5 à 13 millions de personnes (2 à 6 % de la population) seront déplacées par le changement climatique d’ici 2050. En Égypte, d’ici 2050, la montée des mers signifie qu’une grande partie de la côte nord, en particulier autour de la ville d’Alexandrie, sera confrontée à des risques de submersion plusieurs fois par an. De nombreuses personnes quitteront les zones côtières basses et se dirigeront vers le Caire ou vers d’autres pays. De nombreux agriculteurs égyptiens seront amenés à changer de métier en raison de l’aggravation des sécheresses. L’Égypte devrait connaître une progression rapide de ses villes. Ce pays reste étrangement rural, le taux d’urbanisation n’étant que de 43 %. Avec la réduction de l’activité agricole, les migrations urbanises se multiplieront d’ici le milieu du siècle. Or, les gouvernements de ce pays ne préparant pas cet exode en prévoyant la construction de logements en nombre et en réalisant les infrastructures nécessaires.
Accompagner et non bloquer les migrations
De nombreux pays émergents et en développement tentent de freiner les migrations climatiques. Le système chinois d’enregistrement des ménages interdit l’accès aux ruraux à de nombreux services publics dans les grandes villes, obligeant des millions de migrants nationaux à laisser leurs enfants dans les écoles peu cotées des villages. En Inde, le gouvernement a institué un système de garantie d’emplois en milieu rural afin d’éviter de limiter les déménagements vers les villes. Des programmes similaires réduisent la mobilité en Éthiopie, en Indonésie et au Vietnam. Ces politiques sont contreproductives car elles exposent la population aux catastrophes naturelles et ne favorisent pas la croissance économique. Les sommes consacrées à empêcher les migrations seraient plus utiles si elles étaient affectées à la formation ou à la réalisation d’infrastructures.
Pays en développement, transition énergétique et aides internationales
En 2000, les pays en développement, à l’exclusion de la Chine, représentaient moins de 30 % des émissions annuelles de carbone. En 2030, ils représenteront la majorité. La décarbonation de leur économie est un enjeu majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’augmentation de leur population nécessite que ces pays s’engage dans un cycle de forte croissance mais celle-ci est synonyme d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Selon une étude du FMI concernant 72 pays en développement depuis 1990, une augmentation de 1 % du PIB annuel provoque une augmentation de 0,7 % des émissions. D’ici 2030, l’Inde et l’Indonésie, qui connaissent une croissance rapide, augmenteront leurs émissions annuelles de plus de 800 millions de tonnes de dioxyde de carbone, soit l’équivalent de l’ensemble des émissions de l’Allemagne. Dans d’autres grands pays émergents comme le Brésil, l’Égypte et les Philippines, les émissions de gaz à effet sont également en forte progression au point de faire douter de l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone pour 2050 fixé le Traité de Paris. Ce traité prévoyait un plan d’aide portant sur 100 milliards de dollars par an en faveur des pays en développement afin de concilier croissance et réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Un déficit criant des aides en faveur des pays en développement
Depuis 2015, les aides aux pays en développement afin qu’ils décarbonisent leur économie n’ont pas été au rendez-vous, la crise sanitaire ayant contribué, en outre, à leur gel. Le 23 juin dernier, à Paris, les États occidentaux ont réitéré leur engagement en faveur des pays pauvres. Les 100 milliards d’euros constituent une petite fraction des besoins financiers à mobiliser pour réduire les émissions de CO2. Le Grantham Institute, un centre d’études de la London School of Economics, estime les pays pauvres devront dépenser 2 800 milliards de dollars par an pour réduire leurs émissions et protéger leurs économies contre le changement climatique. L’institut souligne que ces pays devront également consacrer 3 000 milliards de dollars par an dans des secteurs tels que la santé et l’éducation pour lutter contre la pauvreté. L’aide à la transition énergétique risque ainsi d’entrer en concurrence avec celle en faveur de l’éducation ou de la santé.
Des besoins importants pour les pays en développement
Les équipements réalisés par les pays émergents ou en développement en 2023 influeront sur les émissions de gaz à effet de serre des prochaines décennies. Les besoins en produits agricoles ou en matériaux de construction sont importants au sein des pays en développement. Compte tenu de l’augmentation de la population à venir en Afrique, les déforestations risquent de s’accélérer. La Banque africaine de développement (BAD) estime que l’Afrique a besoin de 160 gigawatts (GW) de capacité supplémentaire d’ici 2025 or le continent ne produit actuellement que 30 GW d’énergie renouvelable, la première source d’énergie électrique restant le charbon. L’extraction de métaux rares liés à la fabrication de batteries se développe à grande vitesse avec à la clef une pollution importante et des émissions de CO2. L’Afrique a néanmoins plusieurs atouts pour réussir un décollage économique « vert ». Comme pour la téléphonie sans fil, les États africains ne sont pas handicapés par le poids des anciennes infrastructures. Ils peuvent effectuer plus facilement que les pays avancés des sauts technologiques. Ils disposent d’un potentiel solaire plus important que sur tout autre continent, ainsi que de nombreux minéraux pouvant être utilisés pour les batteries. Le défi de la neutralité carbone n’en demeure pas moins élevé. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les pays en développement devraient dépenser, d’ici 2050, au moins 300 milliards de dollars par an pour la réalisation des seuls réseaux d’énergie renouvelables, soit plus de cinq fois leurs dépenses actuelles.
La transcription des promesses d’aides publiques en actes apparaît plus que difficile. Le sommet de Paris n’échappe pas à la règle d’autant plus que les participants étaient divisés sur le sujet de l’accompagnement des pays en développement dans leur transition énergétique. La provenance des financements publics promis n’a pas été révélée, tout comme les modalités de leur mobilisation concrète sur le terrain. Des responsables africains ont proposé l’instauration de taxes mondiales et la création d’une nouvelle institution financière en charge de la transition énergétique. Emmanuel Macron s’il n’est pas opposé au principe d’un impôt mondial a néanmoins souligné les problèmes de sa perception et de son affectation.
Les énergies fossiles, une facilité pour de nombreux pays
À court terme, les gouvernements des pays en développement risquent d’opter pour les énergies fossiles du fait qu’ils en disposent en quantité parfois importante. Ces pays sont confrontés à des pénuries d’électricité ce qui pousse les autorités à se doter au plus vite de système de production. Compte tenu des coûts et du caractère aléatoire des énergies renouvelables, la facilité les pousse à construire des centrales au charbon ou au fuel. L’exploitation des gisements de pétrole et de gaz permettent aux États en développement de s’acquitter de leurs dettes. Sans les revenus des combustibles fossiles, au moins une douzaine de pays pauvres, dont l’Équateur et le Ghana, seraient, selon le FMI, en situation de défaut potentiel de paiement.
Les pays en développement ne sont pas en situation de respecter les objectifs fixés par lors de la COP21 à Paris en 2015. L’Indonésie dépendra, jusqu’en 2030, à 60 % du charbon pour la production de son électricité. En 2022, l’industrie indonésienne de l’énergie au charbon a émis plus de dioxyde de carbone que l’Afrique subsaharienne moins l’Afrique du Sud. Les centrales au charbon du pays seront rentables jusqu’en 2050. Au Brésil face à la réduction de la production d’hydroélectricité dues à la multiplication des sécheresses, les autorités ont décidé de consacrer 500 milliards de dollars à la construction de centrales alimentées en pétrole ou en gaz.
Selon des chercheurs du FMI, pour tenter de limiter un emballement des émissions des gaz à effet de serre, il faudrait consacrer près de 360 milliards de dollars chaque année à l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud afin d’éliminer leurs centrales au charbon d’ici 2050. Une mobilisation des capitaux publics et privés est nécessaire pour tenter de respecter les objectifs du Traité de Paris. Au niveau du développement durable, les investisseurs se focalisent sur les pays à revenus intermédiaires. En revanche, en ce qui concerne les pays pauvres, les projets concernent essentiellement l’exploitation de pétrole ou de gaz ainsi que des minerais.
Le choix cornélien des grandes institutions internationales
Les plus grands projets de financement climatique à ce jour sont les JET-P – ou « Just Energy Transition packages » – comprenant des prêts et des subventions de banques, de pays riches et d’entreprises privées, qui visent à guider les pays à revenu intermédiaire des combustibles fossiles vers des énergies plus propres. Le paquet de l’Indonésie s’élève à 20 milliards de dollars, dont environ 10 milliards de dollars proviennent de plusieurs États et bénéficient de taux bonifiés. L’Afrique du Sud a obtenu 8,5 milliards de dollars de financements concessionnels. Si l’Indonésie s’en tient à ses promesses de JET-P plutôt qu’à son plan énergétique national, elle fermera plusieurs centrales au charbon et deviendra l’un des rares pays avec des émissions proches de celles requises par la COP 21. En 2021, moins d’un quart des subventions et des prêts bon marché des organisations de développement sont allés aux pays les plus pauvres, contre près d’un tiers dix ans plus tôt. Quatre-vingts pays pauvres, dont le Nigeria et le Pakistan, n’ont reçu ensemble que 22 milliards de dollars d’aide attendus en 2021. L’année dernière, l’aide bilatérale à l’Afrique subsaharienne a chuté de 8 %.
Le plus grand bailleur de fonds au monde pour le climat et le développement, la Banque mondiale, est coincé entre ces deux objectifs : la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le réchauffement climatique. Elle entend néanmoins de plus en plus orienter ses crédits en faveur de la transition énergétique. Elle prévoit ainsi des outils de suivi de ses fonds afin d’en vérifier l’usage au regard de l’objectif de décarbonation des activités. Elle souhaite accroître le volume des prêts destinés à cet objectif ; ces derniers représentant déjà plus d’un tiers du total des prêts. Cette politique alimente les craintes parmi les pays à faibles revenus d’une réduction des crédits pour la lutte contre la pauvreté. La Chine qui a développé ses programmes de soutien aux pays en développement en marge des institutions internationales opte également pour une sélection des dossiers en fonction de critères environnementaux. La Banque asiatique d’investissement et d’infrastructure dirigée par la Chine, envisagent de transférer tous leurs prêts vers le financement de la transition climatique.
Le conditionnement des aides à la mise en place de plans de décarbonation tout comme l’instauration d’un protectionnisme vert pénaliseront les pays les plus pauvres qui seront privés de débouchés commerciaux. Les pressions des Occidentaux et désormais de la Chine sur les gouvernements des États les plus pauvres sont de plus en plus mal perçus par ces derniers qui estiment que le réchauffement climatique est avant tout de la responsabilité des premiers.