21 octobre 2023

Le Coin des tendances – transition énergétique – protectionnisme

La transition énergétique face aux opinions

En politique, la tentation au manichéisme est légion et l’art de cette dernière est d’accommoder les contraires et les contraintes. À travers les siècles, le débat s’est construit autour de couples basiques et réducteurs : révolutionnaires/conservateurs, républicains/ monarchistes, libéraux/marxistes. Depuis peu, le débat se focalise autour de la question environnementale. Les populations se divisent sur le thème de la lutte contre le réchauffement climatique. Aux États-Unis, la présidente du Parti républicain du Michigan, Kristina Karamo, a récemment déclaré que « les démocrates tentent de nous convaincre que si le gouvernement fédéral ne prend pas des mesures environnementales appropriées, la planète va mourir. Cela semble être l’une des plus grandes arnaques depuis l’évolution darwinienne ». Donald Trump a, sur ce sujet déclaré : « vous pouvez être loyal envers les travailleurs américains ou envers les fous de l’environnement, mais vous ne pouvez pas vraiment être fidèle aux deux ». La population américaine est réceptive aux arguments anti-écologistes des élus républicains. Au Royaume-Uni, Rishi Sunak, le Premier ministre, a annoncé un assouplissement des objectifs de zéro émission nette, avec notamment un report de cinq ans de l’interdiction de la vente de voitures neuves à essence. L’Allemagne, pays en pointe dans les énergies renouvelables a obtenu de l’Union européenne la possibilité de commercialiser des véhicules à moteur thermique au-delà de 2035 sous condition qu’elles fonctionnent avec des carburants de synthèse. En France, Emmanuel Macron est contraint de pratiquer le « en même temps » pour concilier les contraires. Il a demandé au mois de mai 2023 une pause réglementaire environnementale en Europe. Fin septembre, il a lancé son projet de planification écologique pour accélérer la transition énergétique. La France est le pays d’Europe qui a connu les manifestations les plus violentes sur le sujet de l’environnement avec, en point d’orgue, la crise des gilets jaunes. Dans le même temps, les mouvements extrémistes condamnant l’inaction des pouvoirs publics sur le terrain environnemental se multiplient en France comme dans les autres pays occidentaux et n’hésitent plus à recourir à des actions violentes. 

La décarbonation en marché malgré tout

Les antagonismes croissant sur fond de réduction des émissions des gaz à effet de serre ne freinent pas, pour le moment, le processus de décarbonation. La Chine, le premier émetteur mondial investit de plus en plus dans l’énergie solaire et l’éolien. Le deuxième plus grand émetteur, les États-Unis, a, depuis l’arrivée de Joe Biden à la Présidence, engagé des programmes visant à faire de ce pays un exemple en matière décarbonation. Le retour au pouvoir, au Brésil, de Luna da Silva, est perçu comme un signe positif pour la préservation de la forêt tropicale. L’Australie, longtemps favorable à l’exploitation du charbon, adopte également des mesures en faveur des énergies renouvelables. Près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre sont, au niveau mondial soumises à la tarification du carbone. De nombreuses équipes de chercheurs travaillent sur les moyens d’atteindre le plus rapidement possible la zéro émission de gaz à effet de serre. L’Agence internationale de l’énergie estime, en 2023, que pour atteindre cet objectif, une réduction de 35 % des gaz à effet de serre à horizon 2050 sera nécessaire. Ce ratio était de 50 % en 2021. La baisse de 15 points s’explique par le développement des techniques de récupération du carbone.

Des populations de plus en plus conscientes des effets des gaz à effet de serre

La prise de conscience des dangers du changement climatique semble s’être accrue au cours de la dernière décennie. Selon le centre de recherche Pew Research Centre, une part croissante de la population des différents pays est consciente des dangers du réchauffement climatique. En Italie, en 2022, 80 % de la population estime que le réchauffement climatique constitue un problème majeur, contre 60 % en 2013. En France, les chiffres respectifs sont 80 et 55 %, en Allemagne, 75 et 50 % et aux États-Unis 55 et 45 %. Israël est le pays où la majorité de la population considère que le problème climatique n’est pas une priorité. Quel que soit les pays, en revanche, la proportion de ménages prêts à réaliser des sacrifices afin de préserver l’environnement est relativement faible. 30 % en moyenne selon une étude Ipsos. Dans chaque pays des minorités contestent l’existence d’un changement climatique ou s’opposent à certaines politiques déployées pour y faire face. Ils jugent ces politiques coûteuses et liberticides. La question du climat est de plus en plus perçue comme une question idéologique qui renouvelle l’éternel débat droite/gauche.  Dans les 14 pays riches étudiés par Pew en 2022, les sympathisants se classant à droite sont moins susceptibles de considérer le changement climatique comme une menace majeure que ceux de gauche. En Australie, au Canada, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Suède, l’écart varie de 22 à 44 points de pourcentage. Aux États-Unis, il atteint même 63 points entre Républicains et Démocrates. Un sondage réalisé par YouGov pour The Economist, en octobre 2023, indique que seulement 21 % des électeurs de Donald Trump admettent que le changement climatique est la conséquence des activités humaines, contre 87 % des électeurs de Joe Biden. En Allemagne, 35 % de la population est disposée à payer plus d’impôts ou de taxes pour lutter contre le réchauffement climatique. Cette proportion est de 25 % aux États-Unis ou en France, de 20 % en Italie et de 15 % au Japon (source Ipsos).

L’écologie, un facteur de clivage au sein des populations

Les démocraties supposent un minimum de consensus. Elles sont démunies face à la segmentation de leur population et à la montée aux extrêmes des opinions. La lutte contre le réchauffement climatique tend à renforcer le repli sur soi et les positions xénophobes. Elle alimente le protectionnisme. Les anti-décarbonation estiment que l’électrification du parc automobile est un cadeau donné aux Chinois. De leur côté, les pro-décarbonation sont favorables au malus frappant les voitures thermiques de forte cylindrée surtout quand elles sont fabriquées à l’étranger. Ils sont également favorables à l’instauration de taxe carbone pour limiter les importations. En raison du caractère mondial du réchauffement et de la libre circulation des gaz à effet de serre, la politique climatique est autant une question de relations étrangères que de politique économique.

La lutte contre les émissions des gaz à effet de serre est devenue un terrain de chasse privilégié pour les complotistes. Ces derniers font croire à un accord secret pour appauvrir les populations occidentales et pour accroître leur surveillance. Sur les réseaux, les informations fausses sur le climat, les batteries, les voitures électriques, etc. pullulent.

Les prochaines échéances électorales donneront-elles lieu à des revirements sur le terrain environnemental ? Le retour en force de la géopolitique avec la guerre en Ukraine et les attentats du Hamas en Israël ainsi que l’inflation et ses effets sur le pouvoir d’achat pourraient occulter la question de la transition énergétique. Néanmoins, la réélection de Donald Trump ou d’un Républicain issu de l’aile droite du parti pourrait conduire, une fois de plus, les États-Unis à sortir des Accords de Paris de 2015 sur le changement climatique. La nouvelle administration pourrait annuler les décrets concernant les émissions de méthane. En revanche, elle conserverait la grande loi climatique de Joe Biden, l’Inflation Reduction Act qui prévoit d’importantes subventions aux entreprises implantées aux États-Unis. Le signal adressé à la planète serait négatif. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, comme la Chine ou l’Inde, pourraient être tentés de relâcher leurs efforts. En Europe, de nombreux partis politiques prônent une atténuation des politiques en faveur de la décarbonation des activités. En Suède, le gouvernement de centre droit, afin de soutenir le pouvoir d’achat des Suédois, a décidé de réduire la taxe carbone sur les énergies fossiles. Toujours en Suède, un groupe Facebook, « Fuel Rebellion », comptant 600 000 membres, défend l’usage de la voiture et du chauffage au fuel. En Allemagne, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (Afd) a progressé dans les sondages et a obtenu de bons résultats lors des élections régionales du 8 octobre en s’opposant à la politique énergétique de la coalition au pouvoir. La CDU a rejoint sur ce terrain l’Afd. Les électeurs ont sanctionné le projet des Verts de rendre le chauffage domestique écologique presque obligatoire avant qu’il n’y ait suffisamment d’installateurs qualifiés pour installer des pompes à chaleur. Le gouvernement a fait marche arrière en septembre et a prolongé le délai. Toujours en Allemagne, la CSU, allié de la CDU fustige les lois d’interdiction environnementale de la coalition. La question de la mise aux normes énergétiques est également au cœur des débats en France tout comme l’interdiction progressive d’artificialiser les sols.

Ces derniers mois, le Premier Ministre britannique, Rishi Sunak tout en soulignant qu’il était favorable à la réduction des émissions, a estimé que les objectifs climatiques de la Grande-Bretagne avaient été fixés « sans aucun débat démocratique significatif » et a déploré que les politiques écologistes imposeront des coûts inacceptables au pays. Il a précisé que les Britanniques, responsables de moins de 1 % des émissions de gaz à effet de serre, n’avaient pas à sacrifier leur mode de vie. La multiplication de ces discours contribue à désorienter les acteurs économiques qui ont besoin de stabilité pour déterminer leur politique d’investissement. L’opposition de la population face aux contraintes réglementaires se manifeste surtout à l’occasion de la publication de projets remettant en cause leur identité. Ainsi, aux Pays-Bas, le projet du gouvernement de taxer les exploitations agricoles émettant de l’azote a provoqué la naissance d’un nouveau parti populiste, le « Boer Burger Beweging » (le mouvement paysan-citoyen) exigeant que les agriculteurs puissent continuer à travailler en toute liberté. Le projet du gouvernement prévoyait une réduction de 20 à 50 % des cheptels.

Les pays émergents et en développement, moins concernés par la transition énergétique ?

Au sein des pays en développement, le changement climatique est un sujet moins controversé dans la politique intérieure que dans les pays riches, le débat se focalisant sur le pouvoir d’achat et la sécurité. Les gouvernements de ces pays estiment que la lutte contre le réchauffement climatique est avant tout de la responsabilité des pays riches qui en sont, en grande partie, responsables. Ils entendent obtenir des compensations pour les émissions passées du monde industrialisé et attirer des investissements internationaux pour réaliser la transition énergétique de leur pays. Les électeurs de ces pays sont sensibles aux évolutions des prix de l’énergie, ce qui pousse les pouvoirs publics à maintenir des subventions importantes en faveur des énergies carbonées. Au niveau mondial, les subventions aux combustibles fossiles, s’élevaient, selon le FMI, en 2022, à 1 300 milliards de dollars (1,3 % du PIB mondial). Ces subventions ont tendance à augmenter. Quand des pays suppriment ces subventions, l’objectif est rarement d’ordre environnemental. Le nouveau président du Nigeria, Bola Tinubu, a supprimé, en 2023, les subventions aux carburants, non pas pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mais pour éviter la banqueroute de son pays. En 2022, ces subventions avaient réduit à néant les bénéfices de la compagnie pétrolière d’État. La population nigérienne réclame depuis des mois le rétablissement des aides au point que le gouvernement pourrait y consentir.

Plusieurs pays à revenu intermédiaire, comme l’Indonésie et l’Inde, consomment de plus en plus de combustibles fossiles même s’ils tentent de développer un important secteur d’énergies vertes. Le gouvernement indien prévoit de tripler sa capacité de production d’électricité renouvelable d’ici la fin de la décennie. Il a également déclaré un moratoire sur les nouvelles centrales à charbon et vise à devenir un grand producteur d’hydrogène vert. Au-delà des objectifs affichés, la production indienne de charbon a augmenté de 14,8 % en 2022 et la neutralité carbone ne sera certainement pas atteinte avant 2070.

Rendre la transition énergétique financièrement acceptable

Les populations des pays émergents sont de plus en plus conscientes des conséquences du réchauffement climatique. Sur le plan géographique, elles sont bien souvent plus exposées que celles des pays riches. Les pays d’Afrique, ceux d’Asie ou ceux d’Amérique latine ou centrale sont concernés par le manque d’eau, par l’élévation du niveau des mers et océans ainsi que par la réduction de la biodiversité. En 2022, 74 % des Indiens déclarent être des victimes climatiques, contre 50 % en 2011, selon une enquête de l’Université de Yale. 55 % des Indiens estiment que l’Inde devrait réduire ses émissions immédiatement sans attendre que d’autres pays agissent, contre 36 % en 2011.

Dans les prochaines années, la question du coût du financement sera cruciale pour réussir la transition énergétique. Si les taux d’intérêt pratiqués à l’encontre des projets d’investissement dans les énergies renouvelables dans les pays africains ou d’Amérique latine dépassent 12 voire 15 %, ils rendront ces opérations irréalisables. La création d’un Fonds mondial pour l’environnement ou pour la transition énergétique doté de moyens de financement spécifiques serait une solution. Ce fonds pourrait être doté comme le FMI de Droits de Tirage Spéciaux assis sur des transferts financiers opérés par les banques centrales.

Autarcie et transition énergétique

Sous couvert de transition énergétique, les États multiplient les investissements afin de réduire leur dépendance extérieure en matière d’énergie, de batteries, etc. Ils imposent des droits de douane, des taxes carbone ou des malus sur des produits ayant un mauvais bilan carbone, visant, en règle générale, les produits d’origine étrangère. Ces barrières à l’entrée peuvent aboutir à ralentir la transition énergétique en privant les pays émergents et en développement de recettes pour financer leur décarbonation.

Économie, il ne faut pas toujours imiter les Américains

De part et d’autre de l’Atlantique, une course de vitesse s’est engagée pour réussir la transition énergétique à coups de subventions et de mesures plus ou moins protectionnistes. Tout en les critiquant les États-Unis, les Européens adoptent des mesures identiques à celles que ces derniers ont prises ces derniers mois.

Première puissance économique et industrielle de la zone euro, l’Allemagne craint que son industrie automobile perde des parts de marché au profit des constructeurs de voitures électriques chinois ou américains subventionnés par leur État respectif. Au-delà de l’Allemagne, ce sont tous les pays européens qui ont peur d’un décrochage économique par rapport à leur allié américain. Les économies du vieux continent sont, depuis une dizaine d’années, en difficulté avec une croissance faible et un vieillissement rapide de leur population. Selon le FMI, la croissance de la zone euro ne devrait pas dépasser 0,7 % en 2023, soit trois fois moins que celle des États-Unis. En une décennie, l’écart de croissance devient conséquent avec une divergence des niveaux de vie. Longtemps, les Européens ont masqué leur déficit relatif de croissance par rapport aux États-Unis en pointant les inégalités réelles qui caractérisent ce pays. Aujourd’hui, les salaires moyens aux États-Unis sont supérieurs de plus de 30 % à ceux de la zone euro (80 000 euros aux États-Unis et 50 000 euros en France).

Pour rattraper leur retard, les Européens considèrent qu’ils doivent aligner leur politique industrielle sur celle de l’administration de Joe Biden. L’Union européenne (UE) a assoupli les règles en matière d’aides d’État. Les investissements visant à favoriser la transition énergétique peuvent être dorénavant subventionnés. L’électricité verte peut également faire l’objet d’aides. Cela concerne également le nucléaire, les Allemands ayant accepté, après une longue négociation, de classer cette énergie parmi celles considérées comme propres. Au Royaume-Uni, le parti travailliste qui pourrait emporter les élections législatives de 2024 prévoit un grand programme d’aides en faveur de l’industrie, programme qui tournerait le dos à la politique initiée par Margaret Thatcher en 1979.

Dans les années 1980, les gouvernements occidentaux avaient cessé de subventionner leurs entreprises considérant que cette politique générait des effets d’aubaine et aboutissait à un gaspillage des deniers publics. Les entreprises chassent les subventions en lieu et place des clients. Elles ont tendance à négliger leur rentabilité et prendre des risques. Les subventions accordées aux entreprises disposant des meilleurs relais dans les pouvoirs publics ne favorisent pas l’émergence de concurrents et donc l’innovation. Elles génèrent une bureaucratisation de la vie des affaires. La France qui a toujours eu une politique plus dirigiste que ses partenaires est réputée pour la lourdeur de ses procédures administratives.

L’économie de marché a prouvé sa capacité d’adaptation. En 2022, après le déclenchement de la guerre en Ukraine, les Européens ont craint de manquer de gaz et d’électricité en trouvant des solutions pour palier à l’arrêt des importations russes d’énergie. La Russie fournissait, en 2021, 58 % du gaz, 45 % du charbon et 27 % du pétrole à l’Union européenne. Certains étaient dans une situation de dépendance totale. La substitution s’est opérée essentiellement par le recours de système de marché même si une supervision a été assurée par la Commission de Bruxelles. Au niveau de la lutte contre la transition énergétique, l’Europe est en avance avec la création d’un marché unique du carbone, marché qui n’existe pas aux États-Unis. Après des débuts difficiles dans les années 2000, le système d’échange de droits d’émission (ETS) est devenu ces dernières années la référence en matière de tarification du carbone, incitant le secteur privé à trouver les moyens les plus efficaces de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.

La multiplication des subventions nationales risque de fragiliser l’Union européenne, chaque État essayant d’attirer sur son territoire des usines. Les grands pays comme la France ou l’Allemagne sont avantagés en raison de leur plus grande surface financière. Il n’y a pas de création de valeurs mais des distorsions de concurrence coûteuses. L’argent ainsi gaspillé pourrait être utilisé pour financer des recherches sur la décarbonation. La multiplication des sites de batteries ou de microprocesseurs risque d’aboutir à un excès de production non rentable. Il serait plus utile de moderniser les réseaux. L’Allemagne devrait mettre à niveau son système ferroviaire. La France devrait cesser de bloquer les interconnexions en matière de réseaux électriques afin de favoriser son énergie nucléaire. Les gouvernements français successifs, pour des motifs écologiques, empêchent l’Espagne d’exporter son énergie solaire vers l’Allemagne.

Le protectionnisme est une tentation facile et populaire. Il reçoit l’assentiment d’une grande partie des populations européennes au nom d’un nationalisme grégaire et au nom de la défense de l’emploi. Comme les États-Unis et la Chine le pratiquent, l’Europe doit faire de même. Si les États-Unis demeurent la première puissance économique mondiale, ils le doivent avant tout à la prééminence du marché. La résurgence du protectionnisme depuis quelques années dans ce pays n’est pas un signe de bonne santé. L’Europe aurait tout à gagner, pour une fois, à ne pas imiter l’Amérique.