Les métropoles et les déserts français
« Paris et le désert français » publié par Jean-François Gravier en 1947 a lancé le débat sur l’aménagement du territoire après la Seconde Guerre Mondiale. Il a abouti à l’institutionnalisation des métropoles d’équilibre qui, aujourd’hui, sont en voie de devenir les capitales des régions nouvellement redécoupées. La politique d’aménagement du territoire et, avant tout, le développement économique durant les Trente Glorieuses ont permis une relative égalité de bien-être et d’opportunité professionnelle à travers le territoire. Le maintien de services de proximité a empêché la désertification de certains territoires. L’émergence de plusieurs grands pôles comme Lyon-Grenoble, Lille-Roubaix-Tourcoing, Toulouse, Nice-Sophia Antipolis, voire plus récemment Bordeaux, a favorisé la diffusion, au-delà de la région parisienne, d’activités et de richesses. Le rattrapage du retard en matière d’autoroutes a facilité l’accès aux grands centres urbains régionaux désenclavant de nombreuses régions rurales.
Jusque dans les années 90, les entreprises ont transféré leurs centres de production de plus en plus loin du centre des métropoles afin d’économiser sur les coûts fonciers et sur celui de la main d’œuvre. Cette diffusion de l’activité économique avec en parallèle le développement de la fonction publique locale a contribué à une harmonisation des revenus (hors Ile-de-France). Les inégalités spatiales de revenus ont reculé avec des phénomènes de rattrapage. La Corse, l’Auvergne ainsi que dans une moindre mesure le Limousin ont réduit leur écart avec la moyenne. Le rattrapage a été important en Corse grâce au Plan d’Equipement et d’Investissement lancé au début du siècle par les pouvoirs publics, à la croissance du tourisme et à l’augmentation de la population. Les prestations sociales dont le poids s’est accru sensiblement ces trente dernières années ont également contribué à cette harmonisation des revenus. Les transferts entre régions sont importants. Ainsi, l’Ilede-France crée près du tiers de la richesse nationale mais les revenus disponibles de cette région ne représentent que 22 % du total.
Cette convergence a pris fin depuis plusieurs années et cela avant même la crise financière de 2008. La délocalisation de la production manufacturière, au-delà des frontières, a touché en premier lieu les zones périphériques d’autant plus que leurs avantages comparatifs en termes de coûts de production se sont atténués. Les cœurs des métropoles ont conservé les activités de conception, de marketing et de direction ; ils ont été de ce fait moins impactés. Les nouvelles technologies qui devaient abolir les distances ont, au contraire, favorisé la concentration autour des grands pôles.
La réduction de la croissance des dépenses publiques, la diminution des embauches dans la fonction publique locale, la restructuration des armées et la refonte de la carte judiciaire ont mis un terme à la convergence économique et sociale des territoires. Le tourisme continue, en revanche, à jouer un rôle positif dans l’aménagement du territoire, la baisse des départs touristiques des Français ayant été plus que compensée par l’arrivée de touristes étrangers.
Le choix de redessiner la carte des régions autour de quelques grandes métropoles pourrait accélérer ce processus de désertification des territoires. Les métropoles non sièges d’exécutifs territoriaux pourraient être affaiblies. Il en est de même pour les chefs-lieux départementaux. Les services publics se concentrent de plus en plus sur les grandes villes. Les grandes entreprises calquent leur organisation sur celle de l’Etat et regroupent leurs structures régionales. Des villes comme Caen, Clermont-Ferrand, Amiens, Châlons-en-Champagne voire Montpellier sont particulièrement menacées. En revanche, Lyon, Bordeaux, Lille devraient sortir renforcées. Néanmoins, à contrario, le vieillissement de la population devrait favoriser les cités à taille humaine mais offrant toute la gamme des services sanitaires et de proximité.
La politique d’aménagement du territoire devra tenir compte tout à la fois de la volonté croissante de mobilité de la population et des besoins comme des attentes en matière de services…