13 juillet 2024

Tendances – intelligence artificielle – secteur financier et risques – Cinéma

Le crédit le et le risque, un éternel recommencement

L’ouroboros – un serpent enroulé en cercle qui se mord la queue – a été trouvé dans la tombe de Toutankhamon, ce pharaon qui régna sur l’Égypte vers 1320 avant JC. Dans des textes funéraires, il est utilisé pour décrire la nature infinie du temps. Dans la Rome antique, il symbolise le cycle saisonnier de l’année civile. Dans la mythologie nordique, le serpent était suffisamment grand pour faire le tour du monde.

Il est également une allégorie du système financier moderne. Il décrit comment le risque de crédit a été éliminé des banques, pour ensuite être à nouveau englouti par elles. Après la crise financière mondiale de 2007-2009, les législateurs américains et européens ont adopté de nouvelles règles pour éviter sa réédition. Ces règles avaient deux objectifs : forcer les banques à détenir davantage de capital sur leurs actifs, afin d’amortir les pertes et freiner les activités risquées auxquelles les banques s’étaient livrées. Certaines, comme le trading pour compte propre, étaient interdites ; d’autres ont simplement été découragées en fixant des « pondérations de risque » plus élevées à des actifs volatils. Les deux objectifs sont mesurés par les « fonds propres de base de catégorie 1 » ou « CET1 », qui divisent les capitaux propres des banques par la valeur de leurs actifs, corrigés des pondérations de risque.

Depuis 2009, les grandes banques ont multiplié par plus de deux, leurs fonds propres de base. Malgré tout, certaines dérives sont apparues. L’essor du crédit privé et la popularité croissante des produits dérivés par lesquels les banques vendent le risque de crédit aux « hedge funds » (définis dans une publication de la Banque de France comme « un fonds de placement collectif bénéficiant d’un cadre juridique très souple, qui lui permet de mettre en œuvre des stratégies de gestion portant sur une grande diversité d’instruments financiers – titres, futures, options, obligations et devises) ont entraîné le transfert du risque hors du système. Mais ces entreprises qui supportent le risque empruntent souvent auprès des banques pour se financer, restituant ainsi une partie du risque directement aux banques. La montée en puissance des prêteurs non bancaires est particulièrement rapide. En 2023, aux États-Unis, elle est responsable de la distribution de 1 500 milliards de dollars de prêts aux entreprises. Si cela ne représente qu’une part infime des 14 000 milliards de dollars de dette des sociétés non financières aux États-Unis, la progression est néanmoins rapide et peu régulée. Outre-Atlantique, les grandes entreprises qui font rarement défaut, ont tendance à se financer en ayant recours au marché obligataire, évalué à 7 000 milliards de dollars. En revanche, les entreprises qui recourent au crédit privé ont tendance à être plus petites, plus endettées et plus risquées. Aux États-Unis, les investisseurs dans les fonds de crédit privés sont souvent des compagnies d’assurance ou les fonds de pension qui recherchent un effet de levier. Elles empruntent dans de bonnes conditions auprès des banques pour prêter à des taux plus élevés à des entreprises. Après être resté stable pendant des années après la crise financière, le montant dû aux banques par les institutions financières américaines est passé de 2 500 milliards de dollars en 2016 à 3 500 milliards de dollars aujourd’hui.

La pratique des produits dérivés par les établissements financiers permet une dilution du risque mais est susceptible de générer un effet domino. Les hedge funds qui achètent des titres de créance sont le plus exposés en cas de faillite d’une entreprise. Ils subiront des pertes avant les banques. Ces dernières ont comme atouts de disposer des liquidités de leurs clients et de pouvoir compter sur la banque centrale en tant que banquier en dernier ressort.

En matière financière, l’histoire des risques est un éternel recommencement. Les techniques évoluent mais les pratiques demeurent. Les établissements financiers tentent de contourner les réglementations et de réduire leur exposition aux risques. Le rôle des pouvoirs publics et, en premier lieu, des régulateurs est de veiller à limiter ces risques tout en facilitant le financement de l’économie.

L’intelligence artificielle est-elle réellement disruptive ?

San Francisco vit au rythme de l’intelligence artificielle (IA). En permanence, des publicités expliquent comment la technologie révolutionnera le travail et la vie courante. Dans les bars, les discussions sur la puissance de l’IA sont légion. Les cinq grandes entreprises technologiques – Alphabet, Amazon, Apple, Meta et Microsoft –  qui ont toutes soit leur siège social, soit des centres de recherche en Californie, investissent des sommes considérables pour maîtriser l’IA. Cette année, elles devraient y consacrer plus 400 milliards de dollars, soit l’équivalent de 15 % du PIB de la France. Cet engouement pour l’IA a entraîné une augmentation rapide de la capitalisation des valeurs technologiques. En un an, la valorisation des cinq entreprises mentionnées ci-dessus a progressé de plus de 2 000 milliards de dollars. Les investisseurs pensent que l’IA devrait générer un surcroît de revenus évalué entre 300 et 400 milliards de dollars par an dans les prochaines années. Pour le moment, il s’agit de prévisions. Cette année, Microsoft ne gagnera que 10 milliards de dollars grâce aux ventes liées à l’IA générative. Les autres grandes entreprises continuent à perdre de l’argent. L’IA n’échappe pas aux fausses informations ou, du moins, aux exagérations. Des entreprises réputées publient des estimations qui peuvent apparaître surprenantes. Près des deux tiers des personnes interrogées dans le cadre d’une récente enquête menée par McKinsey déclarent que leur entreprise « utilise régulièrement » cette technologie, soit près de deux fois plus que l’année précédente. Un rapport de Microsoft et LinkedIn, révèle que 75 % des salariés utilisant un ordinateur s’en servent. Comme Monsieur Jourdain avec la prose, tout le monde recourt à l’IA sans le savoir. Ce n’est pas complètement faux. Les moteurs de recherche que ce soit celui de Google ou de Shazam font appel à l’IA.

L’intégration de l’IA dans les processus métier reste une activité de niche. Selon le Bureau américain des statistiques, au début de l’année 2024, seulement 5 % des entreprises ont eu recours, dans le cadre de leur process de production, à l’IA au cours des quinze derniers jours avant l’enquête. ChatGPT serait utilisé régulièrement par plus de 180 millions de personnes mais l’entreprise OpenAI, qui en est à l’origine,  communique peu sur le nombre des abonnements payants. Au Canada, en 2023, 6 % des entreprises ont utilisé l’IA pour fabriquer des biens et fournir des services au cours des 12 derniers mois.

Le déploiement de l’IA n’est pas exempt de problèmes. McDonald’s a mis un terme à l’utilisation de l’IA pour prendre les commandes des clients, le système ayant tendance à majorer leur montant. Des entreprises préfèrent différer leurs investissements dans l’IA par crainte que ces derniers soient rapidement obsolètes. Pour le moment l’IA n’a pas d’effets réels sur le marché de l’emploi. Elle ne génère pas des destructions d’emplois massifs dans certains secteurs. Les salariés ne tentent pas, par tous les moyens, de changer de travail pour intégrer une entreprise qui aurait recours à l’IA. Les craintes que cette technologie provoque la disparition de millions d’emplois ne se réalisent pas, pour le moment. L’IA apparaît avant tout comme une aide, comme une source d’amélioration du travail et non comme une technologie disruptive comme pu l’être dans les années 1990 le numérique. Pour le moment, l’IA a peu d’effets sur la productivité. Selon les dernières estimations de l’OCDE, la production réelle par employé n’augmente pas. Aux États-Unis, cœur mondial de l’IA, la production horaire reste inférieure à sa tendance d’avant 2020. Un des facteurs explicatifs de cette absence de gains de productivité provient de la faiblesse de l’investissement. Aux États-Unis, l’investissement global des entreprises dans les équipements et logiciels de traitement de l’information augmente de 5 % sur un an en termes réels, bien en-dessous de la moyenne à long terme. Au sein de l’ensemble de l’OCDE, l’investissement augmente plus lentement que dans les années 2010.

Cette absence de gains de productivité avait été constatée dans les années 1980/1990 lors de la diffusion des microprocesseurs. L’économiste, prix Nobel Robert Solow avait ainsi déclaré « on voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Quelques années plus tard, la productivité s’était accrue. Les vagues technologiques, du tracteur à l’électricité en passant par l’ordinateur personnel, mettent du temps à se propager à l’ensemble de l’économie. En supposant que les revenus de l’IA des grandes technologies augmentent en moyenne de 20 % par an, les investisseurs prévoient que la quasi-totalité des revenus de l’IA des grandes technologies arriveront après 2030.

Quand Hollywood ne fait plus rêver

Le studio de la Paramount Pictures sur Melrose Avenue, au cœur d’Hollywood, est à vendre. L’actionnaire majoritaire de la Paramount, Shari Redstone qui a hérité de cette dernière de son père, décédé en 2022, est à la recherche d’un acheteur. Depuis six mois, les prétendants se succèdent. Le 2 juillet dernier David Ellison, un milliardaire du secteur technologique aurait conclu un accord préliminaire pour racheter la participation de Mme Redstone dans l’entreprise après avoir longtemps négocié.

La cession de la Paramount souligne les difficultés auxquelles est confronté le secteur du cinéma depuis 2020. Les recettes sont en forte baisse. Le chiffre d’affaires, en 2023, lié à la vente des places dans le cinéma est, selon les pays (OCDE), en recul de 20 à 30 % par rapport à son niveau de 2019. Le nombre d’abonnements aux chaînes spécialisés dans le cinéma est en fort recul en raison de la montée en puissance des plateformes de vidéos ou de films en ligne. Aux États-Unis, 2,4 millions de ménages ont résilié leur abonnement à des chaînes payantes au cours du premier trimestre 2024. La montée en puissance du streaming ne compense par les pertes constatées au niveau des abonnements et des salles de cinéma. À l’exception de Netflix, les plateformes perdent toujours de l’argent. Par ailleurs, depuis 2022, les abonnements se stabilisent. Netflix, compte 270 millions d’abonnés dans le monde, Disney 200 millions et AppleTV autour de 75 millions. Ces entreprises disposent de suffisamment de réserves pour financer le développement de leur application de streaming. Pour certains, Amazon qui revendique 200 millions d’abonnés éprouverait des difficultés à équilibrer ses comptes. Les plateformes pour limiter les pertes augmentent les tarifs et tendent d’endiguer la fraude (limitation des connexions avec un même abonnement). Le secteur du cinéma, au sens large du terme, apparaît insuffisamment concentré. Les tentatives de fusion ont souvent échoué pour des raisons financières mais aussi culturelles. Il est difficile de marier les anciennes majors avec des start-ups. La Paramount a ainsi mené des négociations de fusion infructueuses avec Comcast, une entreprise spécialisée dans la diffusion par câble qui est propriétaire de NBC Universal. Auparavant, les négociations avec Sony avaient échoué. La Warner Bross Discovery est également à la recherche de nouveaux actionnaires. Son service de streaming « Max » n’est pas sans atouts en étant le diffuseur de l’univers « Game of Thrones » mais il perd de l’argent. NBC Universal ou Fox seraient susceptibles de racheter Warner. L’actionnaire de Fox, Rupert Murdoch et ses héritiers hésitent entre une spécialisation dans l’information ou la constitution d’un groupe généraliste.

Le retour éventuel de Donald Trump au pouvoir pourrait compliquer la réorganisation du secteur des médias. Fortement opposé à CNN, propriété de la Warner, Donald Trump fera tout son possible pour ne pas faciliter le renflouement de cette dernière. De même, il est assez hostile à Comcast qui détient le réseau d’information MSNBC qu’il n’apprécie pas. En revanche, il devrait défendre les intérêts de Fox et de Disney.

Entre-temps, les sociétés de divertissement tentent de s’organiser et de se restructurer. Disney, Warner et Fox ont prévu de lancer cet automne un service de streaming axé sur le sport, « Venu Sports » sous réserve de l’accord des régulateurs qui pourraient y voir une atteinte à la libre concurrence. Des regroupements sont possibles au niveau du streaming, en particulier entre Disney et Warner. Les offres jumelées se multiplient. Comcast a lancé un forfait « StreamSaver » pour ses clients haut débit, regroupant Netflix, Peacock et Apple tv+. L’objectif est de réduire le taux de désabonnement. Les plateformes perdent, en moyenne, 5 % de leurs abonnés chaque mois. Les départs sont liés aux opérations promotionnelles que les différents réseaux lancent. Les forfaits groupés visent à éviter cette pratique qui coûte de plus en plus chère à la profession. Les offres groupées permettent d’obtenir des abonnés plus stables. Le taux de désabonnement mensuel parmi les abonnés au forfait divertissement et sport de Disney était de 3 %, contre environ 5 % parmi ceux qui ne bénéficient que de Disney+. Les Studios acceptent de plus en plus de vendre en licence aux entreprises de streaming leur production quand, auparavant, ils souhaitaient en conserver l’exclusivité. Des titres Disney tels que « Lost » et « Home Improvement » sont sur Netflix. La Warner loue également son catalogue de films. La Paramount étudie la possibilité de faire de même. Les réseaux comme Netflix sont demandeurs afin de réduire leur budget de production. Le public plébiscite par ailleurs les anciens films ou les anciennes séries. Les contenus acquis représentaient près de la moitié du visionnage sur Netflix au second semestre 2023, dont 11 de ses 20 séries les plus regardées.

Les frontières entre les chaînes de télévision et les réseaux de streaming sont de plus en plus poreuses. Ces derniers augmentent leurs tarifs et recourent à la publicité quand les premières donnent accès en ligne à un nombre important de programmes. Les perdants dans l’affaire pourraient être les salles de cinéma. Ces dernières, après avoir été durement affectées par la multiplication des chaînes de télévision dans les années 1980 et 1990, avaient néanmoins réussi à se maintenir.