Le Coin des Tendances – vaccins, plan de relance – tourisme
Le long cheminement du plan de relance européen
Les différents États européens ne sont pas égaux face à l’épidémie. L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, Maltes, Chypres et la France sont les plus touchés sur le plan économique du fait de leur dépendance au tourisme. Pour assurer la cohésion de l’Union européenne, un plan de 750 milliards d’euros (5,6 % du PIB de l’Union) dénommé « prochaine génération » a été adopté au mois de juillet 2020. Il prévoit l’attribution d’aides qui ne serait pas fonction du poids respectif de chacun des États membres mais de leurs difficultés. Pour financer ce plan, l’Union européenne a prévu, pour la première fois, d’émettre une dette de nature fédérale. 672,5 milliards d’euros seront utilisés pour créer un mécanisme de relance et de résilience qui accordera des subventions et des prêts aux États membres. Les 77,5 milliards d’euros restants seront consacrés à des programmes à l’échelle de l’Union et interviendra en complément aux fonds structurels et d’investissement de l’Union. La Bulgarie, la Croatie et la Grèce devraient recevoir chacune des subventions équivalentes à environ 10 % de leur PIB annuel ou plus. Les pays plus riches comme le Danemark ou l’Allemagne peuvent s’attendre à moins de 1 %. En termes absolus, l’Italie et l’Espagne seront les principaux bénéficiaires. Ils devraient recevoir 70 milliards d’euros représentant respectivement 1,2 et 1,5 % de leur PIB. La France devrait bénéficier de 39 milliards d’euros, soit 0,6 % de son PIB. Cela représentera 40 % du financement du plan de relance de 100 milliards d’euros. L’Allemagne et les Pays-Bas seront attributaires d’aides à hauteur de 0,3 % de leur PIB. Ce plan qui constitue une première est critiqué par sa faible ampleur et par sa longue maturation en comparaison des plans américains.
Des retards liés à la complexité des procédures d’adoption et d’élaboration
Les plans nationaux devraient être finalisés d’ici la fin du mois d’avril. Ils seront ensuite soumis à un processus d’approbation formelle par la Commission et le Conseil de l’Union européenne. L’économiste en chef de l’OCDE, Laurence Boone, et Christine Lagarde, Présidente de la Banque centrale européenne (BCE), s’inquiètent de la lenteur de la mise en œuvre du plan européen et de son caractère bureaucratique. Son lent déploiement contraste avec la situation qui prévaut aux États-Unis. Début avril 2021, sur les vingt-sept États membres, seize ont ratifié le plan européen dont la France, l’Italie ou l’Espagne. L’Allemagne ne l’a pas encore fait, la Cour constitutionnelle ayant été saisie. La ratification est censée être menée à bien d’ici le milieu de l’été.
Pour la Banque centrale Européenne, en cas de lancement du plan dans l’année, un supplément de croissance de 1,5 point de PIB à moyen terme est possible. Il peut en outre atténuer la divergence des économies européennes. Pour l’Italie qui est en stagnation depuis vingt ans, l’enjeu est de taille. Cela passe néanmoins par une amélioration des procédures de part et d’autre. Ces dernières années, l’Italie a consommé la moitié des fonds structurels et d’investissement de l’UE auxquels elle avait le droit. Dans le cadre du plan de relance, l’Italie prévoit la construction d’une ligne à grande vitesse à travers les Apennins de Naples à Bari, de moderniser les lignes existantes et les différents réseaux vétustes. Or, le plan européen est censé être consommé d’ici 2026 quand ce type d’investissements exigent de nombreuses années. L’Espagne entend utiliser l’argent européen pour devenir un État de référence en matière de «mobilité électrique», en investissant dans des installations de fabrication de batteries et de voitures électriques ainsi qu’en construisant des milliers de points de recharge. Le gouvernement souhaite également investir dans l’utilisation de l’électricité renouvelable pour produire de l’hydrogène.
Les plans nationaux d’investissement financés à partir des crédits européens doivent consacrer au moins 37 % de leurs dépenses aux objectifs liés au climat et 20 % supplémentaires aux initiatives numériques. Par ailleurs, ils doivent s’inspirer des recommandations émises ces dernières années sur les réformes structurelles à mener. Les conditions d’utilisation des crédits ne sont pas au goût de tous les États membres. L’Espagne estime qu’ils doivent profiter en priorité au secteur du tourisme et non aux panneaux solaires ou aux éoliennes. Les réformes structurelles que ce soit en matière de retraite ou d’emploi, impopulaires, dissuadent nombre de gouvernements de s’engager dans cette voie.
La question sensible du remboursement de la dette commune
L’emprunt communautaire est censé être remboursé à compter de 2028. En juin, la Commission proposera plusieurs nouvelles « ressources propres » dont la taxe numérique et le prélèvement sur les importations non respectueuses du climat afin de permettre le règlement de la dette. La création de nouvelles recettes communautaires suppose le vote unanime de tous les États membres. Au nom de la bonne gestion des finances publiques, certains estiment qu’un accord sur les nouvelles taxes sera trouvé quand d’autres parient sur un recours à de nouveaux emprunts pour financer la dette européenne comme le font les États. L’émission d’une dette publique européenne pourrait changer à terme l’Union. Cette dernière se doterait ainsi d’un instrument financier à la hauteur des bons du Trésor américain : un actif sûr qui sous-tend une véritable union économique et financière.
Comment vacciner le monde pour éradiquer l’épidémie ?
Les pays occidentaux se sont engagés dans une course de vitesse afin de vacciner au plus vite leur population et retrouver ainsi le plus rapidement possible le cours normal de la vie. Au premier trimestre 2021, les 14 pays les plus riches ont acquis plus de 55 % des vaccins produits. L’Union européenne a commandé 2,6 milliards de doses pour ses 450 millions de citoyens. Si l’obtention de l’immunité collective au sein de l’OCDE est cruciale pour espérer une reprise de l’économie, celle-ci devra également concerner l’ensemble des pays. À défaut, les transports et le tourisme ne retrouveront pas leur niveau d’activité d’avant-crise. La vaccination des populations des pays émergents et des pays en développement constitue un défi tant sur le plan financier que sur celui de l’organisation. La persistance de foyers épidémiques constituerait un réel danger avec un risque de mutation du virus qui pourrait remettre en cause les campagnes de vaccination actuellement menées. Par souci éthique et au nom de l’efficacité vaccinale, un programme d’aide à la vaccination, dénommé « Covax », a été lancé l’année dernière. 192 États y participent et ont pris l’engagement de vacciner au moins 20 % de la population de tous les pays. Les États les plus riches devraient financer l’équivalent de deux milliards de doses à destination des pays les plus pauvres.
Des tensions sont apparues, certains donateurs ayant remis en cause leur engagement, comme ce fut le cas le 24 mars dernier de l’Inde qui est l’un des principaux fabricants de vaccins à l’échelle mondiale. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont également signifié qu’ils entendaient limiter, toute comme l’Union européenne, leurs exportations de doses de vaccins. L’administration américaine préfère envoyer des fonds à la Covax, les États-Unis limitant leurs envois à l’étranger de vaccins au Mexique et au Canada. 40 millions de doses attendues en mars et jusqu’à 50 millions de doses en avril n’ont pas été livrés à la Covax, mettant à mal l’objectif de 350 millions de doses au premier semestre. Emmanuel Macron a répété récemment l’engagement de faire un don de 4 à 5 % des doses reçues par la France.
Face à la propagation de variants, les autorités britanniques ont déclaré qu’à partir de septembre 2021, une nouvelle campagne de vaccination sera ouverte pour les personnes âgées de plus de 70 ans, les personnels de santé et les personnes vulnérables afin d’effectuer un rappel. La production de nouvelles variantes de vaccins diminuera la capacité de produire des vaccins contre la souche d’origine. Il est également question de vacciner les enfants, lorsque les essais seront terminés, ce qui limitera les exportations. À demi-mots, les gouvernements estiment que les campagnes de vaccination pourraient se répéter sur plusieurs années, nécessitant d’importantes capacités de production de vaccins.
La diffusion la plus large des vaccins est une ardente nécessitée pour éradiquer l’épidémie. Elle ne sera pas, au-delà des problèmes financiers et de logistiques, aisée à réaliser au sein de populations qui sont moins exposées au virus qu’en Occident. Les populations jeunes des États africains seront moins enclines à se faire vacciner et cela d’autant plus si l’accès aux vaccins est difficile et coûteux.
Le tourisme est mort, vive le nouveau tourisme !
Avant la crise sanitaire, au début de l’année 2020, le tourisme mondial connaissait un essor sans précédent avec une période de plus de 60 ans de croissance continue, marquée par un fléchissement passager en 2009 lors de la crise des subprimes. Le nombre d’arrivées internationales dépassait 1,5 milliard, en 2019 contre 900 millions en 2008. Les dépenses mondiales de voyage ont plus que triplé de 2000 à 2018, passant de 495 milliards à 1 500 milliards de dollars soit 7 % des exportations mondiales de biens et services. Dans les pays de l’OCDE, le tourisme représente en moyenne 4,9 % du PIB, 6,9 % de l’emploi et 21,6 % des exportations de services. Pour les pays d’Europe du Sud, la part du tourisme dans le PIB dépasse 8 %. L’économie du tourisme englobe un grand nombre d’activités (les transports, l’hôtellerie, la restauration, les activités de spectacles, le bâtiment, etc.). Au sein de ce secteur, se côtoient de très petites entreprises et des multinationales. Les compétences des actifs y travaillant sont très variées avec une part importante d’emplois dits à faibles qualifications. Le tourisme incite à l’entretien du patrimoine, au développement des infrastructures et au maintien des traditions. Au sein du milieu rural, ce secteur est une source importante de revenus. Il permet la création de nombreux emplois.
Depuis une vingtaine d’années, les activités touristiques, par leur essor, ont fait l’objet de critiques croissantes en raison de la saturation des sites les plus prestigieux et des nuisances environnementales qui y sont associées. Venise, Barcelone et d’autres grandes villes tentent de réduire ces dernières. Au mois de mars 2021, les autorités de Venise ont ainsi décidé d’interdire l’accès des paquebots de croisière au cœur de la lagune. Le tourisme est à la fois une activité essentielle en termes économiques et une source de tensions au sein de nombreux pays ou régions. Avec la crise sanitaire qui a entraîné la disparition des déplacements internationaux, une volonté de revoir l’organisation du tourisme de masse se fait jour. En ce premier semestre 2021, il est trop tôt pour prédire l’évolution du tourisme à l’échelle mondiale. Un retour de la croissance est certes attendu à moyen terme, la demande de voyages reste très forte en particulier au sein des pays émergents. Avant la crise sanitaire, les acteurs du tourisme escomptaient 1,8 milliard de touristes internationaux d’ici 2030 et 3 milliards d’ici le milieu du siècle. Cette progression sera peut-être plus lente que prévu mais, compte tenu de l’essor de la classe moyenne dans de nombreux pays, elle devrait être relativement forte. La problématique est de rendre le tourisme durable, plus qualitatif, moins quantitatif.
Pendant des années, l’objectif des autorités nationales ou locales étaient d’attirer le plus grand nombre de touristes. Peu de mesures étaient prises pour garantir la durabilité environnementale et sociale de l’activité. Avec les billets d’avion à faibles prix et les plateformes de location en ligne, les grandes villes historiques européennes comme Amsterdam, Barcelone, Paris, Prague ou Berlin ont bénéficié de flux touristiques croissants générant de multiples problèmes, saturation de certains équipements et infrastructures, départ des habitants avec la multiplication des locations saisonnières, augmentation du prix des loyers, etc. Plusieurs agglomérations comme Amsterdam, Barcelone ou Paris ont mis en place des politiques de tourisme urbain durable reposant sur l’aménagement du territoire, la protection du logement, la réglementation de l’activité des particuliers ou encore des stratégies de mobilité. L’équilibre est délicat à trouver entre l’activité économique et la préservation de la qualité de vie des cités en question, qualité qui justement contribue à leur notoriété.
Le redémarrage plus généralisé du tourisme international dans les villes n’est pas attendu avant 2024. Les villes spécialisées dans les congrès internationaux comme Paris, Londres ou New York seront les plus pénalisées. Il est possible que le succès des visioconférences aboutisse à une diminution du nombre de conférences internationales, à la fois coûteuses et complexes à organiser, mais qui étaient une importante source de devises. La diminution des voyages d’affaires provoquera également un manque à gagner pour l’hôtellerie de luxe et de gamme moyenne ainsi que pour les transports. Les grandes compagnies aériennes équilibraient leurs comptes grâce aux places en business class vendues sur les longs courriers.
L’activité touristique des territoires ruraux, peu dépendants de l’international, devraient avec la fin des mesures sanitaires connaître une reprise rapide. Ces territoires connaissent un essor important depuis plusieurs années accueillant des touristes nationaux, plus âgés que la moyenne. Moins exposés au tourisme intensif que les grands sites, ils ont donc l’avantage de concilier les deux impératifs santé et durabilité. Les régions mono-dépendants du tourisme comme les îles ioniennes en Grèce, les Baléares et les Canaries en Espagne et la région de l’Algarve au Portugal pourraient subir une perte non négligeable de richesses dans les prochaines années à défaut de pouvoir réorienter leur offre et leurs activités. En France, Paris et la Côte-d’Azur sont concernées. La Corse dont le tiers du PIB dépend du tourisme est dans une situation intermédiaire, la proportion de touristes nationaux y étant prépondérante sur l’ensemble de l’île à l’exception de l’extrême-sud. En dehors de l’Europe, des régions comme Jeju-do en Corée du Sud, et le Nevada (Las Vegas) ou Hawaï aux États-Unis sont très exposés aux fluctuations du tourisme. La situation des régions touristiques dépend de l’importance de la clientèle non-résidente, du niveau de gamme des touristes, de l’étalement de la saison, etc.
Empreinte environnementale et digitalisation
Le secteur touristique est entré dans une phase de mutation avec un recours accru au digital pour la gestion de l’activité et une prise en compte de la durabilité des activités. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme et l’ONU, le secteur serait responsable de l’émission de 5 % des gaz à effet de serre. Le tourisme interfère avec l’environnement à travers les transports, la construction de bâtiments, l’artificialisation des sols, la consommation d’eau et de produits alimentaires, etc. Ses interactions avec ces ressources peuvent être directes ou indirectes, et même si toutes les activités touristiques sont en définitive locales, elles concourent à des phénomènes de portée mondiale. Les hôtels, par exemple, exercent, par leur importance, une influence considérable sur les processus de production alimentaire, réduction des déchets comprise, et peuvent exercer une influence directe sur la production alimentaire durable. De plus en plus d’États ou de régions travaillent sur une régulation de l’offre de transports pour diminuer l’affluence touristique en pleine saison à travers une régulation des accès aux sites et un étalement de la saison. Des initiatives locales sont également prises pour préserver les sites et les conditions de vie. En 2020, les habitants de Key West, en Floride aux États-Unis, se sont prononcés en faveur d’une limitation à 1 500 du nombre de personnes autorisées par jour à débarquer d’un bateau de croisière. Ils ont également interdit les navires d’une capacité supérieure à 1 300 passagers, pour accorder la priorité aux compagnies de croisière affichant les résultats environnementaux et sanitaires les plus probants. La protection de certains sites en Méditerranée donne lieu à un débat sur la suppression ou la limitation des bateaux pouvant y accéder. Le développement de moyens de transports décarbonés constitue une des priorités pour les grandes agglomérations ainsi que pour les territoires à forte attractivité touristique. La mise en place de flottes de véhicules autonomes devrait à terme faire partie des services proposés aux touristes afin de pleinement profiter des lieux visités. À Marseille, le port a prévu de relier les paquebots à quai au réseau électrique afin d’éviter l’émission de fumées émanant de leurs moteurs.
Le recours aux techniques numériques permet une gestion plus fine des flux touristiques. Ainsi, sur l’île de Santorin, en Grèce, un algorithme d’attribution des postes d’amarrage reposant sur 14 critères fondamentaux permet de contrôler et d’organiser les arrivées et les départs des navires de croisière. L’objectif est de réguler le flux de visiteurs sur l’île durant la journée, et de disperser les touristes sur l’ensemble de l’île en leur proposant des endroits moins connus que les sites saturés. Le projet japonais «Patrimoine culturel cloné» vise à préserver les objets culturels de valeur en réalisant par de l’impression 3D des copies qui peuvent être exposées à plusieurs endroits. En ce qui concerne les reproductions, la France a pratiqué de même avec les reproductions de la grotte de Lascaux afin de préserver les dessins originaux. En Israël, le ministère du Tourisme met actuellement au point un programme de suivi par réseau mobile des touristes qui permettra de contrôler les niveaux de congestion des sites les plus fréquentés tout au long de l’année. En fonction des données recueillies, l’offre de billets sera ajustée pour lisser la fréquentation en jouant à la fois sur leur nombre et sur le prix. En République tchèque, CzechTourism exploite les données de géolocalisation provenant des réseaux de téléphonie mobile, afin de modéliser le nombre de touristes et leurs flux et déterminer ainsi les actions nécessaires pour éviter la congestion de certains lieux comme le Pont Charles à Prague.
Avant même la crise sanitaire, le tourisme de masse était
critiqué et butait sur des problèmes techniques. La création de nouveaux
aéroports était de de plus en plus compliquée en raison de l’hostilité des
populations avoisinantes. Dans plusieurs pays, des contestations se sont
développées au sujet des émissions de gaz à effet de serre des avions même
s’ils en sont responsables que de manière marginale (moins de 5 % du total). Des maires se
sont faire élire sur des programmes anti-tourisme comme à Barcelone. Avec la
crise de la covid-19, la problématique sanitaire s’ajoute à celle des nuisances
environnementales. Les contrôles à l’entrée afin d’éviter tout renouveau de
l’épidémie sont amenés à perdurer d’autant plus si les mutations du virus se
multiplient. Dans le passé, le secteur du tourisme a su s’adapter. Il s’est
ainsi relevé des attentats du 11 septembre 2001 qui avaient mis en danger le
secteur aérien ainsi que de la crise financière de 2008. Si la crise de
2020/2021 est sans précédent par son ampleur et sa durée, elle ne devrait pas
signer la fin du tourisme qui représente les loisirs et la liberté, deux moteurs
essentiels de l’économie contemporaine.