Tendances – Portugal – Paris est Paris
La revanche du Portugal !
Cela aurait pu être bien pire. En avril, lorsque le président Donald Trump a engagé une guerre commerciale, les investisseurs, comme de nombreux économistes, redoutaient une sévère récession mondiale. Finalement, le PIB mondial devrait progresser d’environ 3 % cette année, un rythme identique à celui de l’an dernier. Le chômage demeure faible dans la quasi-totalité des pays. Les marchés boursiers enregistrent une nouvelle année de performances honorables. Seule l’inflation constitue une véritable source d’inquiétude. Dans l’ensemble de l’OCDE, elle reste supérieure à l’objectif de 2 % poursuivi par les banques centrales. Cette performance globale masque toutefois de fortes disparités. Depuis cinq ans, l’hebdomadaire The Economist désigne « l’économie de l’année ». En prenant en compte des données portant sur cinq indicateurs — inflation, « diffusion de l’inflation », croissance du PIB, emploi et performance boursière — la rédaction du journal a classé 36 pays.
Comme l’année dernière, le Sud de l’Europe est à l’honneur. Après la victoire de l’Espagne en 2024, c’est au tour du Portugal de monter sur la plus haute marche du podium. En 2025, ce pays conjugue une croissance élevée, une inflation contenue et un marché boursier dynamique. D’autres pays de la zone euro, en difficulté dans les années 2010 — notamment la Grèce — enregistrent de bons résultats. Hors Europe, Israël poursuit son solide redressement après le chaos de 2023, tandis que l’Irlande échoue de peu à la première place. La Colombie se distingue également par une croissance soutenue et une bourse florissante.
À l’inverse, les moins bons élèves se situent principalement en Europe du Nord. L’Estonie, la Finlande et la Slovaquie ferment la marche. L’Allemagne fait légèrement mieux que les années précédentes, mais reste pénalisée par la faiblesse de son marché du travail. Le Royaume-Uni connaît une année tout aussi médiocre. La France, en dépit de la persistance de la crise politique, obtient un score honorable. De l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis se situent seulement dans la moyenne — et font moins bien que l’Italie. Leur marché de l’emploi demeure solide sans être exceptionnel, tandis qu’une inflation relativement élevée pèse sur leur classement global.
Le premier indicateur retenu par The Economist est l’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie, des produits agroalimentaires et hors prix administrés). Plus le taux annuel est proche de 2 %, cible habituelle des banques centrales, meilleur est le classement. La Turquie affiche de loin la pire performance, conséquence des politiques économiques erratiques menées par le président Recep Tayyip Erdoğan. L’Estonie arrive en seconde position, avec une inflation sous-jacente proche de 7 % au troisième trimestre 2025, alors qu’elle continue d’absorber le choc énergétique de 2022. D’autres pays rencontrent également des difficultés. Au Royaume-Uni, l’inflation sous-jacente a reculé par rapport à l’an dernier, mais reste élevée, à 4 %, bien au-delà du niveau souhaité par la Banque d’Angleterre.
Dans certains pays, au contraire, l’inflation sous-jacente est trop faible. C’est notamment le cas de la Suède, où elle est presque inexistante. Pour des consommateurs éprouvés par quatre années de forte hausse des prix, cela peut sembler une bonne nouvelle. Les économistes redoutent cependant un scénario de déflation, qui freine la consommation et alourdit le poids réel des dettes. Un peu d’inflation vaut mieux que pas d’inflation du tout. La Finlande et la Suisse affichent des niveaux tout aussi atones. Quant au Japon, bien que l’inflation y soit plus élevée que dans les années 2010, elle reste sans commune mesure avec les tensions observées ailleurs. Dans plusieurs pays, la diffusion de l’inflation demeure importante, avec un retentissement sur le panier de consommation des ménages, en particulier aux États-Unis, en lien avec la hausse des droits de douane, ainsi qu’en Italie.
Qu’en est-il de la croissance et de l’emploi, deux indicateurs auxquels les électeurs accordent une attention particulière ? Le Portugal se distingue à nouveau. Le tourisme est dynamique. De nombreux ménages étrangers s’installent au Portugal à la recherche de conditions de vie agréables. La croissance y dépasse largement la moyenne européenne. La République tchèque affiche également de bons résultats en matière de production et d’emploi, ce qui la propulse dans le premier tiers du classement. À l’inverse, la Corée du Sud a détruit des emplois. La Norvège, fortement exposée aux matières premières et au transport maritime, souffre du ralentissement du commerce mondial. Il faut parfois se méfier de certains résultats. Ainsi, au troisième trimestre, l’Irlande a enregistré une croissance annuelle de plus de 12 %, un chiffre trompeur. La présence de nombreuses multinationales qui y localisent leurs profits fausse les comptes nationaux.
Pour les marchés d’actions, contrairement à certaines idées reçues, les performances boursières américaines sont simplement honorables. Les niveaux élevés actuels reflètent surtout les succès des années passées. La France affiche également une évolution modeste, les actions de son entreprise la plus valorisée, LVMH, faisant du sur-place. Elle souffre toujours d’un climat politique délétère et du dérapage de ses finances publiques. Les investisseurs s’inquiètent de plus en plus de l’arrivée au pouvoir d’un parti extrémiste, ce qui pourrait entraîner des tensions sur l’euro et, plus globalement, remettre en cause la construction européenne. Au niveau boursier, le Danemark se classe dernier. En un an, le cours de Novo Nordisk, fabricant de l’Ozempic qui, pendant des années, a connu une croissance vertigineuse, a chuté de 60 %, l’entreprise ayant perdu son avance sur le marché des traitements contre l’obésité. Pour des gains boursiers spectaculaires, mieux vaut regarder ailleurs. Si les entreprises tchèques et sud-coréennes ont bien performé, aucun pays n’a fait mieux, en monnaie locale, qu’Israël. En un an, le titre de la première capitalisation boursière du pays, Bank Leumi, a progressé d’environ 70 %. Les investisseurs portugais ont eux aussi été bien servis, la bourse nationale ayant gagné plus de 20 % en 2025.
Les responsables économiques du Portugal se félicitent du retour sur le devant de la scène de leur pays qui, entre 2010 et 2012, a connu l’enfer. Les autorités avaient été contraintes de céder la gestion, par exemple, des aéroports. Les Portugais sont, de ce fait, assez narquois face aux difficultés de la France et de l’Allemagne, qui leur avaient fait la leçon par le passé.
Pourquoi Paris est Paris ?
Paris et la France sont intimement liées. Le drapeau tricolore reprend les couleurs de la ville de Paris, le bleu et le rouge. Paris s’est imposée rapidement comme capitale, même si, dès le départ, elle a inspiré méfiances, craintes et acrimonies.
Deux cent cinquante ans avant notre ère, la tribu gauloise des Parisii fonde un oppidum sur l’actuelle Île de la Cité, en raison de sa position stratégique sur la Seine. L’île permet de contrôler le commerce et d’assurer la défense de la tribu en maîtrisant les voies fluviales. La ville s’appelle alors Lutèce, en référence à l’oppidum désigné par un nom celtique, Loukotekia, que les Romains latinisent en Lutetia. Ce terme est généralement interprété comme signifiant « lieu marécageux » ou « endroit boueux », en lien avec les rives de la Seine et les zones humides autour de l’Île de la Cité.
En 52 avant notre ère, Lutèce est intégrée à l’Empire romain après la conquête de César. Du Ier au IIIe siècle, la ville se développe surtout sur la rive gauche (thermes de Cluny, arènes de Lutèce). Au IVe siècle, le nom de Paris remplace progressivement celui de Lutèce, en référence aux Parisii. Durant toute la période de l’Empire romain, Lyon et Narbonne jouent un rôle politique et économique plus important que Lutèce.
Vers 508, Clovis installe sa résidence à Paris après sa victoire sur les Wisigoths. La ville devient alors le centre du pouvoir mérovingien. Sous les Carolingiens, le pouvoir est itinérant ; Paris reste importante mais non exclusive. Avec les Capétiens, Paris s’impose de plus en plus comme le centre du pouvoir politique. Hugues Capet s’installe ainsi à Paris à la fin du Xe siècle. Au XIIIe siècle, sous Philippe Auguste et Saint Louis, Paris est déjà la capitale de fait, avec les sièges du Trésor, du Parlement et de l’Université. La ville commence à devenir un centre démographique et économique majeur.
Les rois se sont toujours méfiés de Paris, réputée turbulente. Les révoltes parisiennes — Étienne Marcel au XIVe siècle, les Cabochiens au XVe, la Fronde au XVIIe — expliquent le rapport ambigu qu’entretiennent les rois avec la capitale. Le Louvre est une forteresse autant qu’un palais, signe d’une présence méfiante plus que confiante. Ce château, en mutation permanente, n’a jamais été achevé et a la réputation de porter malheur. Durant la Renaissance, les rois de France déplacent le cœur de leur vie politique et culturelle vers la vallée de la Loire : Amboise, Blois, Chambord. La Loire offre distance et contrôle : assez proche de Paris pour surveiller le royaume, assez loin pour échapper à la pression populaire et aux intrigues urbaines. Après la Loire, les rois aiment également s’installer à Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye, Compiègne ou Rambouillet. Le roi et sa cour privilégient des palais disposant de forêts riches, leur permettant de s’adonner à la chasse. Paris, par ailleurs, est jugée comme une ville peu saine, propice aux épidémies qui sévissent alors régulièrement en France.
Louis XIV décide de transférer le pouvoir royal en édifiant à Versailles une véritable ville moderne organisée autour d’un palais symbolisant toute sa puissance. En mai 1682, la cour et le gouvernement s’installent définitivement à Versailles. À partir de cette date, celle-ci devient le siège effectif du pouvoir politique, même si Paris demeure la capitale administrative, économique et intellectuelle.
La Révolution française s’effectue contre Versailles, symbole de la monarchie absolue et des dérives financières de la cour. En octobre 1789, des milliers de femmes parisiennes, bientôt rejointes par des gardes nationaux, marchent de Paris à Versailles. Le motif immédiat est la cherté du pain, mais l’enjeu est politique. Le roi est perçu comme distant, voire hostile à la Révolution. Louis XVI est alors contraint de quitter Versailles et de s’installer à Paris, au palais des Tuileries, avec la reine et la famille royale. Avec le slogan « Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron », Paris tient sa revanche. Paris devient le centre effectif de la Révolution. Cet événement inaugure un cycle de relations conflictuelles entre la rue et le pouvoir. La violence parisienne se manifeste à de nombreuses occasions :
- 14 juillet 1789 : prise de la Bastille ;
- 10 août 1792 : prise des Tuileries et chute de la monarchie ;
- 1830 : les Trois Glorieuses, renversement de Charles X ;
- 1848 : révolution de Février, renversement de Louis-Philippe ;
- 1871 : la Commune de Paris ;
- 1934 : les manifestations du 6 février ;
- 1968 : les événements du mois de mai ;
- 2018-2019 : les manifestations des Gilets jaunes.
Malgré ces événements, à partir de la Révolution, à l’exception de la période 1871-1879 (le Parlement siège à Versailles après la Commune) et de celle du gouvernement de Vichy, Paris demeure la capitale politique.
D’autres villes ont, au cours de l’histoire de France, joué un rôle de capitales… ou de quasi-capitales. Reims a occupé une place particulière durant la monarchie en étant la ville des sacres. Elle incarne la légitimité monarchique, non l’exercice du pouvoir. Dans le haut Moyen Âge, Laon fut un centre royal important, mieux défendable que Paris à une époque d’insécurité chronique. Elle aurait pu devenir capitale si la logique militaire avait prévalu durablement. Aux XVe et XVIe siècles, Tours est un centre politique majeur ; la cour y séjourne longuement. Bordeaux a été une capitale provisoire à plusieurs reprises (1870, 1914, 1940), la ville étant éloignée des frontières de l’Est.
Paris s’est imposée en raison de son positionnement stratégique et de la richesse de sa région. Elle est située au cœur du bassin parisien, zone fertile, dense, navigable, au croisement de routes commerciales majeures. La Seine relie la ville à la Manche, donc au commerce international. La ville est relativement éloignée des frontières exposées. Elle est défendable, notamment grâce à la Seine et à son réseau de fortifications successives. Rapidement, Paris a cumulé les fonctions par la concentration institutionnelle : Parlement, université, administrations, finances, Église, puis Académies. Paris devient le lieu où se fabriquent les normes, le droit, la langue et la pensée.
La place de Paris est intimement liée à son poids démographique. Elle est, dès le XIIe siècle, la ville la plus peuplée de France. Vers 1100, Paris compte environ 50 000 habitants. À cette époque, sa population reste proche de celles de Rouen ou d’Orléans. Vers 1200, Paris approche 80 000 à 100 000 habitants. Vers 1300, sous le règne de Philippe le Bel, Paris atteint 200 000 habitants et n’a plus de concurrente sur le plan démographique. Elle devient alors l’une des plus grandes villes d’Europe, derrière quelques métropoles italiennes (Venise, Milan) et parfois Londres.
La force de Paris tient au cumul de facteurs. L’installation des institutions administratives fixe une population, également attirée par la croissance des échanges. En Angleterre, jusqu’au XIVe siècle, Londres est concurrencée par York, Bristol ou Norwich. Rome, de son côté, est entravée dans sa croissance par l’absence d’État italien jusqu’au XIXe siècle. Florence, Venise, Milan ou Naples surpassent la Ville éternelle, qui ne redevient capitale qu’en 1870, tardivement. Madrid est la capitale de l’Espagne à partir de 1561, mais elle a dû attendre le XIXe siècle pour devenir la première ville en nombre d’habitants, longtemps concurrencée par Barcelone, Valence ou Séville. En Allemagne, Berlin, capitale depuis 1871, doit composer avec les anciennes capitales des États allemands. Le Grand Berlin compte 6,3 millions d’habitants, contre 10 millions pour la Ruhr (Cologne, Düsseldorf, Essen, Dortmund…) et 6 millions pour Munich. Berlin n’est pas la capitale économique de l’Allemagne : son PIB par habitant est inférieur à la moyenne nationale et la ville accueille peu de sièges sociaux. Le cœur financier de l’Allemagne se situe à Francfort.
Contrairement à l’Allemagne (Berlin / Francfort), à l’Italie (Rome / Milan) ou aux États-Unis (Washington / New York), la France concentre à Paris le pouvoir politique et la puissance économique. Cette coïncidence renforce mécaniquement la domination de la capitale sur le reste du pays. Le PIB de l’Île-de-France représente plus de 30 % de celui de la France. Le PIB par habitant y est supérieur de plus de 60 % à la moyenne nationale. La région est la première région européenne pour les sièges sociaux, les investissements étrangers, les emplois qualifiés et la recherche et l’innovation.
Environ 40 % des sièges sociaux des grandes entreprises françaises sont localisés en Île-de-France. Trente-six des quarante entreprises du CAC 40 y ont leur siège social. La Défense est le premier quartier d’affaires d’Europe. Environ 750 000 étudiants sont inscrits en Île-de-France sur les trois millions que compte la France. La région comporte plus de 70 universités et grands établissements, ainsi qu’un grand nombre de grandes écoles (INSP, Polytechnique, HEC, ESSEC, ENS, Sciences Po, etc.). L’Île-de-France se distingue par une densité unique de musées, monuments et lieux patrimoniaux. Plus de 1 000 musées, soit environ 40 % des musées français, y sont localisés, tout comme près de 300 théâtres et salles de spectacles. Plus de 40 % de l’offre nationale de spectacles est concentrée en Île-de-France. Peu de villes dans le monde sont à la fois capitales démographique, politique, économique et culturelle. Londres, Tokyo et Séoul sont celles qui s’en rapprochent le plus.


