3 juillet 2025

Tendances – automobiles – services premium

Sale époque pour les sous-traitants de l’automobile

Les équipementiers automobiles n’ont jamais eu l’éclat médiatique des constructeurs. Leurs produits — tableaux de bord, systèmes de suspension ou ensembles mécaniques — restent dissimulés sous les carrosseries étincelantes. Pourtant, avec l’éclatement des chaînes de valeur, leur rôle s’est considérablement accru ces dernières années. Des groupes comme Bosch, Continental, Denso ou Valeo ont longtemps affiché de meilleures performances financières que leurs clients constructeurs. La montée en puissance des véhicules électriques (VE), le poids croissant de l’informatique embarquée et l’irruption de nouveaux acteurs comme Tesla ou les marques chinoises ont changé la donne.

En 2024, selon le cabinet de conseil AlixPartners, les 30 plus grands équipementiers mondiaux ont enregistré une baisse de leur flux de trésorerie disponible d’un tiers sur un an. Rien qu’en Europe, 54 000 suppressions de postes ont été annoncées, dont près de 12 000 chez Bosch. Le 24 juin, Continental a précisé les modalités d’un projet entamé l’an dernier, visant à séparer ses activités de production de pièces détachées de celles, moins exposées, de fabrication de pneumatiques. Le 11 juin, l’équipementier japonais Marelli, affaibli par un endettement important et par les tarifs douaniers imposés par Donald Trump, s’est déclaré en faillite pour ce qui concerne sa filiale américaine.

Les sous-traitants de l’automobile, en jouant sur les rendements d’échelle, avaient, à partir des années 1980, accaparé une part croissante de la valeur ajoutée de la construction automobile. Les équipementiers de rang 1 signaient des contrats sur plusieurs années portant sur des ensembles complexes, assemblés à partir de pièces fournies par d’autres entreprises, plus en aval de la chaîne. Ils disposaient d’un pouvoir de négociation important, en raison de la rareté relative des fournisseurs comparée à celle des constructeurs.

Depuis quelques années, le rapport de force s’est inversé. Les constructeurs ont ajusté leur production pour privilégier les véhicules haut de gamme, plus rentables. Les fournisseurs ont été directement touchés par la baisse des ventes, tout en restant enfermés dans des contrats longs qui leur interdisaient de répercuter les hausses de coûts. L’écart de rentabilité, mesuré par le retour sur capital, entre constructeurs et fournisseurs s’est sensiblement réduit.

L’électrification du parc automobile met sous tension les équipementiers. Les moteurs électriques nécessitent moins de pièces que les moteurs thermiques. En outre, les batteries sont fournies essentiellement par des entreprises chinoises. Enfin, les véhicules électriques progressent dans les ventes mondiales, mais moins rapidement que prévu. Or, de nombreux fournisseurs occidentaux avaient massivement investi dans des capacités dédiées, aujourd’hui partiellement sous-utilisées.

L’ascension de l’informatique embarquée constitue la seconde mutation. Le modèle traditionnel, fondé sur l’assemblage de composants fournis par différents acteurs, chacun avec ses propres circuits intégrés et logiciels, cède la place à une architecture centralisée autour d’un calculateur principal. Cette évolution permet aux constructeurs de reprendre la main sur les logiciels embarqués, devenus stratégiques pour l’expérience utilisateur et la différenciation entre marques. Une grande partie du développement est désormais internalisée ou confiée à des partenaires spécialisés. Pour certains équipementiers, le risque est de se retrouver cantonnés à la fabrication de « matériels muets » standardisés, selon Andrew Bergbaum d’AlixPartners.

Les équipementiers traditionnels doivent faire face à l’arrivée de nouveaux concurrents. Les batteries, fournies par des entreprises comme le chinois CATL ou le sud-coréen LG Energy Solution, représentent une part essentielle du coût d’un VE. Les moteurs électriques, onduleurs et unités de commande sont également produits par des acteurs extérieurs à l’industrie automobile traditionnelle, tels que le japonais Nidec ou le néerlandais NXP Semiconductors. Les constructeurs automobiles chinois, qui prennent des parts de marché à leurs concurrentes occidentales, ne font pas appel aux fournisseurs de ces dernières. Ils s’appuient de plus en plus sur des sous-traitants locaux, qui ont vocation à s’internationaliser.

Les groupes occidentaux sont de plus en plus nombreux à nouer des alliances avec des équipementiers et sociétés de logiciels chinois, afin de mieux affronter la concurrence sur le marché local. Volkswagen coopère avec Horizon Robotics, Mercedes-Benz avec Momenta, pour accélérer le développement de véhicules autonomes.

Tout n’est cependant pas noir pour les équipementiers occidentaux. Certains segments restent porteurs, notamment ceux qui concernent des composants peu liés aux VE ou n’intégrant pas de logiciels sophistiqués — pneus, sièges, vitrages. Ils ont également la possibilité de s’associer aux géants de l’informatique que sont Alphabet ou Apple.

L’industrie des équipementiers automobiles traverse une zone de turbulence structurelle. À la conjonction de mutations technologiques majeures — électrification, centralisation logicielle, montée en puissance de nouveaux entrants — et de tensions géoéconomiques, elle voit son modèle traditionnel remis en question. La promesse d’une croissance tirée par la transition énergétique se heurte à des volumes insuffisants, une chaîne de valeur éclatée et une redéfinition des rapports de force au sein du secteur.

Face à cette recomposition rapide, les acteurs historiques n’ont d’autre choix que de se repositionner : en montant en gamme, en investissant dans l’innovation logicielle, en s’alliant avec les géants du numérique, ou en consolidant les segments encore rentables. À moyen terme, leur survie dépendra de leur capacité à intégrer la double logique de plateforme et de modularité qui structure l’automobile du XXIe siècle. Plus que jamais, dans cette industrie de plus en plus dominée par la donnée et l’algorithme, la différenciation passera par la maîtrise des systèmes embarqués et l’agilité stratégique.

La passion des services premium en France

Les dépenses de consommation en biens des ménages ont, depuis 2022, tendance à stagner en France, voire à diminuer. En revanche, celles liées aux services poursuivent leur hausse. Les dépenses de loisirs récréatifs et sportifs des ménages ont ainsi progressé de 17 % en volume par rapport à 2019, dans un contexte de croissance générale des dépenses de services. Dans le même temps, les dépenses en biens diminuaient de 4 %. Les Français sont, en outre, de plus en plus attirés par des formules premium, étant prêts à accepter des tarifs élevés afin de bénéficier d’un traitement haut de gamme. Les formules de loisirs premium comme les concerts, les festivals, les événements sportifs, les parcs à thème, les voyages, les restaurants ou l’hôtellerie rencontrent un succès croissant, en particulier depuis la crise sanitaire de 2020. Le CRÉDOC a publié au mois de juin une enquête détaillée sur les motivations des Français pour ce type de loisirs.

La montée en puissance des services premium

Selon cette étude, un tiers des Français aurait, au cours des derniers mois, souscrit à un service premium. La pratique la plus courante concerne l’achat de billets de concerts, d’événements sportifs ou d’expositions à des prix jugés élevés (23 % des Français). Le prix moyen des places de concert des cent plus importantes tournées américaines aurait ainsi crû de 37 % entre 2020 et le premier trimestre 2024. Les organisateurs de concerts proposent des packages ouvrant droit à des accès privilégiés à des prix élevés. Certaines places de concert peuvent désormais dépasser 1 000 euros, offrant en contrepartie la possibilité d’être dans les premiers rangs et de bénéficier d’avantages (cocktail, cadeaux, etc.). Les Rolling Stones furent parmi les premiers à initier ce type de pratique dans les années 1990 (tournée Voodoo Lounge en 1994, avec un bar dédié aux acheteurs de package). Depuis, cette pratique s’est généralisée. Une partie des consommateurs est également séduite par des formes d’hébergement et de restauration de luxe. Ainsi, 11 % déclarent avoir fréquenté un restaurant étoilé dans l’année, et 8 % avoir loué un hébergement d’exception, une croisière ou un trajet en train de luxe. Les expériences immersives ou en réalité virtuelle attirent un nombre croissant de consommateurs. En 2024, 6 % des Français auraient participé à de tels événements, situés à la frontière du loisir et de la culture. Le Musée d’Orsay a ainsi proposé l’an dernier, en complément de l’exposition « Paris 1874, inventer l’impressionnisme », une expérience permettant de revivre l’inauguration de la première exposition impressionniste. Le Collège des Bernardins, à Paris, propose avec « Le Mystère Mozart » une expérience immersive unique mêlant musique, danse et théâtre autour des chefs-d’œuvre du compositeur.

Le sport est également un domaine où le premium se développe. Tous les grands stades disposent de loges ou d’espaces de restauration. Le PSG propose, au Parc des Princes, aux supporters, la possibilité de dormir les soirs de match avec vue sur la pelouse.

Que ce soit pour les concerts, les expositions ou les matchs de football, de rugby ou de tennis, l’achat de billets coupe-file se développe. De plus en plus de consommateurs sont prêts à payer des billets à des prix élevés afin de pouvoir rencontrer directement leurs vedettes préférées.

Les jeunes et les ménages aisés, adeptes du premium

Les personnes aux revenus élevés constituent un premier groupe d’acheteurs intéressés par ces formules. 45 % des individus disposant de revenus mensuels supérieurs à 3 100 euros ont réalisé ce type de dépenses. Au-delà de la question des revenus, l’achat de formules premium est aussi une question d’âge : 50 % des 18-24 ans et 39 % des 25-34 ans y ont succombé. Les diplômés du supérieur et les Franciliens sont également surreprésentés. Les services premium sont plus abondants à Paris qu’en région, et les revenus y sont plus élevés. Ainsi, 9 % des Français ont expérimenté au moins trois offres culturelles ou de loisirs haut de gamme, un ratio qui atteint 19 % chez les Franciliens et 16 % chez les moins de 35 ans.

Les consommateurs de services premium sont aussi des acheteurs digitaux : 67 % d’entre eux ont acheté au moins une formule de loisirs premium au cours des douze derniers mois, soit deux fois plus que la moyenne des Français.

Economiser pour le se payer des services haut de gamme

Pour financer les packages premium, 61 % des Français sont prêts à réduire leurs dépenses du quotidien. Ces restrictions concernent plus souvent l’alimentation et les assurances, mais rarement les équipements informatiques et high-tech, utilisés pour consommer des loisirs et se mettre en scène auprès de communautés d’intérêt. Les acheteurs de formules exclusives passent plus de temps que la moyenne à rechercher des promotions en ligne. Ils utilisent des comparateurs d’achat ou l’intelligence artificielle pour économiser de l’argent.

La recherche d’une expérience unique et la volonté de s’échapper du quotidien constituent les principales motivations des consommateurs de services premium. Deux tiers des personnes ayant opté pour de telles offres mettent en avant l’accès à des prestations plus agréables et confortables que les formules de base. Cet argument est cité notamment par un grand nombre de retraités : 85 % des 65-74 ans ayant acheté des formules exclusives invoquent cette motivation. Le vieillissement de la population devrait ainsi renforcer l’attractivité des formules premium misant sur le confort. Les groupes de rock des années 1960-1970 utilisent d’ailleurs cette motivation pour proposer des billets de concert avec prestations haut de gamme, sachant que leur public est âgé et dispose de revenus plus élevés que la moyenne.

Chez les jeunes et les Franciliens, l’expérience unique est davantage synonyme d’un moment d’exception, tant par son intensité (par exemple rencontrer une star) que par sa rareté (vivre un moment difficilement accessible au plus grand nombre à travers une formule VIP). Ces expériences sont ensuite relayées sur les réseaux sociaux.

La montée en puissance des formules premium dans les loisirs, la culture, le sport ou le tourisme révèle un basculement structurel dans les comportements de consommation. Portée par des ménages jeunes, urbains, connectés, mais aussi par des seniors disposant de temps et de moyens, cette dynamique illustre la recherche croissante de sens, d’émotion et de distinction dans l’acte d’achat. Loin d’être un simple effet de mode, elle traduit une mutation profonde : le bien-être, le confort, l’accès privilégié deviennent des valeurs centrales dans l’économie post-Covid.

Dans un contexte de stagnation des achats de biens, la disposition à dépenser davantage pour des expériences uniques marque le glissement d’une économie de la possession vers une économie de l’émotion. Si cette tendance reste inégalement répartie selon les revenus et les territoires, elle ouvre néanmoins de nouvelles perspectives de croissance pour les entreprises capables d’innover dans l’offre servicielle haut de gamme. À l’heure où les arbitrages budgétaires se tendent, l’investissement affectif dans le « moment exceptionnel » devient l’un des moteurs les plus puissants de la consommation.