Le Coin des Tendances – transitions énergétiques- valeurs et Asie – inflation
Aux sources de la vague inflationniste
La baisse de l’inflation constatée ces derniers mois est réelle mais repose sur un effet d’optique. La diminution des prix de l’énergie depuis le début du printemps contribue à la diminution de la hausse des prix en rythme annuel d’autant plus qu’il y a un an, ces derniers étaient en forte hausse. Les prix de l’énergie ne resteront certainement pas aussi faibles dans les prochaines années. Par ailleurs, l’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentation) reste élevée et tarde à diminuer. Les banquiers centraux sont conscients que le combat contre l’inflation est loin d’avoir été gagné. « Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour ramener l’inflation à 2 % », a déclaré Jerome Powell, président de la Réserve fédérale, le 29 juin dernier. « Nous ne pouvons pas hésiter et nous ne pouvons pas déclarer victoire », a indiqué, le 27 juin dernier, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. Andrew Bailey, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a récemment souligné que les taux d’intérêt resteront probablement plus élevés que ne le prévoient les marchés.
La nature de l’inflation qui frappe les pays de l’OCDE donne lieu à d’importants échanges au sein du monde économique. Les entreprises sont de plus en plus accusées d’être responsables de la persistance de la vague inflationniste. Cette accusation repose sur le fait que les marges bénéficiaires des entreprises non financières sont élevées depuis le début de la vague inflationniste. 50 % de l’inflation en zone euro aurait été provoqué par les augmentations de prix des entreprises qui ont souhaité maintenir voire accroître leurs marges. Christine Lagarde semble également soutenir cette thèse en ayant déclaré au Parlement européen que « certains secteurs avaient profité » de la crise économique et qu’ « il est important que les autorités de la concurrence puissent réellement examiner ces comportements ». L’inflation n’est pas le fruit de l’éventuelle cupidité des entreprises ; elle est avant tout une émanation monétaire et la conséquence d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Ces derniers mois, les salaires ont eu tendance à rattraper les prix, et non l’inverse, car, comme le notent les économistes du FMI, « les salaires sont plus lents que les prix à réagir aux chocs d’offre ou de demande ». Les plans de relance décidés après l’épidémie de covid, financés par déficits publics, ont été une source importante d’inflation. Au total, ces plans ont représenté, entre 2020 et 2023 aux États-Unis 26 % du PIB, contre 15 % du PIB en zone euro. L’inflation a été plus endogène de l’autre côté de l’Atlantique que sur le vieux continent qui a été frappé par la hausse des prix de l’énergie en lien avec la guerre en Ukraine. L’Europe a payé sa dépendance au gaz naturel russe. Elle consacre, par ailleurs, une part plus importante que les États-Unis de ses revenus à l’énergie. Un article de Pierre-Olivier Gourinchas, économiste en chef au FMI, attribue seulement 6 % de la poussée d’inflation sous-jacente de la zone euro à la surchauffe économique, contre 80 % aux États-Unis. La BCE a certainement eu raison de réagir de manière plus tardive à l’inflation que la FED. De même, l’accompagnement des consommateurs par les gouvernements à travers des mécanismes de subventionnement de l’énergie se justifiait, en zone euro, en 2022. La nature différente de l’inflation entre les deux grandes zones économiques justifie l’écart des taux directeurs (taux maximal de 3,5 % pour la BCE et 5,25 % pour la FED).
Au fil des mois, l’inflation observée aux États-Unis et celle constatée en Europe tendent à se ressembler. Elle est de plus en plus portée par le secteur des services qui prennent le relais de l’énergie et de l’alimentation. Les salaires alimentent de plus en plus la hausse des prix. Selon Goldman Sachs, à la fin du premier semestre 2023, les salaires augmentaient à un rythme annualisé de 4 à 4,5 % en Amérique et de près de 5,5 % dans la zone euro. L’évolution des facteurs d’inflation explique la progression de l’inflation sous-jacente qui est désormais plus élevée au sein de la zone euro qu’aux États-Unis. Cette progression de salaires est favorisée par les pénuries de main-d’œuvre. Les tensions sur le marché du travail rendent délicat le retour de l’inflation dans sa zone cible des 2 %. Aux États-Unis, selon une étude réalisée par l’économiste Olivier Blanchard, le taux de chômage devrait remonter au minimum à 4,3 % afin de respecter l’objectifs de la FED. Selon les économistes Luca Gagliardone et Mark Gertler, si la banque centrale poursuit le relèvement de ses taux directeurs, le chômage aux États-Unis pourrait atteindre 5,5 % en 2024, entraînant une baisse de l’inflation à 3 % en un an puis vers 2 %. Cette augmentation du taux de chômage ne serait possible qu’en passant par une récession. En Europe, une augmentation du taux de chômage d’un point serait également nécessaire pour juguler, en 2023 et en 2024, l’inflation. Dans le contexte actuel de création d’emplois, une augmentation du chômage passe sans nul doute par une récession. Or, les populations européenne et américaine sont de plus en plus rétives à accepter une contraction du PIB. Les gouvernements sont appelés à compenser les pertes de revenus liées aux aléas extérieurs. Cette politique entre ainsi en contradiction avec celle mise en œuvre par les banques centrales qui visent à restreindre la demande. Les gouvernements, en souhaitant limiter les effets sur les ménages du durcissement de la politique monétaire, concourent à allonger la durée de la vague inflationniste.
Télescopages des valeurs en Asie
Les pays asiatiques ont souligné l’attachement de leur population aux valeurs traditionnelles de la famille, valeurs confucéennes qui s’opposaient à celles de l’Occident, symbole de la décadence. Au-delà des discours, la réalité est toute autre. L’Asie n’échappe pas à la révolution des mœurs. La rupture est intervenue au même moment que la crise financière asiatique de 1997 qui a mis en cause le concept d’infaillibilité des gouvernements et la notion de supériorité de la société asiatique.
En Chine, à Taïwan, au Japon comme en Corée du Sud, les valeurs familiales sont battues en brèche. Le célibat, les familles monoparentales se développent tout comme l’affirmation d’un droit de vivre en toute transparence son homosexualité. La baisse de la fécondité a été extrêmement rapide en Asie, bien plus brutale qu’en Occident. Au Japon, la proportion de célibataires est passée de 30 à 48 % de 1980 à 2020. En 2022, 17 % des Japonais et 15 % des Japonaises âgées de 18 à 34 ans ont déclaré qu’ils ne se marieraient pas, contre 2 % et 4 % au début des années 1980. En Chine, le nombre de mariages a été divisé par deux en dix ans. Les jeunes générations s’opposent au modèle familial classique. Dans la tradition confucéenne, le mariage était avant tout un système de soumission de la femme à l’homme. En Corée du Sud, une femme mariée est appelée « Jip-saram », ou « personne à la maison », et son mari, « Bakat-yangban, » ou « homme à l’extérieur ». Le taux de fécondité est en Corée du Sud est un des plus bas au monde (0,78 en 2022). Malgré l’abandon de l’enfant unique par la Chine, en 2015, le taux de fécondité n’est pas réellement remonté. Cette évolution s’inscrit dans le processus que les pays occidentaux ont connu après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Entre 1960 et 2010, le taux de nuptialité en Europe a diminué de moitié.
Le recul de la valeur familiale en Asie est également provoqué par les difficultés que rencontrent les jeunes à se loger. Les prix élevés de l’immobilier sont un frein supplémentaire à l’établissement d’un domicile conjugal. La colocation intergénérationnelle est fréquente. La carrière professionnelle, en particulier chez les femmes, conduit à un report du mariage, report qui peut être sine die. La capacité à concilier vie professionnelle et vie familiale est difficile, en Asie, pour les femmes. Leur insertion dans le monde du travail est compliquée et n’est pas encore totalement admise. Selon le classement de l’égalité des sexes du Forum économique mondial de 153 pays, la situation des femmes en Corée du Sud, loin de s’améliorer a tendance à se dégrader, le pays étant passé de la 63e place en 2006 à la 102e en 2022. La Corée du Sud connait le plus grand écart de rémunération entre les sexes de l’OCDE.
Si les valeurs traditionnelles sont en recul en Asie, certaines demeurent en revanche encore fortes. Les enfants hors mariage restent un tabou au sein de la société asiatique. Si au sein des pays de l’OCDE, 40 % des naissances ont lieu hors mariage (plus de 50 % en France), au Japon, en Corée du Sud et à Taïwan, ce taux est inférieur à 5 %. Le recours à l’immigration pour compenser la dénatalité constitue un autre tabou. Les gouvernements le souhaitent mais n’osent pas mettre en œuvre une politique en ce sens. Jusqu’à maintenant, ces derniers ont essayé de relancer, en vain, des politiques natalistes. Le président sud-coréen, Yoon Suk-Yeol, admet que les aides en faveur du mariage et des naissances ont coûté plus de 265 milliards de dollars sans donner lieu à des résultats tangibles. La Chine et le Japon se sont également engagés dans des politiques natalistes qui ont, au mieux, abouti à une légère et temporaire amélioration du taux de natalité.
Les gouvernements asiatiques semblent rigides sur la question de l’évolution des mœurs et de plus en plus en décalés par rapport à leurs opinions publiques. Le Président sud-coréen s’en est pris récemment aux femmes célibataires qui mettraient en danger l’avenir du pays. Xi Jinping promet à ses citoyens un renouveau confucéen. Les autorités chinoises ont repris les arrestations de militants demandant l’égalité des droits pour les homosexuels. Le Parti libéral-démocrate japonais au pouvoir, est opposé à la réforme du mariage et refuse de le rendre accessible aux couples homosexuels même si une majorité des Japonais semble y être favorable. En revanche, à Taïwan, certainement en opposition à la Chine, le mariage homosexuel a été légalisé en mai de cette année ; les couples homosexuels pouvant adopter des enfants.
En Asie, modernité et tradition se télescopent. À défaut de pouvoir changer les législations, les Asiatiques ne se marient plus et ont de moins en moins d’enfants. Le maintien d’importantes inégalités entre les hommes et les femmes est de plus en plus mal vécu tout comme le refus de reconnaître le droit aux homosexuels de se marier. L’éducation des enfants est également sujet à critiques de la part des Japonais et des Coréens qui estiment que le système scolaire véhicule des schémas éculés. Les gouvernements asiatiques ont joué longtemps sur la corde raide nationaliste pour rejeter des valeurs en provenance de l’Occident. Cette posture n’a pas empêché la natalité de s’effondrer. Un aggiornamento sera sans nul doute nécessaire à plus ou moins long terme.
Les Français partagés face à la lutte contre la transition énergétique
Selon le baromètre 2023 de la DREES, après le niveau de salaire et le pouvoir d’achat, l’environnement et la pauvreté sont les sujets les plus préoccupants pour les personnes résidant en France métropolitaine. Plus de huit sur dix (84 %) déclarent être « beaucoup » ou « assez » préoccupées par les problèmes liés à l’environnement. Néanmoins, la proportion de la population déclarant être « beaucoup » préoccupée par les problèmes environnementaux est passée de 41 % en 2018 à 35 % en 2022.
La sensibilité à l’environnement, une question d’âge, de sexe et de diplôme
Seules trois personnes sur dix, âgées de 65 ans ou plus, se disent beaucoup préoccupées par l’environnement, contre quatre sur dix chez les 18-24 ans. Les femmes (37 %), les diplômés du supérieur (41 %), les cadres et les professions libérales (39 %), ainsi que personnes vivant dans des unités urbaines de moins de 100 000 habitants hors communes rurales (39 %), se déclarent plus préoccupés par les questions environnementales que les autres. Parmi les personnes interrogées, sept sur dix s’accordent à dire que le réchauffement climatique entrainera des changements importants dans leur mode de vie. Plus de la moitié des sondés mentionnent que la situation environnementale les rend plus anxieux au quotidien. 82 % de personnes se disent pessimistes quant à l’avenir de la planète et du climat. Huit enquêtés sur dix considèrent que la croissance économique finit toujours par dégrader l’environnement. En France, la croissance est perçue avant tout comme une source de pollution, ce qui ne ressort pas avec autant de netteté dans les autres pays de l’OCDE. Une méfiance s’exprime également à l’encontre du progrès technique. Cette appréciation n’est pas en soi nouvelle. Les Français ont toujours eu un rapport complexe au progrès. S’ils se révèlent d’importants consommateurs d’innovationtechnologiques comme en témoigne le succès rapide des smartphones en France, ils sont critiques sur les conséquences du progrès sur un point de vue macro. Toutes les grandes ruptures technologiques génèrent une contestation (robots, informatique, les antennes pour les téléphones mobiles, l’intelligence artificielle, etc.).
La lutte contre le réchauffement climatique, une affaire avant tout mondiale
Pour près des trois quarts des sondés (72 %), la lutte contre le réchauffement climatique doit être prise en charge au niveau mondial. Ils ne sont que 13 % à considérer que cette lutte est de la responsabilité individuelle. 8 % de la responsabilité de l’Europe. Très peu considèrent qu’elle peut être endossée au niveau national ou localement.
Une hostilité aux mesures contraignantes
Parmi les personnes interrogées, 56 % ne sont « pas favorables » (dont 29 % pas du tout) à l’augmentation de la taxe carbone sur les combustibles fossiles et 49 % (26 % pas du tout) à l’obligation pour les constructeurs automobiles de ne produire que des véhicules électriques ou à hydrogène. Parmi les personnes appartenant aux 40 % des ménages les plus modestes, six sur dix ne sont pas favorables à une hausse de la taxe carbone sur les combustibles fossiles contre près de 45 % des individus appartenant aux 20 % des ménages les plus aisés.
Près des trois quarts des résidents d’une commune rurale s’opposent à une hausse de la taxe carbone (72 %) et deux tiers à l’obligation de construire des véhicules électriques ou à hydrogène. Ils estiment qu’ils seront les principales victimes de ces mesures. Les habitants de l’agglomération parisienne sont, en revanche, favorables à 55 % à ces deux mesures ; seuls 30 % y étant défavorables (15 % y sont indifférents).
La taxe carbone est plébiscitée, les Français ne percevant pas qu’elle aboutira à une augmentation des prix des biens consommés. Les trois quarts des résidents de France métropolitaine y sont « favorables » et 10 % se disent « indifférents » à la mise en œuvre d’une telle mesure. 57 % des Franciliens sont favorables à l’augmentation de la taxe carbone (contre 20 % des résidents des communes rurales et près d’un tiers des résidents des trois autres tranches d’unités urbaines).
Concernant l’obligation de réaliser des travaux de rénovation thermique pour les propriétaires de logements ou d’immeubles de bureaux, les deux tiers des enquêtés déclarent soutenir cette mesure. Même s’ils sont directement concernés, près de six propriétaires sur dix (59 %) adhèrent à l’obligation de rénovation (contre 72 % des locataires du secteur social et 69 % du secteur privé). Cette adhésion peut s’expliquer par l’existence de mécanisme de soutien (« MaPrimeRénov’ », « Éco-prêt à taux zéro », etc.).
L’introduction d’une taxe sur les billets d’avion reçoit le soutien de plus d’une personne sur deux (52 %), 14 % y étant indifférentes à sa mise en œuvre.
Les diplômés du supérieur, les cadres et professions libérales, les personnes appartenant aux deux derniers cinquièmes de niveau de vie (les 40 % des ménages les plus aisés) et les bénéficiaires de revenus du patrimoine sont le plus enclines à accepter les mesures contraignantes pour protéger l’environnement. 47 % des cadres et professions libérales et 43 % des diplômés du supérieur ou des 20 % des ménages les plus aisés sont favorables à la taxe carbone, contre 35 % pour l’ensemble de la population. 42 % parmi les ménages les plus aisés et les diplômés du supérieur sont favorables à l’interdiction des véhicules thermiques à compter de 2035, contre 35 % parmi l’ensemble de la population. Au contraire, les enquêtés appartenant aux 20 % des ménages les plus modestes sont bien moins nombreux (trois sur dix) à soutenir la hausse de la taxe carbone ou l’obligation de produire uniquement des véhicules électriques ou à hydrogène.
L’augmentation de la taxe carbone et l’obligation de produire des véhicules non thermiques sont les deux mesures où l’agglomération parisienne se démarque nettement, avec un taux d’acceptation bien plus élevé : 57 % des Franciliens sont favorables à l’augmentation de la taxe carbone (contre 20 % des résidents des communes rurales et près d’un tiers des résidents des trois autres tranches d’unités urbaines). Ainsi, à caractéristiques sociodémographiques comparables et comparativement aux résidents des unités urbaines de 20 000 à moins de 100 000 habitants, résider dans l’agglomération parisienne augmente respectivement de 21 et 12 points la probabilité d’être favorable à l’augmentation de la taxe carbone et à l’obligation de ne produire que des véhicules électriques ou à hydrogène). À l’inverse, toujours comparativement aux unités urbaines de 20 000 à moins de 100 000 habitants, résider dans une commune rurale fait baisser respectivement de 9 et 14 points la probabilité d’être favorable à ces deux mesures.