12 décembre 2025

Tendances – les capitales – marché du travail américain

Etats-Unis : un marché du travail difficile à lire

L’économie américaine est en plein paradoxe. Les menaces de récession semblent écartées pour le moment. L’inflation a progressé avec la majoration des droits de douane mais reste relativement contenue. Pour autant, les gains de pouvoir d’achat ont disparu, obligeant le Président à restituer les gains fiscaux issus de la hausse des tarifs douaniers. La croissance américaine est tirée non par l’économie productive mais par la bourse et par l’engouement en faveur de l’intelligence artificielle. Les créations d’emplois se font de plus en plus rares, faute de main-d’œuvre disponible. Le nombre d’immigrés a diminué de plusieurs millions. Face aux menaces de ralentissement, la FED, sous la pression de Donald Trump, s’est résolue à baisser ses taux directeurs, même si, notamment avec le long shutdown, elle a été privée d’indicateurs fiables pour apprécier la réalité de la situation économique américaine.

Jerome Powell, son président, qualifie cet assouplissement de « gestion des risques », autrement dit une assurance contre un ralentissement plus marqué. Christopher Waller, pressenti pour lui succéder, plaide pour des baisses plus rapides et plus importantes, dès la réunion du 10 décembre. Ce dernier estime que la baisse des taux pourrait générer des emplois ; or, par déni, il refuse d’admettre que la diminution de la population active explique en grande partie le ralentissement de l’activité.

Aux États-Unis, les politiques comme les analystes privilégient le court terme. Par myopie, le relativisme n’est plus de mise. Le pays, pourtant, sort d’une décennie dorée. Hormis quelques mois sombres durant la pandémie de covid-19, l’économie américaine n’a, depuis 2009, pas connu de récession. Le taux de chômage oscille autour de ses plus bas niveaux en un demi-siècle. Les salaires ont fortement progressé, générant des gains de pouvoir d’achat, les plus importants enregistrés depuis le début des années 1970. La répartition des revenus est même plus égalitaire que dans le passé. Les salaires réels des travailleurs les moins bien rémunérés ont augmenté de 19 % depuis 2015, contre 11 % pour les mieux payés. L’inflation reste, en revanche, plus élevée qu’avant le Covid, autour de 3 %, en raison des pénuries de main-d’œuvre et de la hausse des droits de douane. Dans un tel contexte, pourquoi la FED diminue-t-elle ses taux directeurs ?

Trois raisons alimentent l’inquiétude au sujet d’un éventuel retournement du marché du travail.

La première est liée à l’évolution de l’emploi même si sa lecture est complexe. Les offres d’emploi reculent lentement mais régulièrement depuis un an ou deux. Le chômage remonte légèrement. La FED craint une chute brutale avec l’enclenchement d’un cycle baissier. Beaucoup estiment donc préférable que la FED intervienne en amont. Deuxième motif de nervosité : les annonces de licenciement des entreprises qui semblent se multiplier. Amazon et l’opérateur télécom Verizon ont annoncé des plans de suppression de dizaines de milliers de postes. Les annonces de licenciements auraient atteint, en octobre, un niveau inédit depuis plus de dix ans hors pandémie. Un autre indicateur, fondé sur les notifications obligatoires des grandes entreprises avant des suppressions massives d’emplois, progresse également, tout comme les mentions de licenciements dans les conférences de résultats. Troisième facteur : les enquêtes de terrain sont déprimantes. La confiance des consommateurs est en baisse. Elle frôle désormais un plancher historique. Depuis quelques mois, les Américains craignent pour leur emploi et pour leur pouvoir d’achat. Selon une enquête de la FED de New York, ils estiment leurs chances de retrouver un emploi dans les trois mois à moins d’une sur deux, pire que pendant la pandémie.

Ces éléments ne sont qu’une face de la situation de l’économie américaine. Certes, le chômage remonte, mais à 4,4 %, il reste bas au regard de l’histoire. Depuis 1948, il a été plus élevé près des trois quarts du temps. Le taux d’emploi des personnes de 25 à 54 ans se maintient autour de 80 %, presque un record. Des révisions statistiques ont par ailleurs renforcé les chiffres de l’emploi, jugés préoccupants cet été : 119 000 postes ont été créés en septembre, bien au-dessus des 50 000 anticipés par les prévisionnistes. Les données les plus récentes tardent en raison du « shutdown » fédéral, mais les inscriptions au chômage demeurent faibles. Si les ménages redoutent de ne pas retrouver d’emploi, ils ne sont que légèrement plus nombreux à craindre de perdre le leur.

Selon Goldman Sachs, les annonces de licenciements devancent en général de deux mois les demandes effectives d’allocations chômage. La banque estime désormais qu’il y a jusqu’à 25 % de probabilité que le taux de chômage augmente de 0,5 point au cours des six prochains mois, contre 10 % au printemps. L’indicateur le plus populaire pour détecter le moment où il faut s’inquiéter est la « règle de Sahm », du nom de Claudia Sahm, ancienne économiste de la FED. Celle-ci repère les hausses soudaines du chômage annonciatrices de récession, en comparant le taux actuel avec son point bas sur un an. En août 2024, l’indicateur a brièvement basculé en zone de danger. Cette année, la hausse du chômage est beaucoup plus graduelle, et la barre de récession est loin d’être franchie.

Le meilleur argument contre l’idée d’un effondrement imminent du marché du travail est peut-être qu’aucune raison fondamentale ne le justifie. La croissance semble s’accélérer au second semestre. Les marchés actions battent record sur record et les marchés de la dette d’entreprise intègrent une probabilité de défaut extrêmement faible. Les salaires continuent d’augmenter. Une vague d’automatisation alimentée par l’IA pourrait provoquer des licenciements, mais les enquêtes suggèrent au contraire un léger ralentissement de son adoption dans la plupart des secteurs.

Une explication plus plausible à la faiblesse actuelle de l’emploi et au manque d’enthousiasme des entreprises pour embaucher tient à l’incertitude liée à Donald Trump. Le chaos entourant l’instauration de ses nouveaux tarifs douaniers semble s’atténuer. Les expulsions de migrants et les changements de règles de visas continueront à perturber les employeurs, mais ceux-ci commencent à s’adapter. L’année 2026 ne sera sans doute pas un modèle de calme et de prévisibilité pour les États-Unis, mais pourrait au moins être un peu moins frénétique. Cela suffirait à redonner de l’élan au marché du travail. Malgré les inquiétudes des investisseurs et des banquiers centraux, la belle décennie des travailleurs américains semble donc loin d’être terminée, d’autant plus qu’avec la proximité des élections de midterm, Donald Trump devrait arrondir les angles de sa politique économique.

Pourquoi les capitales sont capitales

Les capitales des États sont uniques. Elles reflètent l’histoire de chacun d’entre eux. Certaines sont le fruit d’une décision politique — comme Brasília au Brésil — ou d’une volonté de ne pas choisir une grande cité dont l’influence pourrait interférer avec les intérêts du reste du pays. C’est le cas d’Ottawa au Canada. Les pays centralisés comme la France ou le Royaume-Uni ont opté pour des capitales politiques qui sont également le cœur de l’économie nationale : Paris et Londres. À travers les continents, trois forces dominent : le contrôle du territoire, la neutralité politique, la représentation symbolique de la nation.


Le premier des critères : sécuriser et gouverner le territoire ; le cas de Paris

Dans la plupart des pays européens, la capitale politique se situe dans un espace militairement défendable et central au regard du territoire. Paris a été choisie parce qu’elle se situe au cœur du Bassin parisien, loin — mais pas trop loin — des frontières. Les rois de France avaient pour objectif de fixer celles-ci sur le Rhin. La capitale devait être suffisamment proche des champs de bataille tout en étant en retrait. Cette position fut préjudiciable au pays en 1814, 1870, 1914 et 1940 : Paris fut rapidement menacée par les forces arrivant de l’Est.

Le choix de Paris répondait également à la nécessité de se protéger des envahisseurs venus du Nord — les Vikings — et de l’Ouest — les Britanniques. Rouen, qui disposait d’atouts indéniables (proximité de la mer, présence d’un fleuve, carrefour de routes terrestres), souffrait d’être trop exposée face à la perfide Albion. Lyon, au centre du pays et à l’intersection de grandes routes commerciales, avait l’inconvénient d’être éloignée des zones de conquête. Marseille avait l’histoire pour elle mais demeurait mal reliée aux grandes agglomérations et ne disposait pas de terres agricoles riches comme Paris, entourée de la Beauce et de la Brie. La capitale française avait la capacité de nourrir une armée importante et de la déplacer rapidement vers les quatre points cardinaux.

Se méfiant de Paris, les rois installèrent longtemps leur pouvoir dans la vallée de la Loire. Région riche et au climat favorable, elle offrait au XIVᵉ siècle une position équilibrée : trop au sud pour être prise facilement, trop centrale pour être isolée. Ce choix était également politique : contrairement à la Normandie ou à la Bourgogne, la vallée ligérienne n’abritait pas de grands princes susceptibles de contester l’autorité royale. Les villes y étaient fidèles à la Couronne depuis Charles VII. Les rois souhaitaient en outre s’éloigner de Paris, réputée peu sûre et sujette aux frondes. La mobilité royale ne prit réellement fin qu’avec Louis XIV, qui décida de s’installer à Versailles. Il avait une sainte horreur de Paris depuis la Fronde. Il aurait pu choisir Saint-Germain-en-Laye, sa ville natale, mais préféra un lieu marécageux entouré de forêts, proche de Paris mais à distance des agitations urbaines. La réputation de Paris comme ville frondeuse, ville de révoltes et de révolutions se perpétua jusqu’en mai 1968.

En Europe, Madrid présente un profil proche de Paris : située au centre de la péninsule Ibérique. Elle permet de gouverner depuis un lieu protégé des puissances maritimes et des empires continentaux. En Russie, Moscou est une capitale de profondeur stratégique, loin des mers et éloignée des armées d’invasion tout en restant connectée à l’Europe centrale. En Chine, Pékin contrôle l’axe Nord de l’Empire, région décisive pour la survie des dynasties. Ces capitales sont des postes de commandement : leur choix traduit un impératif — tenir le territoire.

Le compromis pour préserver l’unité politique

Le choix de la capitale peut aussi viser à préserver l’unité d’un pays. Washington est ainsi un compromis entre Nord et Sud. Bruxelles équilibre Flandre et Wallonie. La Haye permet d’éviter une mainmise excessive du commerce — et donc d’Amsterdam — sur les affaires des Pays-Bas. Ottawa a été privilégiée pour éviter une confrontation entre Montréal, francophone, et Toronto, anglophone : un choix de neutralité linguistique et politique.

Les capitales historiques ou symboliques

Certaines capitales sont choisies pour leur poids historique, même si elles ne sont ni centrales ni les plus peuplées ni les plus productives. Rome symbolise la continuité avec l’Empire romain pour un pays longtemps difficile à unifier. New Delhi incarne à la fois l’autorité impériale et la démocratie indienne. Rabat, capitale administrative créée sous le protectorat, est devenue un symbole de stabilité monarchique.

Les capitales conçues pour ouvrir le pays vers l’extérieur

D’autres villes se sont imposées comme capitales en raison de leur position géographique et de leur ouverture commerciale. Lisbonne appartient à cette catégorie. Située à l’embouchure du Tage, dans une baie naturelle, elle fut un point de départ idéal pour les grandes expéditions maritimes. Elle devint la capitale du Portugal au XIVᵉ siècle en supplantant Coimbra, mieux adaptée à une monarchie vouée à l’expansion navale. Dans cette catégorie figurent Stockholm, Copenhague, Oslo, Athènes, Londres ou Tokyo.

Les capitales construites par compromis : Canberra et Brasília

Plusieurs capitales sont le produit d’un compromis politique. C’est le cas de Brasília ou de Canberra.

À la fin du XIXᵉ siècle, quand l’Australie progresse vers la fédération (1901), Sydney — la plus ancienne et la plus peuplée — et Melbourne — capitale économique — se disputent le rôle de capitale. Aucune des deux ne pouvait être choisie sans provoquer une rupture politique. La solution fut donc la création d’une capitale neutre, située à distance comparable des deux villes. Le choix d’un site intérieur répondait aussi à des raisons de sécurité : en 1901, l’Australie craignait une attaque navale allemande, russe ou japonaise. Un concours international fut lancé en 1911 pour construire la nouvelle capitale, remporté par l’architecte américain Walter Burley Griffin.

Brasília répond à la même logique : corriger un déséquilibre territorial dans un pays dominé par les villes littorales (Rio, São Paulo, Salvador). Le Président Juscelino Kubitschek (1956–1961) concrétisa un vieux projet en lançant la construction d’une capitale nouvelle, symbole d’une république moderne. Brasília, ville sans passé colonial ni aristocratique, reflète l’ambition rationaliste du Brésil positiviste, avec Oscar Niemeyer et Lúcio Costa comme artisans.


Economie et politique associées ou dissociées

Paris, Londres et Tokyo se distinguent en cumulant les pouvoirs politiques et économiques. La région parisienne concentre 18 % de la population française, 30 % du PIB et la quasi-totalité des sièges sociaux. Londres concentre finance, population et pouvoir administratif. Dans d’autres pays, le pouvoir est moins concentré : en Allemagne, Stuttgart, Francfort, Hambourg, Munich ou Düsseldorf contrebalancent Berlin. En Chine, Shanghai, forte de 25 millions d’habitants, pèse trois fois Pékin en puissance d’exportation. En Inde, Mumbai, 20 millions d’habitants, génère à elle seule 6 % du PIB du pays. Au Brésil, São Paulo est un moteur industriel majeur du continent. Toronto, métropole la plus peuplée du Canada, incarne la puissance économique du pays. Madrid doit partager ce rôle avec Barcelone.

Une capitale n’est jamais un simple point sur une carte : elle est la cristallisation d’un rapport au territoire, d’une vision du pouvoir et d’une certaine idée de la nation. Certaines naissent des nécessités de la défense, d’autres d’un compromis politique, d’autres encore d’un geste symbolique destiné à inscrire un pays dans l’histoire ou dans l’avenir. Elles révèlent les fractures à surmonter, les ambitions à affirmer et les contraintes à dompter. En observant leurs choix, nous voyons se dessiner la manière dont les États se pensent, se protègent et se projettent. Les capitales sont capitales parce qu’elles racontent, mieux que tout discours, ce que chaque pays veut être — et ce qu’il redoute de devenir.