9 mars 2024

Tendances – intelligence artificielle – Russie – Ukraine

Faut-il craindre l’intelligence artificielle ?

Openai a rendu public son modèle d’intelligence artificielle Gpt-4, il y a un peu plus d’un an, système qui alimente Chatgpt, son robot conversationnel. Au cours de cette période, la capitalisation boursière de l’industrie technologique américaine, au sens large, a progressé de plus de 50 %, créant 6 000 milliards de dollars de valeur pour les actionnaires. L’indice de référence en la matière, le Nasdaq a augmenté de plus de 45 %. Pour certaines entreprises technologiques, la croissance des revenus est au rendez-vous, semblant confirmer que la hausse des cours n’est pas la réédition de la bulle Internet de la fin des années 1990. Le 21 février dernier, l’entreprise américaine Nvidia, qui conçoit des microprocesseurs utilisés par les modèles comme Gpt-4, a annoncé des résultats en forte hausse au quatrième trimestre, portant sa valeur marchande à environ 2 000 milliards de dollars. L’ensemble des acteurs de l’intelligence artificielle (IA) comme Alphabet (la société mère de Google), Amazon et Microsoft bénéficient de l’engouement pour l’IA.

Le marché de l’IA reste pourtant balbutiant. En 2023, l’IA n’a représenté qu’un cinquième de la croissance des revenus d’Azure, la division cloud computing de Microsoft. Alphabet et Amazon ne révèlent pas leurs ventes liées à l’IA, mais les analystes soupçonnent qu’elles sont inférieures à celles de Microsoft. Pour éviter un atterrissage brutal des cours boursiers, ces entreprises devront assez rapidement vendre leurs solutions d’IA à un grand nombre de clients. Celle-ci doit s’imposer comme Internet dans les années 2010. Elle doit devenir incontournable que ce soit dans la création, l’innovation, la production ou la gestion ainsi que dans les loisirs. En 2023, moins de 10 % des entreprises utilisent des outils d’IA. Ce ratio doit être dans les faits plus élevé car cette dernière se loge dans de nombreuses applications informatiques sans que leurs utilisateurs ne le sachent.

L’IA modifiera, sans nul doute, de nombreux métiers. Elle pourra supprimer des emplois mais en créera également. La diffusion de la machine à écrire puis de l’ordinateur ont, en leur temps, provoqué des changements dans le monde du travail tout comme l’introduction au XVIIIe et au XIXe de la machine à vapeur et des métiers à tisser. Le recours à des machines a permis des gains de productivité et une réduction de certaines pénibilités. Selon une étude menée en 1888, la machine à écrire permettait à une personne d’effectuer le travail de six. De son côté, l’ordinateur a éliminé certaines tâches administratives répétitives tout en rendant les salariés plus productifs et plus autonomes. Le développement de la visioconférence qui s’est accéléré depuis la pandémie de covid permet de limiter les déplacements générant des gains de temps et contribuant à la réduction des émissions des gaz à effet de serre.

L’IA comme toute innovation majeure sera rentable que plusieurs années après sa généralisation comme ce fut le cas avec les ordinateurs. Dans les années 1990, l’économiste Robert Solow affirmait qu’on « voyait des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». Il a fallu attendre les années 2000 pour réellement mesurer leurs effets. Actuellement, il n’y a pas encore d’études sur les conséquences de l’introduction de l’IA sur la productivité.

En ce début d’année 2024, l’IA n’est utilisée que par un nombre réduit d’entreprises. La grande majorité des entreprises n’utilisent pas Chatgpt d’Openai, Gemini de Google, Copilot de Microsoft ou d’autres outils similaires de manière systématique, même si des employés peuvent, à titre individuel, le faire. En février, aux États-Unis, 17 % des entreprises du secteur de l’information et de la communication ont eu recours à l’IA dans les deux semaines précédant l’enquête, 13 % dans celui des services aux entreprises, 9 % dans celui des services de l’éducation, 8 % dans celui de l’immobilier, 7 % dans celui de l’assurance et de la finance, 6 % dans celui des loisirs, 5 % dans celui de la santé et 4 % dans l’administration. L’utilisation de l’IA demeure l’apanage des grandes entreprises qui peuvent se permettre de recruter des équipes dédiées et financer les investissements nécessaires. Selon Morgan Stanley, toujours aux États-Unis, fin 2023, près du quart des entreprises avaient des projets d’IA contre 15 % pour l’ensemble des entreprises. La montée en puissance est néanmoins rapide. Au mois de janvier, seulement 9 % des grandes entreprises recouraient à l’IA. Toujours aux États-Unis, de plus en plus de créations d’emploi sont en lien avec cette dernière. De plus en plus d’entreprise recherchent des professionnels pouvant mettre en œuvre des projets de robots conversationnels. Aux États-Unis, au mois de janvier 2024, 0,10 % des offres d’emploi concernent l’IA. Ce ratio est de 0,12 % au Canada, 0,8 % au Royaume-Uni, 0,7 % en Allemagne et 0,5 % en France.

Trois grands catégories d’intelligence artificielle en entreprise peuvent être distinguées : les outils de façade, les outils destinés aux travailleurs peu ou moyennement qualifiés et ceux destinés aux employés qualifiés.

Les outils de façade sont avant tout à destination des consommateurs. Ils sont assez basiques ; Ils permettent ainsi de proposer par exemple une sélection des chansons à destination des abonnés des application de musique en ligne et de mettre à disposition des chatbots pour résoudre des problèmes relativement simples. Amazon et Google Maps ont introduit des modules d’IA dans leurs services sans que les utilisateurs ne s’en aperçoivent réellement.

Les outils destinés aux travailleurs à faible qualification visent à leur donner accès à des données leur permettant de réaliser leur travail plus rapidement sans faire appel à un collègue ou à un supérieur. Des outils sont ainsi développés pour épauler les services clients et réduire le temps de traitement des dossiers. D’autres permettent de générer plus rapidement des fichiers Excel ou Word. Des entreprises recourent à l’IA pour améliorer les systèmes de recherche de données. La société de services financiers américaine, « Nasdaq » recourt à l’IA pour évaluer les transactions bancaires suspectes. Selon l’entreprise, les temps de traitement ont été réduits à trois minutes, contre 30 à 60 minutes auparavant.

L’IA est de plus en plus utilisée par les actifs à forte qualification. Elle est un outil offrant des gains de temps appréciables pour la recherche. Des outils d’analyse permettent de qualifier les résultats issus d’une multitude d’expériences. Les avocats ont été également parmi les premiers à l’adopter tant pour les recherches juridiques que pour évaluer les chances de réussite d’un dossier. Les banques d’investissement utilisent l’IA pour automatiser une partie de leur processus de recherche. Sanofi utilise une application pour fournir à ses dirigeants des informations en temps réel sur de nombreux aspects de la vie de leur entreprise. Des entreprises utilisent cette technologie pour créer leurs logiciels. GitHub Copilot de Microsoft, un outil d’écriture de codage, compte 1,3 million d’abonnés. Amazon et Google proposent des produits similaires. Apple devrait prochainement en proposer un. L’IA réduirait d’au moins de 20 % le temps de conception d’un logiciel. Grâce à l’IA, l’Oréal arrive à mesurer plus efficacement les effets des campagnes de publicité. Elle estime que les marques du groupe ayant déployé des applications d’IA ont pu gagner de 10 à 15 % de productivité. Pour le moment, ce déploiement ne se traduit pas par des destructions d’emploi. Jusqu’à présent, cette technologie semble créer plus d’emplois qu’elle n’en élimine. Actuellement, elle serait plutôt responsable de la création de nouveaux emplois. Les grandes entreprises sont, à ce titre, confrontées à des pénuries de main-d’œuvre. Nestlé et KPMG peinent à trouver un nombre suffisant d’ingénieurs informaticiens.

L’IA qui est encore en rodage n’est pas sans défaut. Les robots peuvent générer des erreurs que les salariés doivent rechercher et corriger. Les codeurs peuvent ainsi passer moins de temps à créer des logiciels sans IA qu’avec cette dernière. Les erreurs de l’IA peuvent entraîner des conséquences financières non négligeables. Ainsi, le chatbot d’Air Canada s’est trompé en proposant de mauvais tarifs aux clients. L’insertion des nouveaux outils peut également démotiver les salariés qui se sentent dépossédés de leur travail ou assistés. Ils perdent en sens critique et en efficacité. Un sondage réalisé par IBM souligne que de nombreuses entreprises hésitent à adopter l’IA car elles manquent d’expertise interne en la matière. D’autres craignent que leurs données ne soient pas exploitables par les robots. Environ un quart des dirigeants américains interdisent l’utilisation de l’IA générative dans leur entreprise. L’une des raisons possibles de leur hésitation est l’inquiétude concernant la gestion des données. Dans leurs rapports annuels, la société d’investissement, Blackstone, et le laboratoire pharmaceutique, Eli Lilly, ont mis en garde les investisseurs contre les risques liés à l’IA et à la question de la propriété intellectuelle des données exploitées par les modèles. L’entreprise français, Orange, a indiqué avoir mis en place un cadre précis en ce qui concerne ce problème de propriété des données avant de commencer un essai avec Copilot de Microsoft. Ce dernier a été également intégré à Word et à Excel offrant aux utilisateurs de ces deux logiciels la possibilité d’accéder à des fonctionnalités d’IA. Des interrogations sur la confidentialité des documents ainsi créés se posent. Par ailleurs, cette intégration provoquerait un ralentissement non négligeable des ordinateurs et des bugs.

L’intelligence artificielle peut-elle être française ?

Les entreprises américaines comme Microsoft ou Google, dominent l’univers de l’intelligence artificielle (IA) « générative ». L’ouverture au public en novembre 2022 de Chatgpt par la société Openai a, en quelques mois, donné lieu à un engouement pour les applications reposant sur des modèles de langage. Une entreprise française, dénommée Mistral, tente de rivaliser avec les géants américains. Sa nouvelle application Mistral Large entend concurrencer Chatgpt. Pour y arriver, l’entreprise française dispose, néanmoins, de l’appui de Microsoft qui n’est autre que l’un de ses actionnaires de référence.

L’IA rebat les cartes au sein du secteur de la communication et de l’information. Les grandes entreprises américaines détenant des moteurs de recherche et des réseaux pouvant collecter en grand nombre des données, disposent d’un réel avantage. Cependant, des petites structures ont la possibilité grâce à leur agilité de lancer de nouveaux modèles et de conquérir des parts de marché. « Il ne s’agit plus d’être le plus grand, il s’agit d’être le plus créatif et le plus rapide » a ainsi déclaré Arthur Mensch, le directeur général de Mistral. Cette société a été fondée au début de l’année 2023 et ne compte que 25 salariés. Pourtant, son modèle a été vite reconnu comme un des plus compétitifs au sein de ceux qui sont en open source. Ce modèle, contrairement à ceux qui sont fermés comme Chatgpt-4, est accessible et peut être modifié par n’importe qui. Grâce à sa rapide notoriété, le modèle de Mistral a permis à cette dernière de bénéficier d’un apport de capital de 490 millions d’euros de la part de fonds de capital-risque américains comme Andreessen Horowitz et General Catalyst. Eric Schmidt, l’ancien directeur général de Google a également pris une participation. L’entreprise est ainsi valorisée à plus à plus de 2 milliards de dollars.

Mistral a réussi à concilier les compétences reconnues des ingénieurs français et le savoir-faire des grandes entreprises américaines de technologie. Trois des six fondateurs de Mistral, Arthur Mensch, Timothée Lacroix et Guillaume Lampe sont issus des grandes écoles d’ingénieurs françaises. Avant de créer en région parisienne leur entreprise, ils sont passés dans les laboratoires de recherche de Google et Meta. Ils sont considérés comme les meilleurs experts de l’IA générative. La force de leur modèle est sa petite taille. Il arrive à filtrer les données en recourant à un nombre de paramètres plus faible que les autres modèles, ce qui en limite le coût et ce qui permet une utilisation plus facile sur les ordinateurs. Les fonctions d’auto-apprentissage sont plus simples à gérer par les clients.

Mistral bénéficie du soutien du gouvernement français qui entend doter le pays d’entreprises spécialisées dans l’IA. Cédric O, ancien ministre en charge du numérique, est l’un des co-fondateur de l’entreprise. Quand un projet de directive européenne sur l’IA, en 2023 visait à imposer aux entreprises de l’IA de divulguer leurs données, Cédric O a obtenu le soutien d’Emmanuel Macron pour s’opposer à ces dispositions.

La société Mistral devra confirmer les espoirs qu’elles suscitent. Le secteur de l’IA étant encore mouvant, les clients potentiels demeurent, pour un certain nombre d’entre eux, attentistes. La réglementation pourrait imposer des contraintes à l’usage nécessitant de revoir le mode de fonctionnement des modèles. Les pouvoirs publics entendent, en Europe comme aux États-Unis, réguler ce secteur naissant afin d’éviter que les application d’intelligence artificielle puissent faciliter le développement d’activités illégales (construction de bombes, ingérence dans la vie politique, etc.). Mistral, au-delà des incertitudes réglementaires, doit faire face à une concurrence de plus en plus importante, la société finlandaise, « Silo ai », a rendu public un modèle encore plus ouvert que celui de Mistral, fournissant des informations sur les données sur lesquelles il s’entraîne. Une nouvelle version, prévue dans quelques mois pourra travailler en ayant recours à la quasi-totalité des langues européennes. Par ailleurs, les entreprises américaines disposent d’atouts importants pour imposer leur modèle. Elles ont accès à un large marché de capitaux et peuvent compter sur la fidélité de leurs clients. La sortie de gpt5 par Openai, dans les prochains mois, sera un rendez-vous important pour l’IA.

La Russie financera-t-elle l’armée ukrainienne ?

Un actif de réserve n’a de valeur pour son propriétaires que s’il peut en disposer librement. La Russie apprend à ses dépens le bienfondé de cette règle. Comme tous les États, ce pays a placé une partie de ses réserves dans des banques à l’étranger. Or, depuis l’invasion de l’Ukraine, ces actifs sont gelés au sein de nombreux pays occidentaux. Les établissements russes ne peuvent ni les déplacer, ni en percevoir les revenus. Ainsi, sur les 282 milliards de dollars d’actifs russes immobilisés quelque 207 milliards de dollars sont détenus chez Euroclear, une chambre de compensation basée en Belgique. Lorsque les paiements de coupons sur les actifs russes arrivent à échéance ou que les obligations sont remboursées, Euroclear place les liquidités sur un compte bancaire. Ce compte est désormais doté de plus de 130 milliards de dollars.

Les gouvernements occidentaux s’interrogent sur la possibilité d’utiliser ces revenus pour aider l’Ukraine. La Russie financerait son adversaire afin que ce dernier puisse lui faire la guerre. Dans le passé, les agresseurs, en cas de défaite, pouvaient se voir infliger des dommages de guerre. Dans le cas présent, l’Ukraine recevrait une aide de la part de la Russie avant même la fin des hostilités. Le coût de la guerre pour l’Ukraine, compte tenu des destructions, a été évalué à plus de 480 milliards de dollars par la Banque mondiale. Ses besoins en armement se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards de dollars. La préemption des revenus des réserves russes apparaît d’autant plus nécessaire que la Chambre des représentants américaine, sous la pression de Donald Trump, a bloqué le versement de 80 milliards de dollars à l’Ukraine. Cette dernière ne tient pour le moment que par les aides européennes qui devraient atteindre cette année 50 milliards d’euros. Face à d’importantes difficultés d’approvisionnement en armes et munitions, le 26 février dernier, Dmytro Kuleba, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, a demandé que les avoirs russes puissent être confisqués. Il a reçu l’appui de Janet Yellen, la secrétaire d’État au Trésor américaine, qui a appelé ses collègues occidentaux à donner leur accord pour l’utilisation des ressources des fonds russes gelés. Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne, souhaite affecter les liquidités présentes sur le compte d’’Euroclear pour acheter du matériel militaire pour l’Ukraine.

Les Occidentaux ont-ils le droit disposer des actifs russes ? En droit, la Cour internationale de Justice est compétente pour se prononcer sur une éventuelle dévolution de ces biens financiers mais cela suppose que l’Ukraine et la Russie acceptent son arbitrage ce qui, en l’état du conflit, est peu probable. À défaut de recourir à la Cour internationale, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait se saisir du dossier à la demande d’un de ses membres mais l’adoption d’une résolution de spoliation n’a aucune chance d’être adoptée car la Russie dispose en tant que membre permanent d’un droit de veto. Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor américain, estiment que la Russie s’est placée hors du droit international en envahissant l’Ukraine. De ce fait, elle pourrait se voir infliger des sanctions qui peuvent entrer en contradiction avec le droit international. Le gel des avoirs entrent dans cette catégorie et ont été largement utilisés mais leur confiscation pourrait être considérée comme un acte de guerre car irréversible. Certains comme le professeur de droit Lee Buchheit estime que les fonds russes pourraient être utilisés pour rembourser l’Ukraine qui détient de nombreuses créances impayées sur la Russie. Le professeur propose que les pays occidentaux accordent un prêt à l’Ukraine gagé sur les créances qu’elle détient sur la Russie. En cas de nom paiement de celles-ci, ce qui est fort probable, les Occidentaux pourraient saisir les liquidités sur le compte d’Euroclear. Un tel plan suppose au préalable une connaissance exacte des créances en question. Or pour le moment, l’inventaire n’a pas été réalisé. Pour le moment, la France et l’Allemagne sont réticentes à entrer dans un tel système. De même la Belgique qui abrite Euroclear ne souhaite pas être au cœur d’un conflit direct avec la Russie. À défaut de ce mécanisme de prêts, le principe d’une taxation des fonds gelés a été avancé. La légalité d’un impôt dû par un seul propriétaire pourrait se poser également.

Deux ans après le début de la guerre, en plein ralentissement de la croissance, les pays occidentaux peinent à dégager les ressources suffisantes pour financer l’effort de guerre ukrainien. Le blocage de l’aide américaine par le Congrès et les réticences de certains Etats de l’Union européenne compliquent l’approvisionnement en armes et munitions de l’Ukraine. Avec l’arrivée du printemps, synonyme d’une éventuelle reprise de la guerre de mouvement, les besoins de l’armée ukrainienne augmenteront obligeant les Occidentaux à trouver des solutions dans des délais relativement brefs.