Russie, entre terre brûlée et résistance
« La situation est critique. Même dans les pires cauchemars, on n’aurait pas pu imaginer il y a un an ce qui se produit actuellement », a déclaré Sergueï Chvetsov, le numéro deux de la Banque centrale russe. L’euro a atteint, le 16 décembre dernier, plus de 87 roubles avant de redescendre, le 19 décembre, à 72 roubles. Le dollar s’est, de son côté échangé contre plus de 69 roubles avant de revenir à 59 roubles. La monnaie russe a ainsi perdu la moitié de sa valeur depuis le 1er janvier.
La brutale chute du rouble du milieu du mois de décembre ramenait la Russie aux sombres heures de 1998 avec une mise sous tension des organismes financiers. Ce processus est lié à un enchainement assez classique qui s’est transformé en spirale spéculative. Comme les autres pays émergents, la Russie doit faire face, depuis un an, au ralentissement des pays avancés. La crise ukrainienne a accéléré les départs de capitaux de la Russie qui, avant même la crise, était confrontée à une reprise de l’inflation. De janvier à mai, les départs de capitaux ont été évalués à 50 milliards de dollars. Sur l’ensemble de l’année, le FMI les a estimées à 100 milliards de dollars. Les décisions des Etats-Unis et de l’Union européenne ont pour conséquence de réduire les investissements occidentaux en Russie et rendent plus difficile l’accès aux dollars et aux euros pour les banques russes. La baisse des cours du pétrole conduit également à raréfier les dollars en Russie.
Le Gouvernement russe a, par ailleurs, joué avec le feu en laissant filer, dans un premier temps, le cours de la monnaie afin de maintenir le montant des recettes fiscales tirées des ventes de pétrole et de gaz. En effet, la chute de la monnaie russe a accompagné celle du baril. La valeur en rouble du baril restait, ainsi, identique. Le mouvement s’est emballé avec un mouvement de panique à la clef, certains commerçants commençant même à afficher en euros les prix de leurs produits quand dans le même temps la fuite de capitaux s’amplifiait. Certains spéculateurs russes ou non-russes ont sans nul doute joué à la baisse la monnaie. La poursuite du mouvement de baisse de la monnaie se traduirait par l’arrêt des échanges commerciaux avec la Russie. Les entreprises ne veulent pas supporter des pertes de changes. Ainsi, Nissan a suspendu temporairement ses exportations vers la Russie.
De la crise ukrainienne à la crise monétaire, la croissance qui atteignait plus de 3 % s’est transformée en récession. En 2015, le PIB pourrait même se contracter de plus de 4 %.
Pour endiguer la chute du rouble, les autorités monétaires ont très classiquement relevé les taux directeurs en les portant à 17 %. De manière moins visible, en ayant recours aux importantes réserves de changes, la Russie a certainement racheté des roubles et ont demandé à des investisseurs russes de rapatrier leurs capitaux. La Russie n’a pas décidé d’appliquer un contrôle des changes qui ne pourrait qu’accentuer la récession en freinant les échanges. Vladimir Poutine tout en accusant les pays occidentaux d’avoir amplifié la crise s’est engagé à la résoudre d’ici deux ans. La remontée probable du pétrole d’ici là devrait donner raison au Président russe. En outre, les grandes banques européennes sont certainement les meilleures alliées des autorités russes. En effet, avec la dépréciation du rouble, leurs filiales pourraient être sous-capitalisées et des provisions pour perte devraient être réalisées compte tenu que leur valeur financière a été divisée par deux. La récession russe aurait des effets non négligeables pour l’Europe et tout particulièrement pour l’Allemagne. Pour ces différentes raisons, il n’est pas étonnant que le Conseil européen se soit monté assez magnanime vis-à-vis de la Russie.