Tendances – Allemagne – Russie
L’Allemagne, la panne de la locomotive
En 2023, le PIB de l’Allemagne a reculé de 0,2 %. Pour 2024, il devrait connaître une hausse de 0,2 % sachant qu’il a une nouvelle fois diminué au deuxième trimestre (-0,1 %). La première puissance économique de la zone euro a été durement touchée par la guerre en Ukraine. L’augmentation du coût de l’énergie et la contraction des échanges avec la Russie ont été durement ressenties. Le ralentissement de la croissance chinoise et la multiplication des tensions commerciales avec ce pays qui était devenu le principal partenaire de l’Allemagne pèsent sur les exportations de cette dernière. Enfin la transition écologique remet en cause le modèle allemand qui reposait sur la production de biens manufacturiers et de notamment de voitures de grosses cylindrées.
La panne n’est pas qu’économique, elle est également politique. Le Chancelier, Olaf Scholz, au pouvoir depuis 2021, peine à s’imposer tant en Allemagne qu’à l’étranger. Succédant à de fortes personnalités, Helmut Kohl, Gerhard Schröder et Angela Merkel, il apparaît bien plus fade. Dans le passé, l’Allemagne arrivait à défendre ses positions économiques au sein de l’Union européenne en jouant tout à la fois et tour à tour avec la France et avec les Etats d’Europe de l’Est. Le rejet de « l’agenda stratégique, élaboré par Olaf Scholz et Emmanuel Macron afin de fixer les priorités de l’Union Européenne pour les cinq prochaines années, par les autres Etats membres et tout particulièrement l’Italie marque l’affaiblissement du couple franco-allemand.
Si la France est connue pour son incapacité à générer du consensus tant en interne qu’en externe, l’Allemagne était en la matière une experte. Mais Olaf Scholz irrite par ses tergiversations les partenaires européens. Sa faiblesse sur la scène internationale est liée aux dysfonctionnement de la coalition tricolore composé des socio-démocrates, des verts et des libéraux. Ces derniers pro-entreprises et anti-déficits s’opposent fréquemment aux deux autres composante. Les précédentes coalitions ont connu également leurs lots de tension qui se traduisait par des silences en Conseils Européens et des abstentions lors de votes au Parlement européen. La coalition Olaf Scholz est néanmoins celle qui est la moins audible à Bruxelles de ces trente dernières années. Les changements de positions sont fréquents au gré des arbitrages évolutifs au sein de la coalition. Les partenaires européens de l’Allemagne se sont habitués à travailler sans elle. Le problème est que ce pays est la première puissance démographique et économique de la zone euro. Sa paralysie se diffuse à Bruxelles. Dans le cadre des Conseils Européens des chefs d’Etat et de Gouvernement, dans le passé, Angela Merkel faisait prévaloir son point de vue en en mettant en avant la nécessité de préserver l’unité de l’Union. Elle était capable de négocier des heures en jouant de ses liens avec les autres responsables européens. Olaf Scholz se contente de donner sa position sans se battre pour l’élaboration d’accords. Le poids de l’Allemagne s’est depuis 2020 affaibli. La politique énergétique et industrielle qu’elle a suivie pendant des années est discréditée. Flirtant avec la récession depuis 2022, elle refuse toute relance malgré son faible endettement et les injonctions en la matière de la Commission européenne.
Si sur le plan économique, le gouvernement allemand peine à peser sur les débats européens, il est manifestement plus crédible en matière de défense. L’Allemagne envoie plus d’armes que n’importe quel autre allié européen. Elle a décidé d’investir une centaine de milliards d’euros pour améliorer sa défense. Elle a arrêté d’importer du gaz russe quand d’autres pays européens continuent à le faire comme la France. Le Chancelier allemand est le dirigeant européen qui défend avec le plus de force l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et la mise en place d’une défense commune. Il n’hésite pas à s’opposer au Premier Ministre hongrois, Victor Orban. Ces prises de position en faveur de l’Ukraine n’empêchent pas l’Allemagne d’être de plus en plus critiquée par les Etats d’Europe de l’Est. Le programme de subventions énergétiques de 200 milliards d’euros afin de moderniser l’économie allemande est perçue comme contraire au droit de la concurrence européen. Elle est jugée déloyale par la Pologne ou la République tchèque dont l’industrie travaille en sous-traitant pour celle d’Allemagne. Par voie de conséquence, Olaf Scholz rencontre d’importantes difficultés à faire prévaloir sa position libre échangiste à l’extérieur de l’Union et celle en faveur de la Chine.
Si le Chancelier a des relations compliquées avec plusieurs partenaires européens, il peut compter sur le soutien de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Cette ancienne ministre allemande de la Défense a siégé dans le même gouvernement que Olaf Scholz. Malgré des relations personnelles glaciales, les deux responsables se coordonnent étroitement. Si la Présidente défend avec ardeur les intérêts de l’Allemagne, elle doit néanmoins composer avec les autres commissaires et le Parlement européen. Sur l’extension de l’Union aux Etats des Balkans, de l’Ukraine et de la Moldavie, extension souhaitée par la Chancellerie, elle risque d’être confrontée à l’opposition de plusieurs gouvernements dont celui des Pays-Bas et peut-être celui de la France quand il sera composé. La Commission et le gouvernement allemand risque en revanche de s’opposer sur l’Union des marchés des capitaux, un projet visant à fluidifier les flux financiers à travers l’Europe. S’il est soutenu par Olaf Scholz, Christian Lindner, le ministre FDP des Finances, refuse toute centralisation de la surveillance des marchés ce qui revient à condamner le projet.
L’éventuelle élection de Donald Trump au mois de novembre prochain pourrait obliger l’Allemagne de prendre enfin ses responsabilités en Europe et au niveau international. La fin du soutien américain à l’Ukraine posera la question de celui de l’Union. Celle-ci pourra-t-elle suppléer les Etats-Unis ? La majoration des droits de douane américains nécessitera une réponse européenne. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’Europe a substitué une dépendance au gaz américain à celle au gaz russe. Aura-t-elle les capacités de se priver du gaz liquéfié des Etats-Unis ? Après deux ans de stagnation, l’Allemagne acceptera-t-elle de relancer son économie et celle de l’Europe ? La proximité des élections au Bundestag, prévues en 2025, ne facilite pas la situation, l’Europe risque d’attendre encore un peu le retour de l’Allemagne.
Une crise immobilière en Russie est-elle possible ?
Sous le régime soviétique, les prêts hypothécaires étaient considérés comme des symboles du capitalisme décadent. Même avec la fin de l’URSS, en 1991, les Russes ont continué à se méfier de ces prêts les qualifiant « d’esclavage ». Ils préfèrent épargner avant d’acheter leur logement que de recourir à des emprunts. Vladimir Poutine a tenté dès son arrivée au pouvoir d’infléchir le comportement de ses concitoyens. En 2003, il soulignait que les prêts hypothécaires pourraient contribuer à résoudre « e problème aigu du logement auquel sont confrontés les Russes. En recourant à des aides publiques et en bonifiant les prêts hypothécaires, le gouvernement russe a, depuis quelques années, réussi à convaincre les Russes à s’endetter pour acquérir leur logement et ainsi soutenir le secteur du bâtiment. Cette politique n’est pas sans défaut, les prix de l’immobilier augmentant rapidement tout comme le coût pour les finances publiques des aides ainsi distribuées.
En 2020, en pleine crise covid, les banques russes ont offert aux demandeurs de crédits hypothécaires un taux préférentiel d’environ 6 %, soit environ deux points de pourcentage en dessous du taux du marché, l’État compensant la différence. Ce soutien public réservé initialement aux familles, a été étendu à certaines catégories de salariés comme les informaticiens afin d’éviter leur expatriation ainsi qu’aux personnes s’installant dans des régions telles que l’Arctique, la Sibérie ou l’Ukraine occupée. Les volumes de prêts hypothécaires ont commencé à augmenter quand la Russie est entrée en guerre avec l’’Ukraine. Les banques ont émis des prêts hypothécaires d’une valeur de 7 700 milliards de roubles (88 milliards de dollars, soit 4 % du PIB) en 2023, contre un total de 4 300 milliards de roubles en 2020.
Faute de pouvoir investir sur le marché des actions à l’international, les Russes sont de plus en plus enclins à acheter de l’immobilier. Le retour de l’inflation les y incite également. Quand, pour lutter contre l’inflation, la Banque centrale de Russie (BCR) a commencé à augmenter ses taux directeurs, l’attrait des bonifications s’est accru. Quand les taux de la BCR ont atteint 16 %, le gouvernement a maintenu son taux préférentiel pour les prêts hypothécaires à seulement 8 %. En juin, il y avait un écart de plus de dix points de pourcentage entre le taux du gouvernement et le taux du marché pour un prêt hypothécaire. Le coût pour les finances publiques devrait dépasser cette année 500 milliards de roubles. Il pourrait s’accroître davantage car la BCR a relevé ses taux directeurs le 26 juillet dernier. L’essor des prêts bonifiés a également provoqué une bulle immobilière. L’année dernière, 110 millions de mètres carrés de logements ont été construits, contre une moyenne de seulement 59 millions par an entre 1991 et 2020. L’Institut d’économie urbaine, basé à Moscou, estime que les prix de l’immobilier ont augmenté de 172 % dans les plus grandes villes entre 2020 et 2023. La BCR s’inquiète ouvertement de la politique de bonification des taux d’intérêt et de son effet inflationniste. Le ministère des finances commence à réduire l’attractivité des prêts. Sous la pression de la BCR, en décembre dernier, le dépôt minimum requis pour un prêt est passé de 20 à 30 %. En juillet, les aides en faveur des nouvelles constructions ont été supprimées. Le nombre de nouveaux prêts hypothécaires pourrait chuter d’environ 50 % au second semestre. L’industrie russe de la construction en souffrira. Il en sera de même pour les banques, qui ont enregistré des bénéfices records grâce à la croissance rapide de leurs portefeuilles hypothécaires. Les autorités russes tentent avant d’éviter un effondrement à la Chinoise du marché immobilier. Ce dernier reste dynamique car pour le moment les Russes n’ont pas beaucoup d’alternatives en matière de placements.